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rivière à la nage, pas très sûr d'en avoir la force. Je préfère suivre la rive en amont, dans l'espoir de trouver un passage plus évident. Je bois de nouveau quelques gorgées dans la rivière, l'eau n'y est pas claire mais déjà un peu moins trouble que dans les marécages.

La route semble se rapprocher de l'autre rive, et ce serait vraiment une chance si elle pouvait traverser la rivière. J'ai effectivement cette chance, alors que le soir tombe, j'entrevois un pont sur la rivière. La route n'a pas l'air très fréquentée. Les arbres me masquent la plupart du temps l'horizon, mais je n'ai pas dû entendre plus de deux ou trois passages depuis le début de la journée. Je suis très fatigué mais j'insiste jusqu'à l'arrivée aux abords de la route. Je décide alors de dormir là, sur un côté assez en visibilité, dans l'espoir que quelqu'un m'aperçoive et s'arrête. Il est déjà tard, sûrement plus de minuit ou une heure du matin, et je m'endors, presque réconforté, dans l'herbe verte.

Je suis réveillé tôt. Dimanche 24 novembre. J'ai encore très faim et terriblement soif. Mais j'ai aussi un peu mal au ventre et je ne voudrais pas que cette eau me cause plus de mal que de bien. De plus je me suis persuadé que j'allais croiser quelqu'un dans les heures qui viennent. Nous sommes dimanche, c'est vrai, mais tout de même, j'espère que je ne vais pas finir ici, si proche de trouver une issue. Je marche un peu, en suivant le bord de la route. Le Soleil se lève. Il fait toujours aussi chaud. Mais désormais je ne sais vraiment plus que faire à part attendre, et le courage me manque pour avancer plus loin. J'ai vraiment soif et, au bout d'un petit moment, n'en pouvant plus, je me dirige vers la rivière pour boire de nouveau. Ce sera peut-être fatal mais j'ai trop mal à la tête pour m'en passer. Je fais une courte pause près de la fraîcheur puis retourne vers la route ; il me faut une dizaine de minutes pour aller de l'une à l'autre. Je ne sais trop si rester là ou avancer. Je marche doucement sur le bord, sans réelle conviction d'une direction à prendre. Je me tiens du côté où les voitures viennent dans mon sens, sachant que je suis en Australie.

J'ai toujours la veste sur moi, je l'avais conservée pour me protéger du Soleil. Elle est pleine de sable et de terre, mais elle fait encore son office. Je récupère ma pierre dans l'une des poches, et je commence à parler tout seul. Subitement je m'arrête net,

persuadé d'avoir entendu un bruit de moteur. Je scrute l'horizon, et je crois distinguer effectivement un camion. J'attends quelques secondes. Il semble rouler très vite. Je commence à faire des signes très tôt, de façon à ce qu'il ait le temps de ralentir, je me rappelle de ses contes de mon enfance des camion-trains du désert australien, tellement lourds qu'ils leur fallaient, une fois sur leur lancée, près d'un kilomètre voire plus pour s'arrêter. Le camion en question n'a pas l'air d'un de ces trains roulants, il approche néanmoins bien vite et ne semble pas vraiment baisser son allure. J'espère qu'il m'a vu. Je vais même en plein milieu de la voie et saute sur place en décrivant de grands mouvements avec les bras. Je commence à m'inquiéter un peu, il n'est plus qu'à quelques centaines de mètres et il roule toujours aussi vite. Je retourne sur le bord de la route, par prudence, peut-être le conducteur est-il somnolent ou n'ont-ils pas l'habitude de s'arrêter pour si peu. Son moteur vrombit et il avance à une vitesse folle. Je suis vraiment très perplexe. Je m'éloigne encore un peu du bord, de peur que le conducteur ne se soit endormi et le camion lancé à toute allure sans contrôle.

Il quitte subitement la route dans ma direction. Il y a bien un conducteur. Terrorisé je cours dans le sens opposé, mais je n'ai aucune chance de lui échapper, je m'y suis pris bien trop tard. Je me retourne, et alors qu'il fonce droit sur moi à pleine vitesse, je me recroqueville, me protège avec mes bras, serre ma pierre de toutes mes forces, bande tous mes muscles et me prépare au choc. Adieu, vie ! Tout se passe très vite. Et au moment où il va pour me percuter, je ferme les yeux et crie. Une explosion se produit. Mon corps est projeté et comme écartelé, je sens une brûlure intense en moi. Mes habits se consument et partent en lambeaux. Le camion est lui aussi propulsé à plusieurs mètres de hauteur par l'explosion, et, emporté par sa vitesse, il se couche et glisse sur plusieurs dizaines de mètres sur le bord de la route. Je retombe au sol et roule moi aussi sur plusieurs mètres. Je perds connaissance.

Je suis réveillé un petit peu plus tard, sans doute seulement quelques minutes, par la fille, toujours la même. Je suis sur le côté. Je ne sais pas si je peux bouger. Je suis nu. Elle me parle en français.

- Vous allez bien ?