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nombreux kilomètres, sans doute près de quatre-vingt depuis notre départ de la cabane. Deux jours se sont écoulés depuis la mort de Naoma. J'ai peur que l'espoir de la sauver ne se soit évaporé... Mais je n'ose en dire mot à Erik, après tout nous ne devons pas perdre espoir, ce monde est tellement différent du notre, et je suis bien mort, moi-aussi, là-bas sur cette lune... Quand je reviens de la chasse Erik me dit qu'il pense qu'une bête nous rode autour, je lui livre alors mes inquiétudes, que c'est sans doute la bête qui a tué Naoma qui nous suit.

- Tue-la. Débrouille toi comme tu veux, mais tue-la.

Je n'ai pas autant de rage que lui. Car ce n'est pas cette bête la responsable, elle ne voulait que se nourrir, et nous avons nous aussi tué de nombreuses bêtes, des dizaines, depuis que nous sommes arrivés. Peut-être n'est-elle qu'une mère voulant nourrir ses petits... Le responsable c'est moi, et je vivrai avec. Je la tuerai si elle nous attaque ou s'approche de nouveau, sinon elle partira. J'imagine que si elle a des petits à nourrir elle ne nous suivra pas très longtemps, à moins qu'ils ne nous suivent, eux aussi.

Cette nuit là je ne dormis pas, je me mis en retrait, caché, pour surprendre les rôdeurs. Mais il n'en vint aucun, et quand mon attention déclina, je retournai me coucher près d'Erik, lui demandant de me remplacer tout de même pour deux ou trois heures.

Deux ou trois heures qu'il ne manque pas de respecter, et en ce cinquante-huitième jour naissant, notre attention, tout comme notre entente, sont au plus bas. Nous marchons encore toute la journée, avec une sieste peu après midi. Le soir le ciel s'est un peu dégagé, mais même en montant un peu plus haut sur la montagne, dont le sommet est désormais beaucoup plus bas, je n'ai rien vu indiquant la présence d'un village ou d'une activité humaine. Le jour suivant est guère différent.

La pause du soir, je m'aperçois que le corps de Naoma subit dorénavant les effets du temps. Son visage est blanc comme la neige, et sa peau s'assèche déjà. Les marques de ses blessures au coup s'amplifient, la peau se craquelant.

- Erik, je ne sais pas si on ne devrait pas l'enterrer

peut-être, quatre jours se sont maintenant écoulés depuis qu'elle est morte. Ils ne pourront pas la ramener à la vie Erik, ils pourront peut-être se brancher sur le téléporteur et la ramener comme quand elle est arri...

- Tais-toi ! Qu'est ce que tu en sais. C'est moi qui la porte, c'est moi qui décide. Si tu veux abandonner pars donc ! Mais laisse moi décider de ce qui me regarde !

Toute cette histoire devient un petit peu difficile pour moi. Je ne sais pas si je n'aurais pas préféré que rien de toutes ces aventures n'arrive, que je reste tranquille à Paris, que je ne connaisse pas David, Deborah, mes quatre compagnons de Sydney, Steve, Gordon, Fabienne et Nicolas, puis Patrick, Martin, et enfin Naoma... Et Erik. Mais quoi ! Qu'ai-je tant fait de mal ? Qu'ai-je tant fait comme erreur ? Ah vie tu me trimbales ! Mais je ne baisserai pas les bras, non, je comprendrai tous ces mystères, je comprendrai qui est cette fille qui m'a donné le bracelet, ces gens qui me poursuivent, cette autre fille qui m'a aidé, cette base sur la lune, cette planète, ces hommes-abeilles...

Nous marchons encore et encore les deux jours suivants. Sans grand changement. Nous ne dormons que quelques heures par jour. Je chasse le soir venu et ramène des fruits et ce que je trouve comme herbes ou racines qui me paraissent comestibles. C'est ce soir du soixante-et-unième jour que je crois voir un village. La montagne n'est plus maintenant qu'une colline, mais elle est suffisamment haute pour que d'en haut ma vue surplombe la forêt. Et de l'autre côté de cette forêt, au niveau de l'embouchure du lagon, il me semble distinguer plusieurs habitations au bord de la mer. Si la bande forestière est ici beaucoup plus large, de l'ordre d'une trentaine de kilomètres, la forêt est par contre moins dense, et s'il est loin d'y avoir un sentier tout tracé, il ne nous sera pas si difficile de nous en frayer un. J'en touche mot à Erik et il est d'accord pour aller au plus vite vers ce village.

Je convaincs Erik qu'il ne me semble néanmoins pas prudent de nous lancer dans la traversée de la forêt alors que la nuit tombe. Il nous faudra sans doute toute la journée du lendemain, voire plus, avant d'arriver au niveau de la mer. Nous montons quelques centaines de mètres sur la colline jusqu'à atteindre la lisière de la forêt