Le Patriarche

Le Deuxième Monde : Menocha

Florent (Warly) Villard

Fra 11333 (63 avant Jésus-Christ) - Terre septembre 2003


Version: 0.4.7 - 29 décembre 2005 - 0
Copyright 2003,2004,2005,2006 Florent Villard




Remerciements

À personne pour l'instant.

Table des matières Deborah
Sarah
Ylraw 2
Thomas
Ylraw
Ylraw 2
Deborah
Annexes



Deborah Texas, Bryan - France, Paris

Carte

Your father arrived, He is fine and is happy. He is alive and kicking ! And he feels good. I must admit when we return back from Paris to Texas to leave France, by that time I thought he really need you and all your attention and your help all the time.

Love, N.

Deborah lut distraitement la carte postale, pensa à une erreur et la passa, tout en marchant vers la maison, derrière les autres lettres qu'elle venait de récupérer dans la boîte. La plupart étaient des lettres concernant l'exploitation, factures, compte-rendus de compte bancaire ou résultats divers. Rien qui ne la passionna et elle remit à plus tard leur ouverture, cette journée du 3 août resterait banale et chaude.

Elle posa le courrier sur la table de la salle à manger et retourna dans le bureau pour terminer la saisie fastidieuse des références des produits pour le suivi de la production. C'était elle qui avait convaincu son père de s'informatiser et de gérer leur exploitation ainsi, mais elle reconnaissait que c'était bien moins amusant que de parcourir le domaine à dos de cheval pour vérifier que tout se passait bien.

Elle avait augmenté la température de l'air conditionné à trente degrés, pas vraiment dans l'objectif de faire des économies, plus pour, un peu, participer à la préservation des ressources d'énergie. Mais elle avait chaud et elle décida finalement de baisser la température de deux degrés, et de faire plus d'efforts le lendemain.

Il lui fallut encore deux heures pour terminer la saisie, entrecoupée de deux pauses où elle but une canette de coca. Après tout si elle avait cédé sur la clim elle pouvait bien le faire aussi sur la boisson. Son père arriva cinq minutes après qu'elle eut terminée, elle était encore dans le bureau, ayant renoncé à préparer quelque chose à manger et jetant un oeil à ses courriers électroniques.

Son père vint la trouver dans le bureau et lui tendit la carte postale :

- Tiens, tu ne récupères pas la carte, c'est pour toi.

Elle ne se retourna pas vers lui, elle était énervée, sans doute parce qu'elle savait que son père allait la réprimander de ne pas avoir préparer à manger.

- Non, c'est une erreur.

Son père regarda de nouveau la carte

- Une erreur ? C'est pas la fille de Melbourne ? Celle que tu avais vu en France ? Elle s'appelait Naoma, non ? "N.", c'est ça ?

Deborah se leva subitement et alla prendre la carte dans les mains de son père, elle la regarda attentivement.

- Oui tu as raison, ça vient de Melbourne, c'est sans doute elle. Mais je ne comprends pas, elle dit que tu es allé à Melbourne et que tu allais bien...

- Melbourne ? Jamais mis les pieds chez ses bagnards ! Ça la rendu folle, ta copine, la mort du Français.

Deborah resta silencieuse, elle se dit que peut-être Naoma voulait lui dire quelque chose. Son père... Qui Naoma considérait-elle comme son père ? Ylraw ? Non... Elles avaient beaucoup parlé, lors de son enterrement, en France, et elle savait très bien ce que faisait son père...

Son père la tira de ses réflexions pour le repas du midi. Elle le rejoint dans la cuisine. Elle ne voyait vraiment pas où Naoma voulait en venir et se demanda si elle n'avait effectivement pas perdu la tête comme son père le suggérait. Ils mangèrent en silence deux hamburgers faits à la va-vite. Deborah pensa plus à ce qu'elle devait faire dans l'après-midi qu'à la carte, et son père aimait, après les matinées fastidieuses, manger tranquillement sans penser à rien.

- Tu vois Billy ce soir ?

- Théoriquement.

Elle se leva pour débarrasser les deux assiettes. Son père resta pensif un instant.

- Tu sais si tu ne veux pas faire ta vie avec lui... Enfin... On peut s'arranger autrement avec Ted... Et... Après tout on s'en sort déjà pas si mal aujourd'hui...

Deborah détestait souvent son père, mais si elle l'aimait finalement tellement, c'était à cause de moments comme celui-ci, ou comme quand il avait renvoyé Ted avec son fusil alors que celui-ci tenter de lever la main sur elle. Elle se rapprocha de lui, se pencha sur sa chaise par derrière et enlaça ses bras autour de son coup pour l'embrasser sur la joue.

- Je sais papa, mais ne t'inquiète pas, moi-aussi j'ai un peu d'ambition. Tu sais ce que je pense de Billy, c'est juste que je dois rencontrer les gars pour le Maïs cette après-midi et qu'à chaque fois ils me prennent la tête. En plus après j'ai dit à John que j'irai lui montrer pour le réservoir.

- Tu peux voir Billy un autre jour.

Elle se releva.

- Oh il ne vaut mieux pas, voilà déjà deux semaines que je ne l'ai pas vu, il me ferait sans doute une crise si je reportais encore.

Son père se leva aussi :

- Je vais ramener le Ford à Bryan cette après-midi, ça fait trois mois que je dois le faire, et l'automne approche, autant que ce soit fait, j'irai voir pour l'enclos des chevaux demain, ça ne presse pas tant que ça.

- Oui, de toute façon il est parti pour faire beau pendant encore pas mal de jours. D'ailleurs il faudrait plutôt qu'on s'occupe de trouver pourquoi le débit de la pompe est si faible du côté Sud.

- Ah oui, ben je peux y passer cette après-midi et... Non non je vais vraiment mener le Ford, j'irai voir pour la pompe demain matin ; ou je demanderai à quelqu'un d'y aller.

- Le mieux serait que tu y ailles avec Pedro, c'est lui qui avait réparé l'ancienne, il y a trois ans.

Ils parlèrent encore un moment du travail leur restant à effectuer, pas tellement qu'ils avaient des choses à mettre au point, plus qu'ils trouvaient là un moyen de rester un peu ensemble, attendant patiemment le moment où ils pourraient avoir la chance de dire ce qu'ils avaient sur le coeur, dire qu'ils s'aimaient, dire, aussi, que finalement ils étaient heureux, et qu'ils n'avaient pas forcément envie que les choses changeassent, même si elles avaient déjà changées, depuis qu'il était venu troublé leur équilibre.

Deborah jeta encore un coup d'oeil à la carte, intriguée de ce qu'avait bien voulu lui dire son amie Naoma, dans l'hypothèse où ce fut bien elle qui lui avait écrit, ce dont elle doutait encore.

L'après-midi fut comme elle l'avait prévue, fastidieuse, et elle rentra à 19 heures 30 exténuée, avec une seule envie, celle de se coucher. Mais Billy l'avait déjà appelé deux fois dans la journée, pour être bien sûr qu'ils se verraient, habitué sans doute à ses défilement de dernière minute. Il allait passer à 20 heures, elle avait juste le temps de prendre une douche et de s'habiller.

Elle fit durer la douche et Billy sonna alors qu'elle y était toujours, mais après tout c'est le propre des femmes de se faire désirer. Elle ne se sentait pas femme toutefois, pas encore vraiment. Elle ne le voulait peut-être pas, préférant l'insouciance de la petite fille qu'elle avait toujours été vivant encore avec son père. Sa mère était partie il y a bien longtemps, Deborah n'avait que cinq ans alors. Elle la revoyait une fois tous les un ou deux ans, quand l'une ou l'autre faisait l'effort de se déplacer. Sa mère était partie avec son nouveau mari dans le Winsconsin, pas la porte à côté.

Elle ne connaissait pas vraiment sa mère, mais elle savait qu'elle lui en voulait d'avoir quitter son père, même si elle aurait sans doute fait pareil, vu son caractère. Elle ne connaissait pas sa mère et n'avait pas envie de la connaître, sans doute pour pouvoir ne pas l'aimer sans se poser de question, sans doute pour ne pas avoir de remord de rester avec son père. Elle avait passé deux ans, jusqu'à l'âge de sept ans, avec sa mère alors qu'elle habitait encore à Austin, mais quand sa mère était partie pour le Winsonsin, elle était revenue dans le ranch de son père.

Sa mère était pourtant presqu'aussi belle qu'elle, malgré ses quarante-trois ans. Elles avaient pile vingt ans de différence, à deux jours près, Deborah était née le 23 février, sa mère le 25. C'était sans doute aussi une des raisons pour laquelle elle n'aimait pas voir sa mère, elle se voyait trop en elle, et elle ne voulait surtout pas finir sa vie comme elle, entretenu par un riche médecin, à s'occuper de la maison et du chien. Elle ne voulait pas forcément d'enfant, même si quelques instincts maternels frétillaient passablement en elle, et se réveillaient chaque fois que Billy lui parlait de grande maison et d'une ribambelle de gamins. Ses allures de père de famille nombreuse en souffrance n'étaient sûrement pas étrangères au fait qu'elle fut toujours avec lui, malgré tout ce qu'elle s'était dit après le départ d'Ylraw de chez elle, et surtout après sa mort.

L'envie de se faire belle l'avait motivé, mais maintenant que Billy attendait déjà depuis vingt minutes, elle se contenta d'enfiler un string noir tout simple, pour pas qu'on voit de marque sur les jeans moulants qu'elle mit par dessus. Elle aurait été tentée par son nouvel ensemble en dentelle rouge, mais elle se dit que ce serait un peu trop pour Billy et qu'il pourrait prendre ça comme un déclaration, elle qui se baladait généralement plutôt en boxer, histoire de pouvoir retirer ses pantalons en plein champs quand elle les trempaient.

Billy

Billy s'était mis sur son trente-et-un, il emmena Deborah dans le restaurant le plus cher de Bryan, ou presque, le mois d'août le restaurant considéré comme le meilleur de Bryan fermait ses portes. Presque le plus cher de Bryan mais restant néanmoins abordable, les soixante cinq mille habitants de la ville texane ne justifiant pas de la haute voltige culinaire. Elle regretta presque de s'être habillée en jeans, puis se dit que c'était eux les clients et que s'ils n'étaient pas contents, ils trouveraient bien un restaurant plus enclin à accepter leurs dollars. Elle le regretta aussi un peu aussi face à Billy, avec tous les efforts qu'il avait fait. Mais après tout elle n'avait rien demandé à personne, et elle était grande et libre de s'habiller comme bon lui semblait.

Elle était encore toute énervée en arrivant au restaurant, ils n'avaient presque pas parlé dans la voiture. Billy, enjoué, avait commencé à lui parler avec engouement de tout et de rien, mais elle l'avait froidement remballé ; elle avait prétexté être fatiguée et éprouvée de sa journée, mais ce n'était que partiellement vrai. Et puis Billy s'était tu, et elle avait presque eu de la peine d'avoir été si méchante. Elle s'était finalement convaincu que la journée n'avait pas été si catastrophique, qu'elle n'était pas si fatiguée, que Billy n'était pas si ennuyeux, et que de prendre le temps de profiter d'un bon dîner n'était, après tout, pas une si mauvaise idée.

Deborah se laissa emporter par la ferveur des serveurs tout à eux, étant donné le faible nombre de clients, et elle en devint souriante devant leur ballet. Billy était fier de la montrer, il était fier que les serveurs la regarde avec envie et s'imaginer qu'ils devaient être jaloux. On leur donna la table la plus au centre de la pièce, comme s'ils allaient devenir le coeur même de la vie du restaurant.

L'enchaînement fut parfait, les plats se succédaient avec vitesse ou lenteur suivant leur consistance et leur goût, la saveur du vin, qu'elle n'appréciait pas outre mesure d'habitude, lui sauta tout d'un coup au visage, relevant les plats, devenant l'exhausteur transfigurant la viande en un feu d'artifice pour les papilles. Billy lui-même en devenait plus intéressant, plus vif, plus beau, presque. Un peu de musique rehaussait encore l'ambiance envoûtante de l'ensemble, Billy était aux anges, il voyait Deborah, sa Deborah, sourire, il la voyait heureuse, il la voyait rire à son humour, il la croyait amoureuse, à lui, il la croyait prête, tellement prête qu'il n'attendit même pas le dessert. Il se leva, fit un discret signe au serveur pour la musique, d'entraînante elle devint sensuelle, il s'avança vers Deborah, se mit à genoux, lui prit la main, et la demanda en mariage.

Deborah, qui riait sur son petit nuage, perdit le sourire, comprit le but de la soirée et de la mise en scène, regretta d'avoir bu, regretta d'être venue, et se concentra le plus qu'elle put pour reprendre ses esprits et surtout ne pas dire de bêtise.

Elle pria Billy de se relever, de se rasseoir en face d'elle. Elle se rapprocha de la table pour parler tout bas :

- J'ai passé une très bonne soirée, Billy, c'était très bien, mais il ne vaut peut-être mieux pas trop s'emballer, non ?

Billy avait perdu le sourire, son ventre s'était noué, et malgré ses un mètre quatre-vingt dix il se sentait petit et ridicule. Il espérait de tout son coeur qu'aucun des serveurs n'avaient entendu. Il prit la main de Deborah :

- Mais... Je... Tu... Tu ne veux pas qu'on se marie ?

- Tu sais très bien que si, mais c'est peut-être un peu tôt, je t'avais dit qu'on pouvait attendre un peu.

Billy respira un grand coup et reprit confiance en lui :

- Tu m'avais dit qu'on pouvais attendre que tu ais 24 ans, que ce soit à peu près stabilisé avec l'exploitation de ton père. Tu as 24 ans dans six mois, et un mariage se prépare quand même en avance, et tout fonctionne bien maintenant pour ton père et toi. De plus Ted commence à en avoir un peu marre, et ne serait pas contre te laisser la place pour tout ce qui est gestion, tu te débrouilles bien mieux que lui, d'ailleurs tu gères déjà une partie.

Deborah resta silencieuse... 24 ans... Elle aurait 24 ans dans six mois. Elle n'avait pas vraiment encore réalisé. Pour elle cela restait le futur, cela restait quand elle serait grande, quand elle aurait assouvi tous ses rêves de jeune fille. Mais oui, Billy avait raison, c'est bien la limite qu'elle s'était fixée. Mais était-elle prête ? Était-elle prête pour cette vie ? Pour cette vie qu'elle avait toujours prévue, mais la considérant presque comme un éternel futur, qui n'arriverait que quand elle serait fatiguée d'être jeune, que quand elle serait préparée. Mais elle n'était pas prête, pas du tout, et elle n'avait pas envie de se marier dans six mois, de rejoindre sa vie rangée, de devenir la respectable Deborah Kimbell, à la tête de la plus grosse exploitation du coin.

Elle sentit la pression de la main de Billy sur la sienne. Elle lui sourit et trouva une excuse :

- Excuse-moi Billy... J'ai passé une bonne soirée, et ne crois pas que je revienne sur ce que je t'ai dit. C'est juste que j'ai pas mal bu, et en plus je suis quand même fatiguée de ma journée... On reparlera de tout ça à tête reposé demain matin, d'accord ? On termine le repas tranquillement, on prend un dessert ?

Billy retrouva le sourire et appela un serveur. Deborah oublia un temps ses préoccupations, mais elles revinrent de plus belle quand elle monta dans la voiture. Elle avait envie de réfléchir à tout ça elle n'avait pas envie de rentrer avec Billy, d'ailleurs elle n'aimait pas se retrouver chez Ted, elle trouvait la maison sinistre. Elle ne dit rien pendant le retour, se demandant comment Billy allait réagir si elle lui demandait de la laisser chez elle. Elle chercha une excuse mais n'en trouva pas. Elle avait peur que Billy s'énervât si elle ne passait pas la nuit avec lui. Mais elle ne se sentait non plus pas la force de dormir avec lui.

- Écoute, Billy, est-ce que tu peux me laisser chez moi, je... Je ne me sens pas très bien, le vin... J'ai vraiment trop mangé, je crois que j'ai un début de crise de foie.

- Mais, viens plutôt à la maison, nous avons tout ce qu'il faut, je prendrai soin de toi, et puis ça fait plus de deux semaines que nous n'avons pas dormi ensemble.

- Non vraiment, je suis pas bien, je préfère rentrer à la maison. Et puis tu sais comment je suis quand je suis malade, je suis vraiment très désagréable, je préfère passez une bonne nuit chez moi, et je reviens te voir demain matin, d'accord ?

Billy accepta à contre-coeur, mais il ne voulait pas la contrarier, il n'avait pas encore eu sa réponse, et il était prêt à sacrifier cette nuit contre le gage d'avoir une bonne partie de celles du reste de la vie de Deborah. Il la laissa donc à l'entrée du ranch, Deborah insista pour qu'il ne la raccompagnât pas jusqu'à la maison, il accepta.

Nuit

Deborah regarda le 4x4 de Billy s'éloigner dans le noir, puis le calme de la nuit reprit le dessus avec les bruits familiers. La nuit était claire, la lune était presque pleine en cette nuit du 10 août 2003. Il était tout juste une heure du matin passée, Deborah resta debout un moment, contemplant toutes ses terres qui étaient siennes... Et après ?

Et après, qu'est-ce que cela voulait bien dire, posséder ces terres ? Est-ce que c'est ça qu'elle voulait ? Augmenter sa propriété, avoir toujours plus à gérer, devenir plus importante, plus puissante ? Est-ce qu'elle était prête à sacrifier sa vie personnelle pour ça, est-ce qu'elle était prête à se donner à Billy pour ça ?

Elle n'était pas prête pour Billy, elle l'avait toujours cru, parce qu'elle se l'imaginait seulement au futur, mais désormais qu'elle se rendait compte que ce futur était demain, elle ne le voulait pas, elle aurait voulu le repousser toujours. Pourtant son ambition était toujours là, pourtant elle rêvait encore de diriger les deux exploitations réunies, et elle savait que beaucoup dans la région ne la croyait pas capable, beaucoup croyait que c'était encore son père qui tirait les ficelles, alors que cela faisait longtemps qu'il lui laissait tout faire. Elle était pressée de leur montrer qu'elle en avait les capacités, elle était pressée de leur prouver qu'elle les dépassait tous, qu'elle méritait leur respect et leur admiration.

Mais en dehors de cet orgueil basique, le désirait-elle vraiment ?

Elle ne savait pas. Elle s'assit sur un parpaing qui traînait là, sur lequel elle pestait chaque fois qu'elle passait, se disant que son père lui avait promis de le retirer mais ne l'avait toujours pas fait. Elle convint finalement qu'il avait sa place, et qu'elle ne dirait plus rien à son père.

De quoi avait-elle envie, réellement ? De rester là, de mener cette vie bien établie ? De continuer à gérer son petit monde, de continuer sa petite vie partagée entre son père, Billy, et les autres ?

Elle pouvait plus que ça, elle pouvait faire beaucoup plus, elle en était persuadée, mais quoi ? Elle se rendait compte qu'elle avait peur. Elle se rendait compte que si elle n'avait jamais vraiment envisagé la vie avec Billy, le mariage, c'est qu'elle savait que ce serait le moment pour elle de partir. Mais maintenant que le moment était proche, maintenant qu'il lui faudrait vraiment passer à l'action, elle avait peur. Elle avait peur de quitter son père, de quitter son petit univers, elle avait peur de devoir apprendre à voler de ses propres ailes, de quitter cet endroit.

Pourtant, en novembre dernier, quand Ylraw était venu, elle l'aurait suivi au Mexique, elle l'aurait suivi en Australie, elle aurait tant aimé le suivre. Elle l'aurait fait sans aucune hésitation, sans même réfléchir. Elle ne comptait d'ailleurs pas vraiment rester, elle pensait alors qu'au bout de quelques jours il aurait besoin d'elle, et qu'elle le rejoindrait.

Mais désormais il était mort, depuis plus de six mois. Peut-être qu'elle aurait pu l'aider, peut-être qu'elle aurait pu être heureuse avec lui...

Ce n'était pourtant pas du tout son genre d'homme, du moins le croyait-elle au premier abord, pourtant elle s'était attachée, en quelques jours seulement. Elle n'avait jamais vraiment été amoureuse, et avec Ylraw elle avait senti frétiller ce sentiment, elle s'était dit qu'elle aurait pu tomber amoureuse de lui, elle l'avait sans doute été un petit peu.

Mais il était mort, elle était seule, et toute l'action et les aventures auxquelles elle avait rêvées quand il était venu n'étaient plus qu'illusions.

Pourtant c'était bien de cela dont elle rêvait par moment, de parcourir le monde, de courir à la recherche de buts inconnus, de rencontrer des hommes dans tous ces ports, de devenir une baroudeuse qui n'a peur de rien.

Mais elle avait peur.

Elle allait avoir 24 ans, et la vie à laquelle elle s'était toujours persuadée mais jamais vraiment préparée était à deux pas. Qu'allait-elle faire ? Que voulait-elle faire ? Elle aurait voulu connaître un peu plus avant cette vie là.

Elle se leva et se dirigea lentement vers la maison. Elle ne voulait pas répondre à Billy le lendemain. Mais elle ne voulait pas non plus rester ainsi toute sa vie. En un sens elle ne s'imaginait pas vieille sans enfants et petits-enfants. C'est peut-être l'intermédiaire qui lui faisait peur, elle aurait voulu rester jeune et effrontée toute sa vie, puis un jour devenir vieille et raisonnable et raconter ses aventures à tous ses petits-enfants. Pourtant elle avait besoin de quelqu'un, pas forcément tout le temps, mais parfois elle se réconfortait dans les bras de Billy, quand elle était fatiguée, quand elle avait trop bataillé, quand son honneur et son orgueil l'avait menée un peu trop loin.

Elle aurait voulu que rien ne changeât, mais pourtant les choses allaient changer. Elle savait aussi que si elle n'allait pas de l'avant, elle perdrait le contrôle, et les choses changeraient pour elle. Mais que faire ? Partir ? Partir où ? Elle ne pouvait pas laisser son père.

Elle rentra et se dit que la nuit lui porterait conseil, elle était exténuée. Elle monta doucement dans sa chambre, mais elle savait que son père avait le sommeil léger et l'oreille fine, il lui rappellerait sans doute le lendemain l'heure précise à laquelle elle était rentrée.

Elle se coucha en regardant la carte qu'elle avait reçue, pour penser un peu à autre chose, elle n'avait même pas vraiment fait attention à la photo. Un galet, une petite pierre poli par la mer, posée sur d'autres galets. Drôle d'idée pour une carte postale. Elle relu une dernière fois le mot, ne le comprenant toujours pas, puis s'endormit en se souvenant de Ylraw.

Message

Elle rêva de lui, elle rêva de la folle poursuite qu'ils avaient fait huit mois plus tôt, elle rêva qu'elle le retrouvait, elle rêva qu'elle partait avec lui, qu'elle voulait lui faire l'amour, mais que toujours ils devaient courir, fuir, sans jamais trouver de moment de tranquillité.

Le galet !

Elle se réveilla en sursaut, alluma la lumière et reprit la carte. Oui, le galet ! C'est le signe d'Ylraw, bien sûr ! Sa pierre, la pierre qu'il avait toujours avec lui ! Le message, il était incohérent, pourquoi, y avait-il un message caché ? 'When we return' Naoma n'aurait pas fait une faute de temps aussi grossière. De même pour 'he really needs'. Mais y-avait-il vraiment un message ? N'était-ce pas son esprit qui cherchait un échappatoire ? Un moyen de repousser ce choix qu'elle ne voulait pas faire.

Bah ! Qu'importait ! Elle n'avait plus sommeil. Elle chercha, tenta de trouver des mots sur une ligne en diagonale, ou en prenant le texte à l'envers, mais rien.

Elle chercha plus d'une heure puis ses yeux piquèrent et elle s'endormit de nouveau.

Elle rêva encore d'Ylraw, et le matin à peine les yeux ouvert elle reprit la carte et de quoi écrire. Elle copia le texte sur une feuille et barra les mots qui n'avaient rien à faire là. Puis elle trouva, et un large sourire illumina son visage, elle pleura même. Elle était heureuse, tellement heureuse !

Le truc était tout bête, finalement, il suffisait de retirer trois mots sur quatre :

"He is alive. He must return to France. I need your help."

Elle dansait presque au milieu de sa chambre quand elle se demanda ce que tout cela voulait bien signifier. Est-ce qu'elle rêvait ? Ylraw était mort, elle était allé à son enterrement, en France, elle avait vu son corps mort. Est-ce que Naoma parlait de quelqu'un d'autre ? C'était impossible, le galet sur la carte, le retour en France. "Il est vivant", elle ne pouvait que parler de lui. Pourquoi lui écrire à elle ? Elles ne s'étaient pas vraiment trouvé d'affinité quand elles avaient passé du temps ensemble en France.

Deborah se rassit sur son lit et réfléchit. Elle pourrait simplement passer un coup de fil à Naoma et vérifier, mais si cette dernière avait prit toutes ses précautions pour lui écrire, il y avait sans doute des raisons. Mais comment faire ? Lui répondre aussi par une carte ? Il faudrait des jours, et elle n'aurait jamais la patience d'attendre. Mais que faire ? Se rendre à Melbourne ? Les billets étaient chers, certes elle avait suffisamment d'économies pour ce voyage, mais ce n'était sans doute pas le plus intelligent. Que ferait-elle une fois sur place. Si Naoma lui avait écrit, c'était sans doute qu'elle même ne pouvait rien faire.

Deborah se redressa et regarda par la fenêtre. Cette histoire était dingue, Ylraw était mort, Naoma devait avoir perdu la tête, simplement. Comment était-ce possible autrement ? Pourrait-il avoir survécu ? Se pourrait-il que ces tubes dans lesquels ils avaient été enfermés eussent permis de les cloner ? Était-ce un piège ? C'était peu probable que ce fût un piège, même après le départ d'Ylraw en Novembre elle n'avait pas été inquiétée, ce serait bien étonnant que cette mystérieuse organisation s'intéressât à elle désormais.

Ce n'était peut-être vraiment qu'un délire de Naoma, après tout c'était bien l'hypothèse qui restait la plus logique. Deborah resta un instant les yeux dans le vide, elle repensa à Billy, elle se rappela de la soirée, de la demande en mariage. Elle se dit qu'elle devrait peut-être bien partir en Australie, après tout. Elle sourit en se rendant compte que de penser à Billy et à la promesse qu'elle lui avait faîte de reparler du mariage ce matin, tout d'un coup l'idée d'un voyage en Australie ne semblait plus déraisonnable du tout. Elle avait peut-être bien besoin de prendre des vacances, après tout...

Elle prit sa douche en réfléchissant à un moyen de contacter Naoma. Il n'y avait de toute façon pas trente-six solutions, courrier électronique, lettre, téléphone ou aller directement la voir. Si Naoma avait pris toutes ces précautions pour la joindre, elle devait suspecter quelque chose. Aucun des moyens ne satisfaisaient Deborah. Elle finit par descendre prendre son déjeuner et son père fut surpris de la voir debout avant lui. Il lui demanda si tout aller bien, si la soirée s'était bien passée avec Billy. Deborah savait qu'il sous-entendait qu'elle était rentrée dormir ici alors que d'habitude elle ne revenait que le lendemain matin.

Elle aimait sont père mais le détestait suffisamment pour ne jamais rien lui raconter de sa vie, ou presque. Pourtant aujourd'hui elle était perdue, à plus d'un titre. Elle était perdue face à Billy et sa proposition, elle était perdue face à la carte de Naoma et l'éventualité de la survie d'Ylraw, elle était aussi perdue car elle se rendait compte que la vie qu'elle s'imaginait n'était pas forcément celle qu'elle voulait.

- Billy m'a demandé en mariage.

Son père, qui ne s'attendait pas à une réponse, resta silencieux un instant. Il s'assit finalement en face d'elle, le ventre noué.

- Que lui as-tu répondu ?

- Que j'avais bu et qu'il fallait mieux attendre ce matin que j'ai les idées claires.

- Et qu'est-ce que tu en penses, ce matin ?

- Que je n'ai pas plus les idées claires, bien au contraire.

Son père se tut un instant. Il se leva pour se servir un grand verre de jus d'orange :

- Tu sais Billy est un brave gars, peut-être un peu bornée et pas très malin, mais c'est un brave gars.

Deborah pensait à Ylraw.

- Je sais.

- Ta mère était une femme de caractère, je l'aimais vraiment. Mais avec le recul je me dis que ce n'était pas la femme qu'il me fallait... Je... Si j'avais voulu la garder il aurait fallu qu'elle soit plus, enfin, qu'elle soit un peu comme Billy.

Deborah fut surprise. C'était la première fois que son père parlait de sa mère. Le sujet avait toujours été tabou, et si Deborah suspectait les raisons de leur séparation, elle n'avait jamais vraiment entendu son père en parler.

- Tu aimais encore maman quand elle t'as quitté ?

Son père resta immobile un instant avant de répondre :

- Je l'aime toujours.

Subitement Deborah comprit son père, elle comprit ses rancoeurs, elle comprit pourquoi il ne parlait pas de son ancienne femme, elle comprit pourquoi il ne s'était jamais remarié, pourquoi il travaillait autant, pourquoi il trouvait important qu'elle se mariât avec Billy... Elle avait son caractère et il le savait, et il ne voulait pas qu'elle souffre toute sa vie comme il a souffert lui. Elle se leva et alla se blottir dans les bras de son père. Il fut surpris.

- Je t'aime papa.

Son père ne dit rien et retint ses larmes, Deborah aussi. Ils ne parlèrent pas d'un moment, puis, sans doute effrayés de ce moment de tendresse contrastant avec leurs engueulades habituelles, ils parlèrent boulot.

Réponses

Son père devait s'absenter toute la journée, ce qui arrangea Deborah, elle avait envie de rester seule. Il était encore tôt et elle pouvait encore attendre une heure ou deux, mais si elle ne l'appelait pas, Billy allait venir directement la voir et elle voulait éviter de le voir à tout prix. Mais que faire ?

Préparer ses affaires et partir ? Elle était tentée, fuir tous ces problèmes, tout remettre à plus tard, prendre le large, voir autre chose, ne plus s'inquiéter de cette vie, partir à l'aventure, pour quelques temps tout du moins.

Ce ne serait pourtant pas très raisonnable, vis à vis de son père et de Billy, bien sûr, mais même vis à vis de Naoma. Où irait Deborah si elle devait partir maintenant ? En Australie, en France ? Et puis fuir les problèmes ne les rendraient que plus oppressants à son retour. Elle devait se décider maintenant, voulait-elle ou pas se marier avec Billy ?

Elle remonta dans sa chambre et prit la carte. Elle la regarda pensivement. Bah ! Billy pouvait bien attendre une semaine avant d'avoir sa réponse. Mais est-ce qu'elle en saurait plus dans une semaine ? Elle n'avait pas envie de se marier dans moins d'un an. C'était trop tôt, il lui semblait de n'avoir rien vécu encore. Il lui semblait de ne rien connaître du monde alors qu'elle voudrait ne rentrer que fatiguée pour le retrouver. C'est ainsi qu'elle s'imaginait marier avec Billy, fatiguée et lassée de la grandeur du monde, de l'avoir parcouru et d'avoir suivi toutes les pistes.

Elle n'avait pas forcément envie de faire sa vie tranquille ici comme son père et le père de son père avant. Mais si elle partait qui s'occuperait de l'exploitation ? Qui gérerait tout ce dont elle s'occupait, et que son père ne savait plus faire depuis longtemps.

Elle se sentit soudain enfermée, bloquée. Coincée dans une vie dont elle ne pouvait partir sans mettre dans l'embarras son père. Elle aurait dû prévoir. Quand le petit Federico voulait apprendre à utiliser l'ordinateur, elle aurait dû lui expliquer. Il était malin, plus malin qu'elle, il aurait compris sans problème, et puis il aimait ces choses là alors qu'elle ne le faisait que par nécessité.

Mais après tout elle pouvait bien laisser son père un mois tout seul sans que la situation ne dégénère. Quoi qu'il en soit il lui faudrait bien quelques jours pour trouver comment joindre Naoma et avoir une réponse. Elle en profiterait pour apprendre les bases à Federico en fermant les yeux sur ses avances. Il n'avait que 18 ans mais on sentait que ses hormones le travaillaient.

Et Billy ? Bah il attendait depuis trois ans il pourrait bien attendre un mois de plus, et dans ce mois elle aurait le temps de faire un peu le point sur ce qu'elle voulait et ce qu'elle ne voulait pas. Mais qu'allait-elle lui dire ? Comment lui présenter les choses ? Ah ! Une envie de tout plaquer et de partir sur le champ la reprit à cette pensée.

8 heures 30, elle devait appeler Billy avant 10 heures. Lui n'oserait pas la réveiller avant, de peur qu'elle soit de mauvaise humeur, mais il ne tiendrait pas plus, comme tous les lendemain de soirées pendant lesquelles ils se fâchaient.

Oh et puis après tout elle n'avait rien demandé à personne ! Certes elle lui avait parlé de mariage pour ces 24 ans, mais quoi ? Ne pouvait-elle pas changer d'avis, c'était sa vie, mince, elle pouvait bien choisir ce qu'elle voulait... Et attendre si ça lui faisait plaisir, de toute façon Billy n'irait pas voir ailleurs, alors. C'était aussi un peu pour cela qu'elle se confortait d'être avec lui, il lui obéirait à la baguette, et qu'elle en ferait ce qu'elle en veut...

Mais voulait-elle être une femme de tête, voulait-elle diriger, contrôler, commander, ne rêvait-elle pas d'un homme plus fort qu'elle, avec plus de volonté, plus d'autorité, un homme pour qui elle serait soumise, un homme avec qui, contrairement à tous les autres hommes, elle n'aurait pas le dernier mot ?...

Parfois oui quand elle se sentait faible, femme, triste, comme ce matin, elle aimerait se serrer dans les bras de cet homme... Elle pensait à Ylraw dans ces moments là. Et de penser à lui la dérangeait, car il n'était pas du tout comme elle aurait voulu, il n'était pas très grand, pas très beau, mais il avait quelque chose qu'elle n'expliquait pas, mais qui la rassurait. Une arrogance, une sûreté de soi, une volonté qui la faisait se sentir bien, se sentir protégée, se sentir femme.

Pourtant combien de temps l'avait-elle vu ? Cinq jours... Cinq petits jours, que connaissait-elle de lui ? Qu'avait-elle bien pu connaître de lui en cinq jours qui ait pu faire qu'elle pensât à lui si souvent ? Pas grand chose, et c'était sans doute plus la raison, l'inconnu, l'imagination. Elle rêvait sans doute plus de ce qu'était Ylraw que ce qu'il était vraiment. De ce qu'avait été Ylraw. Ylraw était mort, Ylraw était enterré, elle l'avait vu, elle avait vu son cadavre. Naoma était folle.

Et si elle ne l'était pas ?

Deborah, qui avait rangé les restes du déjeuner et se préparer à commencer sa journée dans le bureau, d'où elle gérait l'ensemble de l'exploitation, fit un détour par la salle de bain pour prendre une douche, qui dura un peu plus qu'elle ne l'eut prévu, puis elle regarda longuement, en retournant dans sa chambre, la carte de Naoma qu'elle avait laissé sur sa table de nuit.

La pierre... Où était-elle d'ailleurs, cette pierre, perdue ? Sans doute quelque part au Mexique ou en Australie ; retournée dans l'océan, peut-être... Et n'était-ce pas encore qu'un délire, cette histoire toute entière ne l'était-elle pas, après tout ? Que savait-elle d'Ylraw, que savait-elle pour être sûre ?

Quelle était cette pierre sur la carte, d'ailleurs ?

Une adresse !

Oui ! Une adresse électronique, inscrite en tout petit à côté de la description de la carte. Une inscription manuscrite, toute petite. Cela ne pouvait être que voulu, un moyen de donner un indice pour recontacter Naoma !

Deborah en laissa tomber sa serviette pour courir dans le bureau et tout de suite répondre au mail, pour ne pas perdre plus de temps, déjà une journée... Mais que dire ? Qu'importait ! Rien et tout, juste qu'elle était là, présente, prête. Elle se retint avant d'envoyer un simple "Bien reçu, prête" en concédant que toutes les précautions prises par Naoma pouvaient être mises à mal si elle répondait avec l'adresse électronique qu'elle utilisait habituellement. Elle alla donc se créer une adresse sur un site générique de courrier électronique sur Internet. Elle reformula un nouveau message de la même veine avec sa nouvelle adresse et bénéficia d'une bonne dose d'adrénaline quand elle l'envoya, légèrement tremblante et le ventre noué. Elle se rassit un peu plus profondément sur la chaise et eut déjà voulut avoir la réponse. Elle regarda les courriers arrivés depuis la veille et revint dans des préoccupations plus quotidienne sur ce qui l'attendait pour la journée en cours. Elle téléphona tout de suite à deux personnes qui se plaignaient d'une commande non conforme, et passa plus d'une heure au téléphone avec un fournisseurs récalcitrant.

L'heure tourna, ses tracasseries habituelles reprirent le dessus et elle en oublia son mail, Ylraw, et Billy. Billy. lui, ne l'oublia pas, et à 10 heures 20 il arriva devant le ranch de Deborah. Deborah qui fut doublement prise de panique, d'une part parce qu'elle avait complètement oublié qu'elle devait rappeler Billy, et surtout parce qu'elle réalisa qu'elle était encore nue, et que même si c'était Billy elle préférait éviter de se présenter ainsi devant lui.

Que lui dire ? Oui, non ? Peut-être ? Ah mince ! Pourquoi les choses allaient-elles toujours si vite, pourquoi fallait-il toujours devoir se décider à la seconde. Elle n'avait pas envie, pour l'instant, de se marier avec Billy, soit, mais pas forcément pour toujours, elle sentait bien qu'un jour elle voudrait gérer cette grande exploitation et faire la nique à tous les autres exploitants du coin, parce que c'était elle, parce qu'elle était une fille, une femme. Mais était-ce une raison bien suffisante ? Que ferait-elle une fois qu'elle y serait parvenue ? S'ennuierait-elle comme elle commençait déjà à s'ennuyer ? Voudrait-elle toujours aller plus haut ? Finirait-elle par tomber ?

Pour l'instant elle décida de faire croire qu'elle venait de se réveiller et passa un peignoir avant d'aller ouvrir en présentant une tête ébouriffée associée à une humeur grincheuse.

- Billy.

Il l'embrassa, elle se laissa faire.

- Deborah, je viens à propos de ce que je t'ai dis hier soir, tu sais...

Elle le coupa.

- Hier soir ? Ah oui, tu sais Billy...

Il la coupa à son tour, puis ils parlèrent en même temps :

- Je sais que le mois de février approche, mais on peut juste prévoir ça pour un peu plus tard, je...

- Je crois que je n'ai pas envie de me marier...

Ils restèrent silencieux un instant, Deborah regrettant de ne pas l'avoir laisser parler, elle aurait pu remettre à plus tard la discussion, Billy regrettant d'être venue, il n'aurait pas dû la réveiller, elle était toujours de mauvaise humeur le matin, bien sûr qu'elle allait dire non !

- Je suis désolé, je te réveille, peut-être que tu préfères qu'on en parle un peu plus tard.

Il avait mal, tellement mal de dire ces mots, il l'aimait, il l'aimait tellement, il aurait fait n'importe quoi pour elle.

- Ce que je veux dire Billy, c'est que ta proposition m'a surprise, je ne m'y attendais vraiment pas, et je pense que pour l'instant je ne sais pas encore trop ce que je veux, je ne veux pas te dire non, mais je ne veux pas te dire oui non plus, ce n'est pas que je ne t'aime pas, c'est juste que je ne sais pas, tu comprends ?

- Oui.

Il n'avait rien compris.

- Tu veux prendre ton petit déjeuner avec moi ?

Elle avait déjà déjeuné, lui aussi, mais elle avait de nouveau faim, Billy pas vraiment, mais que ne ferait-il pas pour juste rester près d'elle, elle qu'il ne voyait que trop rarement, elle qui le fuyait, presque, avait-il l'impression.

Billy suivit Deborah dans la cuisine, elle sortit de quoi faire plus qu'un bon petit-déjeuner, elle mourait de faim. Pourquoi, pourquoi mourait-elle de faim ? La carte, le mail, oui ! Ah, il lui fallut sur le champs aller dans le bureau pour vérifier. Pas de réponse, ah ! Elle revint pensive vers la cuisine, Billy crut qu'elle était triste, et il crut que c'était de sa faute. Il ne savait pas quoi dire, et Deborah avait la tête ailleurs.

Finalement, après avoir à peine touché son muffin, il prétexta qu'il avait quelque chose à faire et partit, ne pouvant plus supporter le silence de Deborah. Il la haïssait, parfois, d'être si distante, si froide, si cruelle envers lui. Il ne demandait pourtant pas beaucoup, un peu d'amour, qu'elle lui dise qu'elle l'aime de temps en temps. Elle ne lui disait jamais, peut-être une fois ou deux depuis quatre ans qu'ils sortaient ensemble. Même quand il lui faisait l'amour, elle ne se laissait pas aller à lui avouer... Il ne savait vraiment pas quoi faire. Il savait très bien qu'elle était la femme de sa vie, qu'elle ne pouvait être qu'elle, mais il savait aussi qu'il en souffrirait pour le reste de ses jours, qu'elle reste avec lui ou pas...

Deborah le raccompagna jusqu'à sa voiture et se blottit dans ses bras pour lui dire au revoir. Il savoura cet instant et oublia presque tous ses doutes. Elle lui laissa un baiser et il partit, souriant. Deborah aimait bien Billy, il était gentil, grand, pas mal foutu, plutôt mignon. Mais il n'avait pas de caractère, pas assez, elle avait sans doute besoin d'asservir un homme avec un peu plus de difficulté, Billy était trop gentil, beaucoup trop. Elle avait besoin de confrontation, sans doute un complexe résiduel de sa relation avec son père.

C'était sans doute la raison de ses échecs sentimentaux. Elle avait toujours cherché des hommes grands, beaux et forts, sans vraiment se préoccuper de leur caractère. Ylraw avait cassé cette idée là, elle ne le trouvait pas spécialement beau, tout juste mignon, il n'était pas beaucoup plus grand qu'elle, peut-être un ou deux centimètres, mais il lui tenait tête, il était beaucoup plus fort qu'elle, et elle avait fondu dans ses bras, pour une des rares fois elle s'était sentie faible face à lui, faible et réconfortée dans ses bras...

Elle retourna à ses affaires, et rapidement elle fut de nouveau concentrée sur la gestion quotidienne de l'exploitation. La journée passa, la suivante aussi. Elle ne vit pas Billy, s'engueula avec son père pour un fournisseur qu'elle avait remballé en sachant très bien que son père était bien ami avec lui. Elle tomba à cheval, ce qui ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps, et se foula une cheville. Le surlendemain matin, sa cheville était tellement douloureuse et enflée qu'elle décida d'aller voir un médecin pour vérifier que rien n'était cassée.

C'est ce matin là, juste avant qu'elle ne prît la voiture pour aller à Bryan voir son amie à l'hôpital, que la réponse vint :

"J'ai besoin de mon ancien passeport. Va chez moi le récupérer et retrouve nous à Melbourne chez elle. Ne rien dire à personne."

Son père l'attendait dans la voiture, elle eut juste le temps de lire le message, déjà préparée à ce qu'il lui ralât dessus de lui prendre de son temps à cause de ses bêtises alors qu'il avait bien d'autres choses à faire. Son père aimait bien sortir avec ses copains, aller faire des poker et prendre du bon temps, mais il n'enpêchait que c'était un bosseur, qu'il faisait sans broncher ses douze à quatorze heures par jour, ne prenait presque jamais de vacances et ne rechignait jamais à la tâche.

Ils ne parlèrent pas pendant tout le trajet. Deborah pestait intérieurement sur la malchance de cette entorse. Qu'allait-elle faire ? Partir dès son retour ? Elle pouvait à peine marcher ! Aller chez lui ? Où ? En France ? À Paris ? Non, sans doute dans son petit village, ses parents avaient déménagé son appartement de Paris. Trouvez son ancien passeport ? Mais comment, où pouvait-il être ? Chez ses parents, sans doute, mais comment le récupérer sans ne rien dire à personne ? Le voler ? Impossible, aucune chance de le trouver alors qu'elle n'avait pas la moindre idée de l'endroit où ses parent avaient bien pu le ranger...

Une béquille et un bandage à garder au moins une semaine, voilà qui n'arrangea pas beaucoup les affaires de Deborah. Elle ne savait pas vraiment que faire, ni même que répondre, oui, non ? Devait-elle donner une date ? Devait-elle se débrouiller toute seule ? De retour chez elle, elle resta perplexe une bonne heure devant son ordinateur. Elle pouvait simplement répondre qu'elle ne pouvait pas, qu'elle s'était fait une entorse, cassée la jambe ? Qu'elle ne pouvait plus marcher ?

