Je viens de Ève, planète dont le nom signifie littéralement "source de vie". Je suis née en 15 avant le Libre Choix, ce qui correspond à 11734 années d'Adama après le MoyotoKomo ; sur Ève, cette durée représente 8609 années d'Adama après la colonisation de la planète. Et en gros, si nous sommes bien tombés d'accord sur tes "secondes", "minutes", jours et années, d'après les valeurs que tu m'as fournies pour la vitesse de la lumière et que tu mesures bien un mètre soixante-douze comme sur ta planète, définissant ainsi la mesure de ce que tu appelles "un mètre", je suis née il y a environ mille quatre cents de tes années.
Mon premier souvenir, c'est mon père et ma mère se criant dessus. Je savais tout juste marcher, je devais dormir dans une pièce à côté ; quand j'entendis du bruit je dus me déplacer pour voir. Et l'image qui reste gravée dans ma mémoire représente ma mère assise en train de pleurer, mon père furieux tournant autour, puis ma mère criant à son tour. Ce n'est pas très fameux comme premier souvenir, et je reste persuadée qu'il a façonné en moi pour toujours, dès le départ, le caractère fatal des relations hommes femmes. Ainsi, petite, pour moi pendant longtemps je fus certaine que tous les parents, toutes les nuits, se fâchaient, se faisaient pleurer et se criaient dessus...
Je garde assez peu de souvenirs de ma petite enfance, hormis quelques images des jouets s'amusant à me faire peur, j'avais un gros reptile, au moins deux fois ma taille, qui me courait après dans toute la maison, je criais comme une folle, ma mère devait sans cesse lui dire d'arrêter, mais je crois qu'il n'était pas très obéissant, et puis je lui en faisais bien baver aussi quand je lui montais dessus, le pauvre... Bien sûr il y avait aussi les jeux de construction et d'apprentissage de langues anciennes ou artificielles, mais je crois que tous les gamins de la Congrégation y ont eu droit. Encore un élément qui me dépasse, d'apprendre aux enfants des langues qui
n'avaient plus raison d'être parlées depuis des milliers d'années, et encore pire, d'apprendre des langues artificielles ! Enfin bref, je parlais donc avec chacun de mes jouets une langue différente, cinq ou six en tout. Ça pouvait être quand même bien pratique, quand on rencontrait un autre chenapan qui comprenait une des langues que l'on avait apprise, on pouvait comploter tranquillement sous le nez des grands. Mais j'ai quand même d'assez mauvais souvenirs de mes premières expériences collectives ; j'étais un peu plus douée que les autres et surtout j'étais plus jeune que la moyenne, et je devins rapidement le bouc-émissaire favori.
Mes souvenirs un peu plus récents, desquels je me rappelle vraiment, sans l'intermédiaire du bracelet, commencent avec mes cours de pilotage, et toutes les bêtises que j'ai faîtes par la même occasion. Nous habitions dans un coin plutôt peuplé et après quelques premières années difficiles, je me suis adaptée à mon entourage en devenant "la plus forte des plus fortes", basiquement cette attitude consistait juste à faire comme les garçons, je me bagarrais comme eux, jouaient aux mêmes jeux qu'eux, étais plus fortes qu'eux dans les cours, bref, je me faisais respecter. Le plus marrant c'est que j'avais alors bon nombres de petites et petits camarades, comme quoi les valeurs d'égalités, du non besoin d'autorité, et tout le reste, on se rend compte que ce n'est pas toujours vrai, même chez les gamins, enfin... Toutefois tous mes petits camarades n'ont plus rien représenté de bien important ou d'intéressant à mes yeux dès lors que j'ai commencé les cours de pilotage. Je n'avais alors que cinq ans, enfin, huit ans avec tes années à toi, que je vais tenter utiliser dorénavant, pour simplifier. Le pilotage devint rapidement la seule chose qui me motivait et me passionnait vraiment. À tel point que tous mes projets à l'école tournaient constamment autour des vaisseaux, les différents types, le comportement, la nature de l'artificiel embarquée, je fus finalement contrainte par les évaluateurs à m'ouvrir l'esprit en excluant tout sujet de recherche à propos du pilotage, je crois que je les ai détestés et détesté l'école pour ça. Bref, l'école devint alors d'un ennui terrible, et mes différentes approches de la médecine, de l'astronomie, de l'histoire ou autre n'avaient que pour effet direct de me faire rêver à des Joachon dix-sept, Mers vingt-deux ou, mon idole, le Gormath deux, à la fois rapide, nerveux et d'un fort caractère, il était génial, je me demande même si je n'étais pas