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J'essaie d'apprendre à économiser l'eau, à ne pas laisser couler le robinet inutilement, à couper l'eau sous la douche, et à me dire à chaque petite quantité d'eau perdue, qu'elle l'est peut-être pour toujours, qu'elle l'est peut-être pour beaucoup, et à me dire à chaque petite quantité d'eau que je n'utilise pas, que j'économise, qu'elle est peut-être gagnée pour d'autres, peut-être gagnée pour la Terre. C'est sûrement ridicule, insignifiant, mais j'ai un peu de bonheur, de plaisir, de satisfaction à chaque petit effort que je fais. Il y a sûrement beaucoup à faire, et j'ai sans aucun doute d'extrêmement mauvaises habitudes de respect de la nature et des autres, mais j'espère, petit à petit, apprendre à profiter de ce que j'ai, et l'économiser. Autant le plaisir d'un bain chaud peut-il exister, autant chaque petit effort pour que ce plaisir puisse continuer, de temps en temps, pas très souvent, à exister, est aussi un moment de plaisir, peut-être plus pur, peut-être plus sain.

Jeudi 23 août 2001

Jeudi 23 Août 2001, 8 heures 20, à croire que je me lève de plus en plus tôt.

J'aime bien écouter un peu de musique en écrivant, plutôt de la musique douce, calme, qui arrête un peu le temps. Il est vrai que l'écriture est un peu un moyen de se confronter à l'éternité, et mérite bien un peu plus d'attention et d'abandon. Je ne sais pas si vouloir rendre les choses éternelles est une source de bonheur, mais cela rend les futilités de la vie quotidienne plus anodines, et permet de regarder le futur avec l'espoir que ce que l'on fait, peut-être, un petit peu, restera pour quelque temps, au moins. Chacun a ses mots à dire, chacun a son histoire, et beaucoup doivent avoir des expériences plus intéressantes que ma triste vie, mais peut-être n'ont-ils pas l'opportunité d'écrire, de dire, de faire, alors un peu en les regardant j'en absorbe quelques idées qui ressortiront un jour ou l'autre.

Une grande interrogation que je me pose concernant le bonheur, la philosophie de la vie, la voie à suivre, est la part des choses entre les erreurs et la conscience, entre le raisonnable et le dément, entre le vice et la vertu. Je suis fait d'envies autant louables que critiquables, et je ne pense pas que tout un chacun puisse réellement trouver la voie sur un chemin où il n'y a que souffrance et

dévouement. Nous sommes un peu égoïstes, nous sommes un petit peu fainéants. Mais comment faire la part des choses, où mettre la limite ? Ai-je le droit de te voir ? Dois-je attendre, faire mes preuves, construire quelque chose, te gagner, te mériter, ou puis-je simplement tendre la main ? La voie se trouve peut-être dans un fin dosage de la difficulté à atteindre le plaisir, à le mériter. Le bon sens commun nous rend assez réceptifs au bien et au mal, à l'égoïsme et à l'altruisme, peut-être que de faire un peu de bien aux autres avant de se faire un plaisir plus personnel, avant d'aller au cinéma, avant de manger une pâtisserie, rendrait ces choses tellement plus savoureuses.

Je travaille dans une entreprise qui fait du logiciel libre. C'est-à-dire dont le code source est disponible, et dont la diffusion et la redistribution sont libres et autorisées, gratuitement ou pas. Je ne sais pas si c'est le bien, mais l'idée de partager son travail, de le rendre accessible, et de demander à ceux qui en ont les moyens, ou à ceux qui ont un besoin particulier, de me donner un peu d'argent pour que je puisse continuer, me paraît séduisante et plus conforme à une certaine forme de franchise entre moi et les personnes qui utilisent ce que je fais. Elles ne sont pas trahies, ou trompées, elles peuvent essayer, utiliser, profiter, et choisir, après cela, de considérer que c'est du bon ou du mauvais travail, et de faire une contribution en achetant une version, ou en faisant un don. Internet va tout changer, vous ne le voyez peut-être pas, ce n'est peut-être pour vous qu'un tuyau à sites Web de vente en ligne, ou une infamie de plus de l'ingérence publicitaire sur votre propre bureau, mais c'est beaucoup plus que cela, c'est le lien direct entre créateurs, c'est l'abstraction de l'apparence physique des idées, des musiques, des chansons. C'est ce qui fera que vous pourrez enfin payer pour une chanson ou une histoire, et non pas pour du plastique et du papier ; c'est ce qui fera que chacun devra devenir créateur, artiste, peintre, musicien, et non plus avocat, businessman, publicitaire. C'est ce qui détruira ces empires de pouvoir que sont les maisons de disques, et qui décident de vos goûts et de la tendance du moment, c'est ce qui fera que vous payerez la création, uniquement. Mais il faut peut-être jouer un peu le jeu, alors si vous avez d'ores et déjà des habitudes faites de mp3, de napster ou de gnutella, de temps en temps, écrivez une lettre à votre chanteur favori en expliquant que ce qu'il fait vous plaît, et joignez-y un peu d'argent, il n'aurait pas touché