Peur ! Elle avait peur ! Elle attendait une occasion comme celle-ci depuis toujours et maintenant elle avait peur. Peur parce qu'elle ne savait pas quoi faire, peur parce qu'elle savait qu'Ylraw avait été poursuivi par des gens qui voulaient le tuer, peur parce qu'elle ne voyait pas comment se débrouiller seule en France, elle ne parlait pas un mot de français, peur parce qu'elle aurait voulu savoir exactement que faire, et ne pas être livrée à elle même.

Elle avait peur ! Non ! Deborah Brownwood n'avait jamais peur ! Elle irait ! Diable ! Elle prendrait son baluchon et partirait pour la France le jour même, entorse ou pas. Elle irait à Austin prendre l'avion, d'ici deux jours elle serait peut-être chez les parents d'Ylraw, trouver un moyen pour récupérer son ancien passeport, et dans une semaine maxi elle pouvait être chez Naoma.

Mais comment aller à Austin, comble de la malchance c'était son pied droit qui avait l'entorse, difficile de conduire dans ses conditions, ce n'était pas le moment d'avoir un accident. Elle pouvait demander à Billy, il pourrait même peut-être venir avec lui, il pourrait peut-être l'aider, peut-être que cette aventure le rapprocherait de lui, peut-être qu'elle lui donnerait la témérité qu'il lui manquait ? Non ! "Ne rien dire à personne". Elle devait se débrouiller seule, elle était assez grande, quand même ! Elle prendrait le bus pour Austin, il lui fallait juste trouver un moyen pour se rendre au départ du bus. Son père pourrait comprendre, elle n'allait pas partir en voleuse.

Elle pouvait toutefois dire qu'elle allait passer une semaine chez sa cousine à Austin. Son père se douterait sans doute de quelque chose, mais plus d'une escapade avec un amant qu'un voyage pour la France. Billy serait moins facile à convaincre, mais il n'avait pas à le savoir après tout. Il aurait pu l'emmener à Austin, toutefois. Son entorse pourrait être une excuse idéale, après tout ! Elle ne pouvait pas faire grand chose, c'était le moment idéal pour prendre un peu des vacances, une semaine chez sa cousine était plus que plausible, ou même chez sa meilleure amie de Bryan...

Elle souriait, satisfaite de son plan, et boita jusqu'à sa chambre pour préparer ses affaires. Elle dénicha ses habits les plus solides, pris de bon jeans et une veste chaude, elle n'avait aucune idée du temps en France, mais il ferait sans doute moins chaud qu'au Texas. Quant à l'Australie, elle ne se posa même pas la question. Ils allaient sans doute être prudent à l'aéroport, impossible d'emporter un pistolet ou même un couteau...

Départ

Elle décida finalement de ne rien dire à personne, et de simplement expliquer à son père que vu son pied, elle allait passer quelques jours à Austin chez sa cousine. Elle dut lutter plus d'un quart d'heure pour faire rentrer toutes les affaires qu'elle voulait emporter, dont une grosse veste, dans son petit sac de voyage, de façon à ce que son père ne se doute de rien, étant donné qu'elle avait souvent l'habitude de partir chez sa cousine les mains vides ; elles faisaient la même taille et Deborah se contentait souvent de lui chiper ses vêtements. Son père le remarqua tout de même et elle dut inventer qu'elle ramenait cette veste à sa cousine, car elle lui appartenait et que Deborah lui avait emprunté voilà bien longtemps.

Deborah se rappela alors une des paroles d'Ylraw, toujours se compliquer la vie, remplir ses sacs de choses inutiles ou prendre le plus long chemin, car un jour ou l'autre la vie nous était reconnaissante. Elle sourit en s'imaginant partir à chaque fois avec un sac énorme chez sa cousine, et se représentant la tête de son père en la voyant... Mais bon, il était trop tard, et elle devrait se contenter de son petit sac, ce qui n'était pas forcément une mauvaise chose, car si de la route l'attendait, le moins elle aurait à porter le mieux ce serait. Son père insista pour l'accompagner jusqu'à Austin, sous le prétexte de rendre aussi une petite visite à la famille.

Deborah dut faire nombre de clins d'oeil à sa cousine en arrivant pour ne pas qu'elle parût étonnée de la voir, elle avait complètement oublié de la prévenir, qu'une fois de plus, elle lui servait de prétexte. Mais sa cousine était plus qu'habituée et son père ni vit que du feu. Il ne s'attarda pas et rapidement Deborah put expliquer son intention de partir en France à sa cousine. Sa cousine ne comptait pas vraiment pour le "ne rien dire à personne", Deborah avait une entière confiance en elle, depuis toutes les années où elle lui avouait ses secrets sans que jamais aucune fuite ne se produisît.

Pourtant avec son pied sa cousine eut nombre de raisons de la retenir et la persuader de remettre son voyage à plus tard, mais elle savait à raison qu'elle ne parviendrait jamais à convaincre cette tête de mule de Deborah. Cinq heures plus tard, Deborah se trouvait dans un avion pour la France, ou plus exactement pour sa correspondance à Dallas. Elle avait tout de même réussit à se dénicher un vol de dernière minute à tarif préférentiel, voulant tant que faire se pouvait économiser le maximum d'argent, ne sachant que trop combien il lui faudrait dans cette aventure. Ce vol était loin d'être idéal, départ à minuit et demi, quatre heures d'attente à Dallas, et arrivée à Paris uniquement le lendemain pour 10 heures. Elle aurait sans doute trouvé un vol mieux organisé le lendemain, mais elle se sentait de partir ce soir là, et avait peur de trop réfléchir en passant la nuit chez sa cousine, la nuit porte trop conseil, parfois.



Sarah Fra 11333 - Ève 11338

Naissance

Nous étions le douzième du troisième du premier sixième de l'année 11333 du calendrier d'Adama (62 avant Jésus-Christ). Melinawahaza marchait doucement dans le blizzard glacial de Fra, enveloppée sous son épaisse combinaison pour regagner sa maison. Elle avait ses deux mains qui tenaient son ventre rond comme si elle avait peur de perdre son bébé, sa fille, qui allait naître aujourd'hui. Elle espérait que Teegoosh serait arrivé avant qu'elle ne naquît, elle voulait tellement partager avec lui ce moment formidable. La naissance de leur fille, la naissance de Sarah.

Elle traversa les innombrables sas et le long conduit qui l'amena un peu plus au creux de la terre, là où le sol garde un peu de chaleur, dans sa demeure principale où elle vivait seule depuis si longtemps.

Les points où la communication fonctionnait sur Fra étaient assez rares, principalement du fait de la forte teneur en minerai métallique de la croûte superficielle de la planète, ainsi que du puissant champ magnétique en résultant un peu partout. Seul des émetteurs récepteurs très directionnels et de forte puissance permettait à Mélinawahaza et aux habitants de Fra de garder le contact les uns avec les autres. Mais rares n'étaient pas les fois où certains d'entre eux disparaissaient loin de tout point de communication et n'étaient jamais retrouvés.

Teegoosh n'avait pas laissé de message, il n'était sans doute pas encore arrivé à la station de téléportation en orbite, l'unique de Fra, si faible était les mouvements démographiques en provenance ou à destination de cette planète au glorieux passé.

Mélinawahaza n'en fut pas désappointée. Elle avait confiance en Teegoosh et savait qu'il ferait son possible pour arriver à temps, mais que son emploi du temps chargé primait souvent sur sa vie personnelle.

Son bracelet lui indiqua l'imminence de contractions, elle s'assit alors et souffla en les laissant passer. Sarah n'allait pas tarder, Melinawahaza déposa sa lourde combinaison protectrice et se rendit dans la chambre. Elle déposa à portée de main une barre-trousse-à-outils, se déshabilla, enfila une nouvelle combinaison et s'allongea sur son lit, ouvrit son bracelet et regarda avec enthousiasme l'ensemble des indicateurs la concernant elle et Sarah. elle pouvait voir un holographe de la position de Sarah dans son ventre. Sarah avait la tête en bas, et ne tarderait sans doute pas à vouloir montrer le bout de son nez.

Elle eut de nouveau une série de contractions, se cambra un peu, souffla à fond, la combinaison envoya une décharge d'ultra-son pour détendre ses muscles et elle se rallongea. Le rythme cardiaque de Sarah avait augmenté un peu, se stabilisant à cent quarante pulsation par minute ; son col utérin avait à peine commencé son raccourcissement et l'estimation lui donnait encore trois heures avant la naissance. Il aurait sans doute fallut quatre fois plus de temps si elle n'avait pas eu de combinaison pour l'assister.

Elle resta encore une demi-heure à attendre, espérant que Teegoosh pourrait arriver encore à temps, puis, deux séries de contractions plus tard, elle se résolut à commencer l'accouchement. La combinaison se morpha pour lui écarter les jambes en enveloppant fermement son ventre rond.

À la prochaine série de contraction, le bracelet commanda une sécrétion d'adrénaline, la combinaison amplifia les contractions, et déjà son col utérin commença son raccourcissement. Quinze minutes plus tard le bracelet déclencha une nouvelle séries de contractions, appuyé par la combinaison, et toujours une petite dose d'adrénaline pour limiter la douleur et donner du courage à Mélinawahaza. Elle poussa néanmoins un petit soufflement de douleur et diminua les commandes de sécrétion d'adrénaline, de quoi garder des réserves pour la suite.

Elle commanda la combinaison pour qu'elle lui fasse une perfusion et augmente un peu son taux de glycémie. Quinze minutes plus tard, elle cria en jurant quand elle voulut en faire un peu trop. Elle s'assagit et se donna trente minutes de repos. Après sa première heure d'effort, elle entrepris une nouvelle avec une série de contraction contrôlées toutes les dix minutes. C'était déjà beaucoup et le rythme cardiaque de Sarah avoisinait les cent soixante-dix, elle s'octroya dix minutes de pause quand son canal utérin fut dilaté et prêt pour s'ouvrir et laisser passer la tête de Sarah.

Le bracelet déclencha une micro-injection d'un équivalent de la morphine et la combinaison se morpha pour participer à l'écartement de son vagin, et préparer la réception de la tête de Sarah. Les contractions furent fortes et la combinaison les fit durer cinq minutes au lieu des une minute trente naturelles. Mélinawahaza serra les poings en haletant et cria de rage en poussant et se cabrant. Elle retomba en soufflant et la combinaison laissa retomber la tension pendant cinq minutes.

Vingt minutes plus tard elle finit par laisser la combinaison en mode automatique, trop craintive de faire une bêtise si elle continuait à tout superviser, et elle s'abandonna, laissant le bracelet la diriger complètement. Il lui laissa tout de même le contrôle de sa voix, et elle ne se priva pas de pousser des cris de douleur lors des contractions de plus en plus fréquentes et fortes.

La tête de Sarah était déjà dans les pinces morphées de la combinaison quand au milieu d'un cri elle sentit quelqu'un la prendre par la main. Elle ouvrit les yeux et Teegoosh lui sourit. Elle lui répondit, transpirante et haletante, mais toujours avec une pointe d'humour, qu'il arrivait pile poil au bon moment et qu'elle aurait eu du mal à la retenir plus longtemps.

Vingt minutes plus tard Teegoosh déposait Sarah sur le ventre de sa mère, et la combinaison se chargeait de superviser l'évacuation du placenta et le nettoyage du tout. Teegoosh, guidé par son bracelet, qui était en concertation avec celui de Mélinawahaza, prit la barre-trousse-à-outils pour couper et cautériser le cordon ombilical. Il nettoya ensuite le corps de sa fille du vernix caseosa la recouvrant, cette matière sébacée blanchâtre, puis il enfila le premier bracelet élastique au petit poignet de Sarah, qui ne servira que de relais à celui de Mélinawahasa pour qu'elle puisse garder un oeil sur elle, où qu'elle soit.

Teegoosh embrassa Mélinawahasa, il embrassa Sarah, puis se déshabilla et s'allongea au côté d'elle et de sa fille, sa première, avant que le lit ne se morphât en un petit cocon moelleux et chaud pour leur première nuit tous les trois.

L'artificiel réveilla Mélinawahasa pour nourrir Sarah, après que celle-ci ait reçu pendant la nuit les premières attention de l'artificiel pour s'assurer que tout allait bien. À cette époque c'était déjà les artificiels qui donnaient la première nourriture aux bébés. Melinawahasa le regretta un petit peu quand elle frissonna alors son jeune bébé lui serra doucement son téton avec ses petites gencives. Elle se dit qu'elle voudrait un autre enfant, et peut-être encore un autre après. Puis elle se dit qu'elle n'aurait sans doute pas le temps, et toutes ses préoccupations lui revinrent, mais elle les balaya rapidement en ce disant qu'elle respecterait scrupuleusement les presque cinq ans (trois années d'Adama) de congé sabbatique qu'elle avait prévu.

Teegoosh sourit quand il se réveilla devant l'allaitement de sa fille. Son premier enfant ! Il espérait secrètement en avoir une autre, une autre fille, mais il pensait que Mélinawahasa ne serait sans doute pas d'accord, et il ne voulait pas s'imaginer pouvoir aimer une autre femme qu'elle. Il avait tout juste 48 ans (30 ans d'Adama) et Mélinawahasa 74 ans (46 ans d'Adama), il avait beaucoup d'ambition, Mélinawahasa tout autant. Elle était déjà beaucoup plus que lui, il n'était rien. Lui n'avait pas prit de congé sabbatique, car personne ne savait rien de leur union, personne ne le saurait, et surtout il pensait avoir trop à faire pour prendre le temps de partager ces cinq ans avec Melinawahasa et Sarah.

Melinawahasa sourit à Teegoosh quand elle s'aperçut qu'il la regardait. Elle regrettait qu'il ne restât que quelques jours, avant de retourner sur Ève. Elle regretta un peu qu'il fût si jeune, qu'il fût si ambitieux, si prêt à tout sacrifier pour satisfaire sa soif de pouvoir. Elle avait cru être capable de le convaincre de rester ces cinq ans avec elle, mais elle s'était trompée.

Teegoosh se dit qu'il pourrait peut-être rester un peu plus que les quelques jours prévus, puis il se rappela son rendez-vous avec son ami Gurantasanove, et admit qu'il ne pouvait pas le repousser. Il s'approcha de Melinawahasa, effleura Sarah de la main, de peur de la blesser, et se blottit contre son aimée. Il se rendormit.

Sarah sentait le goût un peu sucré du lait maternel dans sa bouche, elle aimait et en voulait encore.

Premier jour

Sarah bougeait ses petits bras dans l'air, elle n'avait pas faim, pas soif, elle bougeait ses petits bras, elle avait envie de bouger. De temps en temps, elle bougeait aussi ses pieds, mais elle arrivait moins bien à savoir ce qu'il se passait vraiment quand elle bougeait ses pieds, alors qu'elle voyait ses deux petits bras battre l'air.

L'artificiel de la maison observait attentivement la petite Sarah. Ce n'était pas le premier enfant de l'artificiel, lui-même en avait déjà materné deux auparavant, et indirectement, connecté à des millions d'autres artificiels présent dans la Confédération des fils d'Érimagel, des millions d'autres bébés. Il savait qu'il devait user de toute son attention envers la petite Sarah, pour que ses premiers jours, parmi les plus déterminant pour cette future femme, fussent les plus parfaits possible.

Melinawahasa était dans la pièce voisine, elle mangeait tranquillement des petits pains sucrés spécialement conçus pour elle, pour qu'elle puisse fournir à Sarah un lait de bonne qualité. Elle regardait, un peu énervée, Teegoosh en pleine conversation avec un de ses proches amis, encore, sans doute, à parler de politique. Finalement, par une requête à l'artificiel de la maison, elle le coupa.

- Vous savez, la politique c'est aussi savoir gérer correctement les priorités, et savoir prendre le temps pour les choses importantes. Jugez-vous vos tribulations politiciennes plus importantes que Sarah et moi ?

Teegoosh, d'abord surpris d'avoir perdu la communication avec son ami, s'apprêtait à demander à Melinawahasa ce qu'il se passait, mais elle prit la parole la première et il fut vexé de sa remarque. Il l'admit tout de même et se dit qu'elle avait raison, qu'il était la pour elle, pour elles, et que se laisser dépasser par les événements était le plus sûr moyens de ne jamais arriver à rien.

- Je vous prie de m'excuser, vous avez entièrement raison.

- D'autre part il serait préférable que nous ne soyons pas détectés. J'ai confiance en Marouffasse, mais nous sommes ici, en un sens, plus vulnérable que dans la Congrégation.

Marouffasse, l'artificiel de la maison, témoigna de sa gratitude envers Melinawahasa et lui assura former une isolation parfaite autour d'eux.

Teegoosh vint s'asseoir aux côtés de sa bien-aimé, goûta un de ses pains qu'il ne trouva pas fameux, et en demanda des plus conforme à son goût à Marouffasse. Il embrassa Melinawahasa et la prit dans ses bras. Il aimait cette femme, il l'amait d'amour, il était amoureux, mais finalement ce sentiment le dérangeait, il pensait que l'amour physique, le sentiment amoureux provoqué par la sécrétion d'hormones dans son cerveau, était plus une faiblesse qu'un atout. Il aimait surtout Melinawahasa par sa raison, par cette admiration devant cette femme qu'il considérait bien plus que lui, qu'il considérait plus intelligente, plus raisonnée, plus forte, même. Mais il savait qu'un jour il pourrait devenir plus qu'elle, parce qu'elle avait une ambition limitée par ses valeurs humanistes, la sienne n'avait pas de limites...

Mélinawahasa regretta que Teegoosh fut encore si jeune et irréfléchi. Parfois elle sentait son ambition et elle lui faisait peur, parfois elle se disait qu'il serait prêt à tout pour le pouvoir. Pourtant il avait changé, depuis qu'elle le connaissait, elle se félicitait de lui avoir donné des valeurs, de lui avoir donné des repères, des limites. Mais il n'était pas prêt, il avait encore une vision trop floue des hommes, du bien et du mal. Elle pensait que Teegoosh était moins intelligent qu'elle, mais elle savait qu'il avait plus de volonté, plus la force de se relever sans cesse, plus cette obstination de ne jamais abandonner. Elle ne savait pas si elle, elle pourrait se battre jusqu'au bout.

- Vous savez, Teegoosh, je trouve que vous êtes encore un peu trop impulsif, votre heure viendra sans doute, mais il ne faut pas non plus prendre la vie trop au sérieux. Il y a des hauts et des bas, et rien de sert de s'affoler à la moindre alerte.

- Je sais que vous avez raison, mais Marr 3 est tellement mou ! Chacune des ses déclarations me révolte !

- Aussi mou soit-il, la Congrégation a grossi de trente pourcent sous son égide. Je reste persuadé que son apparente inaction est une stratégie politique, l'ensemble des planètes sans nom et de l'alliance du commerce extérieur n'auraient jamais accepté rejoindre la Congrégation si un chef fort, autoritaire et charismatique avait été en place.

- Marr 3 a fait trop de concessions ! Nous n'avons plus que des exceptions !

- Mais ces planètes sont désormais dans la Congrégation ! Ne comprenez-vous pas que Marr voit à plus long terme, Marr sait que les enfants de ses planètes seront des enfants de la Congrégation, Marr sait que toutes les personnes qui ne sont pas directement dans les rangs des courants dirigeants de ses planètes voyageront dans la Congrégation, s'échangeront avec d'autre personne de la Congrégation, et que dans quelques centaines d'années tous les courants très forts aujourd'hui ne seront plus qu'un souvenir noyé dans une Congrégation plus unie et plus forte.

- Ils n'ont même pas de bracelets compatibles !

- Ils ont accepter d'en avoir un ! C'est déjà gagné pour Marr, bientôt les artificiels seront unis, et les différences s'estomperont !

- Il faudra peut-être des millénaires, alors qu'une négociation plus stricte, comme le préconisait Erglantor, aurait aussi sans doute aboutie, et ils auraient dû accepter toutes les règles. Les populations n'auraient jamais accepté que leur dirigeants abandonnent l'idée de rejoindre la Congrégation !

- Qu'en savez-vous ! Sommes-nous dans la Congrégation ? Non, nous avons notre identité ! Vous n'en avez pas, vous êtes noyé dans les deux cent cinquante milliards de personnes de votre Congrégation, mais un des premier repère d'un être humain est son groupe d'appartenance, sa famille, sa terre. Les gens qui sont nés ici ont préféré subir l'enfer plutôt que de partir ! Pourquoi ? Parce que c'est chez eux, la Congrégation c'est perdre son identité, c'est devenir anonyme.

- Vous savez très bien qu'une des raisons principales de l'indépendance des fils d'Érimagel est la richesse gigantesque créé par le générateur à différentiel gravitationnel.

- C'est aussi notre fardeau ! Mais vous ne comprenez pas, vous ne comprenez pas que l'on peut aimer une terre au delà de la logique, au delà du pouvoir, de la richesse, du raisonnable. Les gens aiment ces terre car c'est leur sang ! Ils se sentent vivre ici, ils sont dans une symbiose telle avec ces enfers qu'ils mourraient, autrement.

- Pourtant il y a toujours un exode vers la Congrégation.

- Bien sûr ! L'amour se transforme en haine et en exaspération. Et rarement on tombe amoureux de l'enfer. Mais vous ne comprendrez jamais un tel sentiment, il faut être né en enfer pour l'aimer plus que le paradis.

Melinawahasa énervait Teegoosh, elle lui tenait tête et il se sentait plus faible, il ne supportait pas ça. Pourtant il ne la quitterait pour rien au monde, et il se dit qu'en un sens, ce sentiment même était la preuve de ce qu'elle avançait, que la lutte pour conquérir son amour le liait à elle de liens bien plus forts qu'il ne l'imaginait...

- Un jour les gens comprendront que cette obstination est stupide, et ils rejoindront, comme les autres, la Congrégation. Un jour les gens comprendront que s'attacher, simplement parce qu'un jour ils ont lutté, ne relève d'aucune logique, et ils suivront alors la route de la raison.

Melinawahasa se tourna vers lui et le regarda avec ses yeux gris pâles, ses yeux forgé par le froid.

- Je vous crois, Teegoosh, un jour les gens oublieront qu'ils ont perdu ici les trois quarts de leur frères, un jour les gens oublieront qu'en ces terres reposent trente milliards de leur ancêtres morts en moins d'un an, un jour les gens penseront à la Fuite d'Érimagel comme une anecdote du passé, mais ce jour est loin, très loin...

Teegoosh regarda Melinawahasa dans les yeux. Il savait pourquoi il aimait cette femme, il savait qu'il l'avait suivi pendant des années, qu'il l'avait cherchée, attendue. Il savait qu'il n'était rien alors que des milliards de personnes se sacrifieraient sur un mot d'elle, il savait qu'elle était le patriarche de tout un peuple, et qu'il ne voulait rien de plus que devenir comme elle.

Marouffasse sentit que Sarah allait se réveiller, et prévint Melimawahasa, qui s'empressa d'aller auprès d'elle. Elle sourit en voyant son petit bébé. Elle se demanda pourquoi diable les femmes ne voulaient plus faire de bébés, le sentiment formidable de voir cette petite chose. L'impression de devenir plus, l'impression de créer, l'impression d'être un dieu...

Sarah ouvrit les yeux, il lui fallut plusieurs minutes avant de distinguer les formes devant elle. Ses petits yeux n'avaient encore qu'un vingtième de sa future vision adulte, et elle ne distingua qu'une tâche blanche en guise de mère qui se penchait sur elle pour l'embrasser. Elle fut alors envahi par un sentiment doux et agréable quand ses petites narines déjà alertes lui firent reconnaître l'odeur de sa mère. Rapidement elle eut faim et bougea les bras. Elle se sentit voler quand sa mère la souleva pour la prendre dans ses bras, et l'odeur du sein lui donna encore plus envie de ce lait sucré et chaud qui avait déjà coulé dans sa gorge. Les sons graves de la voix de son papa ne l'interrompirent même pas dans son repas.

Teegoosh fut fier de se dire que cette enfant était sienne, et que, pour quelques temps au moins, Melinawahasa serait aussi sienne, et qu'elle le regarderait désormais pour toujours comme le père de son enfant, et qu'il aurait à ce titre une place à part.

7 jours

Sarah serrait fort le doigt de son papa dans sa petite main, elle aimait cette voix, elle aimait les sons graves qui arrivaient à ses oreilles, elle aimait cette odeur. Elle voulait entendre encore ces sons graves si mélodieux à ses oreilles.

- Vous pensez qu'elle m'entend ?

- Regardez son activité cérébrale, elle vous entend de toute évidence. Elle semble même différencier votre voix de la mienne, regardez.

- Me voit-elle ?

Melinawahasa, seule à pouvoir entrer en communication avec le cerveau de sa petite fille, transmit les images à Teegoosh, qui se reconnut difficilement sur la tâche floue virtuellement mise devant ses yeux. Teegoosh bougea la tête, pour suivre à la fois les réactions de Sarah et l'évolution de la vision de sa fille. Elle tourna la tête quand il pencha un peu. Il bougea doucement, puis vite. Mélinawahasa parla et Sarah tourna la tête vers elle, mais elle était trop loin et ne distinguait pas sa maman. Teegoosh parla et Sarah retourna la tête un peu vers lui, mais ne le trouva pas, il était trop éloigné de son champ de vision, encore très étroit.

Melinawahasa s'approcha, et ils virent sur la représentation en trois dimensions de l'activité du cerveau de la petite Sarah les zones relatives à l'odorat s'éveiller puis la sécrétions de sérotonine donnant envie à Sarah d'avoir cette odeur encore plus près. Melinawahasa sourit et prit Sarah dans ces bras. Elle regarda Teegoosh et lui recommanda d'un jour devenir femme pour pouvoir comprendre la joie procurée d'avoir enfanté.

Teegoosh regarda Melinawahasa mais ne dit rien, il fut blessé par sa remarque, il fut blessé de penser qu'après tout il n'était que pour bien peu dans la naissance de Sarah, et que peut-être même Mélinawahasa ne le considérerait plus autant maintenant que sa fille était née.

- Et bien, que vous arrive-t-il ? Votre proche départ vous rend-il mélancolique ?

Après tout, oui, pourquoi pas, être mélancolique, se dit-il...

- Sans doute.

- Il ne tient qu'à vous, mon cher, de ne pas nous laisser.

- Je ne vous laisse pas.

- Et que faîtes-vous donc alors ?

Teegoosh leva les yeux vers Melinawahasa, il se dressa, s'éloigna de quelques pas.

- Je fais ce qu'il y a de bon pour la Congrégation.

- Si vous le pensez vraiment, alors oui, je vous soutiens, mais faites bien attention de toujours différencier ce que vous pensez être le bien et ce qu'il faudrait qu'il soit pour satisfaire votre ambition.

Teegoosh savait que même sans aucune forme de bracelet, Melinawahasa lisait en lui comme dans un livre ouvert, il savait qu'il n'avait nul besoin de cacher son ambition, de cacher son envie de retourner sur Ève pour conforter sa position auprès de Yarnavasol, et indirectement auprès de Symestonon, même si ce dernier restait un être inaccessible et changeant, et surtout que personne ne parviendrait à arriver à sa hauteur pendant encore des millénaires, et qu'il tenait à son indépendance vis à vis des courants de pensées plus que quiconque.

- Yarnavasol est le plus à même de succéder à Marr 3.

- Yarnavasol est un idiot.

- Je ne suis pas d'accord, il est très populaire sur Ève et les planètes du commerce.

- On peut être populaire et idiot. Ce n'est qu'un opportuniste dont les valeurs varient au grès des avis. Un peu comme vous.

Melinawahasa voulait blesser Teegoosh, elle voulait qu'il comprenne qu'on ne bâtit pas un empire sur de l'ambition, mais sur des idées.

Teegoosh fut effectivement touché par les paroles de sa bien-aimée. Il savait qu'elle ne le considérait pas, il savait que pour elle il n'était encore que du vent, mais en un sens il s'en moquait un peu, car lui pensait au contraire qu'on bâtissait une destinée sur de l'ambition, car ce qui comptait c'était l'homme, pas les idées.

- Je vous ai blessé, mais j'ai bon espoir que vous changiez, Teegoosh. J'ai bon espoir que vous soyez prêt, un jour, à tout sacrifier pour vos idées.

- Qui d'autre que Yarnavasol peut-il bien apporter le renouveau dans la Congrégation, qui donc pourrait unir les dernières confédérations ? Yarnavasol n'est pas si impopulaire chez les fils d'Érimagel.

- Et je le regrette. Mais il ne le sera pas longtemps, et quand notre générateur sera de nouveau complètement opérationnel, les avis changeront de nouveau. C'est maintenant ou jamais le moment de nous faire revenir, mais Marr 3 ne s'y lancera pas.

- Il est trop peureux.

Melinawahasa lui lança un regard noir de l'avoir coupée.

- Il a l'intelligence de comprendre que de dompter un animal blessé est une illusion. Les risques qu'il se rebelle une fois de nouveau sur pieds sont trop importants.

- L'estimez-vous donc autant que cela ?

- Non, mais il est l'homme qu'il faut à la Congrégation dans ces temps de compromis. Toutefois je ne pense pas qu'il saura convaincre les confédération indépendantes restantes de rejoindre la Congrégation, pas plus que ne le sera Yarnavasol.

- Qui alors ?

Melinawahasa regarda Teegoosh dans les yeux, et lui répondit d'une voix plus douce :

- Pourquoi pas vous, mon cher ?

Teegoosh en eut un frisson de bonheur. Elle croyait donc en lui ! Puis il eut un frisson de désarroi, se servirait-elle de lui dans le seul but de permettre la réunification des fils d'Érimagel à leur avantage ?

- Vous vous servez donc de moi ?

- Bien sûr, mon homme, vous êtes le père de mon enfant, ne l'oubliez pas.

- Vous servez-vous de moi dans le but de faciliter la réunification des fils d'Érimagel ?

- Les fils d'Érimagel ne sont plus, Teegoosh, nous sommes désormais les planètes de glaces, Érimagel nous a quitté.

Mélinawahasa fit une pause.

- Je me sers de vous comme vous vous servez de moi, très cher.

Teegoosh sourit, que pouvait-il donc contre elle ?

Un mois (deux petits sixièmes)

Sarah avait presqu'oublié ces sons graves, mais quelque chose en elle s'en remémorerait à jamais. Elle voyait désormais ce visage, certes de manière encore imparfaite et flou, mais elle savait la différence entre celui-ci et celle de l'autre personne. Elle préférait l'autre personne, car souvent cette autre personne était proche de ce lait. Pourtant il avait changé, moins sucré qu'il ne l'était, mais toujours aussi bon. Sarah sourit quand elle entendit la voix de sa maman, pas ce sourire réflexe, un vrai sourire, l'envie qu'elle la prenne dans ses bras.

- Vous a-t-elle manqué ?

- Je crois.

- Vous n'en êtes même pas sûr ! Et moi, vous ai-je manqué ?

Teegoosh reposa Sarah dans son petit lit et prit la main de Mélinawahasa. Il la regarda dans les yeux un instant.

- Il n'y a pas un jour où je ne pense pas à vous, vous le savez très bien.

- Pourtant vous me semblez bien occupé.

- Des rumeurs courent sur le départ probable de Marr 3.

- J'ai entendu ces rumeurs, tout comme celles de la découverte possible d'hommes de l'Au-delà.

- Celles-ci sont sans doute fausses, par contre plusieurs personnes d'Adama, proche des gens du Congrès, m'ont confirmé que Marr 3 a été très éprouvé par sa confrontation avec les planètes sans nom, et que les avis le trouvent un peu trop conciliant.

- Ah ! Vos avis ! Que seriez-vous sans eux !

- Ils sont la plus fidèle représentation de ce que veut la Congrégation, ils sont la meilleure forme de démocratie.

- Balivernes ! Laisseriez-vous votre petite Sarah choisir elle-même ce qui est bon pour elle ?

- Vous jugez donc que la plupart des gens de la Congrégation ne sont que des enfants ?

- Laisser les gens exprimer leurs avis de manière impulsive, c'est écouter leurs pulsions, leur envie de sécurité, de plaisir, leur orgueil. Le pouvoir n'est pas inné ! Le pouvoir s'apprend.

- Le système hiérarchique des fils d'Érimagel n'est pas à mes yeux plus équitable.

- D'une part ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas, et ensuite je reste persuadé que le système mis en avant dans la Congrégation sera la plus belle façon d'aller vers l'immobilisme.

- Pourtant la Congrégation est loin d'être sclérosée par les avis, nous avons une progressions supérieure à celle des confédérations périphériques.

- Parce que vos avis ne sont qu'un leurre ! Ne voyez-vous pas que vos jeux de pouvoir sont tout aussi important que chez nous ! Exactement de la même manière que nous, vous avez des personnes qui maîtrisent le pouvoir et en usent.

- Pourquoi êtes-vous contre les avis, alors ?

- Parce qu'ils n'apportent rien de plus, notre système ne cache pas sous une fausse démocratie la notion de pouvoir. Quand un jour nous aurons des avis qui permettent un partage plus raisonné du pouvoir, je pense que les fils d'Érimagel les accepteront.

- Je trouve votre position un peu extrême, je vous pensais plus en faveur de la démocratie.

- Je n'ai jamais été en faveur de la démocratie.

Teegoosh fut un peu désorienté par la réponse de Mélinawahasa.

- Je persiste à penser que la plupart des gens se moquent du pouvoir et de leurs compatriotes, et que les impliquer à tout prix dans les décisions communes est une erreur.

- Ceci est la porte ouverte à toutes les dérives autoritaires du passé !

- Je n'ai pas dit non plus qu'il fallait donner le pouvoir à n'importe qui.

- Comment choisir ?

- C'est bien le problème. Mais vos avis, tels qu'ils sont actuellement, n'apportent pas la solution, car le pouvoir dans la Congrégation passe par bien plus de méandres que les avis seuls.

- Pourtant la gestion du pouvoir dans la Congrégation se passe plutôt bien.

- Pas mieux qu'ici.

- Ici rien n'est plus normal, votre équilibre n'est pas encore revenu.

- Oui, nos frères nous manquent toujours...

Mélinawahasa se rapprocha un peu de Teegoosh, et lui passa la mains sur la joue.

- Vous me manquez aussi, Teegoosh.

Teegoosh la prit dans ces bras, Sarah sourit en voyant les deux formes ne faire plus qu'une, Maroufasse baissa les lumières. Parfois Teegoosh détestait Mélinawahasa, dans ses oppositions incessantes, dans sa réticence à admettre ce qu'il disait, dans ses choix si égoïste, dans son indépendance injurieuse. Pourtant il l'aimait plus qu'il n'avait jamais aimé aucune femme, plus qu'il ne se le serait jamais permis avant de la rencontrer. Car il savait qu'elle ne laisserait pas son amour devenir un béatitude monotone, et qu'il devrait sans cesse se battre pour le mériter.

Mélinawahasa n'était pas très grande, mais elle dépassait Teegoosh, lui-aussi plutôt petit. Elle demanda à Teegoosh de la serrer fort dans ses bras. Elle se sentait si seule. Sa petite fille ne lui permettait pas encore d'avoir un retour d'affection. Elle aimait Teegoosh, pas parce qu'il lui tenait tête, tous les hommes de caractère tiennent tête, mais parce qu'il était beaucoup plus attentionné qu'il ne le paraissait, et parce qu'il le deviendrait sans doute encore plus. Elle savait qu'il était important qu'il passât du temps avec sa fille, qu'il apprenne, avant de diriger les hommes, à déjà être père.

Ils n'avaient pas fait l'amour depuis presque un sixième. Melinawahasa en avait envie, pourtant il était encore un peu tôt pour elle, seulement deux petits sixièmes après l'accouchement. Elle avait utilisé un guérisseur pour accélérer la cicatrisation de son utérus, mais elle n'était vraiment complète que depuis quelques jours, et elle avait peur d'avoir mal. Elle savait que Teegoosh était préoccupé, trop préoccupé, et bien souvent perdu dans ses pensées, et pas vraiment là, près d'elle, dans son petit coin de chaleur à plus de cent kilomètres (cent quadri pierres) de tout voisin. Elle aimait l'isolement, se retrouver seule, loin de tout, aller chaque jour marcher dans le froid environnant, pour observer la nature tourmentée par les températures montant rarement au dessus de -12°C (descendant rarement en dessous des 40 trièmes), et plus souvent autour de -26°C (45 trièmes). Mais la situation s'améliorait un peu depuis la remise en route du générateur gravitationnel et l'aide, modérée, des artificiels. Il n'y avait encore que dix ans, il faisait bien 28°C de moins (10 trièmes de plus).

Mais ils firent néanmoins l'amour. Mélinawahasa aimait la façon dont Teegoosh lui faisait l'amour, pas tellement qu'elle avait plus de plaisir, mais il était à la fois rude et tendre, un peu timide et pourtant plutôt doué. Il redoubla de tendresse, de peur de la blesser, mais Mélinawahasa, si elle ne jouit pas, eut tout de même du plaisir et peu de douleur. Teegoosh savait l'écouter pour lui faire l'amour comme elle le désirait, mais il partait trop vite après, déjà dans ses pensées, déjà loin d'elle.

- Reste avec moi, Teegoosh.

Teegoosh fut surpris qu'elle ne le vouvoie pas. Il comprit qu'elle voulait être proche de lui quelques instants, qu'elle ne voulait pas qu'il pense à autre chose qu'elle. Il comprit aussi que cette femme était une chance et que chaque instant passé en sa compagnie à penser à autre chose était une erreur, une perte, du gâchis...

- Je reste, ne vous inquiétez pas.

Il se rapprocha d'elle.

- Comment va notre petite Sarah ?

- Très bien, Maroufasse m'aide beaucoup, j'avoue que l'apport des artificiels est appréciable, je suis parfois un peu perdue.

- Il faut savoir les contrôler, mais leur aide est immense. D'après eux il n'est pas nécessaire de donner un compagnon avant les six mois de Sarah, mais ensuite ce sera un moyen d'accélérer son éveil, sa capacité d'apprentissage, et sa socialisation.

- Ces jouets me font un peu peur, mais c'est indéniable que leurs apports sont impressionnants. J'avais joué il y a quelques années avec le jeune fils de Gagarou, qui n'a qu'un peu plus de 3 ans (2 ans d'Adama), il y avait aussi la petite fille de Marlyne, qui est élevée à la méthode plus traditionnelle, qui a pourtant déjà presque 5 ans (3 ans d'Adama), et bien j'avais presque une discussion construite avec le petit, alors que la fille se perdait sans cesse dans ses pensées.

- Certains jeunes sont plus doués que d'autres.

- Certes, mais la différence m'a tellement frappé que j'ai juger qu'une précocité n'était pas suffisante pour l'expliquer.

- Les parents ont beaucoup à jouer, aussi.

- C'est bien ce qui m'inquiète, Teegoosh.

- Je prendrai du temps pour ma fille, et pour vous. Actuellement les choses sont toutefois un peu complexe, mais j'aurais sans doute plus de temps bientôt.

- Ne vous leurrez pas, Teegoosh, vous aurez de moins en moins de temps, si vous ne savez pas prendre du temps maintenant, vous ne le saurez jamais.

- Voudriez-vous que je reste avec vous tout le temps ?

- Je comprends qu'il soit important, dans cette période charnière, de garder le pied dans l'activité politique de Ève, mais éduquer et comprendre la psychologie de Sarah doit aussi être une priorité pour vous. Cela vous apportera beaucoup sur la connaissance et la compréhension des hommes.

Teegoosh savait que Mélinawahasa avait raison, et il savait aussi qu'il était trop pressé. Il aurait déjà voulu que Yarnavasol le prît dans son équipe, mais il n'était encore rien, et passer même deux ans auprès de Mélinawahasa et Sarah ne serait pas catastrophique pour sa carrière. Il réfléchit un peu et se dit qu'il pourrait s'imposer de passer un sixième sur deux avec elles. Il préféra toutefois ne rien promettre, sachant très bien qu'une fois de nouveau dans le feu de l'action, il aurait bien du mal à le quitter.

Il était tôt mais Mélinawahasa s'endormait doucement. Elle était très fatiguée. Maroufasse l'aidait beaucoup, mais elle passait beaucoup de temps auprès de sa petite fille, et négligeait un peu de prendre soin d'elle. Elle rêva d'Érimagel, elle rêva de sa fuite, du noir, de l'ombre, du froid, de la mort. Comme chaque nuit, finalement.

Sarah rêva aussi, de couleur, d'odeur, de la voix de son père. Elle se réveilla dans la nuit, elle avait mal au ventre. Maroufasse lui fit sécréter un peu de morphine et elle se rendormit. La douleur n'était que passagère et elle aurait réveillé Mélinawahasa pour bien peu. Maroufasse prenait autant soin de la mère que de la fille, le tout était une symbiose, et il ne fallait négliger aucun des éléments. Il se dit après coup qu'il aurait pu réveiller Teegoosh, juste pour lui faire consoler sa fille, et enregistra dans ces petites cellules artificielles d'agir ainsi à la prochaine occasion. Occasion qui ne se présenta qu'au petit matin, quand il réveilla Teegoosh une minute et quinze secondes seulement (un petit sixième de trente-sixième) avant qu'il ne prédise le réveil de Sarah.

Teegoosh avait accepté de laisser Maroufasse interagir avec lui et se leva promptement pour être près de Sarah quand elle ouvrirait les yeux.

Trois mois (un sixième)

Sarah ouvrit les yeux dès qu'elle entendit la voix de sa mère. Elle savait désormais avec certitude que c'était cette personne toute blanche qui parlait ainsi. Elle pouvait la voir qui bouger autour d'elle. Elle la suivait souvent du regard, elle aimait bien la voir bouger. Elle souriait quand elle la prenait dans ses bras, et encore plus quand elle sentait l'odeur qui annoncer le goût dans la bouche, ce goût qu'elle aimait tant. Elle aimait cette voix, elle aimait rester là à écouter cette voix lui parler, dire toutes ces choses, elle aimait le mot 'Sarah', la personne le disait souvent et elle aimait la façon dont il sonnait à ses oreilles. Elle aimait aussi le mot 'Teegoosh', elle aimait l'impression acidulée que lui donnait la prononciation de ce mot. Mais par-dessus tout, elle aimait le mot 'maman'.

Mélinawahasa parlait de Teegoosh à sa fille, elle se disait parfois que de parler de lui compenserait son absence. Il lui manquait, lui, pas uniquement son esprit, elle pouvait l'appelait presque quand elle voulait, même si elle se refusait à être systématiquement l'appelante. Mais ils devaient converser au moins une fois tous les trois jours. Mais c'est lui qui lui manquait, son corps, se sentir dans ses bras, se sentir près de lui avec sa fille. Quatre petits sixièmes qu'il n'était pas venu, c'était long, trop long. Elle ne voulait pas le supplier, pas que l'idée de paraître faible devant lui la gênât, elle aimait s'y adonner, au contraire, mais elle voulait qu'il comprît par lui même son importance, elle voulait qu'il vînt par envie et non par obligation.

Teegoosh était encore loin, il était sur Ora, une des planètes du commerce principale. Pour la première fois, il discutait avec Yarnavasol en tête-à-tête, pour la première fois, il fut complètement d'accord avec Mélinawahasa sur cet homme, ce n'était qu'un opportuniste qui n'avait aucune conviction. Il eut alors envie de revoir sa douce, et deux heures et quart seulement après sa discussion (trois trente-sixièmes), il se préparer à être téléporté sur Fra. Quatre jours plus tard, il garait son glisseur dans le long tunnel menant à l'entrée de la résidence de sa Belle, cinq cent vingt mètres plus bas (trois tri-quadri pierres).

Mélinawahasa fut surprise de le voir, mais elle lui en voulait.

- Teegoosh, vous auriez pu me prévenir, je ne vous attendais pas.

Teegoosh fut vexé par une telle remarque, alors qu'il s'attendait à un accueil chaleureux.

- Préférez-vous que je reparte.

- Si votre susceptibilité est supérieure à votre amour, oui, je le préfère.

- J'aurais pensé avoir un meilleur accueil.

- Après que vous aillez annulé deux de vos visites, n'ai-je pas des raisons de vous en vouloir ?

- Aurai-je envie de vous faire de nouveau des surprises, si je suis accueilli ainsi ?

- Comprenez que j'aurais pu de pas être là, ou avoir de la visite, il serait fâcheux que vous arriviez dans une telle situation.

- Certes, vous avez raison, je serais plus prudent à l'avenir. Avez-vous de la visite de prévu dans le prochain sixième ?

- Non, pourquoi donc, me feriez-vous l'honneur de revenir avant ?

- De ne pas partir.

Mélinawahasa ne put s'empêcher d'avoir un sourire et le regard qui pétille quand elle comprit que Teegoosh allait rester trois mois complets (tout un sixième) avec elle. Elle s'approcha de lui et se laissa prendre dans ses bras.

- Vous allez vraiment rester tout ce temps avec moi ?

- Oui, le sixième entier.

- Merci beaucoup, mon homme, vous me manquiez, vous savez.

- Vous étiez déjà beaucoup pour moi, ma chère, mais je crois que je sous-estime encore votre valeur, j'ai sans doute plus à apprendre à vos côtés qu'entouré des meilleurs politiciens d'Ève.

