page 302 le patriarche 303











C'est ce jour là que je fis la connaissance de Bakorel. J'avais repris comme la veille ma séance d'exercices physiques quand j'entendis un sifflement inhabituel. Il ne me fallut pas longtemps pour trouver l'origine du sifflement, elle était aussi celle de la chute de petit bout de métal ou de sable : l'une des trappes d'aération au plafond. Les trappes en elles-mêmes étaient petites, pas plus de dix centimètres, mais elles devaient donner sur un conduit beaucoup plus large, du même genre que celui que j'avais vu lors de ma tentative de fuite. Le plafond était assez haut, mais je distinguais tout de même un visage. Cette personne me parlait, mais je ne comprenais rien. Je lui parlai à mon tour, pour qu'il s'aperçoivent que je ne parlais ni connaissais sa langue. Après un instant je compris qu'il tentait de se présenter. Il répétait quelque chose comme "Bakorel". Je ne savais pas du tout qui était ce type, mais après tout il pouvait peut-être nous aider à nous sortir d'affaire. Je répétai moi aussi mon nom, en me désignant, puis le sien, en pointant le doigt vers lui. Mais causer avec une bouche d'aération a vite ses limites, et si je distinguais plus ou moins son visage, il ne pouvait faire de gestes pour que je puisse apprendre un peu plus de sa langue.

Je devais être fatigué car il me fallut une bonne heure avant d'avoir l'idée non pas d'apprendre sa langue, mais de lui apprendre la mienne. J'en oubliais Naoma, qui restait dans son coin, pour mimer diverses actions en énonçant le nom ou le verbe correspondant : marcher, manger, parler, droite, gauche... Au bout de quelques heures mon interlocuteur savait compter jusqu'à dix, et reconnaissait la plupart des membres de mon corps. Je lui faisais réciter en pointant du doigt l'objet ou en mimant l'action, et en attendant qu'il donnât le nom correct. Puis il disparut, sans doute plus préoccupé alors à trouver de quoi manger, ou déjà lassé de son nouvel ami. Je fis encore quelques pompes, puis je m'endormis enfin pour une bonne et longue nuit, alors que Naoma restait invariablement au même endroit.

La journée suivante ne fut qu'une répétition de la précédente, Naoma ne m'adressait plus la parole. Je ne pense pas qu'elle avait dormi, toujours à pleurer en tentant de te soigner. Dans l'après-midi Bakorel revint, et je tentais cette fois-ci de lui faire comprendre que je voulais sortir, en mimant l'ouverture des grilles. Il avait l'air d'avoir retenu de manière impressionnante tous les mots de la veille. La seule chose que j'avais retenu pour ma part, c'était la façon de dire "bonjour" ou "salut" ; cela ressemblait à quelque chose comme "moyoto", ou "mioto". Nous parlâmes quelques heures, et j'espérais qu'il avait saisi que je lui demandais des outils, un couteau, ou des tiges métalliques. Il me réveilla un peu plus tard, en laissant tomber par la bouche d'aération plusieurs petites barres en métal. Certaines restèrent coincées par la grille, mais je pus récupérer deux tiges suffisamment solides pour servir d'armes. Je tentai ensuite de les utiliser pour ouvrir la grille, mais le système était trop résistant pour que je réussisse quoi que ce soit. J'avais déjà pensé tenter d'attraper l'homme qui nous apportait la nourriture en étranglement, mais celui-ci était méfiant et nous demanda de nous reculer avant de faire passer les galettes au travers de la grille. En me couchant, j'imaginai un plan où nous ferions tous les morts, pour les inciter à entrer dans la pièce.

Mais je n'eus même pas besoin de ça. Le lendemain matin Naoma n'était pas éveillée. Je m'en inquiétai et fut rassuré de constater qu'elle dormait profondément. Toi, par contre, tu étais bien mort. Et sans doute depuis déjà longtemps, un jour, peut-être plus. Tu étais glacé comme le métal des parois, et tes muscles commençaient déjà à perdre de leur rigidité. Tu n'avais toutefois pas encore ces tâches vertes sur le ventre qui apparaissent généralement après deux ou trois jours. J'emportais Naoma, qui dormais toujours aussi profondément, et la couchais de l'autre côté de la pièce.

Quand elle se réveilla finalement elle allait un peu mieux. Je dus lui faire comprendre que tu étais mort. J'imaginais qu'elle allait de nouveau faire une crise et devenir hystérique, mais elle ne dit pas un mot et sombra en sanglots dans mes bras. À bien y réfléchir je me dis qu'elle devait déjà le savoir, mais qu'elle ne l'avait pas encore accepté. De dormir enfin lui avait fait reprendre le sens des