page 54 le patriarche 55

- Mais elle n'était pas orpheline ?

- Si, si, mais elle avait été abandonnée ou un truc du genre.

Ils n'avancèrent pas beaucoup plus de la matinée ni même de la journée. L'interrogation des différentes gares où Seth avait été susceptible de passer n'avait rien donné et aucun des lycées du département des Hautes Alpes n'avait eu de Seth Imah sur ses bancs. Autant dire que quand il rentra le soir chez sa mère il n'en savait pas beaucoup plus. Il supporta mal les incessantes questions de celle-ci et se demanda combien de temps il tiendrait ici avant de pêter les plombs. Il faisait bon dehors, il ressortit et alla marcher.

Il n'allait pas bien. Il ne savait pas ce qu'il voulait. Il voulait à la fois l'oublier, et tout aussi il était curieux de son passé. Comment avait-il pu rester quatre ans sans même se demander d'où elle venait vraiment ? Il ne comprenait pas lui-même comment il avait pu se laisser ensorceler, être si tolérant, si docile... L'avait-elle hypnotisé à ce point ? Elle était fascinante, certes, mais au point de l'avoir aveuglé tout ce temps ?...

Il pleura, il était tellement seul... Qu'allait-il devenir ? Comment pourrait-il retrouver le calme et la paix ? Il ne le pourrait pas, il ne pourrait plus. Il ne comprenait pas et il voulait comprendre. Pourquoi lui manquait-elle tant ? Pourquoi était-il tellement démuni. Il se croyait fort, pourtant, mais c'était elle sa force, mais qui était-elle ?

Il marcha encore un peu, le soir était plus frais, et il comprit toutes les fois où Seth était sortie juste pour quelques pas dans le soir. Était-elle triste, elle aussi, n'avait-elle pas été heureuse pendant ces quatre ans ? Il s'éloigna d'un kilomètre, peut-être deux, puis rentra. Il évita soigneusement le regard de sa mère et alla se coucher en lui souhaitant bonne nuit alors qu'elle regardait une émission stupide à la télé, comme elle adorait le faire. Il dormit mal, encore et toujours, mais l'épuisement finissait par le faire tomber de fatigue. Sa brûlure toujours, toujours là pour lui rappeler la dure réalité, même dans ses rêves...

Mercredi 27 août 2003, journée étonnamment calquée sur la précédente. Thomas tourna presque toute la journée dans

son bureau à la recherche d'improbables pistes. Le procureur appela, mais ils ne purent guère le satisfaire, ils n'avaient rien, absolument rien... Et d'après les renseignements de ce dernier la presse locale voulait faire la une le lendemain sur l'impuissance de la police... Bref, il voulait avoir des éléments pour détromper ces rumeurs, et il n'aimait pas mentir...

Mais Thomas s'en moquait, Stéphane et Jean-Luc sans doute un peu moins, mais lui s'en moquait. Que le procureur aille au diable, il se moquait de sa carrière, son travail était de trouver des indices, pas de les inventer. Autant il aurait pu sans trop de remords trouver un coupable parfait dans d'autres occasions, autant dans celle-ci il prendrait le temps qu'il faudrait. Ce n'était pas la même chose, et il savait qu'on ne pouvait pas donner facilement l'enquête à une autre personne, au vu des faibles éléments disponibles concernant Seth. Et il DEVAIT faire l'enquête, quoi qu'il arrive, il n'avait guère le choix.

Il retrouverait peut-être des éléments chez lui, même si Seth avait si peu d'affaires ; mais il devait attendre les comptes-rendus des analyses avant de pouvoir être autorisé à rentrer de nouveau dans sa demeure. Il avait retrouvé avec nostalgie, chez sa mère, le vieux lit de son enfance, toujours la même tapisserie passée au mur, cette chambre où il n'était pas vraiment venu, sauf quelques minutes pour chercher un vieux livre où un ancien bibelot, depuis bien des années. C'était si loin, les jours heureux où il vivait dans l'insouciance du lendemain. Un monde s'était écroulé entre alors et maintenant, un monde où tout son passé avait disparu, comme si Seth avait provoqué une coupure, une séparation, et qu'il était désormais pris au piège. Il se sentait seul. Même au bureau avec ses collègues il se sentait seul, détaché de tous. Seth lui manquait, tellement, comme si elle s'était substituée au monde, comme si elle était devenue son seul espace de vie, mais elle était morte, désormais.

Il partit tôt du travail, beaucoup plus tôt que d'habitude, mais il ne tenait plus en place, il lui fallait prendre l'air. Il sentait cette oppression, cette oppression qu'il ne savait trop qualifier de liberté ou de prison. Liberté de faire ce qu'il voulait alors qu'il ne voulait que Seth, ou prison de ses sentiments pour elle alors qu'il