Mélinawahasa embrassa Teegoosh, son homme, et resta un long moment dans ses bras, avant de le tirer doucement pour aller voir sa fille.

Sarah entendit de nouveau ces sons graves, elle sut qu'il venait de cette nouvelle personne. Elle le voyait mieux désormais, elle voyait son regard, elle pouvait le suivre des yeux. Elle tendit les bras, elle avait envie que cette nouvelle personne la prît dans ses bras et lui parle encore. Elle pouvait désormais tourner facilement la tête et bouger les bras. Teegoosh changea de voix et lui parla doucement, mais Sarah préférait les sons graves. Elle poussa un petit cri de désarroi. Teegoosh rigola et elle aimat ce rire, elle poussa de nouveau un petit cri identique.

- Elle aime votre rire, mon cher, elle aime le rire de son papa.

- Me comprend-elle, désormais ?

- Non, pas encore, il faudra encore deux sixièmes pour qu'elle commence à comprendre le sens de certains mots.

- Peut-elle tout de même retenir certains éléments de notre conversation ?

- Non, pas encore, la cohérence d'onde de son cerveau est encore imparfaite, et elle se désynchronise encore fréquemment, empêchant une mémorisation réflexe efficace, mais cela devrait disparaître d'ici à un sixième, et alors sa mémorisation deviendra très efficace.

- Rêve-t-elle ?

- Pas encore au sens ou nous l'entendons, ses nuits sont peuplées d'images, mais elles ne sont pas encore complètement une forme de classification et de mémorisation. Ses rêves ne sont pas construits, elle ne maîtrise pas encore suffisamment ses sens pour que son cerveau puisse construire des situations oniriques pseudo-réelles.

Mélinawahasa regarda Teegoosh s'amuser avec Sarah. Sarah semblait heureuse, Mélinawahasa l'était aussi, mais elle avait peur que Teegoosh reparte. Elle en avait tellement peur qu'elle n'osait même pas lui demander s'il allait vraiment rester quoi qu'il arrivât. Elle s'étonna de cette crainte, elle s'étonna, elle, qui avait subi tant d'épreuve, de ne pas avoir le courage de demander cette simple chose. Elle en conclut finalement que c'était plus un rêve qu'une crainte, se laisser l'opportunité de croire qu'il resterait vraiment un peu plus que quelques jours. Elle sourit en réalisant qu'elle aimait cet homme, alors qu'elle avait cru ne plus pouvoir aimer. Elle s'approcha de lui et se colla contre son dos pour le prendre dans ses bras.

- Aviez-vous quelques autres affaires à régler sur Fra pour vouloir rester si longtemps ?

- Oui.

Mélinawahasa regretta d'avoir posé cette question, elle se dit qu'elle aurait pu simplement imaginer, se persuader, quelques jours au moins, qu'il n'était là que pour elle. Elle ne dit rien.

- J'ai une enfant à éduquer et une femme à choyer.

Mélinawahasa sourit et se serra contre lui.

- Je vous aime, Teegoosh.

Teegoosh fut surpris d'une telle parole. Il reposa Sarah et se tourna vers Mélinawahasa. Il l'embrassa longuement. Il eut envie d'elle et elle de lui. Maroufasse baissa les lumières et ils s'allongèrent sur leur lit. Un cocon pudique les entoura et ils se retrouvèrent avec plaisir.

Mélinawahasa aimait faire l'amour avec Teegoosh, elle était auparavant très réservée et considérait l'acte comme une certaine forme d'irrespect, comme un simple assouvissement des plaisirs primaires. Mais Teegoosh lui avait appris à en faire un moment d'échange, un moment de parole, un moment de découverte du corps de l'autre, des envies de l'autre, un moment de plaisir partagé. Désormais, elle parlait, elle lui demandait, elle n'avait plus honte de lui sommer de la pénétrer, de la lécher, de lui faire toute ces choses qu'elle se refusait, voulant à tout prix ne paraître qu'intellecte, alors qu'elle savait désormais que c'est dans la symbiose entre le corps et l'esprit que se trouve le bonheur, et elle avait passé de nombreux jours à fantasmer sur le retour de Teegoosh, et son envie réfléchie dépassait même son envie physique. Elle avait encore quelques douleurs à son utérus qui lui gâchait un peu le moment, mais elles étaient bien moindre désormais.

Elle lui parlait dans le creux de l'oreille, si doucement qu'il l'entendait à peine, comme si cette conversation devait rester inconnu de son inconscient :

- Alors, que me vaut la joie de ta présence ?

- Moi aussi, je t'aime, Mélina.

- Ne m'aimais-tu donc pas, avant ?

- Je vous aime encore plus, Mélina.

- Que me vaut tant d'honneur ?

- J'ai parlé avec Yarnavasol, juste avant de venir.

- Il vous faut l'avoir vu de près pour me croire ?

- Oui, je dois encore manquer d'expérience.

- Sans nul doute.

- Dites-moi, vous l'avez trouvé inconsistant, superficiel, faux-charmeur, hypocrite ?

- Exactement.

Mélinawahasa n'en dit pas plus, elle avait sa victoire et elle savait qu'un vainqueur doit se taire. Elle embrassa Teegoosh et se rendormit au creux de son épaule. Elle rêva, encore et toujours, d'Érimagel, Érimagel qui lui prenait son fils, encore et toujours, chaque nuit.

Sarah les réveilla, par Maroufasse interposé, suffisamment tard dans la matinée pour qu'ils eurent le temps de profiter de leur nuit. Ils eurent une journée calme et tranquille, s'amusant principalement avec Sarah. Mélinawahasa fut heureuse, Teegoosh aussi.

Teegoosh, deux semaines plus tard (un petit sixième), redevint pensif. Mélinawahasa le vit et en fut attristée, pensant qu'il allait revenir sur sa promesse de rester un sixième entier. Elle ne voulait pas qu'il se retint de rester.

- Vous savez, Teegoosh, je ne voudrais pas que vous restiez ici par complaisance.

- Où irai-je ?

- N'avez-vous donc pas quelques affaires en cours sur Ève ?

- Yarnavasol est un idiot, vous aviez raison, je n'ai rien à faire avec lui, je n'ai rien à faire avec eux. Mon heure n'est pas venue, il me faut trouver des convictions, il me faut trouver une flamme, ma douce.

- J'avoue qu'il est plus simple que le feu vous trouve que de trouver sa flamme.

- Elle était l'ambition, mais je vous crois qu'une ambition pure ne fera rien de plus de moi qu'un être fade et superficiel comme Yarnavasol. Il me faut être plus, il me faut forger des convictions.

Mélinawahasa eut alors la faiblesse de croire qu'il allait peut-être rester plus longtemps, qu'il allait peut-être rester deux, trois sixièmes, peut-être un an, car il faut du temps pour qu'un homme devienne un homme, même si le froid de Fra était une pouponnière d'hommes plus efficace que les fastes de la Congrégation.

Un an (quatre sixièmes)

Sarah se réveilla et fit comprendre à son nounours et son tigre, ses deux artificiels de compagnie, qu'elle voulait rejoindre ses parents. Chacun la sermonna dans une langue propre qu'ils dormaient encore et qu'ils valaient mieux attendre. Mais Sarah n'en avait fit, elle voulait aller les voir ! Elle galopait désormais à quatre pattes à un point qu'ils devaient souvent la contraindre de rester calme quelques instants pour se reposer et les écouter. Mais les deux petits artificiels, encore presqu'une fois et demi plus grand qu'elle, étaient rarement contre faire quelques bêtises avec elle. Une fois proche du cocon, elle se dressa sur ses deux jambes et frappa à le plat de ses mains pour qu'ils lui ouvrissent. Le cocon s'entrouvrit et elle tendit les bras pour que son papa l'aide à venir se blottir entre eux. Sarah alors entreprit de réciter les cinq mots qu'elle connaissait.

- Elle mélange les trois langages qu'elle entends, ne serait-il pas préférable que nous utilisions des artificiels qui parlent comme nous ?

- Ne vous en faîtes pas, Teegoosh, après tout c'était vous le grand défenseur des artificiels d'apprentissage.

- Oui, je ne reviens pas dessus, mais je me demande s'il ne vaut mieux pas attendre qu'elle maîtrise correctement une langue avant de lui en inculquer plusieurs.

- Au contraire ! Son esprit est capable de prouesse à cet âge, elle mettra peut-être un peu plus longtemps à démêler les trois langues, mais elle n'en sortira que plus dégourdie. N'était-ce pas votre cas ?

- Si, mais je ne me rappelle pas que mes parents fussent inquiets par un retard d'élocution.

- Nous nous inquièterons pour ses un an, qu'en pensez-vous ?

- Oui, vous avez raison.

- Serez-vous encore là ?

- Je prends goût à votre rythme de vie, nos petites sorties le matin, nos discussions... Vous prendre dans mes bras...

- Ne vous leurrez pas trop non plus, ce n'est pas réellement ma vie. J'ai moi aussi beaucoup d'occupation en temps normal, rappelez-vous nos difficultés pour nous voir auparavant.

- Certes, mais je pense qu'il faut avoir un peu goûter à tout pour comprendre les gens, pour comprendre leur aspiration, pour comprendre qu'il n'est pas nécessaire de toujours monter plus haut pour être heureux.

- Heureuse de vous l'entendre dire.

Sarah sentit l'odeur du sein de Mélinawahasa, et comme appris par sa maman, elle le montra du doigt. Mélinawahasa se rapprocha et se pencha sur le côté, Sarah prit délicatement le sein et commença à téter, elle savait que si elle allait trop vite elle pourrait en être privée. Elle n'écouta plus les mots des grands, et la voix grave de son papa ne devint qu'un fond sonore, mais elle l'aimait toujours autant.

- Avez-vous des nouvelles de vos amis sur Ève ?

- Très peu, je ne garde le contact presqu'avec Gyras, pour tous les autres je suis en retrait sans durée déterminée.

- Quelle raison leur avez-vous donné ?

- Que je voulait prendre du recul pour mieux définir ce que je voulais faire.

- Avez-vous parlé de votre fille à quelqu'un ?

- Non. Pensez-vous que nous devrons la garder cachée.

- Cachée, non, notre relation, et encore plus notre fille, serait sans doute malvenue dans la période difficile qui touche les fils d'Érimagel. Ma diplomatie envers la Congrégation m'a souvent été reprochée.

- Où Sarah grandira-t-elle ?

- Dans un premier temps ici, bien sûr, mais il lui faudra le contact d'autres enfants, pour développer sa socialisation. J'ai peur toutefois que nous ne devions choisir, ensuite, entre la Congrégation ou ici, il serait malvenue de la faire transiter entre les deux.

- Notre relation devra rester secrète ?

- Pourquoi ? Seriez-vous fier à ce point ?

- Vous resterez dans l'histoire, Mélina.

- Bah, vous savez, Teegoosh, c'est souvent le désespoir qui nous fait marquer notre époque, et c'est malheureusement la peine qui nous pousse à tout cet héroïsme. Vouloir marquer l'histoire par ambition, c'est s'assurer d'y laisser une trace sombre.

- Ne croyez-vous pas que Kalisse ou même Moriandre étaient motivé par une certaine forme d'ambition ?

- Une ambition, certes, l'ambition de vouloir faire changer les choses, ou l'ambition de prouver qu'ils avaient raison, mais je ne crois pas que l'un ou l'autre, ou même des personnes encore plus emblématiques comme Guerroik ou Antara, n'avaient comme ambition de rester dans l'histoire.

- Oui, Guerroik et Antara avaient sans doute la pression de vouloir libérer leur peuple, mais Moriandre, que voulait-il vraiment ?

- Vous pensez qu'il aurait pu restez sur Ève juste pour laisser son nom ?

- Cette histoire de sacrifice me parait un peu trop tarabiscotée. Certes, il fut tout à fait louable de sa part de laisser sa place, mais à ce moment là je ne suis pas sûr qu'il savaient déjà que le générateur allait lâcher. Les chances de survie était absolument nulle en estimation, rester aurait été du suicide pur et simple.

- Il aurait alors sans doute découvert trop tard que sa seule chance de survie serait de tenter d'utiliser l'ancienne flotte de colonisation.

- Ou simplement a-t-il eut de la chance qu'elle passe sur un écran radar peu avant ou après que le générateur lâche, et il n'eut alors d'autre solution que de tenter le tout pour le tout.

- Devenant un héros qui sauva presqu'un million de personnes, alors qu'il voulait simplement, peut-être, devenir l'administrateur privilégié d'Ève.

- Ce qu'il devint, non sans une certaine forme de succès.

- En mettant en place cette évolution stimulée chère à votre coeur.

- Votre système ne la renie pas.

- Je ne la renie pas non plus, je pense juste que l'erreur est de vouloir la pousser à l'extrême, c'est très différent de lutter contre les éléments et la nature, ou de lutter contre ses frères pour ne pas qu'ils nous écrasent.

- Je vous avouerais que l'évolution d'Ève ces derniers siècles m'inquiètent en effet un peu, beaucoup de gens de pouvoir profitent beaucoup trop de leur position sans que le système n'en bénéficie en retour.

- Vos avis montreraient-ils leur limite ?

- Je vous crois sur ce point, si les gens ne sont pas impliqués ils s'en moquent. Ceux qui ont le travail sur Ève ont pu s'assurer tellement de reconnaissance qu'ils deviennent très puissants, et pas toujours en bien. Il faudrait sans doute trouver un moyen de rendre les gens plus regardant, plus critiques.

- Obligez-les à travailler.

- Obliger à travailler ? C'est absurde !

- Nous obligeons bien nos enfants à parler, à être propres, n'est-ce pas aussi absurde, pourquoi en ont-ils besoin, aujourd'hui ?

- Après tout les citoyens de la Congrégation retireraient un certain sens civique s'ils participaient un peu.

- Tout à fait, nous ne parlons pas ici de tâche ingrate ou de labeur, simplement d'avoir l'obligation d'exécuter quelques actions d'intérêt commun.

- Pour rendre les gens plus attentif à l'évolution de la Congrégation.

- Et de mieux tempérer l'utilisation des avis.

- C'est une idée qui va plutôt à l'encontre de la tendance du moment. Même Yarnavasol n'est pas aussi extrême.

- Cette idée va dans les deux sens, elle est moins extrêmes que les positions élitiste de Yarnavasol, tout en supposant qu'il en résultera une plus grande égalité, ce qui va dans le sens du contrôle de Marr 3 et son acolyte Ypnochampo.

Sarah avait terminé de téter, elle sentait que l'attention n'était pas spécifiquement tournée vers elle, elle s'empressa alors de couper son papa et sa maman de grand cri pour rétablir l'ordre, elle aimait les avoir tout à elle.

19 mois (un an)

Sarah adorait marcher. Elle marchait tant qu'elle s'en sentait la force, demandant même parfois à un de ces cinq artificiels jouets de l'aider à marcher voire de la porter. Elle préférait toutefois son ours et son reptile, qui la suivait depuis qu'elle avait trois sixièmes. De plus elle parlait désormais parfaitement leur langue, tout comme elle parlait très bien la langue de son papa et de sa maman. Mais elle avait encore du mal avec les trois nouvelles langues de son nouveau petit cochon, petit tigre et petit singe. Sarah avait le droit désormais, à condition que ces amis l'accompagnassent, d'aller dans presque tous les couloirs de la grande demeure de sa maman, sauf ceux qui allait vers le haut, car en haut il y avait le froid, et Sarah n'aimait pas le froid. Les escaliers étaient toutefois encore très éprouvant pour elle, et si elle aimait bien monter un peu au niveau en dessus pour pouvoir faire des roulades sur le parterre moelleux, elle n'aimait pas descendre, et depuis quelques temps sa maman refuser de venir la chercher, alors qu'avant elle pouvait toujours compter sur elle pour la porter.

Mais aujourd'hui Sarah voulait faire plaisir à sa maman. Sa maman était triste depuis quelques jours, Sarah le sentait, et elle était plus attentionnée, elle ne la défiait pas incessamment, et rester proche d'elle pour lui faire des câlin, ou confectionnait avec fierté des petits dessins en trois dimensions avec son ardoise magique.

Mélinawahasa accueillit avec le sourire le dessin de sa fille, même si elle voyait mal ce que ces carrés de couleurs représentait vraiment. Elle l'enregistra tout de même, comme tous les autres, pour que Sarah, une fois grande pût regarder avec nostalgie ses premières oeuvres. Mélinawahasa prit Sarah dans ses bras et lui parla doucement. Teegoosh était parti, finalement. Finalement après cinq sixièmes passés à ses côtés il était reparti. Elle avait espéré qu'il resterait plus, elle s'était habituée à sa présence. Peut-être ne lui avait-elle pas assez dit ? Peut-être avait-elle été trop fière pour lui avouer qu'elle voulait qu'il restât, qu'elle le voulait près d'elle.

Mélinawahasa reposa Sarah et eut envie d'aller marcher dans le froid. Elle était triste et elle aimait marcher dehors dans ces cas là, pour reprendre contact avec la vie, avec la nature, et se rendre compte, que oui, depuis le début, elle savait qu'elle serait très seule avec Teegoosh, pas comme avec Marquote, Marquote n'était pas plus attentionné ou affectueux que Teegoosh, mais il était moins ambitieux. Elle savait que Teegoosh lui en aurait voulu à un moment ou à un autre si elle l'avait retenu, trop retenu. Pourtant, elle le regrettait, un sixième de plus, lui en aurait-il vraiment tenu rigueur ? Sans doute pas, mais il fallait qu'il partît, c'était inévitable, alors autant le faire intelligemment, le faire partir plus tôt lui donnera sans doute l'opportunité de revenir plus vite.

Elle ne se consola qu'à moitié avec cette idée, Mélinawahasa avait appris à connaître Teegoosh, elle connaissait les hommes et leur ambitions. Longtemps elle avait cru Teegoosh un simple prétendant sans classe ni stature, puis elle l'avait cru un de ses multiples politiciens nourri par la seule ambition, puis elle avait vu l'homme, caché sous toutes ces facettes, et nourrit d'espoir de le voir surgir. Elle trouvait, en un sens, qu'il avait changé, ne serait-ce que depuis le moment où il était arrivé sur Fra il y a cinq sixièmes. Il avait, elle le souhaitait de tout son coeur, compris l'utilité du pouvoir, de l'ambition, mais surtout des valeurs auxquelles on se rattachait et de l'intégrité.

Mélinawahasa savait que Teegoosh était encore jeune, encore soumis à la pression énorme sur Ève, à la pression de la réussite, à la pression du pouvoir. Pourtant elle savait aussi que cette pression était la clé pour faire sublimer son homme, mais aussi facilement en bien qu'en mal, et qu'il lui fallait être attentive pour qu'il restât dans le droit chemin. Parfois elle se sentait si faible dans ses bras, devant toute son énergie, parfois elle se sentait si frustrée par son inexpérience, par sa prétention à tout comprendre, tout connaître. Que connaissait-il !

Sarah manifesta son envie de bouger, elle n'avait pas trop envie de rester trop longtemps sur sa maman, elle aurait aimé aller voir son papa, mais elle ne le trouvait nulle part, et elle s'inquiétait un peu. Elle décida alors de partir de nouveau à sa recherche, dans tout les recoins de la maison. Sarah avait encore un peu du mal à distinguer les choses de loin, ce qui lui valait de devoir faire de nombreux détours avant d'avoir complètement vérifié le contenu d'une pièce. Heureusement que son reptile ou son tigre étaient souvent d'accord de la prendre sur leur dos.

Mélinawahasa se dit qu'elle avait déjà passé un an sur les trois qu'elle s'était donné. Son retour était encore loin, pourtant cette année était passée si vite. Elle se demanda si elle ne préférerait pas, finalement, rester dans cette vie tranquille. Après tout elle avait payé son dû, elle avait lutté corps et âme à la sauvegarde de ces mondes, elle pouvait bien prétendre à quelques repos. Elle savait pourtant, que, elle aussi, un jour, elle voudrait retrouvé la douce sensation du pouvoir, la douce sensation d'être écoutée, regardée, admirée, aimée... Elle ne comprenait que trop bien cette ambition, cette volonté, comme le disait Teegoosh, de marquer son temps, de rentrer dans l'histoire, d'être un guide pour tout un peuple.

3 ans (2 ans)

Sarah maîtrisait désormais sept langues, et elle aimait converser avec ses animaux de compagnie de chose et d'autre. Elle leur posait des tas de questions, dont elle se satisfaisait ou pas de la réponse. Elle tentait aussi parfois de faire parler certain dans une autre langue que la leur, pour les faire parler entre eux. Elle était désespérée qu'ils ne parlassent pas entre eux. Impossible de les faire jouer ensemble, ou de leur expliquer à tous la même chose en une seule fois, elle devait systématiquement traduire dans toutes ces langues, c'était très fastidieux. Elle savait maintenant courir, sauter, tenir sur un pied, elle aimerait aussi croiser d'autres enfants. Sa mère lui disait souvent qu'il y avait plein d'autres enfants identiques à elle, mais elle ne savait pas où, elle n'avait jamais vu que ses compagnons animaux, sa maman, et son papa. Mais son papa n'était plus là. Elle l'avait cherché, pourtant, cherché et cherché encore, mais elle ne l'avait jamais retrouvé.

Mélinawahasa regardait avec le sourire sa fille en train d'expliquer les règles du jeu à ses artificiels. Certains comprenaient, d'autres pas et faisaient n'importe quoi. Sarah s'énervait alors, tentait de réexpliquer. Parfois à bout de nerf elle excluait carrément un de ses animaux du jeu, mais retournait bien vite après le chercher dans son coin, pour se faire pardonner. Mélinawahasa était très contente de tout ses artificiels, ils avaient un comportement très proche de Sarah, très proche d'enfants en bas âge, et Mélinawahasa regrettait moins que sa fille ne fût seule, elle s'était inquiétée, au début, que son isolement ne la rende un peu trop associale et solitaire, mais elle avait au contraire aiguisé grâce à ses artificiels un sens du partage et de la négociation tout à fait convenable.

Mélinawahasa savait aussi que les enfants, malheureusement, ne courraient pas les rues, et encore moins sur Fra, et qu'il lui faudrait parcourir des quadri pierres et des quadri pierres pour pouvoir en rencontrer. Ce problème était d'ailleurs inhérent à l'humanité toute entière, et même plus problématique encore dans la Congrégation, ou le nombre d'enfant était encore moindre. Mais les gens étaient presqu'éternels, alors...

Mélinawahasa était très satisfaite de sa fille, elle était à la fois curieuse, trop même, dynamique, discrète. Un peu trop discrète même parfois, elle s'accommodait de ses amis et n'en voulait pas plus. Mélinawahasa, presque, aurait voulu un nouvel enfant, un petit frère pour sa Sarah. Elle savait qu'il était encore un peu tôt, mais son isolement, sa solitude, et Teegoosh qui ne revenait pas l'avait rendu mélancolique. Un an qu'il n'était pas revenu, certes, son retour avec toutes ses nouvelles idées, dont ils avaient parlé et reparlé pendant les cinq sixièmes qu'ils avaient passés ensemble, lui avait permis de rapidement créer un courant de pensée sur Ève, où il avait mettait en avant son nouveau point de vue sur la répartition des pouvoirs et l'intérêt de la participation civique par le travail obligatoire. Il avait même eut son premier écho sur Adama. Mélinawahasa était fière d'avoir aidé Teegoosh à se forger une ligne de conduite. Elle ne retirait aucune jalousie de rester dans l'inconnu alors que son homme, son homme oui, était reconnu pour ces idées nouvelles. Pourtant elle aimerait, tout de même, qu'il vînt de temps à autre la remercier, voir sa fille, l'aider, l'aimer. Certes maintes fois ils conversait au téléphone, et il passait parfois plusieurs trente-sixièmes en virtuel pour se retrouver, mais il n'était pas physiquement là, et si les sensations le lui rappelait, si son corps se souvenait de lui, elle savait que ce n'était qu'illusion, et qu'il n'avait pas fait l'effort de venir, pas prit le temps de perdre un petit-sixième pour passer quelques jours avec elle. La téléportation de Teegoosh était un peu plus longue sur Fra, car son initial se trouvait là, sans quoi il n'aurait pu avoir d'enfant. Teegoosh avait fait ce sacrifice, il avait fait transporter son initial sur Fra, il y a dix ans, alors qu'ils ne sortaient pas encore ensemble. Mais Teegoosh savait alors déjà qu'il voulait d'elle. Le voyage avait durée 15 ans (dix années d'Adama), d'Ève, pour que l'initial arrive sur Fra. Les deux systèmes étaient assez proche, ce fut une chance, chance aussi qu'il fallu à Teegoosh exactement dix ans pour qu'il parvienne, enfin, à séduire Mélinawahasa. Quand elle repensait à ce voyage, elle se disait qu'elle n'aurait jamais, elle, prit un tel risque, prit ce risque pour l'homme qu'elle aimait, de quitter Fra. Mille fois elle aurait préféré mourir ici, de son vrai corps, dans ces terres, que de partir je ne sais où. C'était aussi une des raisons pour lesquelles elle avait accepté d'être avec Teegoosh, pour saluer son sacrifice. Pas qu'elle n'appréciait pas l'homme, mais elle n'avait sans doute pas cru, au début, pouvoir l'aimer autant. elle pensait ne plus pouvoir réellement aimer un homme, après le départ d'Érimagel, qui lui avait pris son homme, son vrai.

Mélinawahasa s'en voulu d'avoir eu cette pensée. Teegoosh était son homme désormais, Martai avait disparu, il n'était plus et rien ne servait de se lamenter sur le passé. Elle l'avait cru sauver, elle avait cru l'avoir mis hors de danger, mais non, c'était une erreur, un manque de chance, la fatalité... Teegoosh était son homme et pourtant elle savait pourquoi elle avait des pensées négatives à son sujet en ce moment. Il ne venait pas la voir, comme s'il l'avait eue et qu'il n'avait plus à se battre pour elle. Parfois elle avait envie de le quitter, elle avait envie de le quitter juste pour lui rappeler qu'elle existait encore, et qu'un sym tous les trois ou quatre jours ne remplaçait pas sa présence. Elle n'hésitait plus désormais à lui rappeler qu'elle voulait le voir ici, elle avait mis sa fierté de côté, mais elle se disait aussi, qu'après tout, s'il ne voulait plus la voir, qu'il en fut ainsi, elle n'allait pas le supplier et pouvait très bien vivre sans lui. Elle regrettait un peu pour sa fille, néanmoins, elle avait peur qu'elle n'oubliât son père...

8 ans (cinq ans)

Sarah tomba à la renverse quand Petriocho la poussa en se moquant d'elle, la petite fille qui ne connaissait pas le bracelet. Elle se releva pour lui rentrer dedans, et en moins de deux il fut lui aussi la tête dans le sable, sous les éclats de rire de ses copains. Ceux-ci s'apprêtèrent à lui filer une bonne correction, mais un passant intervint avant, et Sarah se fit sermonner pendant les trois petits de trente-sixièmes (un peu plus de vingt minutes), que la personne passa pour la ramener chez elle. Sarah marchait à côté de lui, tentant vainement de lui faire comprendre que c'était elle la victime, mais la personne ne voulait rien savoir, et ne cessait de marmonner qu'il n'arrivait pas à joindre le responsable de Sarah. Elle finit par lui dire que son papa ne lui parlerait jamais, et qu'il ferait mieux de la laisser. La personne s'énerva et cria presque sur Sarah. Elle ne comprenait pas pourquoi ces grands s'évertuaient à toujours lui crier dessus, et ces autres jeunes à se moquer d'elle. Elle finit par pleurer, non pas qu'elle n'aimait pas qu'on lui criåt dessus, elle finissait par avoir l'habitude, mais plus qu'elle en avait marre que tous ces jeunes se moquassent d'elle, que tout ces grands ne la trouvassent pas normale, et que son papa soit si souvent absent. Elle regretta ses animaux de compagnie, et, dans un mouvement brusque, elle lâcha la main de la personne et partit en courant. Elle tomba parterre en s'immobilisant quand le passant la paralysa. Elle pleura de plus belle, maudissant l'incompréhension du monde. Elle voulait juste rentrer chez elle et que son papa la prît dans ses bras, elle n'en demandait pas plus.

Elle vit la personne revenir vers elle et redoubler d'énergie pour la gronder encore plus. Elle continuait à pleurer, elle ne savait pas comment s'en sortir, elle voulait son papa. Heureusement, elle le vit, dans l'abeille qui arrivait ; elle pointa aussitôt le doigt vers lui, et il se posa à deux pas d'elle.

- Vous êtes son père ?

- Oui.

- Teegoosh ! Ah, euh, bonjour, je... Je raccompagnai votre fille.

- Pourquoi, il y a un problème, pourquoi pleure-t-elle ? Pourquoi pleures-tu ?

Sarah se précipita pour s'accrocher à la jambe de son papa, elle était sauvée. Elle sentit son odeur qu'elle aimait tant, et n'hésita pas à dénoncer son bourreau.

- Il m'a grondé parce que je tentais de me défendre contre les garçons !

- Pourquoi avez-vous f...

- Non, pas du tout, au contraire, c'est elle qui a...

- C'est faux ! Petriocho se moquait encore de moi, il m'a poussé et je suis tombé alors je l'ai fait tomber aussi !

Teegoosh se pencha vers sa fille, il se moquait après tout de ce qu'avait à dire la personne, c'est sa fille qu'il écoutait, et c'est elle, il en était persuadé, qui avait raison.

- Oui, je l'ai simplement trouvée en train de pousser ce pauvre garçon, et je voulais la raccompagner chez elle... C'est donc votre fille, je ne savais pas que vous aviez une fille ?

- Non ce n'est pas ma fille. Au revoir.

Teegoosh prit Sarah dans ses bras et l'abeille la cala contre lui. Il partit avant même que la personne n'ait terminé de parler, il ne voulait pas en dire plus, et il n'aimait pas qu'on le vit avec Sarah. En dix minutes ils arrivèrent chez eux, en haut d'une des plus haute tour de la ville de lumière. Il se posa sur la terrasse et déposa Sarah. Ces petits artificiels accoururent et l'entourèrent en l'assaillant de question, son petit singe lui monta sur le dos, elle tomba presque à la renverse.

- Merci, Teegoosh.

- De rien Sarah, alors, raconte moi, qu'est-ce que tu as encore fait ?

Sarah aimait la voix de son papa, elle l'appelait toujours Teegoosh, c'était son nom. Elle comprenait qu'il préférât qu'elle l'appelât Teegoosh, après tout il l'appelait bien Sarah. Elle lui expliqua en long, en large et en travers sa journée, les jeunes qui l'embêtent sans arrêt, les grands qui n'y comprennent rien, et le fait qu'elle préférait être avec lui.

- Je pourrais rester avec toi tout le temps ? Je n'aime pas les autres, ils sont méchants, ou ils sont bêtes.

Teegoosh sourit. Il aimait sa fille, il l'a trouvé alerte et pleine de bon sens. Il était assez fier de son éducation. Il ne doutait pas cependant que Mélinawahasa avait joué pour beaucoup dans ce petit tempérament. Il regrettait toujours devoir rester cacher, devoir prétendre qu'elle n'était pas sa fille. Il était pourtant heureux, là, sur Ève, avec elle, depuis les quatre petits sixièmes (2 mois) qu'ils étaient là, la retrouvant chaque fois qu'il rentrait. Depuis un peu plus d'un an il était administrateur de la province principale d'Ève, et tout se passait bien. Il mettait en pratique sa théorie du travail obligatoire, et les résultats étaient encourageants. Sarah était encore sur Fra, et durant toute son enfance, jusqu'à ses 20 ans (32 ans), elle devrait y rester. Elle n'était sur Ève que pour trois mois, le temps de faire un pause d'exotisme. Habituellement Teegoosh utilisait un clone indifférencié pour son travail sur Ève, lui permettant de presque rentrer tous les soirs sur Fra, pour voir sa fille. Il lui arrivait même par moment qu'il eût envie que la situation n'évoluât pas. Mélinawahasa lui manquait, pourtant, depuis les un an et trois sixièmes (deux ans et cinq mois) qu'il s'occupait presque seul de Sarah. Il ne croisait que Mélinawahasa que de temps en temps, et leur relation était désormais platoniques et cordiales, sans plus. Pourtant il y avait toujours une forme de tendresse entre eux, mais depuis que Martai était revenu, plus rien n'était pareil.

Sa fille avait l'impression d'avoir de moins en moins de mère, à mesure qu'elle grandissait, et il le regrettait. D'autant qu'il n'avait pas envie d'une autre femme que Mélina. Mélina était tout pour lui, désormais il ne l'aurait sans doute plus jamais... Il passait beaucoup de temps avec sa fille, presque tout son temps libre, même s'il dépensait beaucoup d'énergie pour que son administration se passe bien. Il avait comprit que l'ambition devait être un carburant pour le travail et non l'inverse, et il savait que les paroles de Mélina lui avaient été précieuses. Alors il s'attelait à faire son travail du mieux qu'il le pût, en conservant les idées et la ligne de conduite qu'il s'était fixé. Et il était satisfait du résultat. Certes il était moins en vogue que l'ambitieux Yarnavasol, mais les gens parlaient de lui avec le succès de son travail comme exemple, alors que Yarnavasol n'avait fait que du vent qui remue les autres ambitieux moins doués.

Teegoosh était même fier désormais car Yarnavasol lui-même tentait de reprendre à son compte certaines de ses idées. Loin de le sortir de lui, cette technique le confortait dans sa position, et il n'avait aucune crainte de lui, désormais, persuadé qu'il passerait à une nouvelle mode quand une autre théorie prendra le dessus. Teegoosh savait qu'il avait raison, et qu'à force de travail il pourrait sans doute devenir administrateur d'Ève. Mais il n'était pas pressé, car il construisait sa ligne politique tous les jours, comprenant et modifiant ses avis aux vue des résultats, affinant toujours un peu plus ses méthodes. Il lui faudrait sans doute encore un peu de temps avant de vraiment percevoir la politique la plus juste et la plus efficace pour gouverner. D'autant qu'il savait qu'Ève était très particulière, et qu'il faudrait sans doute mettre beaucoup d'eau dans son vin pour convaincre Ghotam et surtout Adama, planètes beaucoup plus conservatrices.

Il décida d'oublier tout ça et de se consacrer un peu à sa fille, il la débarrassa alors de son petit singe et la prit dans ses bras. Il commençait à avoir un peu de mal à la porter, elle dépassait désormais les 8 pierres (24,6 kilogrammes). Teegoosh n'aurait pas cru autant s'attacher à elle. Il pensait aussi que Mélina aurait voulu la garder à tout prix, s'occuper d'elle malgré tout, et ce fut l'inverse qui se produit. Maintenant Teegoosh trouvait en Sarah le calme et le repos pour prendre le recul nécessaire à son poste. Mais Mélina avait eu raison, Sarah lui avait apporté beaucoup, beaucoup plus que le temps perdu ou l'énergie gâchée qu'il estimait au début, beaucoup plus que cette idée fausse qu'il vaut mieux s'occuper de problèmes globaux que de sa petite famille. Il était maintenant persuader qu'on ne peut comprendre vraiment les gens tant que l'on ne les a pas vu enfant, tant qu'on ne les a pas élever, vu grandir, vu dans la plus simple expression de leur envie et de leur caprice. Bien souvent désormais il savait différencier une véritable requête de ses collègues d'un de leur caprice. Il s'étonnait de s'amuser à chercher qu'est-ce qui, enfant, avait pu les traumatiser à ce point pour qu'il ait telle ou telle réaction.

Sarah s'allongea contre son papa, quand il s'assit sur le grand canapé de la salle principale. Elle aimait son odeur, elle aimait se coller à lui. Elle lui raconta en détail, comme chaque fois qu'elle le voyait, tout ce qu'elle avait fait. Elle lui expliqua qu'elle avait appris avec ses animaux le nom de toutes les planètes du système d'Ève, d'Adama et de deux des systèmes des planètes du commerce. Elle lui récita par coeur toute la liste, mais aussi, pour la plupart, une idée de leur diamètre et de leur distance à leur étoile. Elle répondit à presque toutes les questions de son papa sur la différence entre les planètes, celle qui étaient habitées et celles qui ne l'étaient pas, et lui promit de chercher la différence entre une planètes gazeuse et une planète tellurique, ainsi que les date de colonisation de toutes ces planètes habitées.

Il n'était pas très tard, Teegoosh avait annulé, comme il le faisait de temps en temps, une réunion en fin d'après-midi pour passer plus de temps avec sa fille. Il aimait bien cet appartement, en hauteur. Il comprenait difficilement que les gens d'Adama continue à se terrer si profondément sous terre. Il savait qu'il était privilégié d'être ici, mais il savait aussi que pratiquement tous les avis de sa province étaient favorable à ce qu'il occupât cet endroit. Il n'avait d'ailleurs pas du tout de remords à le faire. Il restait persuadé que, dans une certaine mesure, le confort matériel apportait une certaine sérénité et une certaine forme de confiance en soi, dans la mesure où c'était la volonté des gens qu'il y accédât. Il n'avait d'ailleurs toujours par réellement résolu ce dilemme en lui, la relation entre l'ambition et le travail. Le travail obligatoire apportait une première solution au désintéressement des populations à la communauté, mais il restait néanmoins des personnes qui, par leur travail, ne faisaient que nourrir leur ambition et détourner un peu trop les avis en leur faveur.



Ylraw 2 Environ du système Ménochéen principal, jour 376

Orbite

Il me faut bien vingt minutes avant de reprendre mes esprits et de mettre un peu d'ordre dans ma tête. La station, la fuite, le vaisseau, le pote au géant vert, l'explosion, le vide, Sarah, Adam et Ève... J'ai une faim de loup.

Je me redresse doucement, Sarah et à-côté de moi, assise dans sa capsule.

- Moy.

- Oto

- On a pioncé combien de temps ?

- Deux sixièmes pile en ce qui te concerne.

- Pourquoi, vous vous êtes réveillée avant ?

- Tous les petits sixièmes pour contrôler notre trajectoire.

- Tous les petites sixièmes ! Ça fait déjà douze fois que vous vous êtes levée !

- Il faut bien vérifier que tout va bien, je n'avais pas envie de finir crashé sur une géante gazeuse, le vaisseau n'est pas dans sa meilleure forme, je préférais éviter une erreur de trajectoire de sa part.

- Ah, et... Ou sommes nous ? Les étoiles semblent beaucoup plus proche, vous avez rendu les vitres plus opaques. Elles sont vraiment très grosses, ces deux étoiles !

- Le système est très complexe, il est composé de trois étoiles, chacune ayant son système planétaire propre, sachant qu'il semble que ceux de la géante rouge et de la géante bleu rentre en conflit là ou l'influence gravitationnelle des deux étoiles est en équilibre. D'autre part la géante rouge et la géante bleu on aussi un système planétaire commun, principalement des supergéantes gazeuses ainsi que des nuages d'astéroïdes, qui peuvent être les résidus de planètes telluriques éclatées sous les marées gravitationnelles des deux étoiles. Nous avons dérivé dans un premier temps vers une de ces géantes gazeuses dont nous nous sommes servi de la force gravitationnelle pour nous propulser vers le centre du système de la géante rouge, qui semblait contenir plus de planète tellurique que la géante bleu. Après deux bons supplémentaires, nous sommes arrivés dans une zone beaucoup plus éclairée. Le vaisseau a pu recharger ses réserves et faire des premières estimations des planètes telluriques.

- Alors, qu'est-ce qu'il a trouvé de beau ?

- Quelque chose de vraiment extraordinaire, une supergéante tellurique, je n'avais jamais vu une chose pareille. C'est une planète tellurique qui a la masse d'une géante gazeuse. Bien sûr elle est beaucoup plus petite car beaucoup plus dense, mais c'est tout de même très étonnant, d'autant que le système comporte un nombre impressionnant de géantes gazeuses qui auraient dû rendre très difficile la création d'une telle planète.

- Quelle taille fait-elle ?

- Pas loin de vingt-cinq bi-quadri, en rayon.

Whaou ! Ça fait de l'ordre de trente-trois mille kilomètres de rayon, cinq fois la taille de la Terre, c'est énorme !

- C'est gigantesque !

- Oui mais le plus extraordinaire, c'est qu'elle possède douze grosses lunes, dont cinq étaient vraisemblablement des planètes qu'elle a capturées lors de la collision des trois systèmes. Quatre de ses lunes ont un rayon supérieur à trois bi quadri.

Ce qui fait quatre mille kilomètres, la taille de Mars.

- Pour terminer sur le système, il semblerait a posteriori que le choix de la géante rouge soit judicieux, car si la géante bleue possède aussi plusieurs planètes telluriques en orbite compatible avec l'apparition de la vie, celles-ci sont beaucoup trop jeunes pour que nous puissions espérer y trouver un environnement stable. En ce qui concerne la supergéante rouge, c'est un peu l'opposé, son système se meurt, et s'il est lui aussi considérablement fourni, les planètes telluriques dignes d'intérêt ont sans doute déjà été happées par l'étoile ou sont en passe de le devenir.

- Et il y a des planètes qui appartiennent au trois systèmes à la fois ?

- Sans doute, mais elles seraient dans ce cas très éloignées du centre et sans doute complètement en deça de tout seuil d'ensoleillement permettant une atmosphère viable. D'autre part il est à noter que les planètes périphériques subissent des perturbations gravitationnelle très importantes, par exemple les deux géantes gazeuses ici et là...

Sarah me montre sur la carte holographique où elle détaillait les différentes planètes.

- ... sont tellement perturbées qu'elles "changent" d'étoiles de temps en temps, passant de la géante bleue à la géante rouge, et si l'ordinateur calcule encore correctement, ce phénomène semble aussi se produire pour ces trois géantes gazeuses là et là, et dans une moindre mesure pour les nuages d'astéroïdes qui marque la frontières des différentes régions d'influence.

- Et certaines planètes semblent avoir une atmosphère viable ? Elle dort toujours, Énavila ?

- Oui, oui, elle est un peu excitée, je préfère ne la réveiller qu'au dernier moment. En plus je ne sais pas trop si sa capsule a des problèmes, mais son activité biologique n'est pas très stable, j'ai peur qu'elle ne se réveille d'elle même. Si sa capsule tombe en panne, nous sommes fichus. Pourtant tout a l'air en ordre, je ne sais pas si...

- Et pour les planètes viables ?

- Oui, euh, et bien quoi qu'il en soit il semble que six planètes comportent une atmosphère compatible avec l'apparition de la vie, et deux en auraient une proche d'une composition compatible avec l'homme, l'une d'elle est en orbite éloignée de la supergéante tellurique, l'autre orbite plus près de la géante rouge. Actuellement nous sommes en orbite très éloignée de la supergéante tellurique, suffisamment loin pour ne pas nécessiter beaucoup d'énergie si nous devons repartir.

- Repartir ? Est-ce que le vaisseau aurait maintenant assez d'énergie pour repartir vers la Congrégation.

- Je ne crois pas. Enfin techniquement il pourrait sans doute, mais j'ai peur que ce serait sans nous. La zone de confinement où nous nous trouvons a aussi subit des dégâts, et j'ai peur qu'une forte accélération ne l'endommage irréversiblement. Un autre espoir serait de tenter de réparer notre émetteur pour envoyer nos bracelet et permettre notre clonage dans la Congrégation. Je ne crois pas trop à un voyage retour, il prendrait des millénaires et les chances que le vaisseau tombe en rade sont trop importantes...

C'est marrant comme désormais leur éternité n'est plus vraiment lié à une conscience. Nous cloner dans la congrégation reste une mort pour nous, même avec toute notre mémoire... J'avoue que j'ai un peu du mal à accepter l'idée. Pourtant je suis déjà mort, une fois, peut-être deux...

- Mais... Euh... Alors, qu'est-ce qu'on peut faire ? Il faut absolument que nous tentions de réparer cet émetteur, c'est notre seule chance ?

- J'ai bien peur que nous n'ayons pas de chance du tout, je ne sais pas comment réparer cet émetteur, je ne suis même pas sûre qu'il soit cassé. Nous ne recevons rien, d'après le vaisseau l'emetteur n'a été que faiblement touché, il devrait fonctionner, mais j'ai l'impression que le récepteur est cassé.

- Et donc, on fait quoi alors ? On se laisse mourir ? On tente quand même de lancer le vaisseau dans la direction de la Congrégation, même si ça peut nous prendre des millénaires ? On tente d'émettre un truc au cas où ?

- Le vaisseau est censé émettre en permanence des messages de détresse avec nos coordonnées, mais si notre récepteur ne fonctionne pas, nous n'avons aucun moyen de savoir si le message a été reçu ou non...

Je suis complètement perdu, j'ai l'impression qu'on est coincé dans cette petite capsule pour l'éternité. Heureusement que je ne suis pas trop claustrophobe. Le pire c'est de se dire que la moindre ouverture nous serait fatale, aucun échappatoire, pas d'air pur au dehors, pas de cloison à détruire, juste cette petite bulle au milieu de rien...

