Elle prit sa douche en réfléchissant à un moyen de contacter Naoma. Il n'y avait de toute façon pas trente-six solutions, courrier électronique, lettre, téléphone ou aller directement la voir. Si Naoma avait pris toutes ces précautions pour la joindre, elle devait suspecter quelque chose. Aucun des moyens ne satisfaisaient Deborah. Elle finit par descendre prendre son déjeuner et son père fut surpris de la voir debout avant lui. Il lui demanda si tout aller bien, si la soirée s'était bien passée avec Billy. Deborah savait qu'il sous-entendait qu'elle était rentrée dormir ici alors que d'habitude elle ne revenait que le lendemain matin.
Elle aimait sont père mais le détestait suffisamment pour ne jamais rien lui raconter de sa vie, ou presque. Pourtant aujourd'hui elle était perdue, à plus d'un titre. Elle était perdue face à Billy et sa proposition, elle était perdue face à la carte de Naoma et l'éventualité de la survie d'Ylraw, elle était aussi perdue car elle se rendait compte que la vie qu'elle s'imaginait n'était pas forcément celle qu'elle voulait.
- Billy m'a demandé en mariage.
Son père, qui ne s'attendait pas à une réponse, resta silencieux un instant. Il s'assit finalement en face d'elle, le ventre noué.
- Que lui as-tu répondu ?
- Que j'avais bu et qu'il fallait mieux attendre ce matin que j'ai les idées claires.
- Et qu'est-ce que tu en penses, ce matin ?
- Que je n'ai pas plus les idées claires, bien au contraire.
Son père se tut un instant. Il se leva pour se servir un grand verre de jus d'orange :
- Tu sais Billy est un brave gars, peut-être un peu bornée et pas très malin, mais c'est un brave gars.
Deborah pensait à Ylraw.
- Je sais.
- Ta mère était une femme de caractère, je l'aimais vraiment. Mais avec le recul je me dis que ce n'était pas la femme qu'il me fallait... Je... Si j'avais voulu la garder il aurait fallu qu'elle soit plus, enfin, qu'elle soit un peu comme Billy.
Deborah fut surprise. C'était la première fois que son père parlait de sa mère. Le sujet avait toujours été tabou, et si Deborah suspectait les raisons de leur séparation, elle n'avait jamais vraiment entendu son père en parler.
- Tu aimais encore maman quand elle t'as quitté ?
Son père resta immobile un instant avant de répondre :
- Je l'aime toujours.
Subitement Deborah comprit son père, elle comprit ses rancoeurs, elle comprit pourquoi il ne parlait pas de son ancienne femme, elle comprit pourquoi il ne s'était jamais remarié, pourquoi il travaillait autant, pourquoi il trouvait important qu'elle se mariât avec Billy... Elle avait son caractère et il le savait, et il ne voulait pas qu'elle souffre toute sa vie comme il a souffert lui. Elle se leva et alla se blottir dans les bras de son père. Il fut surpris.
- Je t'aime papa.
Son père ne dit rien et retint ses larmes, Deborah aussi. Ils ne parlèrent pas d'un moment, puis, sans doute effrayés de ce moment de tendresse contrastant avec leurs engueulades habituelles, ils parlèrent boulot.