lui raconter mon histoire ou pas. Si jamais je lui dis tout il va croire que j'invente et risque d'appeler la police. Je décide de tenter d'en inventer le moins possible mais de rester vague sur les détails. Je lui confirme que je ne suis pas australien mais français. Je lui parle de mon arrivée à Sydney, que l'on m'a volé mes papiers et tenté de me kidnapper. Que je suis allé à l'hôpital à Sydney, puis au Consulat, et que par la suite je devais me rendre à la capitale pour pouvoir être rapatrié en France. Et comme je n'avais pas de papiers ni d'argent j'ai fait du stop, jusqu'à en arriver là. Je croise les doigts pour que la capitale de l'Australie ne soit pas Sydney comme il me semble, même si je ne saurais pas dire quelle ville l'est. Melbourne ou Adélaïde, sûrement.
- Ils vous ont obligé à aller à Canberra alors que vous n'aviez plus d'argent ni de papiers ! Mais ce n'était pas du tout la route !
Eh bien je me rends compte que j'avais tout faux, Canberra est la capitale, et je ne suis pas du tout sur la direction. J'invente une excuse.
- Pour être franc je n'ai absolument aucune idée d'où se trouve la capitale, et quand j'ai demandé au chauffeur du camion il m'a dit qu'il s'y rendait, je l'ai cru.
- Pauvre gars, vous avez de la chance de vous en être sorti vivant, même si vous êtes dans un piteux état. Quoique c'est déjà mieux que le conducteur. Je m'appelle Patrick Eccles.
- Je m'appelle François Aulleri, enchanté. Je ne vous remercierai jamais assez de m'avoir sorti de cette mauvaise passe.
Lundi 16 décembre 2002
Nous nous serrons la main. Je remarque un panneau étrange qui parle de "Fruit Fly exclusion zone", et d'amende si un contrôle révèle que nous transportons des fruits frais sur nous. Je demande des explications à Patrick. Il raconte que pour préserver toute une zone du New South Wales, qui est la région de l'Australie dans laquelle nous nous trouvons, d'une contamination par un parasite, il est interdit de traverser cette zone avec des fruits frais qui pourraient en contenir des larves. Par conséquent les voyageurs sont invités à
manger ou jeter leurs fruits avant de rentrer dans la zone, qui s'étend du nord de Melbourne jusqu'à Broken Hill, et de Wagga-Wagga jusqu'à l'est d'Adélaïde, soit sur plus de soixante mille miles carrés. Cette surface représente près de cent quatre-vingts mille kilomètre-carrés, soit l'équivalent d'un tiers de la surface de la France. Je suis bien étonné par ce système. Suite à ces explications quelques minutes de silence me suffisent pour m'assoupir. Je suis épuisé et, la tension redescendant, je m'endors profondément sur le montant de la portière. Patrick roule doucement, et le ronronnement du moteur sur cette route tranquille, chauffé par les rayons du Soleil levant, favorise d'autant plus mon sommeil.
C'est lui qui me réveille quand nous arrivons chez lui. Il habite une petite maison à l'entrée de la ville. Je ne sais pas trop ce que je dois faire, je n'y ai même pas réfléchi. Mais il me prend de court et me propose de manger avec lui, et de prendre quelques-uns de ses vieux habits qui ne lui vont plus. J'accepte volontiers. Je suis étonné qu'il ne soit pas plus méfiant à mon égard. J'imagine qu'il doit me prendre pour un fugitif, ou quelque chose dans le genre, avec mon empressement à ne pas vouloir être trouvé par la police. Je me permets de lui demander un verre d'eau, car dans toute cette histoire j'ai encore très mal à la tête et presque rien bu depuis près de cinq jours, si ce n'est l'eau de la rivière. Je bois un grand verre d'eau, alors qu'il prépare le repas. Il me demande si j'ai des préférences mais avec la faim que j'ai n'importe quoi fera l'affaire, s'il savait que mes derniers repas étaient constitués de lézards et d'insectes... Il vit seul ici. Sa femme est morte il y a cinq ans, et il va juste voir son fils de temps en temps. Sa fille travaille à Sydney, et il ne la voit que deux ou trois fois par an. Il a l'air triste. Je ne mange pas trop, de peur d'avoir mal à l'estomac, je me rattraperai plus tard. Il s'excuse que ce ne soit pas des mets de très grande qualité, mais qu'il n'a pas tellement d'argent, et vit simplement. Je le rassure que c'était excellent et qu'il faisait déjà beaucoup pour moi. De plus avec la faim que j'avais, j'aurais englouti ses bottes en cuir avec autant d'appétit. Je l'aide après le repas à débarrasser. Il est gêné mais j'insiste. J'espère désormais que je serai tranquille quelques jours. Il me demande si je veux qu'il m'amène tout de suite en ville, ou si je ne préfère pas plutôt me reposer un peu avant. Je le remercie beaucoup et accepte. Mais je lui