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Le vendredi se déroule beaucoup mieux ; réveillé je réussis d'autant plus efficacement mon pain. Je m'aperçois par la même occasion que je faisais plusieurs choses de travers les jours précédents. Je ferais mieux de ne faire qu'une chose à la fois ! Naoma est toujours très gentille avec moi, et je le suis avec elle. Je sens qu'elle ne va pas très bien. Je plaisante souvent ou fait le pitre pour la faire rire ou sourire. Martin m'a demandé plusieurs fois de m'occuper d'elle, l'inviter au restaurant ou lui proposer une balade. Mais j'ai déjà tellement peine à travailler le plus possible pour écourter mon séjour. Il m'a dit qu'elle était pourtant joyeuse et enthousiaste avant ses vacances, et qu'il n'ose pas lui demander ce qui ne va pas. Je cède aux demandes de Martin et je propose à Naoma une promenade le dimanche après-midi, qu'elle accepte. Pour la soirée je fais un détour par le cybercafé, dans l'hypothèse où je pourrais être utile, et écrire un petit peu, sachant que je ne l'ai pas fait la veille. C'est beaucoup plus long à mettre par écrit que ce que je m'imaginais, et j'en suis à peine à raconter mes aventures à Raleigh. Le jeune qui tient le café, Michel, me demande des éclaircissements sur cette histoire de cours, dont plusieurs personnes sont venues lui parler. Je lui explique, il est séduit. Nous convenons que je pourrais en donner tous les jours de la semaine entre 19 heures et 21 heures. Proposition intéressante mais qui ne sera pas la meilleure pour arranger mes heures de sommeil, mais c'est le prix à payer, j'en ai peur ; je m'en convaincs, tout du moins. En tout état de cause dans deux semaines la personne s'occupant des nuits du lundi au mercredi sera de retour, et ces cours me permettront de conserver de quoi gagner un peu d'argent en plus de la boulangerie. Je termine la soirée en contant quelques jours supplémentaires de mes aventures.

Le samedi est une très bonne journée à la boulangerie, tellement que nous fermons boutique avec Martin à 19 heures au lieu des 17 habituelles. Je crois avoir gagné sa confiance, et il me concède le droit de faire une fournée le dimanche matin et de tenir boutique jusqu'à 13 heures. Naoma se propose de venir me donner un coup de main pour la vente, mais je l'assure que ce n'est pas la peine, et qu'elle pourra simplement me rejoindre à 13 heures pour m'aider à fermer le magasin. Je rentre tôt à l'auberge impatient de compter mon trésor, cette première semaine marque sans doute le niveau de ce que je peux espérer par la suite. Bilan net, sept cents dollars. Certes, à ce

rythme-là plus de trois mois me seront indispensables pour accumuler dix mille dollars, mais qu'importe, j'en suis déjà satisfait. Il est étrange comme la vie un jour vous montre les choses grises en blanc, et un autre en noir. Je ne suis pas très fatigué et je repasse au cybercafé pour quelques moments d'écriture avant d'aller me coucher.

Vendredi 20 décembre 2002

Dimanche 8 décembre, 5 heures du matin, Melbourne s'éveille, Paris n'est même pas encore couchée, j'imagine, et je suis déjà à la boulangerie à la préparation de mon pain. Après tout c'est la vie dont j'avais toujours rêvé, être boulanger. Tout ceci me donne l'idée de proposer à Martin de faire aussi des pizzas. Si je parviens à réaliser une bonne pâte à pizza, alors ma reconversion sera complète, et ma destinée, enfin, accomplie ! En attendant, je m'améliore dans la confection de mon pain, maîtrisant dès à présent mieux la création du levain. Je fais toujours en parallèle quelques petites expériences, rajouter le sel avant ou après, mettre plus ou moins d'eau, passer le levain au frigo ou pas... Cependant je pêche encore dans le maintien d'un bon levain, étant obligé d'en refaire un nouveau, l'ancien s'étant trop alcoolisé. Je n'ai pas encore le coup de main pour doser chaque jour la quantité juste de farine et d'eau à rajouter. La cuisson est, contrairement à ce que j'imaginais au début, plus évidente à maîtriser, et c'est bien la confection de la pâte la véritable gageure. Les clients affluent, je suis débordé, il y a la queue dans la rue. Mon sauveur, faudrait-il inventer le terme "sauveuse", Naoma, accourt à mon secours vers 11 heures, pour mon bonheur, car je ne l'attendais pas si tôt. Nous parvenons à réaliser l'équivalent de la journée du samedi en clôturant seulement à 13 heures, et j'ajoute cent cinquante dollars à mon pactole, et invite Naoma à manger un sandwich sur les bancs du Parc de Melbourne. Soleil brille, quelques oiseaux doivent bien gazouiller, pas de signe de l'organisation depuis les grillés du fourgon, la vie n'est pas désagréable.

Je mourrais de faim et je me suis fait deux énormes sandwiches avec leur jambon local. Je mets un point d'honneur à ne pas manger de mon pain pendant le service, du moins pas trop, pour goûter, pas plus. Naoma s'est contentée, comme chaque fille attentive à son poids qui se respecte, d'un petit sandwich aux crudités. C'est la première