page 34 le patriarche 35

n'avait qu'une envie, c'était bien celle de se retrouver seul :

- Oui, vous avez raison, je vais prendre quelques jours.

Stéphane et Jean-Luc eurent tous deux un soupir de soulagement, Stéphane se leva :

- Allons voir le commissaire, pour lui demander.

Deux heures plus tard Stéphane déposait Thomas chez lui, plus exactement chez sa mère, car le travail de relevés dans sa maison lui en bloquerait l'accès pendant encore deux jours. Il ne se sentait pourtant pas de rester deux jours entiers avec sa mère. Avant même de la voir, il décida alors de partir dans leur maison en Normandie. Il entra et parla de son intention à sa mère, en insistant bien qu'il voulait rester seul, et qu'il était hors de question qu'elle vînt avec lui.

La Normandie, la mer. La route avait été bonne, il n'avait même pas roulé vite, peut-être parce que les larmes l'empêchèrent fréquemment de voir clair.

Mais que savait-il d'elle, se demandait-il, assis sous l'ombre à peine rafraîchissante du store, devant la petite maison familiale donnant sur les deux cents mètres de plage rocailleuse ? Que savait-il d'elle ? Que pouvait-il faire ? Tout était tellement embrouillé. Comment éclaircir cette affaire ? Mais qu'y avait-il donc à éclaircir ? Rien ! Il n'y avait rien !

Il caressa doucement sa brûlure, au niveau des côtes. Elle le faisait toujours souffrir, elle le ferait souffrir pour toujours, il en avait peur.

Thomas s'étira, reprit la canette de bière laissée sur la table, s'enfonça dans sa chaise et posa les pieds sur la table. Il but une gorgée. Il garda les yeux dans le vide. Que savait-il de la vie de Seth ? Pas grand-chose... Mais qu'avait-il eu besoin de savoir, depuis qu'il l'avait rencontrée, en ce mois de septembre 1999, quand il l'avait prise en stop à Jouy-en-Josas, pour la mener devant les locaux un peu perdus de Silicon Graphics ; et quand il l'avait recroisée, deux jours plus tard, cherchant un appartement à louer en ville ? Emmanuelle l'avait quittée trois ans plus tôt, trois longues années sans rien

d'autre qu'une nuit de temps en temps, comment pouvait-il résister à Seth ? Comment pouvait-il résister à sa force, à sa volonté, à sa beauté ? Il avait plié, pendant trois ans, n'avait été qu'un jouet, il le savait ; il s'en moquait.

Mais elle avait changé, cette année, perdant de sa force, de sa volonté, voulant partir... Mais pourquoi donc avait-elle voulu partir !

Le téléphone dérangea Thomas. Ce n'était pas comme il s'y attendait sa mère qui avait déjà appelé deux fois aujourd'hui, mais Emmanuelle, justement, qui s'inquiétait pour lui. Il obtint finalement l'aveu que c'était sa mère qui l'avait prévenue, mais l'idée de noyer son chagrin dans ses bras ne le gênant pas, il ne lui en tint donc pas rigueur. Il feignit, mais feignait-il vraiment, d'être déprimé, et d'avoir besoin de parler. Emmanuelle accepta l'invitation pour le week-end. Il remit à plus tard l'explication détaillée de son état, il n'avait pas grand-chose à dire, de toute façon. Thomas voulait juste faire l'amour avec elle, comme si le goût et l'odeur de Seth étaient toujours sur sa peau, et qu'il devait s'en laver, s'en purifier, pour oublier.

C'était glauque, mal, immoral, il le savait, mais il était trop faible, trop faible pour résister, trop faible pour garder la tête haute. Il en voulait à Seth, même morte il lui en voulait encore.

Le vendredi il dut rentrer sur Paris pour diverses formalités administratives relatives au futur enterrement de Seth. Il fit vite, car il voulait repartir en Normandie, ne pas rester là, ne surtout pas rester là, trop proche d'elle, comme si elle pouvait encore se réveiller. Il en avait peur, en un sens, Seth était tellement forte. Il passa tout de même à son travail, pour avoir quelques nouvelles, pour savoir, pour y voir un peu plus clair, pour déterminer que faire. Mais Jean-Luc et Stéphane n'avaient rien de plus. Ils n'avaient trouvé aucun indice chez lui. L'autopsie n'avait rien révélé, Seth était en parfait état de santé. Ils n'avaient même pas fait l'amour cette dernière nuit. Thomas lui non plus n'avait aucune information, mais rien d'étonnant, il n'avait même pas cherché.

Il décida ensuite d'aller tout de même dire bonjour à sa mère,