Dans la journée suivant les résultats, Teegoosh annonça qu'il partait. Mais pas qu'il laissait simplement sa place à Goriodon, car c'était juste et logique, et il n'avait pas vraiment le choix, mais qu'il quittait la Congrégation, qu'il n'y avait plus sa place. Cette décision déchaîna les foules. Aux débuts les gens ne comprirent pas vraiment ce que voulait dire Teegoosh, imaginèrent qu'il voulait s'exiler sur une planète aux confins de la Congrégation. Mais rapidement le doute fut levé, et six pourcent de la Congrégation se déclarèrent prêts à le suivre, prêts à quitter l'humanité pour partir on ne savait où et créer une société plus en accord avec leur vision.
Goriodon déclara cette position contraire à la morale, dans la mesure où les choix de la Congrégation s'appliquaient à tous, et qu'il n'était pas question que certains décident de faire ce que bon leur semblait sans l'accord de l'humanité toute entière.
Mais ceux qui voulaient partir étaient ceux qui avaient le pouvoir, ceux qui faisaient avancer la science, ceux qui avaient la force et la motivation de se battre. Teegoosh savait bien sûr ces éléments, et il mit tout en oeuvre pour que chacun comprît que rien ne pourrait les arrêter. Mais les pro-Teegoosh ayant prévu leur défaite, ils avaient déjà préparé leur départ, ils avaient trouvé les vaisseaux, usé de leur obstination pour convaincre, pour persuader, pour utiliser les artificiels disponibles.
Ce fut une déchirure, une si grande déchirure. Tout le monde avait dans son entourage quelqu'un voulant partir. Beaucoup de jeunes trouvaient en ce départ la nouvelle aventure qu'ils voulaient tant, dont ils rêvaient depuis longtemps. Mais comment pouvait-on interdire à son enfant le seul espoir qui lui restait ? Comment pouvait-on persuader qu'une vie de plaisir, de facilité et de calme était supérieure à un monde plein d'inconnu, d'aventures, de nouvelles
planètes, de nouvelles sociétés, de nouvelles règles ?
La Congrégation était pourtant contre, tous les pré-avis laissaient paraître l'interdiction de partir. Un vote fut décidé en catastrophe avec seulement six mois de réflexion, presque sur le champ, à comparer aux années qu'il fallait habituellement.
Mais il était déjà trop tard, deux mois (quatre petit sixièmes) plus tard les premiers vaisseaux partirent, à la surprise générale. Douze croiseurs de cent mille personnes, voyageant à quatre-vingt dix pourcent de la vitesse de la lumière. Ils ne connurent aucune résistance. Personne ne sut quoi faire.
Ragal m'appela. Il partait. Il voulait que je vienne avec lui. Je lui en voulais toujours, je lui dis que mon choix était déjà fait, et que cela ne servait à rien de m'appeler après tout ce temps sans nouvelles, que je l'avais définitivement oublié et qu'il n'y avait aucun espoir que mon avis ne changeât. Il me donna tout de même deux jours pour changer d'avis.
C'était peut-être mon orgueil, la fierté de ne pas me tromper moi-même en restant fidèle à la ligne de Goriodon. C'était plus sûrement la colère. La colère qu'il m'ait laissée si longtemps sans nouvelles, la rancune de l'impression d'indifférence à mon égard qu'il m'avait laissée. Je mis un point d'honneur à ne pas le rappeler au bout de deux jours, à le laisser patienter.
Mais je n'avais pas compris une chose, c'est que les soixante-trois croiseurs qui partirent d'Ève au bout des ses deux jours étaient la raison de l'ultimatum. Et le troisième jour il ne répondit pas, il ne répondit plus. Trois jours de suite j'allai chez lui, sans résultat. Il était bien parti.
Je ne savais pas quoi faire. Après tout j'allais avoir ce que je voulais, une vie de loisirs sans travail. Mais était-ce réellement ce que je voulais, avais-je vraiment oublié Ragal ? Ce fut le moment le plus dur de ma vie, le moment d'accepter de mettre mon orgueil un peu de côté.
Je décidai de partir, moi-aussi. Mais j'étais seule, et je ne savais rien de la méthode à suivre. Mes amis étaient tous des