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Mercredi 18 décembre 2002

Jeudi 28 novembre. Le trajet se fait en partie en bus jusqu'à Shepparton, puis en train pour finir à Melbourne. Ayant peu dormi avant le départ, je m'y adonne exclusivement pendant le voyage, sans même faire attention aux paysages des coins traversés.

Melbourne ! Que de pays visités. Plus personne ne me reprochera ma nature casanière à raison. La belle affaire ! Je n'en ai pas, justement, d'affaires, ni de toilette, ni pour me changer. Encore des achats... Première étape à l'auberge de jeunesse pour réserver ma nuit, puis, journée chargée de recherche de travail. Melbourne est, d'après mes recherches de la veille sur Internet, la deuxième agglomération australienne en terme de population après Sydney. Le centre ne me semble toutefois pas démesuré. J'en parcours une partie, m'arrêtant à presque tous les magasins, me présentant et expliquant que je cherche du travail pour quelques temps. Je précise que je suis prêt à faire des tâches difficiles ou ingrates. Mais je pêche par ma faible formation en commerce ou en vente. Je n'ai pas de qualités de vendeur et je rechigne à me donner des compétences que je ne possède pas. J'ai la chance, ou la malchance, de faire ce discours dans un magasin de vêtements au moment où arrive une livraison. Le patron me prend au mot et me promet trente dollars si je lui décharge son camion. Ses deux employés étant partis en pause déjeuner et la livraison étant arrivée à l'improviste, il ne se sent pas de le faire lui-même. J'accepte. Bien mal m'en a pris, j'ai certes gagné mes trente premiers dollars, que le patron me donne avec plaisir, et je le comprends : j'ai mis deux heures à vider son camion et me suis tué à la tâche. Trente dollars, tout juste de quoi payer ma nuit, ce n'est pas avec des journées comme celle là que je vais me payer mon billet de retour.

Le début d'après-midi n'étant pas beaucoup plus fructueux, je

fais une pause dans un cybercafé à la recherche de ce fameux Matthias White, à Richmond. Aucune trace. Décidément tout cette affaire prend vraiment une mauvaise tournure. Je ne baisse pas les bras et je décide de me rendre directement à Richmond à partir du moment où j'aurai un travail ; il est de toute façon inutile de m'y rendre sans être sûr de pouvoir payer par la suite. Je finis la soirée avec une autre technique, éprouvée lors de mon bizutage de classe préparatoire au lycée Champollion à Grenoble, à savoir de demander de l'argent aux personnes dans la rue. Je me présente comme un étudiant français à la recherche de fonds pour le gala de remise des diplômes. Eh bien force est de constaté que c'est plus rémunérateur que décharger les camions, je parviens à amasser plus de quatre-vingts dollars en un peu plus de trois heures ! Il est alors plus de 9 heures du soir, et c'est épuisé que je rentre à mon auberge, en m'achetant quelques menues nourritures sur le chemin. Bilan de la journée, cent dix dollars récoltés, trente huit dépensés. À ce rythme là il me faudra presque trois mois avant de pouvoir acheter un billet d'avion... Ah ! Melbourne ! J'ai bien peur que nous ne couchions ensemble plus longtemps que prévu. Mais tu m'as déjà épuisé rien que le premier jour...

Vendredi 29 novembre. Je me lève tôt et prends une douche. L'opération n'est pas rendue facile par le manque d'affaires de toilette. L'une de mes missions de la journée sera donc de trouver des serviettes, savon et autre brosse à dents. De plus, des habits de rechange ne seraient que trop utiles. Je n'aurai aucun mal à faire sécher mon linge si je le lave à la main. Je me croirais en randonnée, même galère de survivre avec trois tee-shirts pour en porter le moins possible dans le sac à dos et corvée de lessive tous les jours...

Je réserve une place dans l'auberge pour toute la semaine suivante, et négocie de n'en payer que la moitié dans un premier temps, ayant peine à voir déjà disparaître ce que j'ai durement gagné la veille. Mon petit déjeuner sera frugal, et je retourne vers les rues commerçantes de bon matin. Mais bien que tôt déjà le monde est dans les rues, et le Soleil dans le ciel. Tout est perpendiculaire et droit, caractéristique des villes apparues tardivement, comme si la prise de conscience de la quadrature du cercle était trop perturbante pour se permettre autre chose qu'une ligne bien rectiligne.