L'issue semblait inévitable, seule leur extermination mettrait enfin fin à ce conflit séculaire. Mais exterminer neuf cent millions d'individus n'est pas chose facile, même avec une supériorité technologique, même en propageant des virus, même en détruisant leurs cultures et leurs centres stratégiques, même en les renvoyant vivre comme des misérables au fin fond des forêts, il en restait toujours.
Les populations humaines étaient exténuées de vivre dans un monde en guerre depuis tant d'années, dont le seul objectif n'était que de créer des armes toujours plus puissantes, toujours plus destructrices. Beaucoup trouvaient que les dirigeants humains d'alors ne valaient guère mieux que les reptiliens, mais que faire ? Les reptiliens ne voulaient pas la paix, ils la refusait catégoriquement depuis des dizaines d'années. Beaucoup d'hommes et de femmes n'en pouvaient plus, n'aspirant qu'à une chose, tirer enfin un trait sur cette guerre, en finir une fois pour toute, renvoyer au passé tout ces calamités.
En cent quatre vingt-trois après le MoyotoKomo, soit un peu plus de deux cent quatre-vingt dix ans de tes années, l'humanité prit, à une courte majorité, une des décisions les moins glorieuses de son histoire. Les hommes votèrent la grande battue, la multiplication des engins de guerre, la formation de chacun à leur maniement, pour repousser les reptiliens de trois des quatre continents d'Adama. Les hommes voulaient les reclure au petit continent Chorkomar. Chorkomar signifiait "La corne du Dekar", nommé ainsi à cause de sa côte volcanique en forme d'arc de cercle. Chez les reptiliens, le Dekar était une forme de démon, d'être fantastique vivant dans un lointain passé, depuis longtemps réfugié dans les profondeurs de la terre et responsable de toutes les catastrophes naturelles.
Alors les hommes dominaient plus de soixante-dix pourcent des terres, et la combinaison de toute leur puissance de feu permit en moins de douze ans l'extermination de presque tous les reptiles des trois continents. Mais, malheureusement, les hommes vivant sur le Chorkomar ne l'entendirent pas de cette oreille, et refusèrent de quitter leur terre. Alors que le reste de l'humanité les suppliaient d'avoir un peu de pitié, ils se chargèrent de mettre un terme définitif à la race des reptiliens, en l'an 202 après le MoyotoKomo, trois cent vingt-trois de vos années.
Ce fut dur, et aussitôt les hommes rejetèrent plein de dégoût leurs armes, leur technologie, et ces trois cent années de guerre, de massacre, de destruction, de mort. Trois cent années de guerre, un monde dévasté, deux milliards trois cent millions de reptiliens tués pour deux cent soixante millions de vies humaines. Une dernière communauté reptilienne fut découverte quelques années plus tard, recluse dans les territoires froid et infertile du Sud, vivant de la chasse de bisons et de phoques. Mais toute tentative de contact avec elle était tragique, et quelques années plus tard il ne resta plus trace de survivants, mettant fin à la présence de reptiliens sur Adama.
Tout changea après cette époque de ténèbres, la vision de la vie, de la nature, de l'évolution. Tout se ralentit, énormément, et la reconstruction et le respect de la nature et des espèces animales fut exacerbé.
Nous ne savons pas aujourd'hui si l'homme aurait pu devenir ce qu'il était sans l'intervention des reptiliens. Ce sont eux qui nous ont encadrés en quelque sorte, et les conditions favorables lors de l'apparition des premiers singes ne semblaient pas propices à une évolution de ceux-ci, alors bien adaptés à leur environnement. Les reptiliens nous ont donné les moyens d'évoluer, de les surpasser, mais ils ont aussi complètement décuplé la compétition et les divisions. La soif de pouvoir, la jalousie, l'ambition, toute ces choses qui nous ont poursuivis depuis lors, et qui nous ont encore frappés au moment du LibreChoix. Aujourd'hui les citoyens de la congrégation n'aiment pas parler du passé, et je les comprends, car notre passé est dur et triste. Depuis le LibreChoix tout est tellement plus calme, plus serein, plus juste..."
Antara reste silencieuse un instant, regardant l'ocean bleu qui brille sous le vaisseau, plusieurs centaines de kilomètres en dessous de nous. Elle est tellement réelle. Je suis vraiment sidéré autant par l'histoire que par la conteuse, elle respire tellement l'humanité... Elle reprend :
- Voilà en quelques mot ce qui se cache derrière le MoyotoKomo. C'est une libération, mais c'est aussi de la peine, de la souffrance, et le début d'une nouvelle ère.