page 30 le patriarche 31

quelque chose dont je pourrai me rappeler, quelque chose qui ne soit pas que cette quête désespérée d'un bonheur éphémère, matériel, futile qui semblait vous préoccuper tous.

10 heures 45, l'obsession de l'heure me mène à me poser des questions, quelle importance, finalement, qu'il soit 10 heures 45 ou 12 heures 20, je n'aurai pas, cette fois, à rendre de copie...

Il est de bon augure de faire une transition, comme si, toujours, la logique devait imprégner toute oeuvre de l'homme, comme si les professeurs avaient peur que trop de naturel, de spontanéité, eussent été néfastes à la philosophie, à l'ordre... Mais le cheminement libre des pensées n'est-il pas celui qui mène réellement à l'innovation, aux véritables limites, nouveautés ? Qu'importe, je me conformerai, une fois de plus, à vos principes...

Une fois de plus la cause de toute réflexion, interrogation et remise en question reste l'histoire, l'expérience personnelle, les non-réponses du monde m'entourant. Mais la longue quête des réponses, des choix, n'en est pas moins entrecoupée de désillusions, de gâchis, de temps perdu...

Quand tout ce que nous croyons s'effondre, quand il n'y a plus que mensonge, quand le monde de demain n'est rien de plus que l'amoncellement des erreurs du passé, nous nous perdons. Nous nous demandons à quoi bon, pourquoi, nous nous demandons qu'est-ce qu'est la vie, à quoi bon le bien, l'entraide, la bonté. Quand nous voyons la compétition, l'égoïsme, la paresse, la faiblesse. Nous apprenons, nous acceptons, nous essayons de nous adapter, de nous protéger. Le mal n'est plus vraiment le mal, il n'y a plus rien de valable, tout est à reconstruire, repenser, réapprécier. Je m'enfonçais donc dans l'athéisme, l'égoïsme, la solitude, comme par copie, comme si c'était la solution, aussi désagréable soit-elle. Apprendre à rester seul, à vivre seul, apprendre à ne pas souffrir, apprendre à accepter. Se préparer à se battre, à ne plus croire en l'homme, rester méfiant, indifférent pour ne pas être touché.

Et le réconfort apparaît, par moments, quand l'indifférence nous rend plus fort, et permet de traverser les épreuves comme si elles n'étaient que des faits banals. Et nous y prenons goût, même, à l'insensibilité et la solitude qui l'accompagne. Et nous nous

préparons encore plus dans cette voie qui semble la bonne. Nous endurcissons notre corps, nous apprenons à pleurer seul, nous acceptons l'égoïsme. Nous perdons notre Dieu, petit à petit. Nous en retrouvons d'autres, au détour de chemins. Nous nous en inventons, comme si nous retracions pour soi la relation de l'homme face à l'irréel, le superstitieux, mais au final nous ne nous retrouvons que plus seul, sans Dieu, sans foi, sans rien qu'une carapace de plus en plus dure, et un sourire de plus en plus faux.

Et les années passent, et la routine s'installe, la solitude et les passions individuelles. Le mal parfois même devient une alternative, le mensonge, quand il n'y a plus de valeurs, n'a que le goût passé d'une interdiction d'anciens temps, faite par ceux-là même qui en usent à loisir désormais, tout comme ces autres principes.

Pourtant l'espoir que cette humanité, sinon présente, du moins possible, revient toujours, comme si la solitude et les buts personnels ne pouvaient faire une vie, ou apporter suffisamment de satisfaction pour regarder le passé sereinement. Et si Dieu ne revient pas, si la carapace ne s'ouvre pas, la force acquise n'en est pas moins frustrée que de ne servir qu'à se protéger, oublier les autres, et, peut-être, se dit-on finalement, la souffrance n'est pas si mauvaise que cela, et les joies ne sont pas sans peines. Alors la quête d'une autre voie, pas celle de l'aveuglement de ma jeunesse, pas plus que celle de la révolte de mon adolescence, mais l'éternel compromis entre les deux. Une voie, une philosophie, qui mènerait à la fois ma vie, mais permettrait aussi, idéalement, de servir d'exemple, ou d'aide, à d'autres. Mais tenir compte aussi bien des égoïsmes que des altruismes n'est pas chose aisée, et trouver l'équilibre sera sans doute l'éternelle question du reste de mes jours. Aimer les autres ne fait pas plus souffrir que de les ignorer, j'ai tenté les deux, et si de multiples fois je me reprochais que de ne trop croire en l'amour, ou à une relation pure et franche, il n'empêche que de nier tous sentiments n'apporte pas plus de sérénité. Toujours cette mesure, cette balance démoniaque entre nous et les autres qui nous tue à chaque mouvement... Je n'ai pas la réponse, aujourd'hui, de cette philosophie, de cette voie idéale, et chaque jour je me retrouve encore parfois seul, parfois à vouloir l'être, parfois déçu des hommes, et parfois plein d'espoir. Mais le temps passant je prends