- On peut peut-être tenter de se poser sur une de ces planètes à l'atmosphère accueillante, peut-être que nous trouverons de quoi réparer le vaisseau, ou au moins de quoi manger, ou attendre, ou je sais pas...

- Vivre une vie de sauvage en attendant de se faire dévorer par une bête féroce, je me demande si je ne préfère pas rester endormie ici pour l'éternité... Et puis si certaines planètes répondent aux critères d'habitabilité humaine, rien ne dit que le climat ou les éventuelles formes de vie à la surface seraient favorables. Nous n'avons pas de quoi nous défendre, juste nos bracelets, s'ils fonctionnent encore.

- Mais on ne va tout de même pas rester là à attendre que les choses se passent ?

- Tu as une meilleure idée ?

- Ben, on pourrait choisir la planète la plus accueillante et aller voir ?

- Ah oui, et j'espère que tu te rends compte que déjà il faut arriver à se poser, ce qui ce sera pas une mince affaire avec ce vaisseau, et qu'en plus aucune chance une fois à la surface de pouvoir repartir avec.

- Et ben, quoi ? On va crever dans cette capsule ? Si c'est ça je préfère encore me crashé à la surface d'une belle petite planète.

- C'est ridicule !

Sarah me regarde méchamment, elle est furieuse. Je ne comprends pas pourquoi elle s'énerve de cette façon, je ne fais que donner mon avis.

- Pas la peine de s'énerver, je dis juste que ce que je pense, et puis on devrait réveiller Énavila pour prendre cette décision, elle nous concerne tous les trois.

Sarah crie presque en réponse :

- Non !

- Comment ça non ? Ben, on va pas décider sans elle, c'est quand même pas très sympa de la laisser hors du débat, et puis à trois se sera plus simple pour voter.

Sarah me regarde avec des yeux plein de colère :

- Hors de question qu'on la réveille, et c'est moi qui dirige ce vaisseau !

- OK, et qu'est-ce qu'on fait, alors ?

- On attend que le vaisseau récupère le maximum de ses capacités, et on voit ce qu'on peut faire.

- Ça prendra combien de temps ?

Elle ne répond pas. Je répète :

- Ça prendra combien de temps ?

Elle s'énerve, je ne comprends vraiment pas pourquoi :

- Deux secondes, je cherche !

Je reste silencieux un instant, elle répond finalement :

- Je pense qu'en un petit sixième nous aurons une vision plus complète de ce qui est envisageable de faire.

Un petit sixième, ça va encore, mais je la sens tellement énervée que je ne préfère même pas commenter.

- Nous nous recouchons, alors ?

- Oui.

Je m'allonge dans mon tube, il se referme. J'aurais bien tenté de la convaincre d'aller atterrir sur l'une de ces planètes, mais je n'y connais rien en vaisseau pas plus qu'en atterrissage et encore moins en interrogation de l'ordinateur de bord pour trouver la plus accueillante... Sarah ne me donne même pas cinq minutes d'éveil et je m'endors presqu'immédiatement...

C'est un mal au crane terrible qui me réveille, je suffoque ! Je manque d'air ! Je tape sur le tube, toujours fermé. Rien, je tape plus fort, tente de crier. J'accélère ma respiration, pourtant j'ai toujours autant l'impression de manquer d'oxygène.

Finalement le tube s'ouvre, Sarah et Énavila sont debout, elles se crient dessus. Il y a un vacarme terrible, le vaisseau semble tourner dans tous les sens, nous sommes secoué et je tente de m'accrocher tant bien que mal.

- Qu'est-ce qu'il se passe !

- Retourne dans ton tube ! Retourne dans ton tube !

Sarah me pousse, Énavila retourne aussi dans le sien, je ne fais pas plus d'histoires et me cale à l'intérieur, il se referme. Le vacarme s'amplifie, nous sommes secoués de toute part. Nous avons sans doute percuter quelque chose, à moins que le vaisseau n'ait perdu sa trajectoire et n'ait été attiré par une des lunes.

Tout tremble de plus en plus, le vacarme s'amplifie, j'ai bien peur que nous ne soyons effectivement entrés dans l'atmosphère d'une des lunes. Nous allons nous écraser ! Mince ! C'est trop bête ! Je me cogne de tous les côtés, je tente de me retenir aux parois, mais rien n'y fait, le vaisseau est secoué beaucoup trop violemment. J'ai l'impression qu'il va se disloqué ! Le bruit augmente encore ! Un sifflement assourdissant me donne l'impression que mes tympans vont exploser. Les parois du tube deviennent brûlantes. Je hurle, tout ne fait que s'amplifier, ça semble durer des heures ! Est-ce la mort ? Est-ce qu'on revit pour l'éternité nos derniers instants ?

Le choc ! Une pression extraordinaire m'écrase !



Thomas France

Promenade des Anglais

Carole ne put s'empécher de briser le silence après que la vieille dame ait terminé son histoire :

- Mais, Seth ne vous connaissait pas ? Comment vous a-t-elle trouvé ?

- Étienne lui avait parlé de moi, je pense que c'est la raison pour laquelle elle est venue nous unir.

- Mais ensuite ? Qu'est devenue Seth ? Avez-vous eu des nouvelles, gardé le contact ?

- Étienne lui écrivit de temps en temps, à une adresse rue Mouffetard, elle répondit jusque dans les années 30, puis il n'eut plus de nouvelle. J'écrivis simplement une dernière lettre, en 1997, après la mort d'Étienne.

Soudain Thomas se redressa :

- Mais oui ! Je l'ai lue !

Carole regarda Thomas sans réellement le prendre au sérieux.

- Comment ça tu l'as lue ?

- Oui, quand Stéphane a suivi Mathieu Tournalet, dans Paris, celui-ci est allé à une petite maison dans le cinquième. Il m'a recommandé ensuite d'y aller jeter un oeil. Et c'est là que j'ai trouvé des tas de lettres, et justement une des dernières non ouverte parlait d'une personne morte à l'âge de 99 ans, la lettre venait de Nice, c'était sans doute la votre, Madame.

La vieille dame ne dit rien. Carole réfléchit un instant.

- Mais alors, ça voudrait dire qu'il y a bien un lien entre la Seth qui a rencontré Étienne, Mathieu Tournalet et notre Seth à nous ?

Elisabeth répète calmement, le sourire au coin des lèvres :

- Je vous ai déjà dit que je pensais que c'était la même.

Thomas refusa de croire à une telle hypothèse, tellement qu'il trouva une explication :

- Mais c'est impossible, Seth aurait eu alors presque le même âge que vous, alors qu'elle n'avait que 30 ans, ou 35 au plus. Non c'est plutôt que Mathieu recherchait des informations sur Seth, et qu'il s'est lui-aussi trompé en trouvant la trace de celle que vous avez connu, mais qui n'a sans doute rien à voir avec celle qui nous intéresse.

Carole fit la moue :

- Oui, en tout ça cette explication semble plus crédible que de penser que tu sois sorti avec une personne de presque cent ans qui en paraissait trente...

Ils restèrent tous trois silencieux quelques instants. Il restait encore quelques biscuits, mais Thomas n'avait vraiment plus faim, le repas avait été succulent autant qu'abondant. Il se donna encore dix secondes, et si personne ne parlait, il en prendrait un. Mais il ne compta que jusqu'à huit, Carole prit la parole :

- Vous ne voyez toutefois aucun lien entre vous et ce Monsieur Mathieu Tournalet, ou Fabrice Montgloméris ?

Thomas la regarda avec des yeux méchants, Carole le vit et ne comprit pas ce qu'elle avait fait de mal.

- Non, pas du tout. Peut-être que ce Monsieur Tournalet eut affaire à Étienne, mais il ne m'en a jamais parlé. Je pourrai toutefois regarder dans ses affaires, mais ça me paraît toutefois bien improbable, rare furent les choses que nous ne partageâmes pas Étienne et moi.

Thomas se pencha pour prendre un biscuit et répondit :

- Le lien c'est Seth.

Carole fut agacée par sa remarque, parfois elle ne le supporter plus.

- Bien sûr que le lien c'est Seth, mais si Mathieu Tournalet n'a jamais eu affaire à Madame, et qu'elle n'a pas vu Seth depuis 1919, comment Fabrice Montgloméris a-t-il fait le lien ? Et même, si Seth était la maîtresse de Mathieu, Pourquoi s'intéresser à Élisabeth ?

Thomas trouva Carole stupide, pour une fois :

- Ben, Fabrice voulait savoir dans quoi trempait son cousin, il a été suspecté du meurtre de Seth, Fabrice veut savoir qui est Seth. Peut-être même que Mathieu avait simplement ramené votre adresse le soir où il est allé rue Mouffetard...

Carole se réprimanda de l'avoir contesté uniquement par énervement.

- Oui tu as raison, Fabrice n'a peut-être pas beaucoup plus d'information. Ils nous a juste donné l'adresse, après tout. Il ne sait peut-être pas ce qu'il veut trouver.

Carole descella un signe de fatigue d'Élisabeth et se dit qu'il vaudrait mieux qu'ils partissent.

- Bien, nous n'allons pas vous déranger plus longtemps, nous avons déjà largement abuser de votre temps.

Élisabeth fit mine d'être plus alerte, même si sa sieste habituelle lui manquait un peu :

- Je vous en prie, vous ne me dérangez pas, loin de là. Mais comprenez-moi, avec l'âge je perds un peu de mes bonnes manières, je laisse parfois les inviter s'occuper de la conversation.

Carole fut gênée :

- Je suis confuse, j'avoue que je ne sais trop que penser de cette histoire.

Thomas se demanda combien de fois elles allaient se renvoyer la balle. Il se redressa sur son siège :

- Bon, on n'y va ?

Élisabeth sourit :

- Finalement ce sont encore peut-être les hommes qui décident, aujourd'hui, leur manque de sensibilité restera sans doute une énigme.

Thomas ne sut trop comment il devait prendre la remarque, il se leva en espérant que Carole fît de même.

Carole soupira intérieurement, elle sourit à Élisabeth et se leva à son tour.

- Nous vous remercions de tout coeur pour votre temps, tout comme le succulent dîner. Peut-être puis-je vous laisser notre numéro de téléphone, si vous trouviez des informations sur le lien éventuel entre ce Mathieu et Étienne, ou Seth ?

Élisabeth resta assise, elle sortit un petit appareil et appuya sur son unique bouton :

- Oui, pardonnez-moi de ne pas vous raccompagner, Émile prendra votre numéro.

Émile apparut dans la seconde et écouta Thomas donner son numéro de téléphone, ensuite, quelques salutations supplémentaires plus tard, il raccompagna Carole et Thomas jusqu'à l'entrée, et attendit qu'ils s'éloignassent pour refermer la lourde porte.

Carole resta silencieuse un instant, ils marchaient en direction du parking. Elle proposa :

- Si nous tentions de repasser à la première adresse ?

- Oui, pourquoi pas, nous ne sommes pas pressé, on pourrait aussi aller faire un tour sur la plage, non ?

- Après, oui.

- Tu te rappelles le nom de la rue où elle achète ses biscuits ?

- Non, mais ils étaient vraiment délicieux.

- C'est un nom en 'a', mince, j'aurais dû lui redemander.

- Après tout ce que tu as mangé ! Tu penses encore à la bouffe ! Tu vas mal finir !

- Bah, avec tout le sport que je fais !

- Tu n'en fait pas tant que ça, ces derniers temps.

"Ce n'est pas l'envie qui m'en manque", pensa Thomas en regardant la poitrine de Carole. Mais il ne dit rien. Carole vit son regard et s'imagina ce qu'il avait pensé. Elle le trouva puéril mais d'un autre côté elle ne dirait pas non à quelques galipettes. Elle se resaisit en se promettant de ne jamais faire quoi que ce soit avec Thomas, et qu'il valait mieux mille fois rester seule que de s'embarquer dans une histoire complexe avec un mec pareil. Elle décida de changer de conversation :

- Cette histoire est vraiment bizarre, elle a vraiment l'air de penser que la Seth qu'elle a connue est la même personne que la Seth que tu connais.

- C'est impossible.

- Impossible, impossible, avant l'invention du train les gens pensaient que l'on devenait fou si on dépasser une certaine vitesse.

- Les gens pensaient aussi que la Terre était plate, mais c'est pas pareil.

- Pourquoi c'est pas pareil ?

- Parce que ce n'est pas un truc qu'on invente ou qu'on découvre d'un coup. S'il y avait des gens qui restent jeunes, on s'en serait aperçu avant, une personne qui ne vieillit pas, ça se remarque.

- Si c'est une personne comme Seth, sans famille, sans histoire, qui passe deux années d'un côtés, trois de l'autre, puis qui disparaît, comme savoir ? Peut-être qu'elle n'est pas morte, après tout.

- J'ai vu son corps !

- Et après, elle fait peut-être ça à chaque fois, peut-être qu'elle fait croire qu'elle est morte, puis elle réapparaît ailleurs, chez quelqu'un d'autre.

- C'est impossible, elle était morte !

- Impossible, impossible ! Tu ne fais que nier ! Il y a bien une explication ! Comment expliques-tu qu'Élisabeth ait reconnu Seth sur la photo, que personne ne sache rien sur le passé de Seth.

- Elle s'est sans doute trompé, elle n'a vue Seth qu'une seule fois, après tout, quand elle est revenue avec Thomas à Nice, elle peut très bien la confondre. On pourrait lui rapporter une meilleure photo, mais même, c'est un truc qui s'est passé il y a plus de quatre-vingts ans, comment veux-tu qu'elle s'en rappelle correctement !

Carole acquiesça sur le fait qu'Élisabeth avait pu se tromper, effectivement elle n'avait jamais vraiment connu Seth, hormis de ce qu'Étienne lui en avait dit. Mais elle trouvait tout de même cette histoire trop étrange pour ne pas cacher quelque chose d'hors du commun.

- Et comment expliques-tu qu'Ylraw soit mort et que tu l'ais croisé ? C'est tout de même étonnant, que lui aussi, comme par hasard, il revive.

- Il n'est sans doute pas vraiment mort, c'était une astuce, un truc pour le faire disparaître. Et puis peut-être que je me suis trompé, peut-être que ce n'était pas lui, peut-être qu'il n'avait aucun lien avec...

"Seth...", Thomas frissonna, son attirance vers Seth, cette sensation quand il a vu Ylraw... Mon Dieu, c'est impossible... Ça ne peut pas être ça, ça ne peut pas être vrai... Carole se demanda ce qui l'avait coupé :

- Avec quoi ? Tu te rappelles de quelque chose ?

Thomas voulut effacer cette pensée de son esprit, il voulut oublier tout ça, il voulut retourner au Soleil, c'est tout ce qui l'importait. Ils étaient arrivés devant la première adresse, mais la porte était toujours fermée.

- Non, rien... Bon, on va faire un petit tour sur la plage ?

Carole avait plus envie de ne pas perdre de temps.

- Tu ne préfères pas qu'on rentre, les documents de Fabrice doivent être arrivés, maintenant.

- Il fait tellement beau, ce serait bête de ne pas faire juste un tour, non ?

Carole en avait envie, même si elle était aussi impatiente d'en découvrir plus sur cette histoire :

- Bon, OK, ça me laissera le temps de prendre mes notes, je n'ai pas voulu trop écrire devant Élisabeth, et puis j'étais tellement passionnée par son histoire.

- Oui, l'histoire d'Étienne est vraiment bizarre, cette histoire de guerre, c'est dingue.

- Surtout d'imaginer que cette Seth a vraiment participé aux mutineries, et le fait qu'Étienne ensuite soit allé à Paris. C'est des trucs comme ça qui me font penser que ce n'est pas banal, il y a trop de choses pas normale pour que ce soient juste des coïncidences.

Thomas et Carole se dirigèrent vers la plage, demandant à un passant le chemin le plus court vers la promenade des Anglais. Il y avait un peu de vent mais il faisait très beau, et même chaud. Thomas ne put résister à s'acheter une glace, et Carole insista pour qu'ils s'arrêtent un moment, de façon à ce qu'elle puisse prendre des notes. Ils s'assirent sur l'un des nombreux bancs en face de la plage, à deux pas d'un groupe de jeune qui s'exerçait aux rollers en sautant avec un petit tremplin une barre déjà au moins aussi haute que Carole.

- Tu as vu ça, les gamins n'ont pas dix ans et ils sont déjà capable de faire des trucs dingues !

- Oui, bah, ils font ça toute la journée, rien d'étonnant, avec un peu d'entraînement on devient vite balaize, d'autant qu'ils sont jeunes, ils apprennent vite.

- Oui, c'est d'autant plus dommage que cela ne leur servira probablement à rien, et qu'ils seront peut-être nuls à l'école pour finir dans un métier minable, alors qu'ils sont capables de prouesses.

- C'est clair, mais on a pas vraiment besoin de millions de champions de roller.

- C'est sûr, mais ce que je veux dire c'est que si l'École fournissait à ces gamins de quoi s'éclater, ils pourraient se donner à fond et faire des choses géantes plutôt qu'à être considérer comme des cancres et des minables.

Thomas s'était allongé sur le banc, il était si bien sous le soleil.

- Qui te dit qu'ils sont des cancres ou des minables ?

- Oui, j'en sais rien, mais c'est plus l'image que donne l'école aujourd'hui, soit tu rentres dans le moule, soit tu n'es qu'un bon à rien. Alors que je suis persuadée que la plupart des gamins pourraient être extrêmement doué si on prenait le temps de comprendre ce qui les motive et ce dans quoi ils excellent.

Carole resta pensive un instant...

- Tu étais bon, en cours, toi ?

- Moyen, disons que je me débrouillais pour passer dans la classe supérieure.

- Passer dans la classe supérieure, c'est tout ce qui importe, en effet, comme si nous étions tous identiques dans le gentil troupeau qui doit suivre la voie toute tracée...

- Tu étais bonne, toi ?

- Oui, j'étais bonne, très bonne même, j'étais toujours première, sauf en prépa, mais je me débrouillais quand même. J'ai bossé, bossé, bossé en espérant que ça me mènerait quelque part, et finalement je fais un métier que j'aurais pu commencer à 16 ans. J'ai passé huit ans à apprendre des trucs dont je me souviens à peine pour arriver dans un monde qui ne me convient pas avec des métiers inhumains qui ne me plaisent pas à n'entendre que des trucs bidons sur la réussite et le bien et le mal et ma mère qui n'arrête pas de me dire que je perds mon temps...

- Le monde est compliqué, c'est pas évident de trouver sa place.

- Il est mal foutu, oui, on se rejette tous la faute, c'est la faute aux politiciens, c'est la faute aux immigrés, c'est la faute à la Chine, c'est la faute aux État-Unis, aux riches, aux pauvres... En fait personne ne maîtrise rien et se contente de prendre sa part du gâteau quand il le peut, et tant pis pour les autres...

Thomas soupira, Carole soupira. Elle vit un beau jeune-homme torse nu passer, qui lui donna envie, et elle se dit qu'elle ferait mieux d'écrire ses notes avant des les oublier, plutôt que de penser à des choses pareilles. Il ne fallut pas longtemps à Thomas pour s'endormir, il était si bien, là. La sensation de chaleur et de soleil lui faisait tout oublier, oublier cette histoire, Carole, ses envies, ses questions. Il n'avait plus envie que d'une chose, rester là pour toujours, il se moquait du reste.

Carole passa plus d'une heure à transcrire l'histoire d'Étienne, et une autre à regarder les jeunes faire leur figure, ou à inscrire questions sur questions sur ses notes, ou encore tenter de mettre en place une théorie ou une autre. Puis elle finit par en avoir marre d'entendre Thomas ronflouner, elle se leva pour faire quelques pas, aller voir d'un peu plus près la mer, avec les baigneurs, encore bien nombreux sous un si beau soleil. Elle revint vers le banc et poussa Thomas du pied.

- Allez, debout !

Thomas s'était profondément endormi, il ronchonna.

- Allez ! Ça fait au moins deux heures que tu dors, debout !

- Deux heures ! Tu déconnes, ça fait dix minutes qu'on est là !

- Dix minutes ! Et puis quoi encore, regarde l'heure, il est presque quatre heures !

Thomas regarda sa montre en plissant les yeux pour ne pas être ébloui.

- Quatre heures ! Non ? Mince, oui.

- C'est vraiment le monde à l'envers, c'est toi le détective et c'est moi qui fait tout ! Bon j'ai réfléchi, et je pense que tu as raison.

- Ah, bien. Tu vois, j'ai bien fait de dormir.

- Non, j'ai tenté de trouver une explication logique, et une explication pas logique. Le problème de la pas logique, c'est qu'il n'y a pas de limites, je peux dire que Seth est immortelle, mais aussi que Ylraw l'est, ou même que Seth et Ylraw sont la même personne... Alors que c'est plus intelligent, je pense, de se baser sur une hypothèse crédible et de tenter de la valider.

- C'est ce que j'ai toujours dit.

- Ce qui me gène dans ce cas, c'est qu'alors le récit d'Élisabeth ne nous sert à rien, c'est une fausse piste, pourtant Mathieu Tournalet est allé dans la maison de la Seth dont elle a parlé, puisque tu as vu toi même la lettre qu'elle a écrite. Si on considère que ces deux Seth sont différentes, alors Mathieu Tournalet et Fabrice se trompe sur la Seth qu'ils ont trouvé, et je trouve ça bizarre.

- Il suffit que Mathieu se soit trompé, ensuite moi, Fabrice, puis nous, nous n'avons fait que suivre.

- C'est vrai, mais est-ce que ça veut dire que c'est une fausse piste ? Et alors, qu'est-ce qu'on peut faire maintenant, si on laisse tomber cette Seth ?

- J'en sais rien. Qu'est-ce qu'on cherche, après tout ?

Carole se demanda si Thomas serait près à laisser tomber.

- Tu ne cherches rien, toi ? Tu serais près à oublier cette histoire, rentrer à Paris et reprendre ta petite vie ?

- J'aimerais bien oublier cette histoire. Quant à ma petite vie, elle sera sans doute bien différente, maintenant que Seth n'est plus là. Mais je ne sais pas trop si j'ai envie de savoir... Après tout pour moi tout est assez clair. Mathieu était l'amant de Seth, Stéphane n'a pas supporté qu'il use de son influence pour se sortir de cette histoire, et Fabrice veut juste ne pas avoir de doute sur la fortune qu'il récupère.

- Tu crois vraiment que ton copain l'a tué ? Tu penses qu'il était capable de faire ça ? Il était policier, quand même, il savait se maîtriser, non ?

- Ça me surprend beaucoup de la part de Stéphane, mais qui l'aurait fait, sinon ? Déguiser le meurtre de Mathieu Tournalet par Stéphane, c'est quand même un peu gros, et pour qu'elle raison ?

- Pas si gros que ça. Qui te paye, en ce moment ?

- Fabrice ? Tu penses que c'est Fabrice ?

- Qui est le bénéficiaire dans l'histoire, si ce n'est lui ?

- Mais comment aurait-il pu savoir que Stéphane allait venir ?

- Il ne le savait sans doute pas, il a simplement sauté sur l'occasion. Stéphane était là, les choses ont mal tourné, et Fabrice en a profité.

- Mais le majordome, il a été témoin.

- Témoin, témoin, Fabrice t'as bien filé cinq mille euros cash sans discuter et un week-end de rêve sur la côte, ça ne doit pas être trop cher, un majordome.

- Mais pourquoi faire appel à moi, c'est risqué, quand même.

- C'est risqué mais c'est aussi un moyen super efficace de ne pas attirer les doutes sur lui. Il te graisse la patte, se charge de bonne intention, crache un pourcentage infime de la fortune qu'il a ramassé, et en plus il t'éloigne de Paris pour aller à l'autre bout de la France chercher un fantôme, c'est plutôt malin comme technique.

Thomas restait allongé au soleil, profitant de sa chaleur réconfortante. La théorie de Carole était assez séduisante, même si un peu trop rocambolesque.

- Malin, oui, mais après, tu veux tenter de prouver que c'est lui qui a tué Mathieu ? Ça n'a pas vraiment de rapport avec Seth.

Carole soupira, elle se tourna vers la mer, puis revint s'asseoir près de Thomas.

- Je sais, ça n'a pas de rapport mais en même temps tout a un rapport. Toi, Seth, Stéphane, Mathieu, Fabrice, Élisabeth. Toute cette histoire est tellement formidable, j'ai vraiment envie de savoir, de découvrir si c'est juste un amoncellement de coïncidences, ou s'il y a un lien, un liant. Si cet Ylraw ne serait pas le lien...

Carole se tut un instant. Thomas espérait qu'elle décide de faire un peu une pause et de prendre du bon temps. Elle lui demanda finalement.

- Tu ne pourrais pas tenter d'en savoir un peu plus sur lui, sur Ylraw, tenter au moins d'élucider sa mort mystérieuse ?

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Ben je sais pas, demander à tes collègues, vous devez bien avoir des relations entre vos services, non ? Savoir les causes exactes de sa mort, tenter de remuer un peu, et de voir si quelqu'un réagit.

- Oui, je pourrai demander, mais le plus simple est encore de lui demander à lui.

- Il faudrait qu'on le retrouve pour ça. Quoi qu'on pourrait retourner voir ses parents, ce n'est pas très loin, d'ici, non ?

- Je ne me rend pas compte, mais ça ne doit pas être très très loin, non.

- Bon, tu te bouges, on rentre ?

- Tu veux pas rester encore un peu ? On est bien à discuter, là, non ?

- Tu ne fais que dormir !

- Pfff... Je dors tellement mal la nuit, pour une fois que je me repose un peu.

- Tu fais toujours des cauchemars ?

- Oui.

- Toutes les nuits ?

- Oui.

- Mon pauvre...

Carole se retourna et regarda la mer, Thomas constata une fois de plus son bien être sous les rayons chaud du soleil. Il avait trop chaud mais il était si bien, il aurait presque voulu avoir encore plus chaud. Il ne sentait plus du tout sa brûlure, au contraire, il sentait comme une impression de calme, de douceur. Carole pensa quelques minutes à sa vie, à ce qu'elle faisait là, ce qu'elle voulait. Elle se sentit seule. Elle se sentit fatiguée. Trouver le fin mot de cet histoire, mais après ? L'écrire ? Oui, l'écrire, le raconter, le dire à tous. Voulait-elle le succès, être célèbre ? Sans doute, elle aimerait avoir un peu plus de temps de parole pour les remettre à leur place, pour leur rappeler que leur monde n'est pas le vrai monde, mais qui l'écoutera ? Ylraw, elle aimerait le rencontrer. Plus encore que pour comprendre, elle voudrait le rencontrer car, pour le peu qu'elle avait pu lire de lui, il pensait comme elle. Mais était-ce vraiment sa vie ? Elle se voulait écrivain, pas détective. C'était plus un jeu pour elle, ce ne devait sans doute pas l'être pour Thomas, il avait perdu sa bien-aimée et découvert qu'elle le trompait sans doute, qu'il ne savait rien d'elle, et qu'elle côtoyait sans doute des gens peu recommandables.

Elle se tourna vers lui, il avait l'air de s'être rendormi sur le banc. Elle se demandait vraiment parfois comment il avait fait pour devenir policier, il avait l'air tellement fainéant et peu alerte. Peu être que cette épreuve l'avait vraiment affecté, après tout. Il y avait des gens qui perdaient tout leur moyens si leur équilibre était rompu. Mais que cherchait-il, lui ? Il n'avait pas l'air de chercher grand chose, voulait-il simplement profiter de ces quelques jours ici, de cette aubaine ? Pourquoi l'avait-il invitée s'il se moquait de l'enquête ? Avait-il juste envie de coucher avec elle ? Était-il amoureux d'elle ? Voulait-il oublier Seth dans ses bras ? Pouvait-on oublier Seth ?

Et elle, que voulait-elle ? Ne cherchait-elle pas un homme, aussi ? Depuis quand n'avait-elle pas fait l'amour ? Depuis combien de nuit n'avait-elle pas rêver qu'un bel inconnu la surprenait dans son lit pour lui faire passer une envolée torride ? Ah saleté d'hormones ! Pourquoi aurait-on encore besoin de ça ! Qu'importait en 2003 que nous eussions des enfants ou pas ? La vie ne pouvait-elle comprendre que c'était l'intellect et la raison dont dépendait la survie de l'homme, plus le sexe et la reproduction ! Elle se trouva bien faible. Elle eut envie d'écrire, elle eut envie d'écrire une scène d'amour, de sexe, une scène ou elle pourrait exulter ses fantasmes, et retrouver sa raison.

Elle secoua la tête pour oublier toutes ses pensées, elle retourna vers Thomas et le secoua vivement. Il ronchonna, elle continua jusqu'à ce qu'il ouvrît les yeux.

- Allez, debout, on y va !

- Encore cinq minutes !

- Non, non, non, pas encore cinq minutes, on se lève, allez !

Thomas se remit en position assise et bailla longuement. Il regarda sa montre et leva les sourcils, cinq heures moins le quart, bonne sieste, il était fier de lui, voilà longtemps qu'il n'avait pas aussi bien dormi. Et il avait bien envie de rester encore un peu au soleil.

- On marche un peu le long de la plage ?

- T'exagères ! Tu viens de pioncer pendant presque trois heures et tu veux encore glander !

- On a pas tant de chose à faire que ça ! Et puis il fait si beau...

- Non ! On rentre, j'en ai marre, écoute, tu iras te balader à Cannes si tu veux, moi j'ai envie d'avancer un peu, j'ai envie de voir ces documents, on est toujours autant dans le flou !

Thomas eut presqu'envie de faire un caprice pour rester tant que le soleil était là, mais il savait que ce n'était pas raisonnable et que s'il passait pour un flemmard fini il n'aurait jamais aucune chance avec Carole. Il se leva alors, s'étira, et ils repartirent en direction de la voiture, en repassant par l'adresse indiquée où ils n'avaient pour l'instant encore trouvé personne, mais ils n'eurent pas plus de chance.

Thomas se sentit mal à l'aise de quitter la plage. Il se demanda s'il n'avait pas trop dormi. Dans la voiture il ne dit rien, et Carole ne sut trop que raconter. Thomas n'avait alors qu'une envie, retourner s'allonger sur la terrasse de l'hôtel. Se pouvait-il qu'il soit si fatigué ? Pourtant il n'avait pas vraiment sommeil. Serait-il malade ? Pourtant il n'avait pas vraiment froid. Il avait juste comme un malaise, comme l'envie irrésistible de ne pas bouger, de s'allonger et d'attendre. Peut-être juste un peu de flemme, après tout, il fallait qu'il se bougeât un peu !

Ils arrivèrent à l'hôtel tranquillement, après presque une heure trente d'embouteillage, ou ils passèrent en revue l'ensemble des CD du chargeur de la TT. À l'hôtel, un voiturier récupéra la TT et ils montèrent directement dans leur suite, en espérant trouver les documents promis par Fabrice. Mais non, rien, pas de courrier, pas plus dans leur suite qu'à l'accueil. Carole en fut très déçue :

- Tu crois qu'il se moque de nous ?

- Il nous paye quand même une suite à je ne sais pas combien dans un hôtel cinq étoiles, la location d'une TT et cinq mille euros en cash, j'appelle pas ça vraiment se moquer des gens...

- Oui mais s'il est vraiment très riche, ça ne représente rien pour lui. Si ça se trouve cette suite lui est réservée en permanence, ça ne lui revient peut-être pas plus cher, peut-être que la TT est aussi sa voiture, et puis cinq mille euros ne sont peut-être pas cher payé pour avoir certaines informations.

- Quelles informations ? Qu'une vieille a connu une nana qui s'appelait Seth il y a 80 ans...

- Il ne savait peut-être pas ce que nous allions trouvé, ou peut-être qu'il voulait vraiment t'éloigner de Paris, mais pourquoi ?

- Il n'y a plus d'affaire ! C'est inutile, je n'aurai pas cherché sur lui, si j'étais resté à Paris, je ne savais même pas qu'il existait.

- Comment pouvait-il le savoir ? Son cousin a mis ton collègue en prison, il pouvait se méfier. Quand on est criminel on est aussi parano. S'il a vraiment orchestré le meurtre de son cousin il doit avoir très peur qu'on le découvre, et s'il a vraiment hérité d'une fortune colossale, un week-end cinq étoiles et cinq mille euros ne sont pas trop cher payé pour ça.

- Oui c'est vrai... Et dans ce cas c'est normal que nous n'ayons rien trouvé d'intéressant à Nice, c'est juste qu'il voulait qu'on aille voir ailleurs, il a juste eu la chance de retrouver la trace de la vieille qui aurait connu une Seth, et nous a attiré avec ça. Si ça se trouve l'autre adresse était vraiment bidon.

- Ça se tient. Le problème c'est qu'on est tellement dans le flou que tout se tient. Peut-être que Fabrice est de bonne foie, après tout, comment savoir ? Si on conserve l'idée de ne pas trop partir dans des délires en permanence, alors on devrait plutôt considérer qu'il ne nous mène pas en bateau et être franc avec lui.

- On pourrait peut-être juste lui dire que nous n'avons absolument rien trouvé à Nice et voir s'il insiste. S'il ne nous demande pas d'y retourner c'est qu'il s'en moque.

- Oui c'est une bonne idée, au pire on pourra toujours lui dire que nous n'y sommes allé que demain. Mais s'il veut vraiment nous éloigner, c'est que nous perdons notre...

Carole fut interrompue par la sonnerie du téléphone. Thomas répondit. C'était Fabrice, il le lui fit comprendre. Il demanda des nouvelles de la visite à Nice. Thomas bafouilla qu'il n'avait rien trouvé d'intéressant. Fabrice insista, Thomas dit finalement qu'il avait juste vu une vieille dame qui radotait. Carole fronça les sourcils et lui fila une tape sur l'épaule en mettant son doigt devant la bouche pour lui dire de se taire. Fabrice voulut en savoir plus. Thomas résista et dit simplement que la vieille dame ne savait plus ce qu'elle disait et qu'elle semblait croire avoir connu une Seth dans les années vingt, qu'elle était sans doute sénile ou qu'elle se trompait. Fabrice posa de nombreuses questions, Thomas se contenta de répondre qu'il pensait que c'était une erreur et qu'il n'avait pas cherché plus loin, que ce n'était sans doute pas la Seth qui les intéressait. Fabrice s'énerva un petit peu, qu'il ne fallait négliger aucune piste, et que c'était peut-être une personne de la famille de Seth, et qu'il était préférable de ne pas éliminer d'hypothèse avant d'avoir vraiment tous les éléments en main. Il recommanda à Thomas de retourner voir la vieille dame. Thomas acquiesça et lui demanda pour les documents. Fabrice parut surpris qu'ils ne les aient toujours pas reçu. Il maudit la poste et se dit qu'il aurait mieux fait d'utiliser un transporteur, puis souhaita bonne chance à Thomas et raccrocha sans attendre.

Thomas avait mis le haut-parleur de façon à ce que Carole puisse entendre. Celle-ci resta silencieuse après que Thomas eut raccroché. Il alla au bar se servir un coca, elle se contenta d'un Perrier, elle aimait bien cette eau gazeuse un peu piquante. Ils s'assirent tous deux dans les confortables fauteuils, puis analysèrent finalement la conversation. Carole ne démordit pas de son hypothèse principale.

- Peut-être qu'il insiste simplement parce qu'il n'a que ça comme piste et qu'il veut que nous restions encore ici.

- Pourtant il m'a posé beaucoup de question, ça avait vraiment l'air de l'intéresser.

- Oui mais comment savoir, il peut très bien jouer la comédie, en fait qu'il pose des questions, ça ne veut rien dire. Nous ne sommes pas plus avancé, et pour ses documents, nous sommes obligés d'attendre un jour de plus... C'est vraiment du temps perdu.

- Pas complètement perdu, on va pouvoir faire encore un superbe repas, on pourrait même prendre la voiture et aller manger quelque part.

- Il est encore un peu tôt, il n'est que 19 heures, et puis le repas de midi était déjà bien bon.

- On pourrait aller faire un peu de shopping en ville, non ? On a cinq mille euros qu'on a presque pas touché.

- Bof, je serais plutôt d'avis de nous coucher tôt, et de demain matin partir pour tenter de trouver Ylraw.

- Tenter de trouver Ylraw ?

- Ben oui, nous ne sommes pas très loin, non ? Et en plus on a une voiture.

- Oui, on est pas très loin de chez ses parents, mais ce n'est pas sûr qu'il y soit, et s'il se cache vraiment ils ne nous diront rien, comment veux-tu le trouver ?

Carole soupira. Elle avait envie d'avancer, mais elle ne savait pas trop comment. Elle ne voulait pas rester là, elle voulait partir de cet endroit, elle voulait se sentir libre, elle se sentait enfermée, prisonnière de Fabrice Montgloméris. Elle aurait voulu sortir de l'immeuble partir... Elle réfléchit un instant puis se dit, que, finalement, elle n'était pas tellement retenue qu'elle en avait l'impression, elle pouvait quitter Thomas, Cannes, repartir chez elle. Pourtant elle ne se sentait pas très bien, la fatigue peut-être ? Le fait de rester inactive, le fait d'avoir cette amère impression de perdre du temps, de ne pas être productive... Elle détestait cette impression, elle avait peur de mourir dans ces moments, elle avait peur de mourir avant d'avoir fait tout ce qu'elle voulait faire, même si elle ne savait pas très bien ce qu'elle voulait faire... Mais elle voulait que le monde ait changé, même un tout petit peu, avant qu'elle ne parte. L'écriture pourrait peut-être aider un peu le monde à changer, si elle arrivait à exprimer tout ce mal qu'elle voulait en dire, qu'elle voulait dire de la société, de la consommation, de l'égoïsme... L'histoire d'Ylraw était, elle l'espérait, ce qui lui permettrait de faire passer son message, d'avoir à la fois l'histoire qui faisait rêver et l'opportunité de déballer tout ce qu'elle avait sur le coeur, ce jeune qui ne supportait plus ce monde, et qui partait, on ne savait trop où, pour finir en Australie, puis revenir. Cette fille qui le suivait, qui le suivait depuis toujours, était-ce l'amour qui la poussait à le suivre. Oui ! Sans doute, que pourrait bien pousser une femme à suivre un homme depuis toujours ? L'amour, bien sûr. Carole voulait y croire, voulait croire à cette histoire incroyable, car c'était ce qu'elle voulait dire, c'était ce qu'elle voulait faire comprendre aux gens, l'absurdité du monde, et la beauté de l'amour...

Thomas restait, lui-aussi, silencieux. Sa brûlure lui faisait mal. Chaque fois qu'il la croyait disparue, vaincue, chaque fois elle revenait, elle revenait de plus belle, plus forte, plus insidieuse. Il l'a sentait pénétrer en lui, il la sentait chercher son âme. Il la sentait s'emparer de lui. Il tenta d'en faire abstraction, mais elle était tellement présente. Il pensait à Seth... Seth, mon Dieu ! Où étais-tu ? Étais-tu vraiment immortelle ? Allais-tu réellement revenir ? Quelle absurdité, il aurait voulu que Carole ne dît jamais une chose pareille, il savait désormais qu'il allait y croire, qu'il allait croire qu'elle pouvait revenir, qu'elle allait revenir. Et il avait peur.

Cette pensée l'effraya tellement qu'il se releva, presque comme s'il avait vu son fantôme.

- Tu crois qu'ils ont un accès internet ?

Carole sortit de ses pensée et le regarda, elle n'avait même pas fait attention qu'il s'était relevé.

- Sans doute, mais il faut sûrement avoir un portable pour s'y brancher. Pourquoi ? Je regarderais bien mes mails, c'est vrai.

- Pour un itinéraire pour aller chez Ylraw. Je ne suis pas sûr de trouver, d'ici.

- C'est vers Gap, non ? Un fois là-bas tu sauras te retrouver ? Ce ne doit pas être trop dur d'aller jusqu'à Gap d'ici. Et puis on pourra toujours acheter une carte, on a cinq mille euros, après tout.

Thomas eut presqu'envie de la rectifier, "j'ai cinq mille euros", mais il se retient.

- Oui c'est vrai...

- J'irai quand même bien voir mes mails.

- On peut demander s'ils ont un accès, sinon il doit bien y avoir un cybercafé en ville.

- Je suis pour aller en ville, on peut peut-être y aller à pied, j'ai envie de marcher.

Carole se leva en disant sa dernière phrase et se dirigea vers la porte de la suite. Thomas la suivit sans hésitation, il avait aussi besoin d'air, il avait l'impression d'étouffer. Ils demandèrent à l'accueil, qui leur confirma la présence d'accès réseau dans les chambres, et chercha pour eux un accès proche de l'hôtel. L'adresse en main, ils partirent d'un pas rapide vers le cybercafé. Carole avait besoin de bouger, Thomas aussi. Carole eut presqu'envie de faire un petit footing, elle courrait de temps en temps, trop rarement, mais elle avait besoin de se défouler, sans qu'elle ne comprenne trop pourquoi. Mais le cybercafé n'était pas très loin, et elle garda sa frustration de mouvements.

Elle commanda une eau gazeuse, Thomas un coca, et ils s'installèrent côte à côte dans un recoin de la salle. Carole alla voir ses mails, Thomas lui se rendit compte qu'il ne savait pas trop ce qu'il pouvait faire. Il regarda d'abord les sites de jeux vidéos, puis les sites de matériel informatique, les sites d'appareils photos numériques, puis les sites d'ordinateurs portables. Carole regarda son écran à ce moment là, après avoir regardé tous ses mails sans en avoir un seul d'intéressant :

- Eh ! On pourrait s'acheter un portable, avec cinq mille euros, pour prendre des notes, ou pour l'hôtel ?

Thomas se dit qu'effectivement, il pourrait se trouver un petit ordinateur ultra-portable. Mais il se dit aussi que s'ils s'en achetait un, Carole en voudrait aussi sûrement un, et qu'alors il risquait de ne plus rester grand chose des cinq mille euros.

- Mouais... On en a pas vraiment besoin, si ? On peut venir au cyber café, c'est pas si loin de l'hôtel.

Carole fut surprise de sa remarque. Elle aurait cru qu'il serait emballé par l'idée d'avoir une opportunité d'acheter un truc pareil. Elle se demanda ce qui pouvait bien le retenir, mais elle ne trouva pas. Et elle était plutôt d'accord que c'était peut-être un peu gâcher que de dépenser deux mille euros pour s'acheter un ordinateur pour deux jours. Quoi que Thomas aurait pu en avoir l'utilité par la suite. Elle se retourna vers son écran et se demanda ce qu'elle pourrait bien chercher sur google.

Machinalement elle tapa Ylraw, et retrouve son site. Elle l'avait déjà parcouru des dizaines de fois, cherchant dans les coins de nouveaux éléments, tentant de trouver des répertoires cachés. Elle avait même passé un temps fou à regarder le code source HTML de chaque page, au cas ou certaines parties seraient cachées.

Thomas la regarda un instant, puis il se dit qu'il pourrait tenter d'appeler un collègue pour avoir plus d'information sur cette mystérieuse réapparition d'Ylraw. Il rechignait à le faire de peur qu'on ne lui reprochât de continuer d'enquêter sur cette affaire, quoi qu'il avait tout sauf envie d'enquêter sur cette affaire. Il aurait voulu l'oublier, recommencer une autre vie. C'était aussi un peu pour cette raison qu'il était là, élucider pour de bon ces mystères et pouvoir passer à autre chose. Carole était belle, après tout, ils ne s'entendaient pas si mal, il pourrait bien mettre un peu d'eau dans son vin pour elle, acheter un peu moins de marques, faire un peu plus d'efforts pour l'environnement.

Après tout Ylraw n'avait pas de lien officiel avec l'enquête, et il avait déjà appelé plusieurs fois son collègue aux Renseignements quand il avait un doute sur quelqu'un. Il se leva et fit mine d'aller aux toilettes. Il était plus de 19 heures mais il espérait bien trouver Xavier encore au travail. Il s'y trouvait en effet, Thomas lui demanda deux ou trois nouvelles puis, sans laisser transparaître son stress, lui dit qu'il aimerait avoir quelques informations supplémentaires sur Ylraw. Xavier ne pût lui en dire plus que la première fois. Il lui expliqua qu'il avait cherché un peu plus d'information, quand après leur première conversation il avait trouvé étrange que si peu de renseignements fussent indiqués sur la nature de la mort d'Ylraw, mais que sa mort restait complètement mystérieuse. Thomas lui demanda tout de même s'il était possible que la mort d'Ylraw fût déguisée pour une raison ou pour une autre, mais Xavier l'assura que c'était impossible, qu'il y avait bien eu constatation de la mort clinique par quelqu'un de chez eux, et que si une mesure de protection avait était mise en place pour protéger cette personne, l'information serait indiquée dans le dossier. François Aulleri était bien mort, il n'y avait pas de doute là-dessus. Thomas ne posa pas plus de questions, il avait peur d'en dire trop et que Xavier ne se doutât de quelque chose, même s'il était persuadé qu'il se doutait déjà de quelque chose. Ce simple coup de fil avait fait presque suer Thomas, tellement il en avait le ventre noué. Il se dit que même s'il n'avait pas vraiment eut d'information nouvelle, cette confirmation qu'il y avait bien quelque chose d'incompréhensible dans le retour d'Ylraw suffirait à enchanter Carole.

