Il ne roula pas si vite. Après tout être policier ne lui octroyait pas tous les droits, d'autant qu'il n'avait pas d'ordre de mission ou de justificatif. Son itinéraire donnait quatre heures quarante pour le trajet, il y serait en quatre heures trente. Une fois le pont de l'Île de Ré traversé, il voulut aller jusqu'à l'extrémité de l'île, mais il lui fallut presque une heure pour parcourir les trente kilomètres, et une fois au phare des Baleines, il était déjà plus de 18 heures.
Dans son esprit l'île était beaucoup plus petite, guère plus grande que deux ou trois kilomètres. Sans plan il lui fallut plus de deux heures uniquement pour radier de sa liste deux des vingt-et-une personnes suspectes. Dépité il se chercha un hôtel. Il en profita, dans les trois qu'il interrogea avant de trouver une chambre de libre, dans un hôtel d'Ars-en-Ré, pour demander si le visage de Seth leur était connu. Mais leurs réponses furent identiques, ils avaient tous vu des centaines de personnes qui ressemblaient à Seth, quant à savoir s'ils l'avaient vue vraiment, presqu'un an en arrière... Pourtant Thomas savait qu'on ne pouvait pas oublier Seth, et que quiconque la voyait gardait son image comme la beauté parfaite pour le restant de ses jours. Mais il y avait tellement de saisonniers travaillant dans ces hôtels, comment savoir qui avait bien pu la voir, et si même elle s'était arrêtée dans un hôtel... Parfois il s'était demandé si elle ne pouvait pas rester des jours et des jours sans dormir, sans manger, parfois il s'était demandé si Seth n'était pas une déesse, Athéna sous la forme humaine, comme les maintes fois où elle aida Ulysse...
Samedi soir à Ars-en-Ré, il dîna dans le restaurant de l'hôtel. Il y avait du monde, malgré ce dernier dimanche d'août. Il ne savait pas trop quand était la rentrée des classes. À vrai dire il ne s'y intéressait guère. Il ne voulait pas d'enfants. Il n'en avait jamais voulu, et encore moins depuis qu'il était avec Seth, voulant
profiter égoïstement d'elle. Elle ne lui avait d'ailleurs jamais parlé ni d'enfants ni de mariage. En un sens il avait trouvé ce statu quo plutôt réconfortant, même s'il tirait un peu d'aigreur qu'elle ne lui ait jamais parlé de s'unir à lui de façon un peu plus officielle, comme si elle ne s'était jamais vraiment attachée, comme si elle n'avait jamais vraiment voulu autre chose qu'un toit pour dormir et vivre tranquillement sa vie secrète. Sa vie secrète... Qu'avait-elle donc fait pendant ces quatre ans... Et lui ? Qu'avait-il donc fait, aveuglé par son amour, qu'avait-il donc laissé passer, sans même s'en rendre compte ?...
Encore une mauvaise nuit, le suivra-t-elle donc partout ? Il dormit de 23 heures à 1 heure du matin, puis tourna et retourna, jusqu'à se recroqueviller dans une position foetale ou il serrait sa jambe de toutes ses forces contre sa brûlure pour en expulser le mal... Il pleura, encore, presque comme chaque nuit, et finalement s'endormit, épuisé, vers 6 heures du matin. C'est du bruit dans la chambre voisine qui le réveilla finalement et comme il n'avait pas fermé les volets, il ne put se rendormir ni se convaincre de se lever pour les rabattre. Dimanche 31 Août 2003, 9 heures 35. Il soupira puis se leva, prit une douche rapide et partit sans prendre de petit déjeuner.
Mais à mesure que la journée avançait, et qu'il éliminait un à un les suspects de sa liste, il réalisa que cette recherche ne le mènerait à rien. La seule raison pour laquelle ils avaient cherché les propriétaires de voitures de sport sur l'Île de Ré n'avait pour fondement qu'un critère de faisabilité car les résultats étaient bien trop nombreux dans d'autres départements. Mais cet homme aurait pu venir de n'importe où. Les chances qu'il vînt de l'Île de Ré ne reposaient que sur une suspicion infondée que Seth eût rencontré presqu'un an en arrière certaines personnes lors de ses quelques jours sur l'Île. Mais pourquoi pas plutôt lors de son déplacement pour Gap, c'était beaucoup plus logique. Il n'y avait même pas pensé. C'était à Gap qu'il lui fallait mener son enquête, pas ici...
Il abandonna donc, sans regret, sa recherche après trois personnes interrogées, et sans petit déjeuner dans le ventre il décida de se sustenter dans un restaurant sur le port de Saint-Martin-de-Ré, qu'il trouva charmant sous le Soleil. Les touristes ne manquaient pas,