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que tu finirais de cette façon, que petit à petit les réserves de ton corps s'épuiseraient, et que tu mourrais de faim ou de déshydratation. Mais j'avais peur que Naoma ne pût même pas ne serait-ce qu'envisager que ta fin pût être telle, à côté de nous, sans que nous ne pussions rien faire. Comme elle ne réussissait pas à te ranimer, elle s'est levée et a commencé à marcher nerveusement de long en large dans la pièce, en réfléchissant tout haut à un moyen de nous sortir de là. Mais les moyens étaient plus que limités, c'est rien de le dire, sans aucun outil, avec une grille digne d'un coffre fort ; nous n'avions guère de possibilités. Elle a fini par s'acharner sur la grille, la tirant, poussant, secouant sans que celle-ci ne vacille. Je suis intervenu alors que les hommes, attirés par ses cris, approchaient. Une fois de plus, blottie dans mes bras, elle a passé de longues minutes à sangloter. Je dois dire que j'était un peu mal à l'aise, j'ai pas trop le profil de baby-sitter, j'ai toujours eu tendance à plutôt envoyer balader les capricieuses. Depuis la veille elle avait refusé de manger, par "solidarité", n'importe quoi, mais je suis finalement parvenu à lui faire avaler doucement une galette, et à lui faire accepter qu'il ne fallait pas craquer, qu'il nous fallait rester calmes car sinon nous allions nous aussi finir comme toi. Franchement je me serais cru son père, ça m'a fait réfléchir à deux fois à l'idée d'avoir des gamins.

Elle s'est endormie finalement, sans doute épuisée. Je décidais de la conserver dans mes bras, assis contre la paroi. Je n'aurais pas aimé que les potes me voient dans une situation pareille. Mais bon, je n'avais rien d'autre à faire, de toute façon. Mais elle ne dormit que quelques heures, et aussitôt réveillée elle a repris son manège frénétique entre tenter de te réveiller, tenter de te faire manger, tourner en rond dans la pièce et secouer la grille. Je crois qu'elle s'approchait aussi de ma limite de tolérance, commençant significativement à me taper sur le système. Il faut dire que dans une cellule qui ne devait pas dépasser dix mètres-carrés, sans rien à faire, ce n'était déjà pas évident de rester calme sans qu'en plus elle fasse son caprice hystérique. Je savais que je devais rester serein et attendre une opportunité, mais l'enfermement et les phrases que répétait sans cesse Naoma me faisaient petit à petit moi aussi sombrer dans un état d'énervement dangereux.

C'est vraiment horrible de rester enfermé, et encore plus quand

on ne sait pas le sort qui nous attend, franchement ça m'a fait penser aux pauvres diables des camps pendant la guerre. J'avais déjà été retenu prisonnier pendant plusieurs jours il y a quelques années, et j'étais devenu complètement fou. Pourtant je savais que je devais rester calme, mais c'était plus une réaction incontrôlable, peut-être un manque d'air, de lumière, d'espace, un réflexe claustrophobe, enfin... Bref, pour ne pas que cette même situation se reproduise, j'ai pris alors la décision de faire des pompes et des abdos pour me calmer et passer mon énervement, pour limiter l'état de tension. Mais tout allait en empirant, et Naoma a commencé à s'en prendre à moi, à me faire des critiques. Je n'ai même pas relevé ses premières remarques, de simples sous-entendus sur mon incapacité à avoir réagi avec toi à l'aéroport, et surtout d'avoir voulu te vendre pour de l'argent. Mais ses attaques étaient de plus en plus claires, et si je continuais, indifférent, à faire mes exercices physiques, elle en est venues bientôt à me crier dessus, à me demander de répondre, de m'expliquer. Je me contentais alors de dire que cela ne servait à rien de parler du passé.

La journée passa, et elle ne me laissait même plus m'approcher de toi, criant que je ne voulais que ta mort depuis le début, et qu'elle te protégerait, contre moi, contre eux, contre tout.

La pire journée fut la suivante. J'ai très peu dormi, et Naoma pas du tout. Elle parlait constamment à voie basse, et je ne pouvais plus en faire abstraction. Au matin, à bout de nerf, je décidais finalement de la calmer avec une paire de gifles. Je haussais considérablement la voix en lui disant de se taire et de reprendre ses esprits. Mais elle a tenté de se défendre. Elle m'a griffé, ce qui m'a mis dans une colère noire et rapidement je l'ai envoyée au sol avec un coup sûrement beaucoup trop fort. Mais j'étais à la limite, moi-aussi, de perdre les pédales. Étourdie par le choc, elle s'est traînée et est allée se prostrer dans un coin à pleurnicher. J'espérais ne pas lui avoir fait trop mal et je regrettais tout de suite de m'être emporté, mais il valait mieux sans doute que je ne laisse pas trop mon exaspération et mon énervement s'accumuler. Elle a alors pris peur de moi et je n'ai pu l'approcher pour m'excuser. Je me suis résolu à ne pas tenter quoi que ce soit. J'ai toutefois pu constater ton état, alors qu'elle était enfin loin de toi. État qui n'était pas fameux, ton pouls ne devait pas dépasser trente battements par