Il revint s'asseoir à côté d'elle, elle relisait une n-ième fois le texte d'Ylraw.

- J'ai appelé mon collègue aux renseignements.

Carole cessa toute de suite de lire et se tourna vers Thomas, avide d'une nouvelle information. Carole devint toute excitée, son rythme cardiaque s'accéléra

- Il ne m'a rien dit de spécial, mais il m'a assuré que si Ylraw avait une forme de protection, ce serait indiqué. Il m'a aussi dit que la mort clinique avait été bien constatée par quelqu'un de chez nous.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'il est vraiment mort ?

- Oui, pour nous ça ne fait pas de doute, il est bien mort.

- Mais comment as-tu pu le voir, alors ?

- Je ne sais pas, mais il y a sans doute quelque chose de louche là-dessous.

Carole resta silencieuse un instant. Ylraw était bien mort !

- Mais alors, es-tu bien sûr que c'est lui que tu as vu, est-ce que tu es sûr que tu ne peux pas te tromper ?

- Je me suis peut-être planté, si, mais il lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. C'est vrai que j'ai un doute, maintenant, mais c'est quand même bizarre, une personne qui lui ressemble énormément justement sur sa tombe, c'est trop étrange pour que ce soit une coïncidence.

- Ou au contraire peut-être logique. C'est peut-être un cousin, un demi-frère, ou un frère caché, qui sait ? C'est possible, non ?

- Oui, de toute façon tout est plus possible que le fait qu'il ait ressuscité.

- Comment pourrait-on savoir ? On peut vérifier ce genre de choses ?

- C'est difficile de savoir, c'est peut-être un demi-frère, oui, après tout. Il faudrait interroger ses parents, pour savoir, à condition qu'ils acceptent de dire la vérité. Peut-être en les interrogeant chacun seul, ils seraient près à avouer.

- Si c'est un demi-frère, il y a plus de chance que ce soit un enfant du père que de la mère, non ?

- Oui c'est vrai, c'est plus dur pour la mère de cacher la naissance d'un enfant. Il faudrait interroger son père, si jamais on a la chance de retrouver Ylraw, ou la personne qui lui ressemble, on peut aussi tenter de faire des prélèvements, c'est ce qu'il y a de plus sûr.

- Vérifier l'ADN ?

- Oui. En plus ça pourra aussi nous renseigner pour savoir si c'est un fils illégitime.

- Tu l'as touché ?

- Qui ?

- Ylraw, enfin le jeune dans le cimetière, tu lui a serré la main, tu n'aurais pas un moyen de trouver des cellules de lui ?

- Non je ne l'ai pas touché. On peut tenter de retrouver des cheveux par contre, même si depuis le temps, c'est pas gagné, il a dû pleuvoir, et puis il doit y avoir un paquet de cheveux différents.

- Bah, les cimetières ce n'est pas tant fréquenté que ça.

- Il n'est pas mort depuis si longtemps...

- C'est vrai.

Carole reste silencieuse un moment, réfléchissant à l'implication d'une réelle mort de Ylraw.

- Il nous faudrait vraiment avoir le coeur net. Il faudrait retrouver cet Ylraw que tu as vu et alors, nous saurons si une explication logique existe ou pas. Mais comment le retrouver ?

- C'est assez dur de retrouver quelqu'un juste avec sa photo, sauf s'il a déjà un casier, sinon, c'est pratiquement impossible. Peut-être interroger de nouveaux les parents d'Ylraw pour savoir s'ils connaissent un cousin qui ressemble à Ylraw ou pas.

- Ce n'est pas sûr qu'ils répondent, parce que si Ylraw est vraiment revenu, et qu'ils veulent le protéger, on ne pourra pas leur faire confiance.

- Qu'est-ce qu'on peut faire, alors ?

- On pourrait passer quelques jours dans son village, en restant discret, et en espérant le croiser. De toutes façon où peut-il aller ?

- Il peut aller n'importe où !

- Pas n'importe où s'il ne veut pas qu'on le reconnaisse.

- Dans ce cas il ne restera pas dans son village, tout le monde doit le connaître, c'est trop risqué.

- C'est vrai... Mais s'il est vraiment parti on ne le retrouvera jamais comme ça, il nous faut une piste ou un indice.

- Oui, mais je vois pas trop comment on pourrait en trouver, si on ne peut pas interroger ses parents.

- On peut tenter de les interroger quand même on peut tenter de voir leur réactions, cela pourrait nous donner des indices pour savoir s'il est vraiment revenu ou pas. Je pense qu'on doit pouvoir trouver des questions qui nous permettraient de les tester.

- C'est pas évident, et puis s'ils ne disent rien. En plus peut-être qu'ils ne savent rien, et on pourrait mal interpréter ce qu'ils disent.

- Oui mais bon, c'est déjà un moyen. Je ne vois pas trop ce qu'on peut faire d'autre.

- C'est vrai... Il faudrait peut-être retrouver ses amis, s'il est revenu il ira peut-être les voir ?

- Oui, c'est une bonne idée, ceux avec qui il est allé à l'île de Ré, mais c'est un peu pareil, si jamais ils savent qu'ils est revenu mais qu'il se cache, ils ne diront rien.

- Il faudra bien qu'il soit quelque part ! Il faudra bien qu'il mange ! S'il se cache, c'est forcément chez quelqu'un.

- Pas forcément, ses parents peuvent très bien lui fournir de l'argent pour qu'il reste caché dans un bled paumé au fin fond de la France.

- Il faudrait suivre le courrier et les virements de sa famille.

- Oui, on peut faire ça ?

- Pas sans autorisation. C'est plus facile pour les coups de fils.

- Et les mails ?

- Non, c'est très dur, il peut avoir une adresse n'importe où.

- Vous n'avez pas accès aux archives des fournisseurs internet ?

- Si, c'est vrai...

- Il faudrait voir pour ses anciens comptes internet, s'ils ont bougé depuis sa mort, et aussi pour les comptes de ses parents, ou de son frère, de ses potes, chercher les mails qui partent ou arrivent de personnes qu'il connait.

- On peut faire ça facilement ?

- Pas vraiment, il faut une autorisation pour que le fournisseur d'accès donne accès aux données. On peut voir si parmi les gens que je connais certains ont un accès direct, mais à force ça risque de se voir.

- Mais qu'est-ce que tu risques ?

- Bah, pfff, ça dépend... Pas grand chose si Ylraw n'est personne, s'il a des relations je pourrai me faire virer.

- Genre s'il a des potes de la même veine que Mathieu Tournalet.

- Ouais... Si ça se trouve ils étaient tous ensemble, Seth, Mathieu, Ylraw...

- Et peut-être même Fabrice.

- Yep...

- Bon... En tous cas on peut déjà allez chez lui demain. Au pire on interrogera les parents, et on pourra déjà voir ce qu'il en est.

- S'il est vraiment revenu ils vont se méfier en me voyant.

- Hum... Peut-être que je pourrai les voir toute seule, je pourrai me faire passer pour une de ses copines. Une de ses anciennes copines, après tout, les parents ne savent pas tout de sa vie... Je pourrai faire croire que j'avais rencontré Ylraw sur l'île de Ré, et que nous avions eu une aventure, que j'étais tombé follement amoureuse de lui, puis qu'il avait disparu, et que je n'avais réussi à retrouver sa trace que récemment, pour m'apercevoir qu'il était mort !

- Mouais, c'est pas mal, si ça se trouve les parents compatiront et ils te mettront en relation avec lui.

- Ou au moins ils tenteront de lui faire savoir que je suis passé. En fait ce qu'il faudrait c'est que nous les écoutions juste après... Ça ne serait pas possible de les avoir sur écoute juste une heure ou deux après mon passage ?

- Une heure ou dix jours c'est pareil, c'est la mise en place qui n'est pas évidente. Une fois que quelqu'un a été sur écoute, c'est assez simple de redemander.

- Peut-être comme sa mort a été très mystérieuse ils les ont déjà écouté ?

- Je ne suis pas sûr que les parents avaient quelque chose à y faire, il est mort en Australie, quand même.

- Ça ne coûte rien de demander. Tu peux peut-être juste passer un coup de fil aux flics du coin. Pendant ce temps je peux faire l'itinéraire pour demain.

Thomas se releva, sans grande conviction, il m'aimait pas enfreindre les interdictions. Il savait que ce n'était même pas répréhensible, juste demander à des collègues si une ligne avait été sur écoute, il l'avait déjà fait, et ce n'était même pas interdit. Et puis Ylraw était mort de manière étrange, après tout il était policier, il ne faisait pas quelque chose contre la Police ou l'État, il enquêter sur une histoire très étrange, pouvant expliquer la mort d'un ressortissant Français à l'étranger, voire une conspiration à grande échelle ou des personnes se faisaient passer pour mortes... Fort de ces arguments, il retourna dans les toilettes et appela le SRPJ de Versailles pour avoir le numéro de Gap.

Il retourna rapidement voir Carole après son coup de fil de plus d'une demi-heure. Carole, le voyant pressé, eut les yeux qui brillèrent.

- Alors ?

- Tu as les plans ?

- Non. Enfin il n'y a pas d'imprimante, alors j'ai juste marqué sur mon bloc note les principales étapes, mais il n'y a pas trente-six route de toute façon, regarde, c'est assez simple, il suffit de prendre la N85 et de la suivre, elle part de Cannes et elle passe par Gap, c'est direct.

- Il n'y a pas d'autoroute ?

- Non, enfin il y en a une si on va à Aix, mais regarde ça fait quand même un gros détour. Et puis il n'y a qu'un peu plus de deux cents kilomètres par la N85, il ne nous faudra qu'un peu plus de trois heures je pense.

- On sort, j'ai pas mal de trucs à te dire.

Carole sentit que Thomas avait appris des choses par son coup de fil, elle s'empressa de fermer sa session et de récupérer ses affaires, puis ils sortirent et repartirent vers l'hôtel.

- Alors ?

- Les parents d'Ylraw étaient déjà sur écoute, ainsi que son frère, ses deux grand-mères, et plusieurs membres de sa famille ainsi que des amis dans les environs de Gap.

- Wouhaou !

- Tu l'as dit. Apparemment ils sont sur écoute depuis presqu'un an.

- Ils sont toujours sur écoute ?

- Oui

- C'est dingue, toute la famille ?

- Oui, mais je n'ai pas eu tous les détails. La personne qui s'occupe du cas n'était pas là. Ça va que je connaissais le gars qui m'a répondu, c'est le même que celui avec qui j'étais en contact au début de l'enquête. Demain on pourra passer sur place pour avoir plus d'info.

- Mais il ne t'a rien dit d'autre ?

- J'ai tenté d'en savoir plus, mais le gars semblait dire qu'il y avait quelque chose de bizarre. Ils ont eu un ordre de les mettre tous sur écoute, un ordre de Paris, d'une personne importante, mais ils n'en savent presque pas plus. Ils doivent simplement retransmettre tout ce qu'il se passe. D'après le gars il ne se passe pas grand chose, et ils n'ont jamais trouvé rien de très intéressant à leur yeux, mais Paris a continué à insister pour avoir l'intégralité des écoutes.

- On peut avoir accès à ces écoutes ?

- Oui, demain on pourra voir.

- Peut-être, comme ils ne savent pas ce qu'ils cherchent, ils n'ont pas fait attention, mais peut-être que Ylraw, Seth, Mathieu Tournalet ou d'autre personnes ont pris contact.

- Oui c'est possible, suite au décès d'Ylraw il y a eu énormément de contact, mais comme ils ne savaient pas distingué ce qui avaient de l'importance des autres, ils se sont contenté de tout faire parvenir à Paris.

- Quand tu dis Paris, c'est qui ?

- Le ministère de l'Intérieur.

- Et ils n'ont jamais su ce qu'ils devaient chercher ?

- Non.

- Ils les ont suivi ?

- Passé un temps ils avaient des observateurs autour de la maison des parents d'Ylraw, et ils ont suivi sont frère aussi, mais désormais ils ne le font plus.

- Et ils avaient découvert des choses ?

- Il n'en savait rien. Le problème c'est qu'ils ne savaient pas pourquoi ils devaient le faire, alors ils n'avaient pas trop d'idée des contacts importants. Mais normalement on pourra regarder tout ça demain.

Carole était toute excitée :

- C'est cool ! On va peut-être enfin découvrir des trucs, c'est trop cool !

L'espace d'un instant, elle eut presqu'envie de prendre Thomas dans ses bras, mais elle se retint. Ne serait-ce que d'envisager enfin pouvoir progresser dans leur petite enquête la rendait euphorique. Ils arrivèrent à l'hôtel, et décidèrent d'aller directement au restaurant pour dîner.

Carole était enchantée à l'idée de partir à la recherche d'Ylraw le lendemain, et Thomas était enchanté d'enchanter Carole. Tout cet enchantement leur fit prendre un bon apéro et un somptueux repas déraisonnablement arrosé.

Erreur

L'erreur fut sans doute le digestif, ou Carole perdit pour de bon le sens des réalités. Thomas le sentit, et il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour la convaincre de remonter dans la suite.

Thomas dut l'aider, elle s'accrocha tant bien que mal à ses épaules. Arrivés dans la suite, ils se laissèrent tomber dans le canapé. Thomas la trouva extrêmement lourde, il se dit que l'alcool devait sans doute trop affecter ses capacités de jugement. Il se demanda s'il ne ferait pas mieux d'aller se coucher. Après tout, Carole était beaucoup trop saoule et il serait malvenu qu'il abuse d'elle dans cette situation.

Elle était en pleine forme ! Elle parlait, parlait, parlait. Elle parlait d'Ylraw, de l'enquête, qu'ils allaient découvrir des choses extraordinaires, l'élixir de la jeunesse, de la vie éternelle, et bien plus encore.

Elle avait chaud, si chaud ! Elle retira sa veste. Thomas devina sa poitrine sous son tee-shirt blanc et il tenta de se persuader d'aller se coucher. Ce n'était pas sain, ce n'était pas bien, il voulait coucher avec elle, mais pas comme ça, pas juste là, alors qu'il ne savait même pas trop où il en était, qu'il n'était même pas capable de juger correctement la situation.

Il était beau, si beau, il avait l'air fort. Mais pourquoi avait-elle résister jusqu'alors, mais pourquoi n'avait-elle pas couché avec lui dés le premier jour ?

Pourquoi venait-elle sur lui, pourquoi elle ne le laissait pas ? Elle n'avait jamais voulu de lui, pourquoi maintenant, c'était l'alcool, c'était sûr, c'était ça, c'était l'alcool. Non ? Ça pouvait être autre chose ?

Il avait des pectoraux, ouhaou ! Ils étaient tout durs ! Mon Dieu mais comment avait-il mis sa veste, c'était tellement dur à l'enlever !

Mon Dieu elle tentait de le déshabiller, mais qu'allait-il faire, qu'allait-il devenir, comment résister, comment fuir ?

Oh et puis mince, il n'avait qu'à se déshabiller tout seul, après tout. Il lui suffisait d'enlever elle tout ses vêtements, il ne pourrait pas tenir très longtemps. Elle avait de si jolies fesses, comment pourrait-il les snober ?

Oh elle était belle, elle était si belle. Elle était debout, elle enlevait ses habits... Oh elle tombait sur lui, elle ne tenait pas debout, elle avait trop bu, elle avait beaucoup trop bu, mais pourquoi elle avait bu autant, et pourquoi il n'arrivait pas à enlever sa veste !

Elle avait trop bu, oui, non, non pas tant que ça, elle comprenait encore bien la situation, elle n'était pas très compliquée la situation, elle était juste là, elle voulait enlever son pantalon, et lui voulait enlever sa veste, c'était pas compliqué comme situation, qu'y avait-il de compliqué ?

Mais pourquoi sa veste était si lourde ! C'était impossible quand même, ça ne devait pas être la sienne, c'était quelqu'un qu'il lui avait mis, la sienne était moins lourde.

Elle l'embrassait, oui, c'était une bonne idée, l'embrasser, rigoler, le mettre en confiance, oui, lui montrer ses seins, ils étaient beaux, très beaux, comment pouvait-il résister ?

Ses seins, oh comment ne pas les toucher.

Il avait les mains si chaudes, oui, c'était bon, elle avait eu raison de vouloir faire l'amour avec lui, il avait les mains chaudes.

Tant pis pour la veste, après tout, la veste, quelle importance, et puis ce n'était sans doute pas la sienne, alors il pouvait bien la garder, ça lui ferait une veste en plus, même si elle était lourde.

Mais qu'est-ce qu'il attendait pour se déshabiller et la déshabiller, c'était quand même pas sorcier !

Trop serrer dans ce pantalon, il fallait se lever pour l'enlever, oh déjà défaire la ceinture, oui, la ceinture, c'était facile ça, la ceinture.

Oui son sexe, oui vite vite, avant qu'il ne partît, vite, venir le prendre dans sa bouche, oui, vite.

Elle le suçait ! Oui ça faisait si longtemps, mais comment pouvait-elle le faire alors qu'il avait cette veste si lourde, il fallait bien qu'il la retire !

Tirer, tirer ! Tirer son pantalon pour l'empêcher qu'il le remît ! Il n'allait tout de même pas partir, et puis s'il ne voulait pas se déshabiller, après tout, elle pouvait très bien le faire elle même.

Maintenant il ne pouvait plus se lever, il avait son pantalon à mi-cuisse, comment faire, il était coincé, surtout qu'avec cette veste, il ne pourrait jamais se lever, il allait devoir lui faire l'amour, il n'avait pas le choix.

Oh ! Son sexe était si gros ! Elle avait presque du mal à le prendre dans sa bouche, c'était vraiment une bonne idée de faire l'amour, oui, une très bonne idée, mais pourquoi ne l'avait-elle pas fait plus tôt ?

Mais ! Elle l'avait ligoté ou quoi ? Il n'arrivait plus à bouger les bras, sans doute c'était elle qui lui avait mis cette veste pour le bloquer.

Enlever son pantalon, ce n'était quand même pas bien compliquer, il suffisait de se rouler par terre, défaire les boutons, et puis pousser le pantalon avec la culotte en même temps. C'était coincé, mais pourquoi son pantalon était-il si serré ! Elle avait grossi, c'est le repas, elle n'aurait pas dû autant manger, elle avait grossi, il ne fallait pas trop qu'il le voit sinon peut-être qu'il n'allait plus avoir envie.

Mais où était-elle, elle était partie ? C'était bizarre, elle était là il y avait deux minutes, elle était aller quoi ? Un préservatif, oui sans doute, un préservatif, elle était allé chercher un préservatif.

Mais c'était pas possible d'avoir autant grossi, c'était quand même pas si compliqué d'enlever son pantalon. ! Ah elle tournait de rage pour le pousser avec ses pieds, ses jambes. Enfin ! Enfin ! Vite, il fallait retourner prendre son sexe dans sa bouche, au cas où il n'eut plus envie.

Ah la revoilà ! Oh oui elle le suçait encore, c'était bon, c'était si bon, c'était bien.

Son sexe était vraiment gros, c'était vraiment une bonne idée de lui faire l'amour, mais pourquoi ne l'avait-elle pas fait plus tôt ?

Bah tant pis pour cette veste, après tout, elle le suçait quand même, ça ne devait pas la gêner. Par contre il aimerait bien enlever complètement son pantalon, ça serait quand même plus pratique. Il fallait la repousser un peu.

Oh non ! Il la repoussait ! Il n'aimait pas ! Mon Dieu elle ne faisait pas bien les fellations, elle le savait, elle avait toujours peur de faire mal, mon Dieu, vite, ne pas le laisser partir !

Mais, elle ne voulait pas lui laisser enlever son pantalon, mais comment allait-il faire, il ne pourrait rien faire dans cette position. Déjà ! Elle était déjà sur lui !

Oh c'était bon ! Depuis tout ce temps, oh oui ! C'était si bon, sentir un sexe entrer en elle ! Et puis il était si gros, c'était vraiment une bonne idée !

Peut-être qu'elle voulait tour faire, peut-être qu'elle ne voulait pas qu'il bougeât ? Mais quand même c'était bizarre. Comment avait-elle pu lui mettre cette veste sans qu'il s'en aperçoive ?

Oh oui ! Elle gémissait, oui, elle gémissait, c'était bon, c'était bon, mais ce n'était pas très pratique comme position, ses genoux était un peu trop relevé avec le dossier du canapé, il aurait fallu qu'il se laissât un peu glisser. Peut-être qu'elle pourrait le tirer un peu sans qu'il n'eût le temps de partir ?

Ah, elle semblait vouloir lui enlever son pantalon, c'était une bonne idée, peut-être qu'ensuite elle lui enlèverait sa veste, ça serait bien pratique.

Voilà, comme ça là, ça serait plus simple, elle pourrait plus facilement se mettre sur lui, mais vite, vite, il ne fallait pas le laisser partir, alors vite revenir sur lui et enfoncer son sexe, vite.

Oh non, elle avait juste descendu le pantalon jusqu'au cheville, comment allait-il faire ? Il n'était pas assez souple, et puis avec cette veste il n'arriverait jamais à atteindre ses chevilles.

Bouger, bouger, oui, c'était bien, c'était bien... Mais pourquoi ne lui touchait-il pas ses seins ? Il ne les aimaient pas ? Peut-être avait-il remarqué qu'elle avait beaucoup grossi pendant le repas.

Elle allait trop vite, elle allait trop vite ! Comment pouvait-il suivre si elle allait si vite. Et puis avec cette veste, il était coincé, il ne pourrait jamais la tenir correctement.

Il s'endormait ! Non, ce n'était pas possible, pourquoi est-ce qu'il ne bougeait pas ? Il n'aimait pas ? Il fallait trouver autre chose, une autre position, il fallait trouver ce qu'il aimait.

Ah, elle bougeait, elle allait peut-être l'aider à enlever sa veste, ou au moins son pantalon. Non ! Elle se tournait juste ! Mais c'était quand même pas possible pourquoi ne lui enlevait-elle pas son pantalon ?

Mais pourquoi n'arrêtait-il pas de parler de sa veste et de son pantalon ! Quand même, elle était là, mince ! C'était quand même plus important ?

Bon, comment faire pour enlever cette veste, quand même, il était policier, il allait bien trouver, et puis si elle était vraiment trop lourde, il pourrait peut-être la découper en lui tirant dessus avec son arme.

Il fallait le faire jouir, oui ! C'était la solution, une fois qu'il aurait joui une fois, il ne partirait plus.

Elle allait beaucoup trop vite, elle allait beaucoup trop vite, il n'arriverait jamais à tenir si elle allait si vite, surtout que ça veste devait le rendre plus faible.

C'était quand même pas mal, c'était quand même vrai qu'avoir un mec avec une grosse c'était bien, c'était bien. Quoique Gaen lui faisait bien l'amour, aussi, il faisait plutôt bien l'amour. Oui mais Thomas il ne bougeait pas, il ne bougeait pas !

Il allait jouïr ! Il allait jouïr, elle allait beaucoup trop vite !

Ah, il semblait aimer, c'était pas trop tôt ! Continuer, il fallait continuer !

Non, non, non ! Il n'allait quand même pas jouïr avec sa veste ! Quand même ! Arg ! Voilà, enfin, il avait réussi à sortir un bras !

Oh non pourquoi la repoussait-il ! Non ! Non ! L'attirer vers elle oui, l'attirer sur le côté, sur elle, vite, l'enlacer pour reprendre son sexe en son sein, vite !

Ah ! Oui, comme ça ! C'était bien mieux, allongé sur elle, il pouvait enfin se débarrasser de cette veste ! Enfin, victoire ! Il s'était libérer ! Il ne rester plus qu'à enlever son pantalon, et il pourrait vraiment lui faire l'amour, vraiment lui montrer de quoi il était capable.

Non ! Non ! Non ! Il ne fallait pas qu'il parte, le tirer, le garder en soi, crier ! Lui dire d'aller plus vite ! Plus vite !

Elle criait trop fort, bien trop fort, elle allait le rendre sourd, mon Dieu, vite, comment faire ! Et avec son pantalon, il ne pourrait jamais partir ! Il fallait en finir, c'était la seule solution, il fallait en finir !

Oui ! Oui ! Oui ! C'était bon, bon ! C'était bon ! Bon ! Bon ! Quand il allait vite comme ça, oui en plus c'était vraiment une bonne idée, il avait un si gros sexe, elle le sentait si bien de toute sa longueur, c'était si bon ! Il fallait qu'il continuât, elle allait jouïr, c'était si bon !

Il fallait qu'elle jouît, comme ça elle arrêterait de crier et il pourrait enlever son pantalon en paix, il ne deviendrait pas sourd et il pourrait aller se coucher tranquillement.

Crier ! Crier ! Plus elle criait plus il allait vite ! Il aimait qu'elle criât, oui ! C'était ça ! C'était ça le truc !

Mais qu'elle se taise ! Mais qu'elle se taise ! Il fallait en finir ! C'était bon, oh oui c'était bon, oui ! Oui ! Ça venait !

Elle jouissait ! Oui ! C'était bon ! Oui ! Quelle bonne idée ! Quelle bonne idée !

Il jouissait ! Oui ! C'était bon ! Oui ! Il allait pouvoir enlever son pantalon ! Oui !

Carole le serra dans ses bras, pour plus le sentir. Thomas se laissa faire, il ne résistait que rarement à s'endormir après avoir fait l'amour, et ce jour-ci ne fit pas l'exception, il tomba presqu'immédiatement dans un profond sommeil. Mais Carole ne fit guère mieux, et cinq minutes plus tard ils dormaient tout deux, Carole sous Thomas, elle avait encore ses chaussettes, et Thomas, sur elle, avait toujours son tee-shirt, son pantalon aux chevilles et ses chaussures.

Sa brûlure, sa brûlure le réveilla, il avait chaud, tellement chaud, il était tellement fatigué. Elle le rongeait, il la sentait, il avait tellement chaud. Il retira tant bien que mal son tee-shirt, ne parvint à n'enlever qu'une seule manche, puis se rallongea presque aussitôt, heureux de pouvoir se serrer contre Seth, sa Seth, elle était à lui, comme elle avait toujours été, quel cauchemar qu'elle lui fît croire qu'elle était morte, il l'embrassa sur la joue et se rendormit.

Mal

Ils étaient rentrés dans la chambre à minuit 42, ils avaient joui à 1 heure 19. Ce fut d'un long gémissement que se réveilla Carole à 8 heures 23, la main sur le front, un mal au crâne terrible. Il lui fallut bien cinq minutes pour vraiment ouvrir les yeux et commencer à réfléchir à où elle se trouvait et ce qu'il s'était passé.

- Aaarh !

Elle cria de dégoût quand elle eut cette image de sexe énorme qui lui revint à l'esprit. Elle se tourna et vit Thomas, collé contre elle, puis elle la vit. Elle la vit et resta muette, elle eut la nausée, elle vomit, elle se tira du plus vite qu'elle put, elle poussa Thomas, il pesait une tonne ! Elle glissa et tomba par terre, elle eut d'autre soubresaut de vomissement, elle se vomit dessus, se retrouva au sol dans son vomi. Sa tête lui tournait, elle avait un mal au crâne terrible, mais ça n'importait guère.

Elle voyait son flanc, là, Thomas avait à moitié enlevé son tee-shirt, il était encore avec son pantalons aux chevilles, c'était ridicule, mais elle s'en moquait, elle la voyait elle. Elle voyait cette gangrène qui lui avait presque prit tout son côté, elle voyait cette tâche sombre et énorme qui arrivait jusque dans son dos ! Elle tenta de se relever, mais sa tête lui tourna et elle tomba au sol, elle marcha alors tant bien que mal à quatre pattes jusqu'à la salle de bain.

Mon Dieu ! Mon Dieu ! Pourvu qu'elle n'eut pas fait l'amour, pourvu qu'elle eut vraiment trop bu et qu'elle n'eut pas fait l'amour !

Peine perdue ! Elle avait du sperme qui coulait encore de son vagin ! Non ! Non ! Cette idée la dégoûta encore plus, elle vomit de nouveau. En plus c'était la plus mauvaise période possible ! Elle avait eu ses règles il y a deux semaines et elle ne prenait plus la pilule depuis qu'elle avait quitté Gaen !

- Quelle conne ! Quelle conne ! Quelle conne !

Mon Dieu et si elle attrapait son mal ! Mon Dieu si elle chopait cette saloperie qui lui bouffait le ventre ! Elle pleura, supplia, elle vomit encore. Elle s'en voulait tellement ! Mais pourquoi avait-elle autant bu, mais pourquoi ! Pourquoi avait-elle fait l'amour avec lui ! Et lui pourquoi avait-il accepté !

- Je dois partir ! Je dois partir !

C'était un cauchemar, comment allait-elle s'en sortir, comment allait-elle se débrouiller ! Elle rentra dans le jacuzzi et se rinça avec l'eau la plus chaude qu'elle put soutenir, elle tenta de retirer de son vagin le plus de sperme qu'elle pouvait. Elle continuait à pleurer, elle avait toujours envie de vomir et toujours aussi mal à la tête. Comment allait-elle partir ? Prendre le train ? Mon Dieu mais il lui faudrait trouver la gare, et sans doute qu'il n'y aurait pas de train immédiatement, et si Thomas venait la rattraper ? Non, elle prendrait la voiture, tant pis, elle l'abandonnerait plus loin, il lui fallait avant toute chose partir le plus vite possible ! Il lui faudrait aussi trouver une pharmacie, c'était même le plus urgent, une pharmacie ! Combien de temps avait-elle pour espérer qu'une pilule du lendemain fît effet ? Elle n'en savait rien, elle n'en avait jamais prise, elle avait toujours été tellement prudente auparavant ! Mais quelle idiote ! Peut-être qu'il fallait moins de douze heures ? Mon Dieu, quelle heure était-il ?

Elle ressortit nue de la salle de bain, récupéra rapidement ses habits qui traînait autour du canapé. Elle ne put s'empécher de regarder de nouveau cette tâche sur le flanc de Thomas, elle eut de nouveau envie de vomir et de pleurer. Était-il mort ? Était-il lui aussi de la race de Seth ? Pouvait-il l'avoir contaminé ? Serait-ce un vampire ? Un monstre qui transmet ses gènes maléfique ?

Oh mon Dieu, partir, vite ! Elle se dirigea dans sa chambre s'habilla rapidement, récupéra toute ses affaires et sortit le plus rapidement possible sans regarder derrière elle.

Comment récupérer la voiture ? Avec tous ses bagages peut-être refuseront-ils de la lui donner ? Il était presque neuf heures du matin. Elle s'arrangea donc pour laisser ses affaires discrètement dans un coin, et prit un air décontracté pour aller demander qu'on avance la voiture à l'accueil. La personne ne fit aucune encombre, et indiqua à Carole que la voiture serait devant l'immeuble dans une minute.

Elle récupéra son sac et se dirigea rapidement devant l'hôtel, le voiturier ne sembla pas plus troublé que cela qu'elle eut son sac, elle ne prit pas la peine de le mettre dans le coffre, elle le posa à côté d'elle et partit sur le champ. La capote de la voiture n'était pas mise, aucune importance, elle se sentit tout de même un peu mieux quand elle vit l'hôtel s'éloigner derrière elle.

Une pharmacie, vite, c'était maintenant la priorité. Quelle idiote ! Elle aurait dû demander à l'accueil de l'hôtel ! Tant pis, elle tourna un peu dans les rue, mais la peur de rester coincé la stressa, et elle décida de partir au plus vite, elle trouverait bien une pharmacie un peu plus loin. Elle eut tout de même peur, s'il ne fallait que six heures ? Six heures ce n'était vraiment pas beaucoup et la pilule ne s'appellerait sans doute pas pilule du lendemain s'il fallait la prendre dans les six heures. Elle eut tout de même un doute et finit par demander à un passant la pharmacie la plus proche. Elle dut interroger trois personne avant d'avoir une indication, elle se gara immédiatement en double file et courut deux rues plus loin dès qu'elle eut son renseignement.

Elle fut rassurer d'apprendre que la pilule était d'autant plus efficace qu'elle était prise tôt, mais qu'elle pouvait être utiliser jusqu'à quarante-huit heures après la situation à risque. Elle écouta attentivement les recommandations de la pharmacienne, acheta en même temps une boisson énergétique en guise d'eau et prit les deux pilules aussitôt arrivée dans la voiture. Elle regretta encore sa précipitation et lut attentivement la notice, un peu tard mais la pharmacienne lui avait bien tout expliquer, et elle se sentit déjà un peu moins catastrophée.

Son esprit se focalisa alors sur cette tâche, sur ce mal, sur cette gangrène, elle pleura de nouveau et chercha rapidement les panneaux indiquant l'autoroute pour fuir au plus vite. Elle avait l'impression que son vagin la brûler, elle avait une douleur à l'intérieur, elle avait tellement peur d'attraper ce mal. Mon Dieu mais qui était Thomas ? Un monstre ? Était-il à la botte de Seth pour trouver de nouvelles victimes ? Allait-elle se transformer ?

Elle rejoint l'autoroute et prit la direction de Marseille. Elle roula un peu vite au début, puis des panneaux indiquant la présence de radars lui firent lever le pieds.

Il lui fallut bien une heure avant de commencer à réfléchir, et ne pas se ressasser toujours les mêmes images. Elle approchait de Marseille, elle s'arrêta à une aire d'autoroute pour mettre un peu les choses au clair dans sa tête.

OK, elle avait fait l'amour avec Thomas, et après ? Elle avait bu, lui aussi sans doute, et ils avaient fait l'amour, ce n'était pas la première fois qu'elle faisait une bêtise après avoir bu, des choses pareilles lui étaient déjà arrivé plusieurs fois pendant son école de commerce, après les soirées bien arrosées. Elle n'était certes jamais allés aussi loin, mais il n'y avait rien de catastrophique. Certes elle n'avait pas pris de précaution, certes elle ne prenait pas la pilule et se serait bien la croix et la bannière si elle tombait enceinte, mais elle pourrait toujours arrêter la grossesse, même si l'idée la dérangeait un peu, mais elle avait pris la pilule du lendemain, et si les chances de réussite n'étaient que de sept sur dix, il serait quand même bien malencontreux que la seule fois qu'elle fît l'amour depuis plusieurs mois elle tombât enceinte.

Elle se persuada de mettre cette possibilité de côté, et de considérer que son seul tord fut d'avoir bu et d'avoir céder à Thomas. Et puis après tout elle avait déjà envisagé l'hypothèse auparavant, et si, certes, elle s'était promise de ne pas coucher avec lui, c'était plus pour ne pas entamer une relation durable avec lui que par refus de l'acte en lui-même.

Mais ce qui la traumatisait par dessus tout, c'était cette tâche. Qu'est-ce que c'était, était-ce une maladie ? Après tout ce n'était peut-être qu'une tâche de naissance, et il n'y avait pas de raison de péter les plombs de la sorte. Elle sortit de la voiture et fit quelques pas. Elle ne parvenait pas à se persuader que tout n'était qu'anodin. Elle n'avait qu'une envie, c'était de reprendre la voiture et de partir le plus loin possible, et faire en sorte de ne plus jamais revoir Thomas, de ne jamais se laisser approcher par lui, par elle... Cette tâche l'obsédait, elle l'obsédait d'autant plus qu'elle sentait encore cette douleur en elle.

Elle se dit qu'elle n'élaborerait rien de constructif pour l'instant, et qu'elle ferait mieux de repartir. Elle se demanda si elle avait bien fait de partir avec la voiture, qu'allait-elle en faire ? Elle ne pouvait pas la garder, il lui faudrait bien la rendre, mais où ? Elle pourrait peut-être la laisser à un loueur sur Marseille, et repartir en train. Elle aurait mieux fait de prendre le train directement, elle n'aurait pas eu à se soucier de cette question. Elle se dit qu'elle pourrait simplement téléphoner à l'hôtel et dire que la voiture était tombée en panne au bord de la route, et qu'ils pourraient venir la récupérer, ou la laisser dans un garage ou une station-service. Son portable ! Non ! Elle avait oublié sur la commode de sa chambre ! Trop bête, elle s'était dit pourtant dans la salle de bain qu'elle ne devait pas l'oublier !

Quelle conne ! Si elle réfléchissait un peu avant de faire les choses, partir avec une telle précipitation, quel intérêt ! Le mal était fait de toute façon ! Qu'aurait-il pu lui arriver de plus, Thomas n'allait pas se transformer en loup-garou et la dévorer ! C'était d'ailleurs peut-être encore pire d'être partie, ne pas s'expliquer, ne pas trouver une excuse, prétexté une maladie de sa mère, ou un rendez-vous important. Thomas allait sans doute vouloir savoir, vouloir la revoir, que faire ? La simple idée de retourner dans cet hôtel lui donnait la nausée, Thomas, le vomis, le sperme, et par-dessus tout cette tâche ! Non, elle ne pourrait pas retourner là-bas, elle ne pourrait pas. Pas aujoud'hui, en tout cas, pas avant qu'elle ne fût sûre de ne pas être enceinte, et de ne pas avoir ce mal.

Elle convint alors de rouler jusqu'à Toulouse, et là-bas, elle serait suffisamment loin et l'esprit apaisé pour trouver comment laisser la voiture et prendre le train jusqu'à l'Île de Ré. La voiture était assez agréable à conduire, elle aurait bien relever la capote, il ne faisait pas si chaud à cent trente sur l'autoroute, mais elle ne voulait pas galérer à tenter de la relever.

Elle dut faire le plein deux fois, et arriva sur toulouse beaucoup plus tard qu'elle ne le pensait, il était déjà 15 heures passées. Elle usa de ses charmes pour garer la TT sur une station service et convaincre le personnel de service d'accepter les clés en lui expliquant que quelqu'un allait passer récupérer la voiture. Une fois à la gare, elle prit le premier train à destination de Bordeaux, il y en avait un presque toutes les demi-heures, et elle arriva à Bordeaux vers 18 heures, et à 21 heures passées elle était à la Rochelle, où elle récupéra sa voiture pour rentrer chez elle.

Une fois chez elle, elle ferma ses fenêtres, s'enferma dans sa chambre et se coucha, épuisée.



Ylraw Souvenirs

Sas

J'ouvre les yeux de nouveau, réveillé par la faible température. Je dois sortir d'ici, ou je vais mourir de froid. Difficilement je parviens à m'agenouiller. Je reste plusieurs minutes ainsi, puis je tente de me relever. Je n'y arrive pas, ma jambe me fait défaut et je roule au sol.

J'attends encore plusieurs minutes, je suis encore très engourdi. je bouge doucement mes pieds, puis mes jambes, pour tenter de rechauffer mon corps. Je me roule sur le ventre et rampe jusqu'aux abords d'une table entourrée de chaises. Je m'aide de l'une d'elle et me retrouve finalement assis appuyé contre la table. Je prends un peu plus le temps de regarder autour de moi. La faible lumière me laisse entrevoir une grande salle circulaire, avec des ordinateurs au fonds, ainsi que les tubes dont celui dont je suis sorti. Il y a peut-être des gens dans les autres, mais je n'aurai pas la force d'aller voir.

Dix minutes passent, peut-être plus. Je me dis que si d'autres persones sont enfermées dans ces tubes, je ne peux pas les laisser là. Je parviens à me mettre debout en me tenant à la table. Je bouge mes jambes pour me réchauffer. Je secoue les épaules. Je fais quelques pas, j'ai du mal mais je tiens debout. Je prends alors une chaise, que je traîne jusqu'à un tube, puis je la soulève et donne un grand coup contre le tube. La chaise rebondi et tombe. Je tombe aussi, déséquilibré.

Le tube n'a pas bronché. Je me relève et donne de nouveau un grand coup, toujours rien. Deux coups supplémentaires sans aucun résultat m'incitent à laisser tomber.

J'ai toujours aussi froid. Je cherche dans ma mémoire qu'est-ce qui a bien pu m'amener ici, mais je n'y découvre que du noir. Rien ne me revient. Je sors finalement de cette pièce. Le couloir est noir et froid, sans signe de vie. Je retourne dans la grande pièce, je m'approche des ordinateurs. J'ai su faire marcher des choses pareilles dans le passé, j'en ai le sentiment. Mais maintenant je suis démuni.

Je reste encore quelques minutes pensif, cherchant vainement une trace du passé. Mon corps commence à s'habituer au froid, même s'il reste encore douloureux. Je me demande combien de temps je suis resté dans ce tube, peut-être des mois, des années, peut-être que le monde a changer de face depuis mon enfermement, peut-être que je ne pourrais jamais sortir et que je vais simplement mourir de faim...

Je fais un tour plus méticuleux de la pièce, mais rien ne me donne d'indication. Aucune inscription, aucune trace qui puisse me donner une piste. Mais la lumière est trop faible, je ne distingue que très partiellement les détails. Il me semble voir des tâches noires sur le sol, comme des tâches de sang. Je me baisse pour en sentir l'odeur, mais rien ne m'indique si c'est bien du sang ou non.

Je sautille sur place pour me réchauffer un peu, et je me donne du courage avant de sortir une nouvelle fois de la pièce. Je reste quelques minutes dans le noir, espérant que mes yeux puissent y distinguer quelques choses, mais malheureusement la faible luminosité émanant de la grande pièce ne me permet pas de distinguer quoi que ce soit.

J'ai un peu peur, j'avoue, dans le noir, sans savoir où je suis ni ce que je peux trouver. Toutefois il n'y a aucun bruit, et voilà sans doute plusieurs heures que je suis sorti du tube, et je commence à avoir faim et soif. Les parois sont froide comme la glace, j'en ai un frisson dans le dos rien qu'à les toucher. Il fait vraiment très froid. J'avance doucement dans le couloir, et rentre dans la première pièce que je trouve. J'en suis les parois, pour tenter d'y trouver quelques indices, peut-être un interrupteur. Mais rien. La pièce est plus petite que celle où je suis arrivée, et je ne fait que me cogner à une table et des chaises métalliques.

Aucune fenêtres, pas la moindre source de lumière, je suis dans le noir complet. Je sors et avance dans l'autre direction. Je trouve une nouvelle pièce, mais le constat est identique, elle est quasiment vide. Je commence à me dire que je suis dans des sortes de caves abandonnées, à moins qu'un feu nucléaire ait ravagé la terre, et que l'hiver lui succédant à glacer le monde, des particules de poussières masquant depuis des mois ou des années la lumière du Soleil...

Ah quelle plaie de ne se rappeler de rien ! J'en viens même à jurer tout haut, frustré de ne rien comprendre. Qu'est-ce qu'il s'est passé, bon sang !

Je m'appuie contre une paroi un instant, me prenant la tête entre les mains comme pour tenter d'en sortir quelque chose, mais je ne me souviens de rien, pas plus de mon nom que de mon passé...

Quoi qu'il en soit il me faut sortir d'ici, je ne sais pas ce qu'il peut y avoir dehors, mais si je dois mourir autant tenter de comprendre un peu plus. Je quitte la pièce ou je suis, et avance encore un peu, je trouve une nouvelle pièce, en fait le tour rapidement jusqu'à me blesser au pied en tapant dans un objet tranchant. Je retiens un cri de douleur et un juron.

Je me concentre quelques minutes pour surmonter la douleur, puis j'étudie avec plus d'attention ma découverte. De prime abord je trouve une sorte de tas de couverture. J'en récupère déjà deux que je me passe sur le dos avant de cherche plus en avant. Je reste tremblotant cinq bonnes minutes puis je continue mon dépilement à l'aveuglette. En dessous les couvertures se trouve des habits, des chemises. J'en enfile deux. Je trouve aussi des shorts, et finalement une paire de jeans et quelques caleçons. J'enfile ce que je trouve le plus à ma taille. Les jeans sont presque à ma taille. Je trouve aussi des tee-shirts. J'évite de sélectionné un qui m'a l'air déchiré et couvert d'un liquide séché, peut-être du sang, encore. Finalement je trouve de quoi m'habiller de la tête au pied. Je complète le tout en dénichant après deux trois essais pour écarter des sandales bien trop grandes une paire de chaussures à ma taille.

Je prends quelques minutes pour me réchauffer sous mon nouvel accoutrement, qui se compose d'un caleçon, une paire de jeans, des chaussures, je n'ai pas trouvé de chaussettes, un tee-shirt immense, trois chemises, et deux des couvertures initiales. Je trouve dans les poches de mon jeans un portefeuille, un carnet, deux mouchoirs, des clés et des pièces de monnaies. Avant de retourner dans la pièce principale et tenter d'observer mes trouvailles sous la faible luminosité, je repasse en revue l'ensemble de la pile, trouve un autre petit carnet et quelques babioles. Finalement sous la pile je découvre le responsable de ma blessure initiale, un tas d'épée et de long couteau. Je prends une des épées et une dague et je retourne, dorénavant un peu plus équipé, dans la pièce principale.

