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étoiles, toutes ces lunes. Je me demande bien où nous sommes tombés.

- Sarah, dis-je, on a vraiment eu de la chance, de pouvoir respirer, de trouver cette lune, où ça arrive assez fréquemment ?

- Non, ce n'est pas fréquent, me répond-elle, trouver la vie n'est pas si hors du commun, mais avoir des formes de vie et un écosystème différent du notre avec des conditions si proches, c'est très dérangeant. Je pense que nous avons beaucoup de chance. D'ailleurs j'ai dû mal à en revenir, que nous soyons arriver si près d'un système qui comportait une planète habitable.

- On n'est pas sortie d'affaire pour autant, remarque Énavila, pour l'instant ça ne se présente pas forcément génial.

- On est encore en vie, dis-je, et c'est déjà pas si mal. On a déjà tenu cinq ou six jours.

- Génial ! s'exclame Énavila, mais je ne suis pas là pour battre le record de la plus longue vie sauvage.

- Si on ne trouve pas de civilisations avancées, dit tristement Sarah, maintenant que le vaisseau est en miette, j'ai peur qu'on ne puisse pas faire grand chose.

- De toute façon ça ne sert pas à grand chose de revenir sur le sujet, fais-je remarquer, tant que nous n'en saurons pas un peu plus sur cette planète.

- Oui, acquiesce Énavila, tentons d'abord de refaire quelques outils, de quoi nous défendre, on ira faire un tour au vaisseau dès qu'il fera nuit, puis nous redescendrons la rivière, c'est sur le fleuve que nous aurons le plus de chance de trouver une ville, ou quelque chose.

Nous reprenons un peu courage, de revoir ce dragon a sans doute un peu démystifier la peur qu'il nous avait causé. Pas tellement que nous le craignons moins, mais il semble se comportait comme n'importe quel rapace, et pas spécialement dirigé uniquement contre nous. Le promontoire où nous nous trouvons constitue une place de choix, protégée vers le haut par la rivière, et par le bas par la brèche, c'est sans doute un glissement de terrain qui la créée. Vers le

versant, la crête n'offre pas une aussi bonne protection, mais elle est suffisamment à pic de l'autre côté, vers la plaine, pour que les bêtes ne s'y aventurent pas sans raison.

Jour 383

Les feuilles des arbres d'ici ne se prêtent pas au tissage de cordes, nous avons toutefois taillé en pointe plusieurs solides bouts de bois, ou plutôt l'équivalent local, une sorte de matière ressemblant au bois, mais plus souple, plus élastique, avec une sève plus liquide, qui brûle un peu. Je l'ai goûté, elle n'est pas bonne, même si on dirait qu'elle est un peu sucrée.

Nous n'avons pas réussi à faire un feu, même pas un peu de fumée. Il n'a pas plus depuis que nous sommes ici, il y a encore de la neige sur les plus hautes cimes. Difficile à deviner la succession des saisons. Sarah et Énavila se parlent peu. Énavila m'évite aussi la plupart du temps. J'ai l'impression que Sarah ne veut pas trop me parler non plus. L'ambiance n'est pas très gaie, j'espère que nous nous entendrons mieux dans quelques jours. Énavila reste toujours aussi mystérieuse sur les raisons qui lui poussent à croire que j'ai manigancer une partie de ce qui arrive. Sarah prétend m'avoir tout dit sur l'expérience Terre. Je dois me contenter de ces explications. Mais je n'ai aucune idée de qui peut être ce géant bleu, pourquoi cette attaque sur Adama, quid de cette lune où je suis mort, et bien d'autres questions encore. C'est terrible de se dire que je vais peut-être mourir ici sans en savoir plus, sans comprendre.

Mourir ici... À quoi bon toute cette route si c'est pour finir oublié de tous, loin de tout ce que l'on a pu connaître... Si seul... Pourquoi se battre, à quoi bon survivre, ici. Nous ne partirons plus. Avant, je ne comprenais pas que l'on puisse en avoir marre de vivre, qu'on puisse en avoir marre de se battre, qu'on puisse baisser les bras et préférer la mort. Aujourd'hui, tellement perdu, je me demande bien pour quoi ça vaut la peine encore que j'aille de l'avant, plus rien de ce en quoi je croyais ne tiens, plus rien, même Dieu, que je n'avais pas complètement oublié, n'est plus aujourd'hui qu'un groupe de chercheurs et la Terre leur éprouvette. J'ai Marie devant moi ! Combien de 'je vous salue Marie' ai-je bien pu réciter plus jeune ? Des centaines, des milliers...