Je dépose mon butin sur la table. Les pièces de monnaie sont des dollars australien. Serai-je en Australie ? Cette première supposition est confirmée par les diverses adresses inscrites sur le carnet que je trouve dans la poche arrière des jeans. Le portefeuille quant à lui ne contient aucun papier d'identité, je ne saurai donc pas si ces affaires m'ont appartenu ou non. J'y trouve quelques cartes de visites. La plupart des adresses se trouvent à Melbourne, laissant supposer que c'est la ville ou je me trouve. Cette ville est en Australie. Je sais où se trouve l'Australie, mais je ne sais pas où se trouve mon pays. Mais je sais que ce n'est pas l'Australie.

Les deux autres petits bouts de papiers griffonnés ne m'apprennent rien de plus, simplement deux numéros de téléphone. Je sais ce qu'est un téléphone. Je sais que petit j'ai démonté des téléphones. Mon père travaillait dans un endroit rempli de téléphones...

J'ai toujours froid malgré les cinq ou six couches de vêtements, et désormais armé j'ai beaucoup moins de ressentiments à me lancer à l'aventure. Ne pouvant rien déduire d'autre de mon carnet, je rempoche tous mes indices et ressort, la dague dans une main et l'épée dans l'autre. Ne sachant si partir à gauche ou à droite, je me décide pour la droite, c'est dans cette direction que j'avais trouvé les habits, c'est peut-être par là que se trouve la sortie, dans l'espoir qu'il y en ait encore bien une.

J'avance lentement, l'épée pointée en avant, la dague frôlant la paroi. Le noir est complet, le froid toujours aussi présent. Je tente de m'énumérer ce que je sais, et ce que je ne sais pas. Je ne connais pas mon nom, mon âge... je ne sais même pas vraiment à quoi je ressemble. J'ai l'image d'une femme, ma mère, peut-être, ou ma femme. Elle est très belle. Je perçois une colère en moi, une tension, une envie de vengeance, mais je ne sais pas de quoi ou de qui.

Je marche longtemps, très longtemps, beaucoup plus longtemps que mes maigres souvenirs ne peuvent m'occuper. Je dois gravir plusieurs escaliers, traverser de nombreuses portes. Je n'ai pas la notion du temps qui passe, mais je dois marcher peut-être deux heures, ou le double. Je suis bloqué une première fois par une lourde porte. Mais avec de l'obstination je parviens à l'ouvrir. Une deuxième puis une troisième m'arrêtent encore sans doute une vingtaine de minutes chacune.

Jusqu'à ce que j'arrive à celle-ci. La porte précédente avait tout l'air d'un sas, une lourde porte ronde avec un volant rouillé pour l'ouvrir. Les deux qui avaient précédées étaient elle très lourdes, rouillées et difficiles à ouvrir, mais celle-ci n'a aucune prise. La faim et la soif commence à me tirailler avec insistance, et je ne me fais pas à l'idée de devoir faire demi-tour.

J'ai mal à la tête. Le froid sans doute me donne la migraine. Je m'assois contre la paroi un instant, après avoir tapé sans doute plus d'une demi-heure contre cette satanée ouverture. C'est plus un sas qu'une porte. Une porte blindée peut-être, condamnant l'accès à ces couloirs. J'y casserai même la lame de ma dague, en tentant d'en forcer l'ouverture par effet de levier dans le mince interstice.

Mais rien, pas moyen d'ouvrir. Finalement résigné je reviens sur mes pas en cherchant d'autres issues. Il me faut repasser les trois portes, et marcher plus d'une demi-heure, avant de trouver la première pièce. Mais elle est vide. J'inspecte par la suite quelques salles, puis, sans le moindre signe d'autre ouverture, repars plus rapidement de l'avant. Je repère plusieurs intersections qui m'avaient échappées précédemment, mais de peur de me perdre complètement, je tente dans un premier temps de revenir vers mon lieu d'arrivée. Il me faudra une bonne heure sans doute, et je commence à fatiguer quand la faible lumière s'échappant de la pièce circulaire me fait pousser un soupir de soulagement..

Soulagement tout relatif car ceci n'est pas pour autant une garantie de sortie. J'en profite pour remplacer ma dague cassée contre une nouvelle. Il me faudra ensuite sans doute plus de deux heures avant d'être de nouveau bloqué, non pas devant une porte, mais cette fois-ci devant un mur en béton. Je suis enfermé ! Je me laisse glissé le long de la paroi, découragé.

Je m'assoupis un instant, mais le froid me réveille, et je me dis qu'attendre est la pire des choses, car je dois faire le tout pour le tout tant qu'il me reste de l'énergie. Je tente alors de défoncer le mur, mais rien n'y fait, c'est du solide. Il me faut sans doute retourner de l'autre côté, qui doit être la seul issue de cet endroit. Je ne perds pas plus de temps et me remets en route, au passage je récupère les deux épées et la dague restantes, dans l'espoir de pouvoir les utiliser pour ouvrir le sas.

Je commence à fatiguer, j'ai à la fois chaud et froid avec tous mes habits, pour peu que je bouge ou que je m'arrête. Je dois faire une pause à un moment, ma blessure au pied me fait souffrir à la longue. Je finis par arriver de nouveau en face du sas, c'est d'autant plus frustrant que dans le noir complet je ne peux même pas me rendre compte de l'allure qu'il a, ni même d'éventuelles indications sur la manière la plus adéquate pour l'ouvrir. Je passe de nouveau un long moment à tâter méticuleusement le mur.

Je tape avec le manche d'une épée, mais je n'entends qu'un bruit sourd, la paroi doit être très épaisse. Je commence à me dire que je vais mourir enfermé ici. Mon mal de tête s'amplifie, tout comme ma fatigue. Rester constamment dans le noir me mine. Je m'endors dans un coin recroquevillé sous mes deux ponchos. J'arrive pendant quelques temps à retrouver une température un peu plus clémente. Je ne saurai dire combien de temps je dors, peut-être plusieurs heures. Je me réveille dans le même noir et le même silence.

Pendant des heures, je tape sur ce sas, espérant peut-être l'avoir à la longue. J'y casse une autre épée ainsi qu'une dague. Mon mal de tête est revenu. Je dois sortir. Je ne veux pas mourir dans le noir et le froid, non, je ne veux pas ça.

Je frappe avec mes poings, mes pieds, je me lance, je pousse, mais tout ne fait que m'épuiser toujours un peu plus. Du temps passe, des heures, j'équilibre mon temps entre des acharnements sur ce sas et de courtes périodes de sommeil dans un coin. Mon mal de tête ne fait que s'amplifier, et j'ai désormais une douleur persistante à la main droite, sans doute me suis-je fait une fracture en frappant contre le métal.

Je crie, je crie ma rage, frappant encore ce satané sas. Je n'ai pas envie de mourir ici, Sas ! Tu m'entends ! Je n'ai pas envie de mourir ici !

Des heures passent. Je dors encore, je n'ai même plus le courage de retourner en arrière. Rien ne change, il fait toujours aussi froid, et toujours aussi noir. Voilà sans doute plus d'une journée que je suis en face de ce satanée sas, et peut-être deux jours que je me suis réveillé dans ce tube. Je meurs de faim et de soif, mon ventre me tiraille et ma gorge est douloureusement sèche. Je ne sais plus désormais si ma migraine s'amplifie encore ou si elle a dorénavant dépassé tous mes seuils maximum de douleur.

Je ne perds pas courage pour autant, je continue à m'acharner sur ce maudit sas. Sans crainte de l'obscurité, je prends désormais mon élan sur plusieurs mètres pour m'élancer contre lui. Si seulement j'avais un bâton ou de quoi frapper.

Je sombre petit à petit dans une somnolence dangereuse. Je perds la notion du temps, ne sachant plus les heures ou les jours qui passent. Une seule chose obnubile mon esprit, sortir, écraser, fracasser, détruire ce fichu sas pour quitter cet endroit. Je me moque de ce que je trouverai derrière, tout ce qui m'importe, tout ce qui occupe mon esprit, c'est la volonté de voir ce sas éventré.

Mes vêtements ne me protègent plus suffisamment du froid, et je tremble et grelotte en permanence. La seule chose qui me fait tenir, c'est de frapper contre cette porte en métal.

Voilà sans doute plusieurs jours que je suis là, trois, quatre peut-être. Je ne maîtrise plus mon corps, il me brûle, ma tête est comme dans un étau, mes poings ne sont que deux boules de nerfs à vif à taper contre l'acier. Je suis mort de fatigue, de faim et par dessus tout de soif, mais mon corps trouve encore la force de se lancer contre le sas. Encore et encore. J'ai même le sentiment étrange que mon énergie augmente avec les heures qui passent. Que je frappe de plus en plus fort à mesure que mon esprit s'éteint.

Peut-être encore un jour s'écoule, je n'en peux plus, je ne dors plus, je ne me rends pas vraiment compte de ce qui se passe, je commence à voir, sans doute des hallucinations. Je vois ce satané sas, je le vois devant moi comme un ennemi. Je vois mes mains en sang, je vois les parois qui m'étouffent. Je ne sais plus vraiment ce que je fais, et je ne prends conscience que de temps en temps, après un choc violent contre le sas, ou quand je m'entends crier. Ma voix résonne dans les ténèbres, une voix forte et grave, une voix comme si j'étais déjà mort.

Je n'ai plus la notion du temps et je ne sais plus du tout combien d'heures ou de jours s'écoulent. Je me rappelle voir le sas de la porte précédente. Je me rappelle m'acharner dessus, le tirer, le frapper. Je me rappelle parvenir à le démonter, ou l'arracher. Je me rappelle le traîner au sol jusqu'à l'autre sas, le soulever et l'envoyer contre celui-ci. Je me rappelle le prendre et l'envoyer comme une vulgaire feuille. Je me rappelle prendre le sas par le volant métallique et le projeter encore et encore, toujours plus fort. Je me rappelle prendre mon élan et le propulser jusqu'à voir le sas se plier. Je me rappelle de l'eau, de l'eau couler par le sas. Je me rappelle voir la porte en métal qui me servait de projectile pliée, vrillée. Je me rappelle l'eau couler de plus en plus, jaillir. Je me rappelle parvenir à agripper le bord du sas et terminer de l'ouvrir. Je me rappelle me glisser sous la pression et me tirer d'autre côté. Je me rappelle le poids de l'eau, le manque d'air, mes yeux qui brûle, mon corps qui brûle. Je me rappelle cette lumière bleutée, puis je me rappelle me propulser vers la surface, nager et nager encore.

Australie

Je reprends conscience quand ma tête sort de l'eau et qu'une immense inspiration rempli mes poumons d'air frais. Je suis au milieu d'une sorte de port. Je me dirige tant bien que mal vers l'endroit que je juge le plus adéquat pour me tirer hors de l'eau. Une sorte d'échelle métallique me permet de me glisser sur la terre ferme, je m'allonge, épuisé, et m'endors, ou m'évanouit, aussitôt.

Je me fais réveiller par un passant qui venait prendre l'air frais du matin. Il me réveille et me demande si ça va. Il ne parle pas ma langue mais je comprends ce qu'il me dit. Je connais cette langue, je lui réponds que j'ai soif et faim. J'ai toujours une migraine terrible. Il s'éloigne en me disant de rester là. Je fais de gros efforts pour me mettre à genoux. Mes habits sont encore trempés. J'ai toujours une migraine terrible. Je m'assoupis vaguement et je suis de nouveau réveillé par ce même passant qui me temps une bouteille d'eau et un sandwich. Je le remercie vivement. Je bois sans attendre. Lui me fait la morale, qu'il ne faut pas boire d'alcool à ce point, que si je ne vais pas bien il y a des centres d'accueils, que tout n'est pas perdu, que je devrais reprendre mon courage à deux mains et tenter de remonter la pente. J'hésite à lui raconter mon histoire, puis je me ravise en estimant qu'il ne comprendrait pas et me prendrait pour fou.

Il me laisse, une fois la bouteille bue et le sandwich avalé, et que je sens un soupçon d'énergie revenir en moi, je m'assois sur un banc et retire mes vêtements pour les essorer et tenter de les faire un peu sécher au vent. Il fait frais mais rien de comparable à la température qu'il y avait dans les couloirs. Je grelotte. Mon mal de tête ne passe pas, j'ai toujours autant soif, et le sandwich m'a ouvert l'appétit tout en me causant un désagréable mal au ventre, sans doute parce que je n'ai rien mangé depuis plusieurs jours. Le Soleil est désormais levé, et je me trouve un petit coin de Soleil pour me réchauffer et faire sécher mes vêtements.

Je suis choqué par toutes les blessures sur mon corps. J'ai notamment une énorme cicatrice sur le ventre, et en passant la main dans mon dos je déduis que quelque chose ma traversé de part en part, peut-être bien l'une des épées qui traînait dans les sous-sols... Ce qui semblerait cohérent avec le tee-shirt déchiré que j'avais trouvé, c'était sans doute la marque du coup d'épée. Les tâches sur le sol étaient alors peut-être bien mon propre sang. J'ai d'autres marques, sur le poignet, sur les jambes, les bras... Je me demande bien qu'elle vie j'avais. Étais-je un criminel, un terroriste ? Qu'est-ce que je faisais dans ce tube ? Est-ce que j'étais mort ?...

En plus de toutes ces questions, j'en profite aussi pur sortir les papiers de mes poches et les faire un temps soit peu sécher. Le carnet à tenu le choc, une partie des écritures ont été lavées par l'eau de mer, mais il reste suffisamment d'adresses lisibles pour m'occuper. Les billets de banque sont encore en bon état, et je compte avec joie plus de cinq mille dollars australien. Je ne sais pas si c'est beaucoup, mais j'ai tout de même le vague sentiment que cela représente de quoi tenir bon quelques jours.

Je me laisse somnoler quelques instants au Soleil, c'est si bon... Que vais-je faire ? Il n'est peut-être pas prudent de me rendre dans un hôpital ou la police, si je suis vraiment un criminel, je ne suis pas persuadé qu'ils croiront avec ferveur à mon amnésie. Avec un peu de chance, je me trouve dans cette ville indiquée sur presque toutes les adresses du carnet, Melbourne ; il y aura bien une personne à l'une d'elles qui saura me dire qui j'étais, qui je suis.

Je reste plusieurs heures au Soleil. Je tente de me convaincre que je ne dois pas rester là, que je perds peut-être un temps précieux, mais je suis encore tellement fatigué. Je me paye deux mars et une autre bouteille d'eau à un distributeur avec la monnaie que j'avais dans ma poche. Une partie de mes habits commençant à être sec, je les renfile, y compris les jeans même si ceux-ci sont encore trempés, mais je ne fais pas très présentable autrement, et puis j'ai peur que des policiers ne me fassent déguerpir s'ils me trouvent presque nu sur un banc. Je récupère l'argent et je laisse les deux ponchos et deux chemises, en espérant que personne n'ait l'idée saugrenue de les voler.

Je me rends au premier magasin, avec une jolie vendeuse, que je trouve, et je lui demande s'il elle pourrait m'indiquer où trouvait les adresses sur mon petit carnet.

- Mais ? Ce sont des adresses à Melbourne !

- Oui, euh, de toute évidence...

- Vous savez que vous êtes à Sydney ici ?

- Ah, oui, mais, hum, c'est loin d'ici !

Le fait qu'elle éclate de rire me fit me sentir plus que ridicule, mais elle est adorable et m'explique que Melbourne est à presque six cent miles de Sydney. Je ne sais pas trop combien fait un miles, mais je lui demande tout de même le meilleur moyen de me rendre à Melbourne.

- L'avion, à moins que vous ayez deux jours devant vous.

Je ne sais déjà pas combien de temps j'ai derrière moi, alors devant...

- À propos, quel date sommes-nous ?

- Nous somme le 26 juillet.

- Ah, merci... Et, hum, de quelle année ?

Elle éclata de rire, puis me dit que je ne devais pas trop rester là où son patron aller me mettre dehors. De toute évidence elle ne me prit pas au sérieux.

- Je ne sais vraiment pas en quelle année nous sommes, vraiment, vous ne voudriez pas me le dire, s'il vous plait, je m'en vais aussitôt après.

Elle rit encore, m'accusant de me moquer d'elle, mais je finis par le savoir, nous sommes en 2003.

2003, la dernière date inscrite sur mon carnet est le 20 décembre 2002. Juillet 2003 me laisse un trou de sept mois. Serais-je resté enfermé sept mois durant dans ce tube ? Je retourne pensif vers mon banc. J'accélère quand je vois deux personnes en train de regarder avec envie mes habits séchant. Je les somme de ne pas y toucher, ils s'éloignent en râlant.

Ah ! J'ai toujours ce fichu mal à la tête, et j'ai encore un peu froid. Je renfile toutes mes épaisseurs même si elles ne sont pas complètement sèches. Je me rendors même un moment sous le Soleil, c'est si bon... Sydney, Australie. Je ne sais même pas si je pourrais situer l'Australie sur une carte, pourtant je sais que je suis sur la Terre, mais je ne vois pas vraiment les détails. Je sens mon pays quelque part au Nord, près de la mer, je vois des montagnes, je vois la neige, le Soleil, le ciel d'un bleu pur et le froid. Le froid, j'ai l'impression que j'ai eu froid toute ma vie.

Je pourrais trouver un poste de police, dire que j'ai perdu la mémoire, ils m'aideraient sans doute, mais toutes mes blessures m'effraient. Qui étais-je ? Et puis je ne suis pas dans un si mauvais état, et j'ai de l'argent. Si je peux m'acheter un mars avec un de mes dollars, je dois pouvoir subsister quelques jours avec cinq mille d'entre eux. Il me faut aller à Melbourne. En avion dit-elle, six cent miles, deux jours si je ne prends pas l'avion. L'avion est sans doute plus cher, et je ne suis pas à deux jours près.

Je me lève finalement, bien décidé à trouver de quoi aller à Melbourne, je marche quelques instant pour m'éloigner du port et arriver en ville. Il me faudra deux heures et trois big-macs pour trouver un bus au départ de Sydney pour Melbourne. Ayant manquer le départ de 9 heures 30, j'attendrai patiemment celui de 16 heures qui arrive à Melbourne le lendemain matin à 6 heures 35, moins que les deux jours annoncés. Le tout pour la modique somme de 65 dollars, une bonne affaire à mes yeux.

Je relativise mon jugement quand je découvre que le vol Sydney-Melbourne n'est qu'à un peu plus de cent dollars, pas tellement plus cher que le bus. Après tout la majeure partie des gens doivent utiliser l'avion, le bus en devenant moins concurrentiel. Je n'aurai pas à cherche où dormir pour cette nuit, voilà déjà une satisfaction, même si j'ai la désagréable sensation de me sentir sale et une forte envie de douche.

Je mets donc à profit mes quarante dollars, même un peu plus, économisés en choississant le bus pour louer une chambre d'hôtel pendant deux heures l'après midi, et acheter quelques vêtements neufs, des sous-vêtements, une nouvelle paire de jeans et deux teeshirts. Je complète mes achats par un sac pour garder avec moi mes anciens habits, peut-être porteurs d'indices de mon tumultueux passé.

Le voyage sera long mais même si mon envie de discuter est forte, je resterai seul à somnoler ou regarder le paysage, de peur d'éveiller des soupçons en me confiant à quelqu'un.

Melbourne, Dimanche 27 juillet. J'y suis déjà sans doute venu. Mais quand ? Pour combien de temps, qu'y ai-je fait ? 6 heures 45, le jour n'est pas encore lever, mais mes multiples couches me protègent du froid du matin.

J'ai faim, j'ai l'impression d'avoir perpétuellement faim. J'ai beau manger trois énormes hamburgers dans le premier café ouvert que je trouve, j'ai toujours aussi faim. Sans doute mon sommeil prolongé a-t-il exhausté, ou déréglé, mes sensations.

Melbourne se réveille, les gens s'agitent dans un monde que je connais pas, que je ne connais plus. Je n'ai même plus l'impatience de découvrir d'où je viens. J'ai une sensation étrange, mêlant plénitude, colère, peur du passé, peur du présent. Je ne sais pas ce que j'étais, ce monde que je ne connais même pas me révolte, sans que je sache pourquoi, et tout à la fois je me sens libre, indépendant, et fort. Je ne sais pas comment je suis sorti de ses souterrains, mais ce n'était sans doute pas normal, pas logique... Qui suis-je ? Le fruit d'une expérience ? J'ai le souvenir de super-héros aux capacités démesurées, en serai-je un ? Ne serai-je que dans un rêve, en réalité toujours enfermé dans mon tube ?

Qu'importe, après tout, si je rêve...

Je n'arrive même pas à savoir si j'étais quelqu'un de sociable, gentil, caractériel ou même sympathique. Mais je ne crois pas que j'aimais ce monde...

Ma première étape est de dénicher un plan de Melbourne, pour pouvoir situer les différentes adresses présentes sur mon carnet et éviter d'inutiles aller-retours. L'opération n'est pas très complexe et trois quart d'heure plus tard et l'achat d'une montre bon marché je suis sur un banc pour noter sur ma carte l'emplacement des différentes adresses.

L'adresse la plus proche est celle d'un cybercafé, auquel je me rends mais je me contente de rentrer et faire un tour au cas où quelqu'un me reconnaisse. Ce n'est pas le cas et dix minutes plus tard je marche en direction de ma deuxième étape, un bar. Peut-être n'étais-je pas coiffé ainsi il y a six mois, pourtant mes cheveux n'ont pas l'air longs de six mois seulement, ils devaient l'être auparavant. Mais il semblerait après réflexion que ceux-ci n'aient pas poussé pendant mon sommeil, car ma barbe ne date pas de plus de quelques jours. Mais avec mes ponchos et mon sac bon marché je dois vraiment passer pour un pauvre type. Sans doute un tour chez un coiffeur ne me ferait pas de mal.

Je demande au barman ainsi qu'aux serveurs s'ils me connaissent, mais si l'un semble avoir une vague impression, c'est largement insuffisant pour me donner un indice. Je consomme un chocolat pour leur permettre de se rafraîchir la mémoire, mais je n'en saurai pas plus.

Une boulangerie, j'ai peur que ce ne soit que l'adresse où j'achetais mes baguettes. J'arrive à m'imaginer le goût du pain et à savoir que j'aimais ça. Mais c'est un nouvel échec, les deux vendeuses, qui font face à une queue étonnante, sans doute le pain est-il bon, ce qui expliquerait que je l'achetais ici, ne me reconnaissent pas du tout. Je prends tout de même le temps de faire la queue pour acheter un pain complet au levain qui me ravit.

Je le mange en passant aux deux adresses suivantes, une lingerie et une adresse de particulier ou il n'y a malheureusement personne, David Crook. Ce nom pas plus que le reste ne m'inspire quoi que ce soit, et je me pose un instant pour préparer la suite des opérations. J'avoue que je commence à désespérer un peu de trouver quelques indices. Les autres adresses sont plus excentrées, et je devrais choisir de me rendre dans la banlieu Est ou Nord.

Mon coeur balance entre Naoma et Matthias, l'un comme l'autre me laissant de glace je choisis finalement Matthias, principalement parce qu'une ligne de tramway dessert une gare proche de l'adresse.

Adresse qui se révèle être un nouveau bar. Je m'adresse au barman pour demander s'il connaît un certain Matthias White, il me répond que non et me demande si je veux consommer, et que dans le cas contraire je ne devrais pas rester dans son bar. Je lui commande un Coca glacé pour ne pas le frustrer, et cinq minutes plus tard une armoire à glace vient me demander pourquoi je recherche Matthias White. J'hésite un instant au vue du personnage puis me dis que je n'ai finalement pas grand chose à perdre. Je lui explique simplement que j'ai perdu la mémoire et que j'ai retrouvé dans ma poche l'adresse de cet endroit avec le nom de Matthias.

L'armoire à glace ne me croit pas, et devient passablement nerveuse quand j'insiste que c'est la vrai raison. N'arrivant pas à en savoir plus de moi, il s'éloigne en m'envoyant paître. Comme l'envie de sympathiser avec lui reste malgré tout modeste en moi, je termine mon Coca et sort, avec l'espoir que Naoma sera un peu plus facile à contacter que ce mystérieux Matthias.

Bien sûr l'armoire me suit quand je sors, et je me rend compte que j'ai peut-être un compte en souffrance avec ce Matthias White, j'aurai décidément mieux fait de laisser parler mes hormones... Je n'attends pas de me retrouver dans un coin sombre avant de retourner le voir pour lui expliquer qu'il ferait mieux de m'oublier, car je suis vraiment amnésique et dans l'impossibilité de lui dire quoi que ce soit de plus.

Il ne me croit toujours pas, mais je ne sais pas pourquoi, je me sens l'âme d'un sprinteur, et, sans vouloir inhaler une seconde de plus sa mauvaise haleine, je serre le point, lui file un bon coup de genou dans quelques parties sensibles et prends mes jambes à mon cou. Comme prévu l'armoire n'a pas de talent de coureur particulier, et je le sème rapidement. Je continue à courir un bon quart d'heure en suivant la ligne de tramway au cas où le monsieur aurait l'idée de toujours trotiner à mes fesses. Quand une station rentre en concordance avec un tramway approchant, je repars avec en direction du centre ville, en espérant que cet incident ne me posera pas plus de soucis.

Je me demande quand même ce qui me mettait autant en confiance dans le fait que j'étais doué en course à pied. J'en avais le vague sentiment mais c'est sans doute quelque peu propice à ennuies que de baser ses décisions sur de vagues sentiments...

Je me remets de mes émotions par un bon sandwich, j'ai une faim de loup, toujours. Je ne peux résister à en engloutir deux supplémentaire, puis je me dirige ensuite à pied, ayant la flemme de cherche une ligne de bus, vers l'adresse de la belle Naoma ; belle ou tout du moins l'espérais-je. Il est midi 40.

Naoma

Dimanche, me dis-je avant de sonner à l'interphone, elle sera peut-être là... Comment vais-je me présenter ? Je ne connais pas mon nom, rien sur le carnet ne m'avais donner d'indice, sauf peut-être ce mot de passe associé à un identifiant, Ylraw. Ylraw, peut-être, pourquoi pas... Je sonne. Une personne répond :

- Oui ?

- Je cherche Naoma.

- Oui, c'est bien moi.

- Je... Pour être franc je ne sais pas trop comment me présenter, j'ai perdu la mémoire et j'ai retrouver votre adresse dans un petit carnet et...

Elle me coupe :

- Attendez, attendez, j'arrive !

Cinq minutes plus tard elle apparaît de l'autre côté de la porte vitrée. Elle semble pétrifiée. Puis elle ouvre la porte doucement et vient vers moi :

- Franck ? Franck, c'est toi ?

Je lui souris :

- Je ne sais pas, je ne sais pas comment je m'appelle, je ne m'en souviens pas.

Elle me saute dans les bras et fond en larme :

- Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Franck ! Franck ! Franck ! Mon Dieu, mais ?! Mais comment est-ce possible, mais d'où viens-tu ? Mais comment ?

- Je peux vous raconter ce dont je me rappelle, j'étais enfermé dans un tube, ça devait faire un petit bout de temps, puis j'ai réussi à sortir et...

- Dans un tube, mais oui mais, on était sorti, j'étais sortie, toi aussi, mais, ils t'ont retrouvé, ils...

Elle pleure de plus en plus.

- Ils t'ont...

Elle regarde subitement autour, comme apeurée.

- Viens, monte, viens, on parlera là-haut.

Elle continue à pleurer... Si je n'étais autant stressé j'en sourirais sans doute. Elle me connait ! Enfin ! Je vais sans doute avoir des indices ! Je ne me méfie pas, je devrais peut-être, mais elle n'a pas l'air bien méchante. Nous montons avec l'ascenseur jusque dans son petit appartement. Il n'y a personne d'autre. Aussitôt rentrée elle se blottit dans mes bras. Je suis un peu surpris, puis je l'enlace aussi de mes bras. Que pourrai-je faire d'autre ?

Elle se recule pour aller chercher un mouchoir, ses larmes se sont un peu séchées, elle me regarde, elle hausse les épaules, elle est quand même jolie...

- Bon... Alors ?

Elle sourit, elle rigole, elle revient dans mes bras, elle sautille sur place.

- Franck, Franck, Franck, Franck ! Oh mon Dieu c'est fou ! Comment c'est possible, mais comment tu as fait ?

- Tu sais je ne comprends pas. Je ne me rappelle de rien.

- Tu ne te rappelles de rien, c'est à dire, c'est quoi la dernière chose dont tu te rappelles ?

- De rien, je ne me rappelle absolument rien, je ne sais même pas mon nom, je ne sais même pas d'où je viens, où j'habite, qui tu es, pourquoi je suis là...

- De rien ! Mon Dieu, tu ne même pas qui je suis ?

- Je n'en ai absolument aucune idée. Tout ce qui me restait quand j'ai réussi à sortir du tube, c'est un tas d'habits dans lequel j'ai trouvé ce carnet, où était écrit ton adresse, ainsi que certaines autres, dont celle d'un certain Matthias White.

- Mon Dieu ne va surtout pas le voir, c'est un bandit !

- Trop tard, j'ai tenté d'y passer ce matin, mais je ne l'ai pas trouvé.

- Oh ! Tu as parlé à des gens, tu as dit qui tu étais ?

- J'ai parlé à des gens, mais comme je ne sais pas qui je suis, j'ai pas pu dire grand chose sur moi.

- Ce gars est l'une des personnes à cause de laquelle tu t'es retrouvé dans ce bazar, et si tu es mort c'est un peu à cause de...

- Je suis mort ?

- Mon Dieu ! Oui, Franck. Je ne devrais pas t'appeler Franck. Franck n'est pas ton vrai nom. Tu t'appelles François Aulleri.

- Et Ylraw ?

- C'est ton surnom, pourquoi, c'était dans le carnet ?

- Oui. Tu dis que je suis mort ? Comment ça mort ?

- C'est... Tu es... Tu es mort, vraiment, j'ai vu ton corps, je suis allée à ton enterrement, en France, j'ai vu tes parents, ton frère, Deborah...

- Je viens de France ? Pourtant nous sommes en Australie ?

- Oui, oui nous sommes en Australie, la France c'est de l'autre côté de la planète, c'est très loin...

- Quand j'étais dans le tube à un moment je pensais que j'étais mort, je n'arrivais plus à bouger. Je ne sais pas combien de temps je suis resté, mais finalement j'ai réussi à sortir. Est-ce qu'on m'aurait ramené de France ici ? Pour me soigner ? Est-ce qu'on sait faire ça ? Est-ce qu'on sait rendre la vie aux morts ?

- Non, non ! En tous cas pas six mois plus tard ! Non ce n'est pas possible, je ne sais pas, je ne comprends pas... Tu n'as vu personne d'autre ?

Nous nous sommes assis dans son canapé, elle tient ma main.

- Non personne, je n'ai croisé personne, j'étais dans ce tube, puis dans le noir, dans des couloirs, toujours des couloirs, finalement j'ai trouvé une issue, un sas, et, j'ai réussi à sortir, j'étais sous l'eau.

- Sous l'eau ? Qu'est-ce que c'est que ces histoires ? Oui nous étions tous dans les tubes, puis je me suis réveillée, il faisait froid, très froid, puis j'ai voulu sortir... Et... Et...

Elle recommence à pleurer.

- J'avais tellement froid, je les ai vu pourtant, je les ai vu aller vers vous, et... Mais j'avais trop froid...

Elle s'approche de moi et se blottit dans mes bras, elle pleure à chaudes larmes...

- Je suis désolé, il faisait trop froid, je ne pensais à rien d'autre, je...

Ce qui s'est passé à dû la traumatiser pour qu'elle soit autant bouleversée...

- Je suis là, Naoma. Je suis là, regarde moi.

Elle lève ses yeux pleins de larmes vers moi.

- Quoi qu'il se soit passé, je suis là, devant toi.

Elle se recule.

- Je ne sais pas, Franck, je ne sais pas si c'est toi, tu ne te rappelles de rien, et puis tu es mort. J'ai tellement pleuré, tellement, depuis ce jour... Je t'ai tellement pleuré... Je t'aime tellement...

- On pourra parler de ça un peu après, est-ce que tu peux me parler d'autre chose, de ce que tu sais de moi, peut-être que ça me permettra d'avoir des souvenirs, de me rappeler de certaines choses ?

- Oui, oui, je pourrais te raconter... En fait ça ne fait pas si longtemps qu'on se connaît, enfin, tu es arrivé à Melbourne, c'était en novembre, je ne me rappelle plus trop la date...

Elle réfléchit un instant, puis s'écrit :

- Ah ! Mais attends ! Je vais te faire lire ce que tu as écrit !

- Ce que j'ai écrit ?

Elle se lève et va dans une pièce à côté, avant de revenir avec un feuillet.

- Oui ! Tu écrivais tout ce que tu faisais ! Quand nous avons disparu de chez Martin, il a retrouvé ton texte, et il a conservé !

- Martin ?

- Lis ! Tu verras, tu marquais tout, finalement c'était une bonne idée. Je me suis même remise au Français pour te relire ! Je l'ai presque tout traduit en anglais. D'ailleurs il y a des passages où je ne comprends pas très bien ce que tu as voulu dire, il doit manquer des mots, ou alors c'étaient des expression que je ne comprends pas. Moi aussi je le relis souvent, j'ai dû le lire au moins une fois par semaine depuis que tu es mort...

Elle reste silencieuse un moment en me tendant les feuilles, ses grands yeux se remplissent de nouveaux de larmes.

- C'est la version française, tu arrives à lire ? Tu veux la version anglaise ?

- Je lis les premières lignes, et je m'aperçois que je comprends.

- Non, je comprends ce qui est écrit. C'est long !

- Oui ! Et ce n'est que le début ! Il y a encore cinq autres liasse comme celle là ! Tu écrivais tout ! Mais c'était plutôt une bonne idée, ça va te servir aujourd'hui !

Je commence à lire, dès le début il est question de Melbourne, j'ai peur qu'il ne me manque des éléments pour comprendre. Ah non, ensuite je recommence plus tôt. l'Île de Ré ? Je me demande bien où ça se trouve...

- Tu sais où se trouve l'Île de Ré ?

- C'est en France, là d'où tu viens, mais je ne sais pas où exactement.

Je continue à lire, même si beaucoup d'élément m'échappe. Je ne sais pas ce qu'est Mandrake, qui sont Guillaume, Pixel, Amaury... Naoma tente de me répondre quand elle en sait un peu plus, mais souvent je reste dans le flou, Ylraw ne lui racontait pas trop sa vie d'avant, juste le minimum... Elle me demande si elle peut venir s'allonger contre moi, j'accepte. Elle semble très attaché à moi, j'ai un peu peur de lui demander quel type de relation nous avions, mais elle semble très liée. Elle s'endort presque pendant que je redécouvre cette histoire de bracelet mystérieux, cette pierre, puis Paris, Washington... Je dois la réveiller pour lui demander la suite. Elle se lève, me sourit, elle m'embrasse sur la joue.

- Je suis tellement heureuse que tu sois revenu ! Je ne sais pas comment c'est possible, mais après tout je m'en moque, tu es déjà mort trois fois, alors pour moi tu reviendras toujours. J'avais toujours espéré que tu reviendrais, de la Lune où je ne sais où...

- De là Lune !

- Je te raconterai, quand tu auras fini de lire, tu verras, cette histoire est folle !

Elle revient quelques minutes plus tard avec une grosse pile de livrets.

- Voilà ta lecture !... Tu as faim ? Tu veux que je prépare à manger ? Je n'ai pas encore manger.

- Moi j'ai mangé un peu, mais j'ai encore très faim, j'ai toujours très faim d'ailleurs, je mangeais beaucoup, avant ?

- Avant ? Oh non ! Tu ne mangeais presque rien... Enfin, tu mangeais beaucoup de pain, quand même...

- Oui, j'aime toujours le pain... Je veux bien que tu me fasses à manger... Tu ne travailles pas ? Tu fais quoi ?

- Si je travaille, à la boulangerie de Martin, toujours, et je donne aussi des cours du soir, en plus de ceux que je prends. D'ailleurs il faudrait que je prépare ceux de la semaine prochaine, et j'ai un devoir à rendre, mais on verra plus tard, je n'ai pas envie de penser à ça maintenant.

- Tu fais des études ?

- Oui, je suis étudiante en histoire économique.

Je ne lui en demande pas plus, trop impatient de me replongé dans mes lectures... Je n'aime pas trop mon style, je le trouve plutôt maladroit, je ne devais pas être très fort en littérature. Ça manque un peu de description, quand même, j'avoue que je ne me représente pas souvent les lieux dont je parle. En tout cas aucun souvenir ne semble me revenir...

Je continue à lire pendant que Naoma prépare à manger ; elle vient de temps en temps me faire un bisou ou se blottir dans mes bras. Je suis un peu gêné, je ne sais pas trop comment réagir. Je n'ose pas lui demander si nous étions ensemble auparavant. J'arrête de lire pour manger l'immense salade qu'elle a préparé.

- Ce pain est délicieux !

Naoma sourit.

- C'est presque ton pain.

- Comment ça ?

- C'est toi qui a appris à Martin à faire du pain comme ça. C'est du pain de la boulangerie.

- Je savais faire du pain ?

- Oui. Enfin au début c'était pas top, mais vers la fin tu te débrouillais bien. Martin aussi a un peu galéré au début, mais tu lui avais donné de bons conseils, maintenant son pain a un vrai succès.

- Oui j'ai vu qu'il y avait du monde qui faisait la queue quand je suis passé à la boulangerie.

- Tu y es passé ?

- Oui, enfin je suis passé à une boulangerie dont il y avait l'adresse sur le calepin, j'imagine que c'est celle-là.

- Sans doute, et tu n'as pas vu Martin ?

- Non, enfin j'en sais rien, en tous les cas personne ne semble m'avoir reconnu.

- Oui, pourtant c'est dimanche, il était peut-être aller faire une course entre deux tournées.

- Mais ? Comment ça se fait que je savais faire du pain, c'était pas mon métier pourtant ?

- Non, non, tu travaillais dans l'informatique, mais tu avais appris à faire du pain, je ne sais pas trop pourquoi d'ailleurs.

À plusieurs reprises Naoma se lève et vient derrière moi pour me prendre dans ses bras. Je suis toujours un peu gêné. Qu'est-ce que je peux bien faire ? La prendre dans mes bras, l'embrasser ? Elle est jolie, mais...

- Je suis mort trois fois ?

Elle me laisse et va se rasseoir. Elle se ressert de la salade, elle est vraiment mignonne. Ce pain est délicieux, je n'en reviens pas que ce soit moi qui ait appris au boulanger à faire un pain pareil... Cette vie est étrange... Je suis là, assis dans une jolie petite cuisine, en face d'une charmante jeune fille, et j'apprends que je suis mort trois fois et que j'étais un informaticien boulanger...

- Oui, trois fois, tu es morts trois fois... Je ne comprends d'ailleurs pas, je ne comprends pas vraiment comment c'est possible... Et Erik, tu l'as vu ?

- Erik ?

- Un grand noir, il était avec nous. Mais d'ailleurs je ne comprends pas comment tu as pu sortir de ses tubes. Ça voudrait dire qu'ils t'ont ramené de France pour te soigner ? Mais alors ils doivent savoir... Quelqu'un t'a suivi ?

- Je t'avouerais que je n'en sais rien. Peut-être, je n'ai pas fait attention. Enfin je ne crois pas... Je n'ai pas eu l'impression, et puis j'aurais quand même remarqué, dans le car, et puis dans les bus... En plus j'ai couru ce matin.

- Tu cours tout le temps !

- Je cours ?

- Oui, tu aimes bien ça, quand tu travaillais à la boulangerie tu rentrais souvent chez toi en courant. Tu courrais tout le temps d'ailleurs... Finalement ce n'est pas trop étonnant ce qu'il t'arrive, tu cours tout le temps...

- Je me suis demandé ce matin si j'étais fort en course ou pas, mais j'ai couru assez facilement, je n'étais pas essoufflé.

Naoma me regarde en souriant.

- Qu'est-ce que tu manges ! Moi qui comptais me faire une salade pour ce soir aussi ! Et tu as presque mangé tout le pain !

- Désolé, mais depuis que je me suis réveillé j'ai toujours faim...

- Tu veux que je te fasse des pâtes ?

- Hum, non t'embêtes pas...

J'hésite...

- N'hésite pas, tu sais ça me fait plaisir.

- Et puis si, s'il te plait, ça serait gentil.

- J'aime toujours autant ton sourire.

- Quand est-ce que tu m'as vu pour la dernière fois ?

- Pour la dernière fois ? Je t'ai vu à ton enterrement, mais... Sinon avant c'était sur la Lune, oui... Dans la cellule.

- Sur la Lune ? Mais, on a des villes là haut ? Il y a des gens sur la Lune ?

- Il semblerait... En fait je n'en ai pas trop parlé depuis que je suis revenue. J'étais toute seule, j'avais peur, j'ai préféré me faire oublier. Quand ils t'ont tué toi et Erik... Je... J'ai cru qu'ils allaient venir m'éliminer moi-aussi... Et puis non, je n'ai pas eu d'histoire... Maintenant je me sens un peu mieux... Mais pendant des mois j'avais peur, tout le temps, j'avais peur qu'on me suive dans la rue... Pendant trois mois je suis retourné habiter chez mes parents, et puis depuis le mois d'avril, je vais un peu mieux, j'ai moins peur, j'ai repris une vie un peu plus normale...

- Mais qui sont ces gens, ce "ils", c'est qui ? Qu'est-ce que j'ai fait, pourquoi m'ont-ils tué ? Et ses tubes ?

- J'en sais rien, Franck... J'en sais rien... Je crois que j'avais trop peur pour avoir envie de savoir, alors j'ai tout gardé pour moi, je n'ai pas cherché à en savoir plus... Maintenant que tu es revenu...

Elle me regarde en souriant, se lève et viens se remettre derrière moi. Elle m'enlace et m'embrasse sur la joue.

- Maintenant que tu es revenu, les soucis vont recommencer... Mais avec toi ce n'est pas la même chose.

- Tu sais je ne suis pas sûr que je pourrai vraiment faire quelque chose maintenant. Je ne me rappelle de rien, je ne comprends pas grand chose à cette histoire.

- Tu ne comprenais pas grand chose non plus avant, tout reste un grand mystère, mais tel que je te connais tu ne dormiras pas tranquille avant d'avoir découvert une explication à tout ça.

- Peut-être... Tu crois que je ne devrais pas, que je devrais retourner chez moi et rester bien tranquille. Tu crois que les gens qui me recherchaient sont toujours après moi ?

- J'en sais rien... Mais je pense que se serait bien que tu restes un peu discret quelques temps.

- Tu crois que je devrais retourner chez moi ?

- Tu veux dire, en France ? Chez tes parents ?

- Je ne sais pas, je ne sais pas où je vivais avant, à Paris, c'est ça, c'est en France ?

- Oui, à Paris, en France, c'est dans ce que tu as lu. Je pense que ça serait bien que tu retournes voir tes parents, toute ta famille et tes amis étaient très triste quand tu es mort. Deborah aussi.

- Deborah ?

- Je... C'est une fille que tu as rencontré aux États-Unis. Elle t'a aidé...

- Et mes parents ? J'ai des frères et soeurs ?

- Oui tu as un frère. Mais peut-être que tu devrais attendre un peu avant de rentrer, attendre d'être sûr de savoir ce qu'ils veulent.

- Mais tu crois que c'est eux qui m'ont fait revenir ?

- Je ne vois pas qui ça pourrait être d'autre, comment tu serais arrivé dans ces tubes sinon ? Tu crois que ça pourrait être quelqu'un d'autre ? Tu crois que ça pourrait être cette nana qui t'étais venu en aide qui t'a permis de revenir ?

- Qui est cette nana ?

- Il faut que tu finisses de lire ce que tu as écrit, après on pourra réfléchir. Et puis je ne sais pas comment tu peux retourner en France, tu n'as plus de papier, et puis tu es mort, ça va tout de suite être louche. Il te faudrait des faux-papiers, mais la dernière fois déjà ça n'a pas été une très bonne idée...

- La dernière fois ?

Naoma se lève et me sert des pâtes.

- Mange, et après finis de lire, ça ne sert à rien qu'on discute tant que tu ne sais pas toute l'histoire.

- Elle sont bonnes tes pâtes !

- De toute façon tu trouves tout bon à partir du moment où c'est à base de blé, alors je n'ai aucun mérite... Tu me racontes comment tu es arrivé jusqu'ici ? Attends, je vais le marquer sur mon ordinateur, comme ça on pourra continuer l'histoire !

Naoma débarrasse sa place puis va chercher son ordinateur portable et tape à mesure que je lui raconte. Ma sortie du tube, Sydney, comment je me retrouve, le petit carnet, les adresse, puis Melbourne. Je me ressert deux fois des pâtes, je termine son plat.

- Mais tu manges ! C'est dingue, comment tu fais pour avaler tout ça !

- Je ne sais pas, et le pire c'est que je pourrais encore en manger autant.

- C'est dingue ! Enfin mange pas trop d'un coup non plus, ça risquerait de te faire mal... En fait tu t'es assez rapidement retrouvé ici, il ne t'a fallu qu'un jour.

- Oui mais bon, d'un autre côté c'est tout ce que j'avais. Si je n'avais pas trouvé ce petit carnet, je ne sais pas trop ce que j'aurais fait.

- C'est ta manie de toujours tout écrire qui t'a ramené ici... Je retire tout ce que j'ai pu te dire à ce sujet.

- Tu sais je ne m'en souviens pas.

- Même ! Je suis bien contente que tu sois venue me voir en premier, même si tu ne l'as pas vraiment fait exprès... Oh mon Dieu ! Déjà trois heures de l'après midi !

- Tu avais quelque chose à faire ?

- Je devais voir une copine, mais je vais annuler.

- Si tu veux tu peux aller la voir je vais continuer à lire tranquillement.

- Non, non, je préfère rester avec toi.

- Comme tu veux.

Naoma reste pensive.

- Qu'est-ce qui te turlupine ?

- Ça m'inquiète cette histoire. Toi de retour, j'ai du mal à imaginer qu'ils vont te laisser tranquille. Je me dis que je ne devrais pas changer mes habitudes.

- Je ne peux pas trop te répondre. Il ne m'a pas semblé être suivi, mais je n'en mettrai pas ma main à couper. Et puis tu peux toujours ne pas te sentir très bien.

- Oui tu as raison, en plus c'est vrai ce matin j'avais un peu mal à la tête.

Naoma va appeler son amie. Je retourne dans le salon pour continuer à lire mes aventures. Je reste bouche bée devant tout ce périple, le Texas, Deborah, le Mexique, Sydney... Cette histoire de désert est démentielle ! Et puis ces cadavres calcinés ! Naoma vient s'allonger sur moi et s'endort, je continue à lire toute l'après midi. Nous faisons une pose vers 17 heures, pour manger un bout et boire un verre, mais je reprends bien rapidement mes lectures, pour finalement terminer, à 21 heures, la lecture de mes histoires, mon histoire. Naoma s'était lever un peu avant pour nous préparer deux hamburgers, que je compléterai de nouveau par une bonne platée de pâtes.

- Cette histoire est quand même dingue !

- Oui ! Et ce n'est pas fini ! Je vais te raconter la suite. Ton histoire finit chez Martin, avec Erik et moi, on l'attendait, c'est ça ?

- Oui.

- Le bruit que nous avons entendu en bas, ce n'était pas Martin, c'étaient six gars, énorme, géant, habillés en pancho qui sont venus nous capturer. J'étais pétrifiée ; toi et Erik vous étiez tous les deux blessés, vous n'avez rien pu faire. Ils nous ont emmené, sans que l'on ne puisse dire quoi que se soit. On a prit un petit bus pour nous mener à un aéroport, pas le principal de Melbourne, un plus petit, ils voulaient rester discrets. Ils ne disaient pas un mot, c'était terrible. Tu as même voulu en savoir plus à un moment, mais regarde ce qu'ils m'ont fait.

Naoma me tend son bras, recouvert d'un grosse balafre.

- Ils t'ont coupé !?

- Oui, avec un de leur couteau. Ah oui ils avaient tous des épées ou des couteaux. C'est bizarre d'ailleurs, ils n'avaient pas de pistolets.

- Je suis désolé, enfin je ne m'en rappelle pas.

- Pas grave, tu voulais tenter un truc, tu ne pouvais pas savoir qu'ils étaient tarés. Enfin on a pris un avion jusqu'à Sydney, toujours un petit aéroport, pas le grand de Sydney. C'est dans l'aéroport que tu t'es fait tué pour la première fois. Tu as voulu t'échapper. Je n'ai pas tout vu le début, mais tu as réussi à prendre un de leurs épées, mais ils étaient beaucoup plus fort que toi, et, oh, mon Dieu, quand j'y repense.

Naoma fond de nouveau en larme.

- L'un d'eux t'a complètement transpercé le ventre avec son épée. Elle est carrément ressorti de l'autre côté, oh, c'était affreux ! Tout le monde criait, il y avait même des policiers, mais il y avait tellement de monde, ils n'ont pas pu tirer. Un des gars t'a pris sur son épaule et on est parti en courant. Mon aussi ils m'ont porté, et Erik je crois. Erik ne pouvait pas trop marcher, il avait reçu une balle dans la jambe.

- Oui, celle qu'on lui avait enlevé chez Martin.

- Oui. Ensuite on a pris un camion, j'étais comme folle, je me débattais ! Tu ne parlais plus, tu avais perdu conscience, je voulais t'aider ! Je criais, je hurlais, mais je bougeais tellement qu'ils ont fini par m'endormir avec un produit. J'aurais dû être plus maligne, je sais pas, trouver un moyen, je n'avais aucune chance en me débattant contre eux. Après je ne me rappelle pas. Comme j'étais endormi. Erik nous a dit qu'ils nous avaient mené dans des couloirs et des couloirs jusqu'à arriver dans des tubes, j'imagine que c'étaient les même que là où tu t'es réveillé, mais en fait je n'en suis pas sûr. Erik était un peu dans les vapes, et puis nous n'avons pas tellement eu le temps d'en parler...

- Et donc après tu t'es réveillé une semaine plus tard dans ces tubes ?

- Non ! Non ! Non ! Pas du tout. Je me suis réveillé, oui, je pensais que j'étais au même endroit. Il y avait des gens de partout. Des hommes, j'étais toute nue, c'était une véritable cohue. Je me suis faite escorter jusque dans une cellule. Il faisait très froid. J'avais très peut, j'étais toute seule. Finalement Erik est arrivé, lui aussi était tout nu, et puis toi. Nous étions enfermé derrière une énorme grille dans une cellule sans fenêtre, juste avec une petite lumière. Ils nous ont donné des combinaisons, des trucs en un seul tenant, assez fin mais pourtant plutôt lourd. Et il y avait une couche culotte intégré, l'intérieur était couvert de petites bulles, c'était très bizarre, je n'avais jamais mis un truc pareil.

- Mais c'était où ?

- Attends, tu vas voir. Donc on était tous les trois. Et puis d'un coup il y eu un grand raffut et une foule est arrivée. Il n'y avait toujours que des hommes. Ils ont ouvert la grille et ils se sont rangés pour le laisser passer. Un géant bleu, au moins deux mètre cinquante (huit pieds), peut être trois mètres (dix pieds). Je ne sais pas s'il était humain ou pas, si c'était un robot. J'ai eu tellement peur, j'ai eu peur d'être morte, d'être au paradis, ou d'être devant Dieu. C'était incroyable, il avait une sorte de lumière tout autour de lui. Il n'a rien dit, mais j'étais à genou, j'avais tellement peur qu'il me punisse, qu'il me juge, je sais pas trop, j'étais hypnotisé, tout le monde était hypnotisé devant lui.

- Mais... Il avait une forme, il avait une tête ?

- Non. Il était tout lisse. Il n'avait pas de visage, pas d'oreille. Juste, presque, une tête toute ronde, enfin ovale plutôt. Un peu comme sur les mannequins avec une tête simplifiée. Il avait quand même un peu un soupçon de visage, mais très léger. Et en fait je ne sais pas trop, j'étais tellement hypnotisée, paralysée, que je ne rappelle pas très bien... Et puis... Et puis tu as crié. Tu as crié en te tenant la tête entre tes mains, tu t'es roulé au sol. Je ne pouvais pas bougé, j'étais vraiment paralysée. Ensuite le géant bleu est parti, et Erik a tenté d'en profiter pour s'évader. Mais il a échoué, il n'a pu aller qu'au bout du couloir, ensuite c'était sans issu.

Naoma se lève et revient derrière moi. Elle pleure de nouveau.

- Après ça a été dur. Tu ne parlais plus, tu ne bougeais plus. Tu refusais de manger. Ils nous donnaient des galettes, c'était plutôt bon. Je tentais de t'en faire manger, mais tu restais inerte. Le géant bleu avait dû te griller le cerveau, ou un truc pareil. Erik s'en moquait, il faisait ses pompes. Il m'a même frappé ! Il disait que j'étais folle, alors que je voulais juste t'aider ! Après ils sont venu te chercher. Tu étais mort je crois, tu n'avais rien mangé et rien bu depuis deux ou trois jours. C'était terrible. Je pensais qu'ils allaient pouvoir venir te chercher et te mettre dans les tubes, pour te soigner de nouveau. Après tout tu étais déjà mort avant, avec le coup d'épée. Mais ils sont venus te mettre dans cette caisse, c'était affreux, j'étais folle ! Encore une fois Erik en a profité, nous nous sommes échappés, je l'ai suivi, je ne sais pas trop pourquoi, j'aurais pas voulu te quitter, mais dans l'action, j'ai couru avec lui. Nous nous sommes enfermés dans une petite salle, puis nous avons réussi à trouver une issu. En fait nous étions dans une sorte de mine, et il y avait eu un effondrement après la petite salle. Nous avons réussi a ouvrir une porte qui était condamnée, puis ensuite nous sommes descendu le long de l'éboulement. Il faisait tellement froid ! Même avec la combinaison il faisait si froid ! J'ai perdu conscience dans la descente. Il manquait d'air aussi, j'avais beaucoup de mal à respirer.

- Une mine ? Mais c'était sous Sydney ?

- On ne savait pas ! Quand je me suis réveillé, j'étais avec Erik et un autre, Bakorel. Bakorel était sympa, c'était un jeune qui vivait un peu à l'écart, caché. Nous pensions avec Erik être sous Sydney, oui, dans un grand complexe minier, ou un truc comme ça. Bakorel ne parlait pas notre langue, d'ailleurs aucun des hommes ne parlaient notre langue, ils parlaient tous sans doute la même langue que tu avais trouvé dans les cahiers, celle de l'organisation. Bakorel pensait qu'on venait d'une autre planète ! Je l'aimais bien, il était très fort, vraiment très fort. Enfin je veux dire qu'il avait une mémoire faramineuse, il arrivait à retenir tout ce que je lui disais, l'alphabet, les chiffres, les verbes que lui avait appris Erik. On lui a expliqué qu'on voulait sortir, mais il ne voulait pas. Il disait que c'était trop dangereux. On a tenté de partir tout seul Erik et moi, et puis finalement il a dû avoir de la peine et il est venu nous aider. Mais pour sortir de son coin, c'était vraiment impossible à trouver. Il ouvrir une énorme porte, marcher dans le noir, récupérer une échelle à un certain endroit du plafond, puis se glisser dans des tuyaux jusqu'à une sorte de bouchon, de bloc qui faisait office de porte. En fait Bakorel avait fait sa maison dans un endroit condamné, sans doute après l'éboulement qu'on avait vu. Et pour sortir il fallait passer par les conduites, pousse ce bouchon, et passer par dessous. C'était pas si simple que ça parce qu'en dessous la conduite il y avait une immense forge, plusieurs dizaine de mètres en contrebas...

- Une forge ?

- Oui une forge, une immense salle avec des centaines de personnes qui travaillaient à faire fondre des immense bac de métal. Il faisait une chaleur terrible, et il nous fallait nous pendre dans le vide pour passer d'un côté du bouchon à l'autre. En fait la conduite était trouée, tu vois, et il suffisait de mettre le bouchon au milieu du trou pour pouvoir passer d'un côté à l'autre.

Conduite

Schéma de la conduite

Naoma me fait un petit dessin pour m'expliquer.

- En fait nous nous trouvions dans une sorte d'usine géante, il y avait toutes sortes de salle où les hommes travaillaient, ils fabriquaient des avions, des armes, de la nourriture, je ne me rappelle même plus trop. Mais ce jour là nous ne sommes pas parti, Bakorel nous a laissé pour aller chercher à manger, et nous avons dû rentrer tous seuls Erik et moi. Ce n'est que le lendemain, ou le jour d'après, que nous avons entrepris notre petite expédition pour remonter à la surface. Nous étions vraiment très profond, il nous a fallu deux jours pour remonter. Et puis une fois proche de la surface, nos ennuis n'ont fait qu'augmenter. Nous avons finalement été repéré par les hommes, et nous avons dû courir dans les couloirs et nous cacher dans des petites salles pour leur échapper. Ils y avaient d'énormes hangars, remplie d'avions. Bakorel pensait que nous étions venus avec l'un de ses vaisseaux. Erik et moi on ne comprenait rien, on comprenait pas qu'est-ce que c'était que tout ce complexe, tous ces avions futuristes, tous ces hommes. On croyait encore qu'on était dans le sous-sol de sydney, jusqu'à ce que je vois l'extérieur.

- Mais vous étiez où ? Sur la Lune, c'est ça ?

- Je ne sais pas trop. Je suis tombé sur une baie vitrée qui donnait sur l'extérieur, et j'ai vu qu'on était plus sous terre, on était dans une sorte d'immense base, et dehors je voyais un paysage désertique, tout gris, le ciel noir, on voyait les étoiles, et on voyait surtout une planète dans le ciel qui ressemblait à la Terre. Et il y avait aussi des tas de vaisseaux spatiaux, comme ceux que nous avions vus dans les hangars, qui allaient et venaient. Les hommes étaient en scaphandre... C'était incroyable, j'ai encore peine à y croire. Pourtant je ne crois pas qu'on ai de base comme ça sur la Lune, mais je ne sais pas où ça pourrait bien être, en plus la base était gigantesque. J'ai regardé la Lune depuis, j'ai cherché des photos, mais on voit rien. Alors je ne sais pas, peut-être qu'il y a une protection, un truc qui nous empêche de voir, mais je ne comprends pas comment tous ces hommes peuvent habiter sur la Lune. En plus Bakorel nous a dit qu'ils étaient des dizaines de milliers !

- Mais on a déjà été sur la Lune, non ?

- Oui, oui, on a déjà été sur la Lune, il y a même longtemps, en 1969, mais ce qu'il y a c'est que Bakorel disait que cette base existait depuis plus longtemps que ça, je ne sais même plus combien, il faudrait que je retrouve mes notes. Tu fais bien d'écrire, on oublie si vite... Bref, ensuite on s'est finalement fait repéré, et il a fallut qu'on utilise des armes pour s'en sortir. Moi je me suis faite touchée, et puis j'ai perdu connaissance, et quand je me suis réveillée c'était dans le sous-sol de Sydney.

- Au même endroit que moi.

- Oui, je pense. Moi je suis sortie du tube en premier, et j'ai réussi à sortir, mais vous deux, toi et Erik, vous êtes sortis trop tard, et ils vous on sans doute tué avant que vous ne vous réveilliez. Ensuite ils ont fait croire que ton corps avait été retrouvé dans les rue de sydney, ils ont dit que des voyous t'avaient tué de plusieurs balles. Mais ces salauds, c'est eux qui t'ont tué !

- Mais cette organisation, c'est un peu la police non ? En tout cas ils ont des relations ?

- On ne sait pas trop, apparemment oui, ils ont des relations de partout, et ils semblent tous connectés les uns avec les autres.

- Et donc ça s'était quand ?

- Le 3 janvier. Nous nous sommes fait enlevé le 22 décembre 2002, et on a retrouvé ton corps le 3 janvier 2003. Moi je suis sortie le matin du 2 janvier. Je suis restée à l'hôpital seulement quelques heures, j'avais tellement peur qu'ils viennent me tuer, je suis tout de suite partie. Je me suis trouvé quelques habits, et je suis restée autour du palais du gouvernement pendant deux jours. La police m'a retrouvé, j'ai inventé une histoire, que je m'étais faites enlevée, que j'étais perdue. Mais ils ne m'ont pas trouvé par hasard, ils m'ont interrogé sur toi. Ils m'ont appris que tu étais mort, et puis, ils m'ont permis de rentrer avec toi en France, c'est moi qui ai ramené ton corps à tes parents... Mais, c'était dur parce qu'ils ne parlent pas anglais, et moi je ne parle pas bien Français... Mais... J'ai réussi à contacter Deborah, elle est venue en France elle-aussi. Nous avons beaucoup parlé, et nous avons décidé de ne rien dire, de ne rien dire parce que... Je crois qu'on avait peur, surtout, on ne savait pas quoi faire, et on se disait que si tes parents ne savaient rien, ils ne leur feraient sans doute pas de mal. Cette organisation avait l'air tellement puissante, on ne savait vraiment pas qu'est-ce qu'on pouvait faire. Mais c'était dur pour tes parents, et je ne savait pas trop comment les consoler. J'ai vu ton frère aussi, j'ai pu parler un peu avec lui, mais je ne lui ai pas raconté l'histoire. J'ai aussi rencontré tes collègues de Mandrake. J'ai tout raconté à Deborah, par contre, parce que je ne pouvais pas tout garder pour moi toute seule, et puis elle connaissait déjà le début de l'histoire. Je ne suis restée que quelques jours en France, je suis rentré vers le 10 janvier. Deborah est retournée au Texas. On s'est un peu écrit, et puis moins. J'avais aussi peur qu'ils ne lisent mon courrier. J'ai tenté de faire croire que je ne savais rien, que je t'avais juste rencontré à Melbourne, mais que je ne connaissais pas tout ce qui t'étais arrivé.

- Ils t'ont suivi ?

- Je crois, mais je ne suis pas sûre. Je ne sais pas trop. Mais j'étais très prudente.

- Tu n'as parlé avec personne d'autre que Deborah ?

- Avec Martin, enfin plus exactement il a retrouvé ton récit sur son ordinateur quand il est rentré, juste après qu'on se soit fait enlevé, donc il a pu connaître l'histoire. Ensuite je lui ai raconté pour la Lune, mais c'est tout.

- C'est quand même incroyable... Comment j'ai pu me retrouver de nouveau dans ces tubes ?

- Aucune idée, peut-être qu'ils voulaient t'interroger de nouveau, ou peut-être comme tu étais mort cette fois ci la guérison a pris beaucoup plus de temps. Pourtant ton corps à bien été ramené en France, je l'ai vu à ton enterrement.

- C'était peut-être un faux.

- Tu veux dire une copie ? Oui, peut-être, je n'ai pas vraiment vérifié. Mais c'est vrai qu'ils auraient pu garder le vrai ici dans un tube et envoyé un mannequin ou je ne sais pas quoi à la place. Après ce que j'ai vu sur la Lune, je veux bien croire n'importe quoi.

- Mais si vous vous êtes retrouvés sur la Lune, c'est grâce à ces tubes ? Vous n'avez pas pris d'avion, de vaisseau ?

- Je ne sais pas mais je pense que c'est grâce aux tubes, oui, je pense qu'ils permettent d'aller à différents endroits.

- Peut-être qu'ils ont d'autres tubes en France, et qu'ils m'ont fait revenir ici. Ou peut-être que je n'étais pas vraiment mort, peut-être que j'ai continué à courir en France, et qu'ils m'ont finalement rattrapé, et que cette fois-ci ils m'ont effacé la mémoire pour que je ne puisse plus les embêter.

- C'était plus simple de te tuer directement, mais peut-être qu'ils n'y arrivent pas, oui, peut-être que tu es immortel ou je ne sais pas quoi. Erik ne semble pas être revenu, c'est peut-être toi qui est spécial. De toute façon c'est après toi qu'ils en veulent depuis le début.

Cette histoire est incroyable. C'est tellement frustrant de ne se rappeler de rien ! Toutes ces aventures folles !

- Et qu'est-ce que je peux bien faire maintenant ?

- Qu'est-ce que tu peux bien faire ? Rester tranquille ici avec moi ?

Elle sourit et me fait lever pour se blottir dans mes bras.

- Tu sais je t'ai tellement pleuré, j'ai un peu le droit de te garder pour moi maintenant.

- Nous... Nous étions ensemble auparavant, je veux dire... Est-ce qu'on sortait ensemble ?

Elle me regarde dans les yeux, et m'embrasse dans le coup.

- Plus ou moins, on a pas vraiment eu le temps, mais oui, en un sens on était ensemble.

Elle continue à m'embrasser, je la laisse faire... Je ne sais pas si j'ai envie d'elle. Je ne sais même pas de quoi j'ai vraiment envie. Nous nous embrassons franchement, elle me caresse. Elle me dit qu'elle m'aime, qu'elle m'aime tant... Que je lui ai manqué, tellement manqué. Elle m'attire doucement avec elle, vers sa chambre. Je reste docile, je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas quoi faire... Je l'embrasse, puis je me recule et je m'assois sur le lit. Je la regarde.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu ne veux pas de moi ?

- Je ne sais pas ce que je veux, Naoma, je ne sais pas qui je suis. Tes baisers ne m'ont rien rappeler... Pour moi c'est comme embrasser une inconnue. Je n'ai pas de sentiments, je n'ai pas de sensation. Je peux te faire l'amour, oui, quoique je crois que je ne sais même plus comment on fait...

Elle sourit, et s'assoit à côté de moi.

- Ce n'est pas très compliqué, tu sais. Mais je comprends que tu sois perdu, et ce n'est pas très gentil de ma part de t'embêter comme ça. Mais tu m'a tellement manqué.

Elle me pousse pour que je m'allonge, et elle se colle tout contre moi.

- Mon Franck ! Si tu savais le nombre de nuits où j'ai rêvé que tu revenais...

Je suis épuisé, et rapidement, allongé, Naoma contre moi, mes yeux se ferme et je commence à somnoler. Je m'endors, Naoma aussi. Un peu plus tard elle me réveille pour que nous nous mettions dans le lit. Je garde mon caleçon et mon tee-shirt et je me glisse sous la couette. Naoma enfile une chemise de nuit, je ne peux m'empêcher de jeter un oeil à son corps quand elle se déshabille, elle est très belle. Elle vient se blottir contre moi. Je m'endors aussitôt. Pendant la nuit Naoma me réveillera en me caressant, en se frottant à moi pour transmettre son excitation, elle me susurrera qu'elle a envie de moi, mais je ferai mine de ne rien entendre, et je me rendormirai bien vite. Je rêverai de mes aventures, et de cette pierre, de ce bracelet.

Je me réveille tard, avec encore l'image de la pierre dans la tête.

- Alors, on fait la grasse mat !

Naoma se jette sur moi alors que j'ai à peine ouvert les yeux. Elle m'embrasse sur la bouche sans que je ne puisse rien faire.

- Comment ça va ?

- Bien... J'ai l'impression d'avoir énormément dormi...

- C'est le cas, on a pas dû se coucher après 10 heures du soir, et il est 8 heures et demi du matin. Je vais partir, il faut que je sois à 9 heures à la boulangerie. Je ne vais rien dire à Martin, je ne vais rien dire à personne. Je vais revenir vers 2 heures de l'après-midi. Il vaut sans doute mieux que tu restes ici. Tu peux te faire à manger, je te ramènerai du pain de la boulangerie, je dirai à Martin que je vais une soirée, comme ça je pourrai en prendre plein sans qu'il ne se doute de rien.

- Tu sais où est cette pierre dont je parle dans mes histoires, j'en ai rêvé.

- Ta pierre ! Mon Dieu non ! Je ne sais pas. Tu l'avais chez Martin, mais après, tu l'as sans doute perdu dans la bataille à l'aéroport de Sydney, ou quand nous sommes allés dans les tubes, tu n'as rien trouvé en te réveillant là-bas ?

- Non... Enfin j'ai peut-être mis la main dessus, mais je n'ai pas fait attention, surtout que ça a l'air d'être juste une pierre ordinaire.

- Oui, c'était juste un galet, mais tu en avais surtout besoin pour le bracelet, après je crois que tu l'as gardé juste un peu par superstition.

- Et les bracelets, tu en as un !

- Mon Dieu non ! Je ne sais pas qui en a, le tien tu l'avais lancé dans la mer ! Tu avais écrit que les gens de Sydney en avait, mais je n'en ai jamais vu ! Je dois y aller. Je te fais un bisou et je dis à tout à l'heure, tu ne bouges pas, d'accord ?

- OK, je reste là, de toute façon je ne sais pas trop où je pourrais aller.

- Mouais, tu dis toujours ça et après on te retrouve dans une autre galaxie ! Si tu veux m'appeler tu peux utiliser le téléphone, voilà mon numéro, mais il vaut peut-être mieux que tu appelles la boulangerie, ça passera plus inaperçu.

- OK, OK. Non mais je vais rester bien sage ici, je t'attendrai.

Elle me fait un dernier baiser puis s'en va, je me laisse retomber sur le lit. Pfff ! Quel merdier ! Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Est-ce que je vais devoir rester caché ? Est-ce que Naoma est digne de confiance ? Je devrais peut-être tenter de contacter Deborah, ou mon frère. Je n'ai même pas demandé à Naoma quel âge il avait, ni le mien, d'ailleurs, quel âge est-ce que j'ai ? C'est affreux de ne rien se rappeler. Je ne sais plus rien, je ne sais même pas si cette organisation me poursuit à tord ou à raison. Qu'ai-je pu faire avant ? Est-ce que je suis un terroriste, un criminel, un agent secret ? Est-ce que je suis vraiment mort trois fois ? Comment pourrai-je faire pour retrouver la mémoire ? Il existe peut-être des remèdes, des moyens. Peut-être que rentrer chez moi, chez mes parents, de me retrouver dans l'environnement de mon enfance, peut-être que ça m'aiderait. Mais comment rentrer en France, il faut prendre l'avion, je n'ai pas un sous. Peut-être que Naoma pourra m'aider. Mais est-ce qu'il me faut des papiers ? Est-ce que je peux aller en France comme ça ? C'est rageant de ne se rappeler de rien, je ne sais même plus comment tourne le monde. Nous sommes en 2003, dimanche 27 juillet 2003.

Je finis par me lever, très énervé de ne pas parvenir à ne retrouver ne serait-ce qu'un semblant de souvenir. J'allume la télé et je me prépare une énorme platée de pâtes pour déjeuner, j'ai toujours autant faim. Mon mal à la tête va un peu mieux, mais ce n'est pas encore complètement passé. Je me sens telle une boule de nerfs, j'ai envie de bouger, de sauter sur place. J'ai cette tension en moi, si je m'écoutais je frapperai les murs. Je ne sais pas si c'est de ne pas savoir que faire qui m'énerve autant. Je mange toute les pâtes que j'ai préparé puis je passe une grande partie de la matinée à relire mon récit, en regardant la télé. Les informations parle d'une guerre en Irak, une carte m'indique où se trouve l'Irak, et de plusieurs soldats américain tués. Il est aussi question d'un tremblement de terre au Japon, et d'une attaque au mortier d'un église, au Libéria. Quand je vois tous ces morts je me demande s'il n'est pas mieux, finalement, que j'ai oublié ce monde... Je découvre la France, Paris, avec la cinquième victoire du tour de France par Lance Armstrong, mais ces images ne me disent rien.

Vers 13 heures je me rendors de nouveau, jusqu'à ce que Naoma n'arrive. Elle me rapporte autant de pain au levain qu'elle a pu emporter. J'en mange un directement sans même attendre que le repas ne soit prêt. Je lui raconte ma trépidante matinée, et je lui fais part de mon envie de retourner en France.

- Ce n'est pas très prudent, ce serait mieux que tu attendes un peu, rien ne presse tu sais.

Je ne pourrais pas rester ici à attendre, j'ai besoin de bouger, il faut que je trouve un moyen, il faut que je rentre chez moi. En plus j'ai l'impression que Naoma veut juste que je reste pour elle, juste parce qu'elle veut être avec moi.

- Je ne suis pas sûr que je pourrais rester ici à rien faire.

Naoma se retourne et vient vers moi. Elle me prend par les mains.

- Je sais, Franck, je sais que tu ne peux pas rester en place, mais il nous faut trouver un moyen sûr.... Mais...

Elle hausse les épaules.

- Mais un moyens de quoi ? Je ne sais même pas ce que je peux faire pour toi. Tu pourrais rester ici, tu sais, tu pourrais rester avec moi.

- Et après ?

- Et après rien ! On a bien le droit à un peu de calme, non ? J'ai bien le droit de t'avoir un peu, de rester un peu très de toi.

Elle vient se blottir dans mes bras.

- J'ai peur, Franck, j'ai peur qu'ils ne te prennent encore. J'aimerais tant que tu restes là. J'ai encore peine à croire que c'est bien toi.

- Ce n'est pas vraiment moi.

- Ne dis pas ça. Tu vas retrouver la mémoire, c'est sans doute parce que tu es resté pendant très longtemps dans le tube, mais ça reviendra sans doute.

- Rien n'est moins sûr, si je suis vraiment mort pendant plus de six mois, ce ne serait pas étonnant que j'ai des séquelles.

Naoma reste silencieuse un instant, elle pleure.

- Je ne sais pas... Peut-être... Tu sais moi aussi je suis un peu perdue... Je ne sais pas... Je voudrais t'aider mais je ne sais pas vraiment que faire. C'est si soudain, je te croyais perdu, tout d'un coup tout recommence... Je crois que même si je suis très heureuse et que je ne changerai ça pour rien au monde, j'ai un peu peur.

- Je ne me sens pas très bien.

Naoma se recule, elle me regarde, inquiète.

- Comment ça ?

- Je ne sais pas, j'ai mal à la tête depuis que je suis arrivé, ça ne passe pas, et j'ai comme un tension, j'ai envie de bouger de me défouler. Il faut que je sorte, que prenne l'air.

- Tu veux qu'on aille faire un footing ? Moi aussi ça me fera du bien de courir un peu.

- Oui, je veux bien, c'est une bonne idée.

- Tu veux que je finisse le repas et qu'on mage avant, ou tu veux y aller tout de suite ?

- Non, on peut manger, je ne suis pas dans un état critique, c'est juste que je sens un besoin de bouger, et que peut-être que c'est pour ça que je veux repartir tout de suite. Est-ce que j'ai besoin de papiers pour retourner en France ? Combien ça coûte pour retourner là-bas ?

- C'est assez cher mais le prix du billet n'est pas le plus gros problème. Il te faudra un passeport, et ça franchement je ne sais pas comment on pourrait faire.

- Oui, surtout que la dernière fois que j'ai tenté de faire des faux-papiers, ça ne s'est pas super bien passé.

- Oui, Matthias White doit t'en vouloir à mort, d'ailleurs c'est même...

- Même ?

Naoma s'approche de moi et se glisse dans mes bras.

- Je suis désolée, Franck... En fait je me rends compte que ce n'est pas très bien pour toi de rester ici... En plus si ce matin les gens que tu as vu t'ont reconnu, ils vont te chercher. C'est peut-être mieux que tu partes, oui. Ici je ne serais pas tranquille si je te laissais sortir, j'aurais toujours peur qu'ils tentent de t'attraper. En plus le quartier n'est même pas sûr puisque la dernière fois déjà deux types t'avaient trouvé quand tu venais chez moi... Il vaut peut-être mieux que tu ne sortes pas, après tout...

- Il ne faut peut-être pas exagérer, c'est loin d'être sûr que le gars de ce matin m'ait reconnu. Cela dit vu comme il m'a cherché, s'il connait Matthias il lui a sûrement fait par de ma visite.

- Oui, en fait je suis idiote. Je pensais que tu étais en sécurité ici, mais ce n'est pas vrai. Mais je ne sais pas non plus comment te permettre de rentrer en France, je n'ai aucune idée de comment faire des faux-papiers.

- Mais est-ce qu'il font automatiquement des recherches, à l'aéroport ?

- Comment ça ?

- Quand tu montres tes papiers, est-ce qu'ils vérifient systématiquement qui tu es, si tu es un criminel, un bandit ?

- Je ne sais pas, je pense qu'ils doivent avoir une base de données, mais je ne suis pas sûre qu'ils vérifient pour tout le monde. Mais il te faut quand même des papiers !

- Peut-être que je pourrais utiliser mes vrais papiers, plutôt que de faire faire des faux, faire refaire des vrais, c'est possible, non ?

- C'est risqué... Là par contre ils risquent de faire des recherches. Par contre si on retrouvait d'anciens papiers...

- On pourrait peut-être demander à mon frère, j'ai sans doute d'anciens papiers en France, non ? Je n'avais pas de papiers quand ils m'ont retrouvé ?

- Non, tu avais perdu tous tes papiers dans l'explosion quand tu étais prisonniers dans les sous-sols de Sydney... Mais tu as peut-être un vieux passeport en France, oui, peut-être que ça suffit, surtout que tu veux retourner en France, c'est pas comme si tu voulais venir en Australie.

- Mais ils risquent de me faire des problèmes en France, non ?

- Peut-être, mais une fois là-bas se sera plus simple pour toi d'expliquer qu'on t'a volé ton passeport, ou quelque chose comme ça.

- Il faudrait que je contacte ma famille, alors, pour qu'ils me renvoient un ancien passeport.

- C'est peut-être risqué de les appeler, peut-être juste leur écrire.

- Ou juste demander à mon frère, quel âge a-t-il, au fait ? Et moi, j'ai quel âge ?

- Tu à 27 ans, ton frère est plus jeune que toi, mais je ne sais pas de combien, trois, peut-être quatre ans. Il doit avoir dans les 23 ou 24 ans.

- Tu crois que je pourrais lui demander ?

- J'en sais rien, j'ai un peu parler avec lui, mais pas trop, j'ai surtout parlé avec Deborah quand j'étais en France.

- Et Deborah ! Elle pourrait m'aider, non ? Elle pourrait aller en France et ramener le passeport ?

- C'est sûr que ça pourrait éviter de mettre quelqu'un d'autre au courant, mais elle doit être surveiller, elle-aussi.

- On pourrait peut-être lui écrire une carte postale avec un message caché ?



Ylraw 2 Menocha

Amlar

Je me réveille dans un long gémissement, j'ai un terrible mal à la tête.

- Oh, j'ai mal partout...

Je suis encore dans mon tube, il est ouvert, de la lumière de l'extérieur passe par une brèche sur le haut du caisson, le vaisseau a dû en prendre un sacré coup ! Je peux respirer, même si je suis un peu essoufflé. Je me redresse doucement, j'ai des courbatures de partout. Je dormirais bien encore un peu. Enavila est Sarah ne sont plus là ! Mince !

Je m'extirpe de ce satanée tube, à moitié ouvert. Le sas vers le cockpit et ouvert, mais je ne pense pas que je pourrais sortir par là, c'est complètement défoncé de l'autre côté.

- Oh ! Oh ! Vous êtes où ?

Pas de réponse. Je jette un oeil de l'autre côté du sas, tout l'avant du vaisseau est écrasé, il y a un peu de lumière qui me parvient d'un côté, je pourrai essayé de me glisser. Je reviens dans le caisson, la brèche n'est pas suffisante pour que je puisse passé, en plus je risquerais d'être embroché sur les bout de métal déchiqueté, ce serai pas top comme fin, surtout si on vient de sortir indemne d'un crash.

Si elles sont arrivées à sortir je vais bien y parvenir aussi. Je me glisse dans le cockpit et tente de me faufiler dans le petit passage que j'ai repéré. Aucune chance, c'est bien trop étroit, je ne passerai jamais. Même si elles sont peut-être plus fines que moi, j'ai du mal à croire qu'elles aient pu passer par là.

- Eh oh ! Vous êtes là ? Comment êtes vous sorties ?

C'est pas possible ! Je tente de passer par d'autre endroit, mais sans succès, tout est complètement broyé et compressé. Je reste pensif un instant dans le caisson, il y a peut-être une porte ou un sas qui s'ouvre. Je tente d'ouvrir le vaisseau avec mon bracelet, mais rien.

- Vaisseau, merde, ouvre toi ! Tu vas pas me laisser crever là dedans !

Aucune réponse.

- Saloperie de vaisseau !

Je commence vaguement à avoir un peu de claustrophobie, coincé là-dedans. Je ne sais même pas ce qu'il y a à l'extérieur. Si ça se trouve elle se sont barrées, ou elles se sont faites bouffer par je ne sais quelle bestiole. Je tente de regarder par la brèche du caisson, mais je ne vois qu'un petit bout de ciel bleu ; ce qui est déjà tout de même un point positif.

J'essaie de pousser les parois, mais impossible, c'est du solide. Ce n'est sans doute pas pour rien si je suis toujours en vie, c'est que ce fichu caisson doit être fait avec un machin super dur.

Bon qu'est-ce qu'elles foutent, elle sont où là ?

- Eh oh ! Les filles !

Je crie pendant bien dix minutes, puis après une nouvelle tentative raté de sortie par le cockpit, je me rallonge dans mon tube pour réfléchir un peu. Impossible de me rendormir, rien que l'idée d'être bloqué là-dedans m'insupporte. Je tente de me calmer, je me concentre sur ma respiration, respire par le bas du ventre, diminue mon rythme cardiaque. Après tout attendons un petit moment, elles sont peut-être aller faire un tour, comme je n'étais pas réveillé, elles m'ont laissé ici.

J'arrive finalement à m'endormir, et ce sont leurs voix qui me réveille.

- On dirait qu'il dort toujours, tu crois qu'il a été blessé ?

- Non je ne pense pas, son tube le donnait en bonne...

Je les interpelle :

- Ah ! Vous êtes revenues ! Comment sort-on de ce truc ?

- Ah ! Tu es réveillé ! Sarah va t'ouvrir, c'est elle qui a le passe-partout.

- Pourquoi je n'ai pas pu ouvrir le vaisseau ?

- Elle a bloqué l'accès, elle pensait qu'on allait tout faire foirer alors elle ne s'est autorisé l'ouverture qu'à elle seule. Ce qui est complètement stupide, parce que si elle était morte pendant le crash, et bien on serait resté coincé comme des con dans le vaisseau.

À l'arrière du caisson une trappe s'ouvre, je parviens à m'y glisser, il n'y a tout de même pas beaucoup de place. Je doit me faufiler pour sortir sous la carcasse du vaisseau. Il est quand même assez gros. Je doit ramper pour sortir dehors, je reste bouche bée devant le paysage.

- Whaou !

Le vaisseau s'est écrasé en pleine forêt, il a laissé une énorme traînée d'arbres détruits et de terre soulevé sur au moins deux cents mètres. Je dois monter le petit monticule de terre pour retrouver Énavila et Sarah. Nous sommes au beau milieu des montagnes. Les arbres sont tout orange. Il y a des sortes d'oiseaux qui volent, mais ce ne sont pas des oiseaux, en tout cas je n'ai jamais vu des trucs pareils. Le ciel est superbe, bleu violet avec des reflets rouges à l'horizon, c'est la géante rouge qui nous éclaire, mais on voit aussi la géante bleue, toute petite à l'horizon. Le ciel est rempli de lunes, il y en a au moins quatre, et surtout, le plus impressionnant, le croissant de la supergéante tellurique qui dépasse, immense, rougeâtre, à l'horizon.

- C'est dingue hein ?

Énavila est assise sur un grosse pierre déterrée par notre écrasement. Elle ne semble pas d'une grande forme. Sarah et appuyée contre le vaisseau.

- Qu'est ce qu'il s'est passé ?

- Ça ne se voit pas ? On a trouvé le coin sympa on s'est dit que ce serait dommage de pas venir faire une ballade, mais on ne reste pas on reprend le vaisseau et on se casse, t'avais qu'à pas pioncer.

- Toujours aussi charmante. Sarah, pourquoi on s'est crashé.

- Demande à Énavila ?

- Je ne pouvais pas rester une seconde de plus dans ce foutu caisson avec toi, c'est la seule solution que j'ai trouvée ?

- Sarah ?

Sarah ne répond toujours pas, Énavila s'énerve :

- J'ai pété les plombs, OK ? Je ne sais pas pourquoi. Quelque chose m'a rendu folle à l'idée de venir ici, j'ai voulu prendre le contrôle du vaisseau à Sarah, on s'est battues, mais quand j'ai finalement pris le contrôle j'ai foiré et le vaisseau est tombé sur cette fichu lune.

- Elle était complètement histérique, elle criait qu'elle voulait partir, qu'elle ne voulait pas rester là. J'ai tenté de la raisonner, après tout moi non plus je ne voulais pas rester là, mais elle ne m'écoutait pas, elle a voulu à tout prix prendre le contrôle, j'ai tenté de le lui empêcher, mais elle était tellement enragée, je n'ai rien pu faire. Après bien sûr, vu l'état du vaisseau et ses qualités de pilotes, il n'a pas fallu longtemps avant que le vaisseau ne tombe.

- Ça va OK, je ne voulais pas qu'on s'écrase, j'ai foiré, OK, mais c'est pas ma faute, quelque chose me rendait folle.

Je la regarde, perplexe.

- Mouais, il y a beaucoup de chose qui te rende folle, tu ferais mieux d'apprendre un peu à te contrôler.

- Toi ta gueule, encore une remarque et je te défonce le crâne, pauvre naze, tu sais même pas de quoi tu parles.

Je ne la cherche pas plus, je me retourne vers Sarah.

- On peut respirer, c'est déjà pas mal.

- Oui, mais ça on le savait déjà depuis le vaisseau. Par contre j'avais peur pour le climat, mais il fait bon, un peu frais mais ça va. Le plus embêtant c'est la flore et la faune, les plantes ne sont pas 'chlorophylliennes'.

Je ne connaissais pas le terme 'chlorophyllienne' dans la langue d'Adama, mais une courte explication de Sarah me permet de comprendre. C'est incroyable, c'est donc l'origine de cette couleur orange !

- Mais alors, est-ce qu'on va trouver de quoi manger ?

- J'en sais rien, les capteurs du vaisseau sont hors service, en plus source d'énergie est endommagée, et je voudrais conserver au moins un tube en état si vous avons besoin de soin. Donc je ne sais pas si ces plantes, ou mêmes les animaux, sont comestibles.

- Est-ce qu'on a des armes, des trucs qui peuvent nous servir pour nous défendre ou pour chasser ?

- Pas vraiment. On a les bracelets, si les animaux on un système nerveux qui ressemble au notre ça pourra marcher, sinon il y avait des combinaisons dans le cockpit, mais j'ai peur qu'elles ne soient fichues. D'ailleurs tu n'as pas le tien, va le prendre, c'est plus sûr.

- Il est où, dans le tube ? Mais on n'était pas censé avoir aucun bracelet sur la station ?

Ce n'est pas vraiment un vrai bracelet, il ne peut communiquer qu'avec le vaisseau, le vaisseau lui n'est pas lié vers l'extérieur, sinon on aurait pu envoyer un message beaucoup plus rapidement.

Je retourne me faufiler dans le caisson, pour retrouver mon bracelet, puis reviens vers Sarah.

- Tout à l'heure, vous étiez allées faire un tour ?

- Oui, tu dormais, et tu ne craignais rien dans le vaisseau, on a avancé un peu avec Énavila.

- Énavila s'en mêle.

- Tu parles, on n'a pas du faire plus de deux cent mètres, c'est une trouillarde.

- Tu pouvais continuer toute seule !

- C'est ça, pour que je me paume, on tu trouves qu'on est pas déjà assez dans la merde, mais on aurait au moins pu essayer de trouver de l'eau.

- Il n'y a pas d'eau ? L'herbe semble humide, pourtant ?

Énavila me répond.

- Il doit y avoir une rivière, un peu plus loin, mais elle a eut les jetons.

Sarah s'énerve.

- C'est bon OK, t'a fini ? Je préfère qu'on y aille tous les trois, et puis il commençait à y avoir de la pente, j'avais peur qu'on ne puisse pas revenir.

- Tu parles, chochotte !

- Tais-toi !

Sarah hurle presque. Elle a l'air d'être à bout. Je vais vers elle, je tente de la prendre dans mes bras. Elle me repousse.

- Ne me touche pas !

Et ben, ça va être fun encore, je crois que je préférai être avec Naoma et Erik plutôt que ces deux folles.

- C'est bon je vais pas te bouffer.

Énavila sourit :

- Ça pourrait être une solution à court terme, pourtant.

- Tais-toi un peu, tu vois pas qu'elle est à bout.

- C'est ça, fais lui un câlin, c'est sûr que ça va vachement nous avancer. Tu veux pas te la taper sur un rocher, non plus ?

- Putain mais t'es vraiment qu'une conne, merde ! Ça t'arrive de comprendre les gens ?

- Tu me traites encore une fois de conne je t'explose.

Je préfère l'ignorer. Je m'éloigne de Sarah qui ne veut pas que je la réconforte et qui boude dans son coin, et je vais m'asseoir sur une pierre, comme Énavila.

- Vous avez vu des animaux ?

Énavila redevient un peu plus sérieuse.

Il y a pas mal d'insectes dans la forêt, des sortes de fourmis, les oiseaux que tu as vu. On n'a pas vu d'autre bestioles plus grosses. Mais elles ont sans doute été effrayées s'il y en avait.

- Des fruits ?

- Non, pas de fruits, mais il y avait des sortes de plantes avec des bulbes, peut-être une sorte de fruit.

Elle reste silencieuse, je réfléchis, elle reprend.

- Mais on doit se trouver assez haut. Il fait plutôt froid et l'air est assez peu dense.

- C'est difficile à dire, peut-être que la planète est trop petite pour avoir une atmosphère plus dense.

- Mouais, on semble quand même avoir atterri au beau milieu des montagnes.

- Ça me rappelle quand on est arrivé sur Stycchia, au beau milieu du cratère, en pleine forêt, comme ici.

- Mouais, sauf que vous n'étiez pas vraiment perdus.

- On ne pouvait pas le savoir, on a dû chasser et se débrouiller, ça ne sera pas très différent de maintenant.

- C'est surtout parce que vous n'êtes pas doué, il vous suffisait d'utiliser les bracelets pour avoir de quoi boire et manger dans la station.

- Comment aurait-on pu le savoir ?

- Pas besoin d'être très malin pour utiliser un bracelet. Enfin bref. Qu'est-ce qu'on fait alors, puisque tu sais comment te débrouiller sans rien ?

- Le plus important est de trouver une source d'eau potable. Ensuite de quoi manger, et de quoi nous défendre.

- Mouais... Elle s'est calmée, on peu aller chercher cette rivière ?

Sarah ne répond pas.

- Vous avez essayé de monter sur le vaisseau pour voir si on voit quelque chose ?

- Non, enfin j'ai essayé de monter sur le cockpit, mais ensuite pour arriver là-haut c'est pas pratique avec le stabilisateur qui a explosé. Peut-être que si tu m'aides je pourrais arriver à passer par dessus.

En disant cela Énavila est déjà montée juste que sur le cockpit, elle est vachement agile. Il me faut quelques minutes pour la rejoindre, elle me tend la main pour m'aider, j'accepte avec plaisir.

- Il faudrait que tu me pousses ou que j'arrive à m'accrocher à la tôle, là. Mais avec tous ces bouts de ferrailles qui dépassent j'ai un peu peur de m'éventrer.

Sur le haut du vaisseau le cockpit en s'écrasant à repousser toute la structure et à déchiqueté le truc qui se trouvait sur le dessus, il devait y avoir un truc sous pression à l'intérieur et en explosant des lamelles de fer tranchantes ont fait un barrage empêchant d'aller plus en avant.

- C'est vrai que ce n'est pas très pratique. On pourrait peut-être essayé de faire une échelle pour passer par derrière.

- Ou alors il faudrait une corde, mais je ne crois pas qu'il y en ait dans le vaisseau. C'est vraiment bête parce que du haut de la gouverne arrière je suis sûre qu'on dépasse les arbres.

- Allons voir cette rivière, on verra si on trouve en chemin une liane ou de quoi nous aider.

Énavila acquiesce et nous redescendons vers Sarah. Elle ne dit rien et nous repartons sous les arbres. Ces arbres qui n'en sont pas vraiment. Ils n'ont pas vraiment d'écorce, plutôt une sorte de peau, un peu molle, noire. On dirait presque de la roche. Ils ont des branches mais leur feuille ressemble un peu à des plumes. C'est très étrange, on dirait presque des animaux. Pas grand chose pousse sous les sous-bois, surtout ces sortes de plantes à bulbes dont avait parlé Énavila. Elles ne m'inspirent pas vraiment confiance, je n'ai pas tellement envie d'y goûter.

Énavila est plus téméraire que moi, elle en arrache un et parvient à l'ouvrir avec une pierre. Il ressemble à un gros oignon, c'est jaune clair à l'intérieur, et le coeur est noir. L'odeur n'est pas géniale, un mélange entre de l'eau croupi et une vague impression de sucré. Elle lève les yeux au ciel un instant :

- Hum, il y a peut-être des composés comestibles.

- Comment tu le sais ?

C'est Sarah qui me répond.

- Le bracelet est capable d'interpréter de manière plus fine que le cerveau les odeurs.

Elle touche avec son doigt, le gant de la combinaison ayant sans doute lui aussi un analyseur de composition.

- Par contre il y a énormément de soufre.

- Tu crois que c'est comestible ?

- Je vais goûter.

Elle touche avec sa langue, mais ferme les yeux et fait la moue en signe de dégoût.

- C'est dégueulasse !

Elle passe sa langue à l'intérieur du col de sa combinaison pour la nettoyer et retirer le goût.

- C'est vachement fort. C'est amer, ça pique, ça brûle même, aucune chance de pouvoir manger un truc pareil. Il y a pas mal de nitrates en plus du soufre, très peu d'eau. C'est astringent !

Bien sûr je ne connaissais pas le terme astringent dans la langue d'Adama. Ce terme se dit de quelque chose qui assèche et fait se contracter les tissus. Sur la langue l'impression est d'avoir quelque chose qui aspire la salive, un peu comme les dattes fraîches.

Nous laissons tomber les bulbes et continuons en direction du bruit d'eau coulante. Nous arrivons rapidement en haut d'une pente assez raide, mais la présence de ses sortes d'arbres nous facilite la descente. Il n'y en a pratiquement qu'une seule sorte. C'est un peu repoussant cette peau écorce un peu molle. Elle est froide, on a l'impression de toucher un cadavre. D'ailleurs ces arbres sont un peu souple, ils se plient quand on s'appuie dessus. Mais ils doivent secréter une substance protectrice, car nous sommes averti par la combinaison qu'il vaut mieux ne pas trop s'y frotter.

Nous arrivons finalement auprès de la rivière, qui est plus un torrent. L'eau est claire, ce qui nous rassure, il y a juste au fond des sortes d'algues orangées. Énavila trempe le doigt dans l'eau, nous attendons son verdict.

- Chier, c'est limite, beaucoup trop riche en soufre. On ne peut pas la boire telle quelle, ou alors en très petite quantité seulement.

- Ça fait quoi le soufre sur l'organisme ? On a a besoin non ? Les acides aminés soufrés, c'est nécessaire ?

- Le vaisseau pourra nous en dire plus, mais sous cette forme là le soufre peut-être dangereux, il a des effets négatif sur la vascularisation et les fonctions cérébrales. Mais il vaut mieux boire un peu de cette eau que de se laisser mourir, de toute façon. Il n'y a pas de méthode simple pour éliminer le soufre je crois.

- Comment tu sais tout ça ?

- On a des stages de survie sur les planètes rebelles. J'ai aussi pas mal appris sur Terre.

- Tu es restée longtemps sur Terre ?

Elle reste silencieuse un instant.

- Un certain temps...

Je n'insiste pas, au risque de me faire encore remballer.

- Mais qu'est-ce qu'on va faire ?

Sarah s'est assise sur une grosse pierre, elle regarde tristement le petit torrent. Elle lève les yeux vers moi.

- Qu'est-ce qu'on va faire ? On pourra jamais réparer le vaisseau... On va rester là ?

- Bah, c'est peut-être bien, si ça se trouve on va fonder une famille puis une tribu, je serai le patriarche de tout ce petit monde et dans dix mille ans nos descendant seront assez évolué pour réparere le vaisseau et enfin quitter ce foutu endroit.

Sarah reste impassible, je tire un sourire d'Énavila :

- Pour ça il faudrait deux choses, la plus simple c'est que tu arrives avec ton clone stérile à fertiliser nos clones stériles. La seconde, beaucoup plus complexe, que tu arrives à nous convaincre.

Elle me fait rire. Sarah, elle, est au bord des larmes.

- Allez, Sarah, on va pas désespérer tout de suite, on vient juste d'arriver, on va peut-être trouver une civilisation, je sais pas, et puis peut-être que le vaisseau a suffisamment émis de message d'alerte et qu'on va venir nous chercher.

Énavila n'est pas très optimiste :

- J'y compterai pas trop, j'ai peur qu'on ne finisse ici. Mais j'ai pas l'intention de me laisser mourir.

- Moi non plus.

Sarah ne répond pas. Je change de sujet.

- Bon je vais essayer de boire une gorgée.

- Je t'en prie.

Je me penche vers la rivière, l'eau n'a pas d'odeur particulière. Je prends un peu d'eau au creux de mes deux mains et bois un gorgée :

- Pouah ! C'est super amer !

Finalement Énavila goutte aussi.

- Ça a un peu le même goût que le bulbe de tout à l'heure, il doit y avoir un composé qui donne ce goût. Le bracelet ne râle pas trop, on pourra peut-être la boire.

- On pourrait tenter de la laisser décanter.

- Oui c'est une bonne idée, mais il nous faudrait des récipients.

- Peut-être qu'on peut trouver de quoi en faire avec les restes du vaisseau ?

- Sans doute, mais on pourrait avancer encore un peu.

- Oui, on pourrait tenter de remonter le torrent, comme ça on ne se perdrait pas, et peut-être qu'en hauteur le point de vue nous révélera des trucs.

- T'es pas si con quand tu t'y mets.

- Ça doit être le manque d'oxygène.

Elle regrette déjà le compliment.

- Mais ne prends pas ça bien, il faudrait quand même que tu sois dans le vide pour avoir un minimum d'intérêt.

- Pourquoi tu ne m'aimes pas ?

- J'en sais rien, c'est dans mes gènes. Tu dois avoir un capital génétique tellement merdique que tout mon corps te repousse.

Je me tourne vers Sarah alors que nous commençons à avancer en amont du torrent.

- Mouais.

Elle se lève et nous rejoint sans conviction. Nous avançons difficilement le long de la pente escarpée et très dense en lierres et buissons sur laquelle s'écoule le petit torrent. Sans vraiment faire attention, on aurait presque l'impression de se trouver dans une forêt de la Terre, par un bel automne.

- On pourrait aussi tenter de récupérer l'eau de pluie.

- Respire !

Énavila me fait sourire. Elle sourit elle aussi.

Il y a plusieurs types d'insectes sur le sol. Ils ne sont pas très différents des nôtres. Ils sont assez petits, mais ressemblent un peu à des fourmis. Il n'y a pas vraiment de feuilles mortes, par contre, je pense que ces arbres ne doivent pas perdre leur sorte de fils orangers qui doivent faire la photosynthèse. Il y a beaucoup d'arbres morts, par contre, ainsi que des sortes de buisson ou de lierre. Pourtant étrangement le sous-bois n'est pas si encombré, ce qui est étrange pour une forêt sans doute non entretenue. La réflexion d'Énavila confirme mes pensées :

- C'est trop clean pour être naturel, c'est sûr qu'on ne sait pas vraiment ce que naturel veut dire sur cette planète, mais il y a quand même beaucoup d'arbres morts ou cassés ; il y a aussi pas mal de buisson ou de lierre piétiner. À mon avis cette forêt est parcourue par des grosses bestioles.

- Je trouvais aussi que le sous-bois était trop propre pour être non fréquenté.

Sarah reprend finalement la conversation :

- Pourtant la montée du torrent était beaucoup plus dense. Et on dirait que certaines plantes sont broutées. Regardez, c'est un peu comme si c'était mâché.

Sarah nous montre les pousses d'un jeune arbres. Effectivement le bout est comme machouillé. Ça me fout un peu les jetons :

- C'est peut-être pas très sûr de nous éloigner comme ça du vaisseau, il nous faudrait peut-être trouver de quoi nous défendre un minimum.

Énavila est plus téméraire :

- Pour l'instant on a vu que des fourmis et des sortes d'oiseaux. Et puis ces bestioles on plutôt l'air herbivores si elles bouffent des plantes.

Sarah n'est pas plus rassurée :

- Je suis assez d'accord avec Ylraw, on devrait peut-être retourner au vaisseau.

- Et bien allez-y, je vous raconterai !

Je relativise :

- Pour l'instant on n'est quand même pas très loin du vaisseau, et on a les bracelets, on peut avancer encore un peu.

La pente devient plus douce ou plus raide suivant les moments. Nous avançons encore une vingtaine de minutes avant d'arriver en vue d'une sorte de clairière. Nous n'avons toujours aucun point de vue, les arbres masquent trop notre champ de vision. Nous devinons parfois les pentes de l'autre versant de la vallée, mais il semble lui aussi recouverts d'une épaisse forêt orangée.

- Ça sent pas génial.

Énavila a raison, une odeur très désagréable semble provenir de la clairière. Nous nous arrêtons un instant.

"Il y a du bruit on dirait, nous contacte Sarah par la pensée."

Nous commençons à parler entre nous via le bracelet.

"Il y a une activité, répond Énavila, oui, mais elle est assez faible."

Nous avançons doucement, aux aguets.

"Ce n'est pas vraiment une clairière, dis-je, regardez, les arbres ont l'air couchés."

"Oui, confirme Énavila, il a dû se passer quelques chose ici.

"Des corps d'animaux morts ! s'écrie Sarah."

"Arg ! crie-je, Oui ! Il y eu un carnage ici !"

Nous restons immobiles à quelques distance de la clairière, maintenant que nous voyons ce qu'il s'y trouve. Sans doute un combat s'est déroulé ici, il y a des restes d'animaux morts, leurs squelettes disloqués éparpillés sur toute la surface de la clairière, où les arbres sont aussi tous cassés et tombé au sol.

"C'est incroyable, s'étonne Sarah, il faut que ce soit un truc venu du ciel pour avoir écrasé comme ça tous les arbres."

"Vraisemblablement c'était pour manger, fais-je remarquer, les corps ne sont pas entiers pour la plupart."

Nous nous approchons encore un peu.

"Il y a une activité dans la clairière, nous avertit Énavila, j'ai des ondes cérébrales à proximité"

"Ça doit être de petits charognards, rassure Sarah, les signaux sont faibles et dispersés."

Je leur demande :

"Est-ce que vous en voyez ?"

"Non, répond Énavila, même le sonar du bracelet ne me donne pas grand chose."

Nous avançons en silence, communiquant uniquement par sym. La clairière est bien le reste d'une bataille aillant sans doute opposé un troupeau de ces bêtes à une ou plusieurs chose venues du ciel.

"Tout semble sec, constate Énavila, ça a dû se produire il y a peut-être un quinze jours (un petit sixième)."

"Regardez les arbres morts, pointe Sarah, on dirait qu'ils ne sont pas fait de bois, ça ressemble à un truc élastique."

"Peut-être devrait-on en ramasser une peu pour faire du feu ? suggérè-je."

"Pas la peine, reprend Énavila, il y en a bien assez d'autres autour du vaisseau."

"Pas con, lui concédè-je".

Nous sommes maintenant tous les trois à découvert dans la clairière. Nous regardons, perplexes, les squelettes étranges des bêtes qui se sont faites dévorées. Ce ne sont pas vraiment des os, plutôt des sorte de plaques un peu élastique. Ça ressemble à des arrêtes de poissons, mais plus larges. Le squelette forme une sorte d'étoile à six branches, une pour la queue, une pour la têtes, et quatre pour les pattes. Ces six branches sont reliées entres elles par des sortes de filaments ou d'arrêtes plus ou moins souples, suivant les branches.

C'est une alerte du bracelet puis le cri de Sarah qui me sort de mes pensées.

- Arg !

Une sorte de gros lézard à deux queues s'est jeté sur Sarah.

- Ils nous attaquent !

Énavila crie quand soudain une nuée de bestioles identiques à celle ayant attaqué Sarah s'élèvent de l'autre côté de la clairière. Nous nous replions vers la forêt. Plusieurs de ces bestioles retombes inanimées autour de moi.

"Utilisez votre bracelet, nous recommande Énavila, ils ont des impulsions électriques nerveuses !"

Rapidement j'ouvre mon bracelet et active la protection, nous ralentissons et nous tournons tous les trois vers la clairière. Quand ces sortes de lézards volants s'approchent trop de nous, ils tombent au sol, secoués par des petits spasmes. Je leur demande si elles ont été blessées, Enavila n'a rien, Sarah a été surprise par le premier lézard :

- Il a commencé à attaquer ma combinaison, ils ont de sacré dents.

- Ils n'ont pas vraiment des dents, c'est une sorte de double bec avec des dents dessinées sur le bec interne.

- Ils continuent à nous attaquer, on ferait mieux de partir.

- Ylraw a raison, en plus ceux que nous immobilisons continuent à bouger un peu, nos bracelets ne sont pas complètement opérationnels sur eux.

Énavila n'est pas d'accord.

- Restons encore un peu le temps de caler les bracelets, justement, ce ne doit être qu'une question de réglages.

Ces lézard doivent mesurer dans les vingt ou trente centimètres, ils sont formés de deux corps qui se rejoignent au niveau de la tête. Quand on regarde plus précisément on retrouve la même structure en étoile que sur les bêtes mortes de la clairière, sauf que chez eux la queue à quasiment disparu, et les deux pattes arrières sont devenues deux queues qui soutiennent une membrane fine et élastique qui leur permets de voler. Ils ont deux pattes à l'avant sur laquelle est attachée la membrane. Entre leur deux queues arrières se trouve aussi une membrane qui doit leur servir à augmenter leur portance. Ils ont une petite tête avec de tout petit yeux, on dirait qu'ils respirent par un trou unique en dessus du crâne, un peu comme les baleines. À la place du nez ils ont comme des branchies, ou un ensemble de fente qui semblent vibrer, je ne sais pas trop ce que c'est. Sarah commence à reculer un peu :

- Je commence à avoir mal à la tête, on devrait partir.

- Oui, je n'arrive à pas synchroniser mieux, de toute façon, on dirait qu'ils ont aussi un mode d'impulsion non électrique.

Énavila laisse tomber et nous reculons doucement en suivant le torrent, les lézards continuent à nous voler autour, ils sautent d'arbre en arbre autour de nous, et tombe au sol quand ils s'aventurent trop près de l'influence des bracelets. je commence moi-aussi à avoir mal à la tête, il n'est jamais très facile de prolonger le mode de défense de bracelet, car celui-ci ne peut s'empêcher d'avoir aussi une influence sur nous, mais quand nous sommes attaqués de toutes parts comme maintenant, il est difficile pour le bracelet de ne pas perturber notre propre système nerveux.

Nous nous retournons pour avancer plus vite vers le vaisseau et tenter de les semer, mais ces sales bestioles s'accrochent. Finalement nous courons aussi vite que nous pouvons vers le vaisseau. Une fois à proximité Sarah réactive l'artificiel du vaisseau qui nous offre alors sa protection. Je me demande si le vaisseau peut recharger ses batteries :

- Il lui reste beaucoup d'énergie, au vaisseau ?

Sarah me répond :

- Oui pas mal, enfin pour tout ce qui est protection électromagnétique et mode passif, sa fonction de régénération est détruite, par contre, ou pratiquement, il pourra peut-être réparer le caisson, mais pas plus. Tous ses émetteurs longues portées sont détruits, et c'est un modèle trop ancien pour qu'il puisse en créer de nouveaux.

Énavila s'appuie contre lui et le tapote de la main.

- Il ne nous servira pas à plus qu'à nous protéger de la pluie et des bestioles.

- Il peut se déplacer ?

- Si tu le portes.

- On ne peut pas emporter sa batterie ou un truc comme ça ?

Sarah reste silencieuse un instant puis me répond :

- Non, son générateur est directement inclus dans la carcasse, impossible de le récupérer. Il lui reste un mode de propulsion opérationnel, mais il consommerait trop rapidement l'énergie qu'il lui reste, au pire on pourrait le bouger de quelques centaines de mètres (quelques tri-pierres), peut-être quelques kilomètres (quelques quadri-pierres), mais pas beaucoup plus.

- Est-ce qu'il avait fait une cartographie de la planète ?

- Sans doute, mais le crash à détruit la mémoire volatile, il ne nous reste que l'intelligence de base.

Énavila coupe court à notre discussion :

- On ne pourra rien faire de ce tas de ferraille, il nous faut bouger d'ici si on veut pouvoir s'en sortir.

- Ces sales lézards continuent à nous tourner autour.

- On peut peut-être essayer d'en manger un.

- Je commence sérieusement à avoir faim. Sarah, tu peux dire au vaisseau de ramener un lézard par ici et de le faire griller ?

Sarah reste silencieuse un instant, finalement un lézard vient s'écraser lamentablement contre la carcasse du vaisseau. Sarah le récupère et le pose sur un restant d'aile, elle nous fait signe de nous reculer :

- Je ne sais pas trop si le vaisseau est encore capable d'avoir des faisceaux très directionnels.

Énavila regarde le lézard posé sur l'aile d'un peu plus près :

- Pour l'instant il ne nous a pas encore grillé en repoussant les lézards.

- Recule-toi, Énavila, c'est un peu plus puissant pour faire chauffer, d'ailleurs on ferait mieux d'aller sous le vaisseau.

Nous nous glissons avec Sarah sous le vaisseau, en descendant du talus vers la tranchée crée lors du crash. Deux minutes plus tard nous remontons voir le résultat. Le lézard crépite encore un peu.

- Il est un peu trop cuit.

Énavila arrache un bout d'une des queues. Elle sent. Je m'approche pour sentir aussi, elle se recule :

- T'approche pas trop de moi, s'il te plait.

- Ça va, je vais pas te le bouffer !

- Ça ne me fait pas spécialement plaisir de devoir me contrôler pour ne pas te buter, alors ne me rends pas la tâche plus difficile.

- Putain mais qu'est-ce que je t'ai fait !

- Ta gueule.

- Pfff.

C'est n'importe, quoi, elle est complètement parano. Sarah ne dit rien et nous regarde loin, je prends un bout de l'autre queue et je le goutte dans trop faire de chichi. Ça n'a pas un goût très fort, ça ressemble à un mélange entre du poisson et du poulet. C'est plus élastique, un peu plus fort, ça pique un peu.

Sarah se rapproche :

- Alors ?

Énavila a aussi goûté :

- C'est mangeable, pas très bon, mais mangeable.

- T'as déjà mangé des animaux ?

Énavila me regarde froidement, comme si je la prenais pour une idiote. Je me tourne vers Sarah :

- Tu en as déjà mangé, toi ?

- Oui, sur Terre.

Sarah s'approche et prends un petit bout du lézard, elle le goûte.

- On ne devrait peut-être pas tous en manger, pour voir les effets.

- Tu fais comme tu veux moi j'ai la dalle. Sarah, tu en ramènes d'autres ?

Après quelques secondes, plusieurs bestioles viennent s'écraser à proximité ; Énavila en fait un tas sur l'aile. Ça me paraît un peu précipité comme repas.

- On ne devrait pas les nettoyer ? Au moins les passer par l'eau, et si c'est comme les crapauds ou certains poissons il y a peut-être des parties non comestibles.

- Ylraw a raison Énavila, on devrait tenter de faire un peu plus attention, si on s'empoisonne on ne pourra sans doute pas se soigner.

- Et les tubes ? Ils marchent plus ?

- Ça consomme beaucoup trop d'énergie ! Il vaut mieux être économes dans qu'on ne sait pas combien de temps on va rester.

- Vous restez le temps que vous voulez, moi je mange et je me barre.

Qu'est-ce qu'elle veut encore faire !

- Comment ça tu te barres ?

- Je me barre. J'ai pas envie de crever ici bouffer par des lézards à deux queues, OK, alors je vais remonter la rivière, et puis tenter de trouver un moyen de me barrer de cette planète de merde.

- Mais comment tu vas t'y prendre ? Tu vas fabriquer un vaisseau avec des bouts de bois ?

- Me prends pas la tête, j'en sais rien, mais j'ai pas l'intention de vous supporter à toujours avoir les jetons de faire quoi que ce soit.

Sarah s'énerve :

-C'est pas une raison pour faire n'importe quoi, tant qu'on n'a pas d'évidences d'une forme de vie intelligence, notre plus grande chance c'est de tirer quelque chose du vaisseau.

- Tirer quoi ? Il est complètement défoncé et tu n'y connais rien, alors autant chercher une autre solution. Vous faites comme vous voulez, je m'en tapes. Ramène-moi plus de lézard, je vais me faire une réserve et puis je pars.

- C'est n'importe quoi ! Tu vas bouffer des trucs dont on ne sais même pas s'ils ne vont pas nous rendre malade, et tu vas partir à l'aventure au milieu de la forêt. D'autant qu'il y a l'air d'y avoir des animaux dangereux qui rodent. T'es pressée de quoi, de mourir ?

Énavila ramasse les nouveaux lézards apportées par le vaisseau.

- Pressée de ne plus voir vos sales tronches surtout. Surtout de lui.

Elle me désigne par un petit mouvement de la tête. Je ne comprends pas pourquoi elle m'en veut autant. Je m'entretiens avec Sarah.

"Qu'est-ce qu'on fait, Sarah ?"

"Ce n'est pas très sûr de nous séparer, mais partir aussi vite ?"

"D'un autre côté c'est vrai qu'il nous faudrait trouver rapidement de quoi nous en sortir, au plus on attend au plus les réserves énergétiques du vaisseau ou des bracelets s'épuisent. Comment de temps peuvent-elles tenir ?

"L'énergie n'est pas un problème, les bracelets peuvent tenir des milliers d'années, et le vaisseau, si nous ne nous en servons pas plus que pour cuire quelques animaux, plusieurs dizaines ou centaines d'années.

Leur source énergétique m'étonnera toujours, je m'entretiendrais bien avec Sarah pour savoir comme est stockée leur énergie, mais j'aurais pu m'y intéresser avant...

"On va avec elle alors ?"

"On peut la suivre un moment, et rebrousser chemin si jamais ça tourne mal."

Énavila nous regardent :

- C'est fini vos cachoteries ! Vous avez peur de quoi ? Vous pouvez me le dire en face !

Je lui réponds :

- On vient avec toi.

- Hors de question, je ne veux pas m'encombrer de deux boulets.

- Bordel c'est débile ! Et s'il t'arrive quelque chose, c'est mieux qu'on soit à trois !

- Il m'arrivera sans doute beaucoup plus d'emmerdes avec vous que sans vous, alors me prenez pas la tête.

- On s'en fout on va te suivre.

- Putain mais vous pouvez pas me laisser vivre ! J'ai jamais voulu être avec vous moi, merde !

- Eh ! Oh ! Dans la station c'est toi qui m'a demandé de t'aider à prendre le vaisseau, alors je suis désolé mais tu l'a quand même un peu cherché.

- Tu fais chier ! Restez à votre vaisseau merde ! Si je trouve quelque chose je viendrai vous le dire, en plus avec les bracelets on peut causer.

- Ils portent loin sans relais les bracelets ?

Sarah répond :

- Le vaisseau sert de relais, les bracelets sont liés au vaisseau. Entre eux les bracelets ne sont joignables que tant qu'on est en visu. Ils peuvent toutefois porter à plusieurs centaines de kilomètres, mais tant que le caisson du vaisseau est intact, on peut passer par lui pour les sym, et on ne craint plus aucun obstacle.

- Ça utilise des particules liées, comme les téléporteurs ?

- Oui.

- Et est-ce que les bracelets servent de sauvegarde ?

- Non, ils sont trop basiques, ils enregistrent tes souvenirs, mais ils n'ont pas de sauvegarde complète. Si jamais l'un de nous meurt, on ne pourra pas le ranimer rien qu'avec un bracelet et un tube, il faut un matériel plus lourd, en plus le vaisseau n'a aucun clone en réserve.

- Donc si on meurt c'est fichu, on n'a plus qu'à espérer qu'ils nous regénèrent dans la Congrégation, et tout ce que nous aurons fait ici sera perdu.

- Oui.

Énavila s'énerve :

- Qu'est-ce que ça peut foutre ? De toute façon la Congrégation s'est faite défoncée alors on n'est pas plus mal ici. Si vous voulez venir avec moi vous vous bougez votre cul et vous faite pas chier.

- Il n'y a pas des combis de rab dans le vaisseau ? Ou de quoi pouvoir faire un sac pour porter des trucs ?

- Si mais je pense qu'il vaut mieux qu'on les garde pour quand celles-ci seront foutues. D'ailleurs se serait mieux qu'on ne les remplissent pas.

Énavila demande :

- Le vaisseau n'a pas de videur ? Il n'a pas de générateur de bouffe, d'ailleurs ?

- Non tout est cassé. Peut-être que le videur marche à l'intérieur des tubes. On pourrait aussi utiliser le fluide nourrissant qui rempli les tubes, mais je ne crois pas qu'ils soit comestible tel quel, il nous faudrait le transformer.

- Et directement se mettre dans un tube de temps en temps ?

- C'est faisable, mais ça consomme beaucoup d'énergie. Les communications, le champ de protection ou de faire griller quelques lézards ça va, utiliser un tube c'est très gourmand.

Je me mêle de la discussion.

- Mais le vaisseau n'a pas des super réserves d'énergie ?

- Bon je regarde.

Sarah reste silencieuse un instant.

- Il a de quoi nous maintenir en attente pendant quinze ans (environ 10 ans d'Adama). Toutefois ce sont les cycles d'endormissement-éveil qui coûtent beaucoup d'énergie. Il pourrait faire environ cinq cents cycles en tout.

- Si on ne mange qu'un jour sur deux ou sur trois, ça pourrait nous permettre de tenir un an tous les trois.

Énavila s'excite de nouveau :

- On s'en fout de toute façon je n'ai pas l'intention de rester là et on peut pas trimballer ce foutu caisson avec nous, alors autant qu'on se bouge tout de suite. Si on trouve rien d'ici quelques jours on reviendra ici pour se recharger, mais on va pas rester ici un an à bouffer des lézards et attendre que ça se passe !

- Je suis plutôt de l'avis d'Énavila.

- J'en ai rien à foutre que tu sois de mon avis, moi je me casse.

Énavila récupère une des branches cassées par le crash et l'utilise pour enfiler les lézards dessus. Je me trouve moi aussi une branche et fais pareil ; ce serait quand même plus pratique si nous avions un sac. Il faudrait qu'on utilise ces lianes qu'on a vu dans la forêt pour faire des cordes.

Sarah n'est pas complètement d'accord avec nous :

- Je suis d'accord qu'il nous faut bouger, mais ça ne sert à rien de se précipiter.

Énavila se redresse vers elle :

- Et qu'est-ce que tu veux faire ? On peut rien faire en attendant !

Je parle de mes cordes :

- On pourrait tenter de faire des cordes ou des sacs avec les lianes dans la forêt.

Sarah continue :

- On pourrait aussi attendre la nuit, on ne sait même pas la durée du jour, et en plus la plupart des bêtes sauvages doivent sortir de nuit.

- Qu'est-ce que t'en sait ! Et si le jour il dure six jours, on va attendre ? Merde mais bordel en plus je ne vous demande rien, pourquoi est-ce que j'essaie de vous convaincre, je m'en tape. Moi je me casse, vous faites votre vie, je m'en cogne.

Énavila s'éloigne alors du vaisseau, avec sa brochette de lézards. Je finis de faire la mienne et je la suis, en appelant Sarah au passage.

- Viens, Sarah, on va faire un petit tour, on reviendra au vaisseau s'il commence à faire nuit ou si quelque chose ne va pas.

Sarah me suit à contre coeur.

"Tu sais qu'elle est barge, me dit Sarah, c'est quand même sa faute si on s'est crashé sur cette fichu lune."

"Ce n'est peut-être pas de sa faute, dis-je, peut-être que le vaisseau à eu un problème, a été percuté par un astéroïde..."

"Non, non, non, me reprend Sarah, c'est elle qui a complètement foiré."

Énavila se retourne vers nous.

- Si vous voulez venir avec moi vous la jouez franc-jeu, OK ? Alors arrêtez vos sym de merde.

Comment elle fait ?

- Comment tu peux savoir qu'on fait des sym ?

- Je le sens.

Sarah est aussi curieuse :

- Qu'est-ce que tu sens ?

- Je sens vos sales ondes !

- Mais comment, avec ton bracelet ?

Je demande à Sarah :

- Le bracelet peut sentir les sym des autres ?

- Quand on passe par les particules liées, non, uniquement quand on passe par onde, mais ce n'est pas le cas en ce moment. Énavila, alors, comment tu sens ?

- Oh vous faites chier, j'en sais rien, je le devine, faut pas être un génie pour s'apercevoir que quand vous restez silencieux comme ça vous êtes sûrement en train de causer.

- Tu peux savoir ce qu'on dit ?

- Bien sûr que non.

Elle ment !

- Tu mens !

Elle s'arrête et se retourne.

- Oh vous me brouter ! Tu arrêtes de m'emmerder ! Ça fait chier c'est connerie de franchise et de merde. Moi au moins je ne vous fait pas des messes basses, alors au prochain commentaire je me casse toute seule et vous allez vous faire voir. Et si vous avez des trucs à dire, dîtes le tout haut !

Elle se retourne pour repartir, puis retourne la tête vers nous.

- Oh et puis merde, faites ce que vous voulez, je m'en tape.

- C'est quand même bizarre que tu sois toujours énervée comme ça, à mon avis tu as un problème hormonal.

Elle s'arrête et se tourne vers moi, mais ne peut retenir un sourire.

- T'es vraiment qu'un con.

- Allez avance, j'arrête de t'embêter.

Elle va pour dire quelque chose, puis se rétracte et reprends la route. Nous arrivons de nouveau dans la forêt, il y a encore quelques lézards qui nous suivent, mais la plupart ont été immobilisés par le vaisseau. Nous remontons de nouveau le torrent, mais nous faisons un grand détour pour éviter la clairière. Il fait un peu plus froid, le ciel s'est couvert et la géante rouge est cachées par les nuage, il ne reste que la géante bleue à l'horizon dont la lumière traverse de temps en temps au milieu des feuillages. Feuillages n'est pas vraiment exact, car ce ne sont pas vraiment des feuilles, plutôt des sortes de filaments. Je parviens avec difficulté à couper un bout de liane. Ce lierre est vraiment très solidement accroché aux arbres. J'ai réussi à trouver une pierre suffisamment coupante pour récupérer environ trois mètres de liane. Sarah porte mes lézards, et tout en marchant je tente de séparer les trois filaments qui compose ma liane et tente d'en faire un panier, ou un sac.

Le climat s'est un peu détendu et nous nous arrêtons souvent pour regarder un nouvel insecte, une nouvelle plante ou un petit point de vue en haut d'une grosse pierre. Nous avons monté ou moins deux cents ou trois cents mètres de dénivelé, nous voyons la trace du crash de temps en temps en contre-bas. Il y a plus de vent, mais le jour n'a toujours pas l'air de décliné, la géante rouge a bougé dans le ciel, cependant. D'après Sarah le jour doit durer entre deux et trois jours d'Adama.

La forêt ne change guère, toujours ces mêmes arbres. Après trois bonnes heures de marches, nous faisons une pause pour manger les lézards. Nous commençons à avoir vraiment faim, les lézards ne forment pas un repas très copieux. Cela nous permet déjà de ne plus avoir à les porter. Nous buvons un peu d'eau dans le torrent, même si elle a toujours ce goût prononcé pas très agréable. Après notre pause repas, nous avançons encore deux bonnes heures, mais nous sommes rapidement épuisés. La gravité sur cette planète semble au moins aussi élevé que sur Adama. Et si nos clones sont normalement suffisamment musclés pour la supporter, c'est sans compter sur la faible quantité d'oxygène qui nous essouffle.

Il fait toujours aussi jour, et nous n'avons parcouru que la moitié de la pente avant de pouvoir atteindre les zones moins boisées d'où nous espérons avoir un meilleur point de vue. Encore une bonne demi-heure et je commence à avoir la tête qui tourne et mal au ventre. Je m'arrête un moment sur une pierre. Sarah et surtout Énavila ne font pas de manière pour faire aussi une pause.

- J'ai la tête qui tourne, vous croyez que c'est le manque d'oxygène ?

Sarah me demande de me pousser un peu pour lui laisser une place sur la pierre :

- Ça ne doit pas aider, mais je ne suis pas sûr que ce soit la cause. J'ai aussi mal à la tête, et je commence à avoir mal au ventre, je me demande si cette eau ou ces lézards sont vraiment comestibles.

- Oui moi-aussi je commence à avoir mal au ventre. Et toi Énavila ?

- Un peu, mais rien de grave, j'imagine qu'il nous faudra quelques jours pour nous habitue à cette nourriture.

Le fait de m'arrêter n'a fait qu'empirer mon mal à la tête et mon mal au ventre.

- On devrait peut-être rentrer. Si on commence à aller pas bien, c'est plus sûr qu'on retourne vers le vaisseau.

Énavila, bien sûr, n'est pas vraiment de cet avis :

- On ne va pas s'arrêter maintenant ! Encore deux ou trois heures et on sera hors de cette fichue forêt !

Elle a du courage. Moi déjà juste rentrer ça m'étonne un peu, alors rajouter cinq ou six heures de plus... Sarah ne dit rien mais elle n'a pas l'air beaucoup plus enchantée.

- Vaz-y, avance, on va rester là un peu avec Sarah, si ça va mieux on te suivra, sinon on se retrouvera ici quand tu reviendras.

- Mouais... Bon j'y vais alors.

Elle part en trottinant, elle est vraiment incroyable. Je respire de grande bouffée d'air pour essayer de faire un peu passer mon mal au ventre, mais rien n'y fait. Sarah me demande :

- Tu crois que c'est les lézards ?

- Sans doute, c'est les lézards ou l'eau, ça peut être autre chose ?

- Je ne sais pas. Peut-être le manque d'oxygène, ou un composé de l'atmosphère, ou même ces sortes d'arbres, peut-être rejettent-ils une substance toxique pour nous.

- C'est vrai que c'est difficile à savoir, mais on ne va pas faire long feu si on ne peut pas trouver de quoi boire ou manger.

- De toute façon je ne vois pas ce qu'on peut faire ici. Il n'y a pas de technologie sur cette planète, le vaisseau aurait capter des ondes.

- Peut-être que ses détecteurs étaient nazes ?

- C'est vrai. Mais comment savoir, il va falloir qu'on parcoure combien de kilomètres (quadri-pierres) pour trouver quelque chose ?

- Qu'est-ce que tu veux faire d'autre, te laisser mourir ?

- J'en sais rien... En plus on ne sait rien de ce qu'il se passe dans la Congrégation...

- Tu sais qui nous a attaqué ?

Sarah reste silencieuse un instant.

- Non... Je ne vois pas...

- Vraiment ?

- Oui, je ne mens pas, tu le vois bien.

- Ne t'énerves pas... Et puis sur Adama tu as menti sans que personne n'y voit rien.

Elle ne dit rien.

- Depuis quand fais-tu partie de l'expérience Terre ?

- Depuis que j'ai 33 ans (20 ans d'Adama), c'est à dire environ 2070 ans (1270 ans d'Adama).

- Tu as du voir un paquet de truc... Pourquoi est-ce que tu m'as aidé, sur Terre ?

Elle ne dit rien.

- Tu ne veux pas répondre ?

- Parce que je voulais dénicher les personnes qui truquent l'expérience.

- Ce sont des hommes de l'Au-delà ?

- Oui.

- Tu as réussi à en avoir ?

- Non.

- Toutes les personnes de l'organisation que j'ai rencontré sont des hommes de l'Au-delà ?

- Oui.

- Et les hommes qui m'ont attaqué au Mexique et à Sydney, les gros balaizes, c'était aussi des gars de l'Organisation ?

- Je ne sais pas. Je ne sais pas qui étaient ces hommes. Sans doute des hommes de main.

- Je ne suis pas sûr, à Sydney les policiers, qui étaient sûrement de l'organisation, se sont pris à partie avec le gars qui m'avait attaqué.

- C'était peut-être un autre courant, ou peut-être ne sont-ils pas d'accord entre eux.

- Mouais... Où est la Terre par rapport à Adama ?

- Loin, très loin. La Terre est aux limites de la Congrégation.

- Qu'est-ce qu'il va se passer, maintenant ?

- Pour la Terre ?

- Oui, si l'expérience est arrêtée, comment ça va se passer, tout d'un coup tous les habitants de la Terre vont devenir membres de la Congrégation ?

- C'est souvent un peu plus complexe que ça. Il faudra sans doute des années et des années avant que tout le monde se mette d'accord sur la procédure à suivre. De toute façon avec l'attaque de la Congrégation ce n'est plus vraiment d'actualité, et en plus il est a compter qu'on n'en saura jamais rien.

- Tu penses qu'on va rester ici ?

Elle s'énerve un peu.

- Et tu crois qu'on va partir comment ? Ça fait même pas un jour qu'on est là, on s'est déjà fait attaquer, et on est malade comme des cochons.

L'expression de Sarah me fait sourire.

- Ça te fait marrer !

- Chez nous on dit plutôt 'malade comme des chiens'.

- Oui je sais.

Je change de langue, je lui parle en Français.

- Tu parles français. Ah oui c'est vrai à Sydney tu m'avais parlé français !

- Oui je l'avais appris pour toi, d'ailleurs.

- Ton accent est superbe.

Ça fait tellement de bien de parler français ! Tout d'un coup j'ai l'impression de sortir de prison ! De me retrouver dans la nature de ma jeunesse ! Sarah sourit.

- Tu es belle quand tu souris.

Elle me regarde, gênée :

- Merci.

Elle ne dit plus rien, j'ai envie de l'embrasser. Ah Pénoplée, où es-tu donc ? J'espère qu'il ne t'est rien arrivé. Et Deborah, ma Deborah, que fais-tu, toi, encore là-bas, sur Terre, alors que je suis là si loin... Combien de temps que je ne t'ai vu ? Depuis novembre 2002, j'ai compté 376 jours, 377 maintenant, sans doute, nous sommes désormais en décembre 2003, peut-être même en 2004... Plus d'un an, plus d'un an que je cavale, de par le monde et l'Univers ! Tout ce dont j'avais jamais rêver ! Me trouver sur d'autres planètes ! C'est dingue, dingue, dingue ! Je crois que j'ai toujours du mal à y croire, assis sur ma pierre à côté d'une nana qui a plus de deux mille ans, mais qui ferait bander un aveugle, perdu sur la lune d'une planète grosse comme cent fois la Terre dans un système à trois étoiles au fin fond de la galaxie... Si je suis encore dans la Voie Lactée, ce qui n'a rien de sûr... Mon Dieu, une autre galaxie ! Il y a de la vie ailleurs, il y a des lézards à deux queues ! Rien que ça devrait me contenter, rien que ça devrait me suffire pour avoir une mort heureuse... Pourtant je veux toujours en savoir plus... Mais qu'est-ce que je veux savoir, désormais ? A priori l'organisation est constituée d'hommes de l'Au-delà, qui ont trouvé refuge sur Terre après le Libre Choix, il y a mille quatre cents ans. Finalement, les questions qu'il me reste, j'ai moyens d'en trouver réponse, c'est Énavila la clé du mystère, pourquoi m'a-t-elle donné ce bracelet ? Pourquoi m'en veut-elle autant, pourquoi a-t-elle voulu me tuer ? Pourquoi est-ce que je la retrouve sans cesse sur ma route ? Elle aussi a rencontré le bleu-man... Est-ce vraiment un hasard, si je me retrouve ici, perdu, avec elle ? Se pourrait-il que tout ça fût arranger ? Qu'elle soit de mèche avec le mec en bleu ?

Si c'est bien le cas rien n'est alors perdu. Mais serait-elle aussi manipulé ? Joue-t-elle la comédie ? Sarah pourrait-elle être dans le coup aussi ? Après tout c'est elle qui m'a tiré d'affaire sur Terre, mais n'était-ce pas dans le but précis de me faire capturer ? C'est elle qui pilotait le vaisseau quand nous avons subitement été téléportés ici. Que croire, la fonction des bracelets permettant de savoir qui ment serait bien utile, mais que croire, quand Énavila semble pouvoir la contourner, et que Sarah était dans le coup avec Goriodon et les artificiels...

Sarah n'a pas l'air d'aller très bien. Elle a la tête entre les mains, les coudes appuyés sur les genoux. Je ne vais pas super bien non plus, mon mal au ventre, s'il n'a pas empiré, reste persistant.

- Ça va ?

- Pas trop...

- Tu veux qu'on commence à rentrer au vaisseau ? Le plus vite arrivé le plus vite on pourra se soigner.

- Se soigner comment ? On ne va pas passer dans les tubes pour si peu. De toute façon si on ne peut pas manger, on va mourir, alors...

- C'est encore un peu tôt pour baisser les bras, et puis nous n'avons goûter qu'à ces lézards à deux queues, il y a peut-être d'autres espèces plus comestibles.

- Pfff... Manger ces animaux, à quel point en sommes-nous rendu...

- Depuis quand est-ce interdit dans la Congrégation ?

- Des millénaires, peut-être huit mille ou dix mille ans (cinq ou six mille années d'Adama).

- Ça fait un bail. Mais sur Terre tu en mangé de toute façon, ce n'est pas si catastrophique que ça, et puis avons-nous le choix ?

- Bien sûr, sachant que nous allons sans doute être clonés dans la Congrégation dans cent soixante ans (cent années d'Adama), nous devrions plutôt nous laisser mourir et ne pas continuer cette alternative abjecte.

- Alternative abjecte ! Je ne suis pas mon clone, il vont peut-être me cloner dans cent soixante ans, mais ce ne sera pas vraiment moi ! Moi ici peut-être que je vais mourir, mais je ne veux pas me laisser faire, et entre moi et les lézards, j'ai fait mon choix depuis bien longtemps...

Sarah ne dit rien.

- Pourquoi moi, Sarah ? Pourquoi Énavila m'a donné le bracelet ? Pourquoi tu m'as aidé ? Pourquoi il m'arrive tout ça ?

- Je ne sais pas.

- Tu n'es pas complètement sincère.

- Je... Je ne sais pas pourquoi Énavila t'a donné le bracelet. Mais à partir de là ça ne pouvait être que toi, c'est de toi dont je me suis servi pour découvrir qui se... Pour essayer de faire sortir ces gens de l'Organisation, comme tu dis.

- Et la disparition de Naoma ?

- Incompréhensible. Je n'ai pas eu toutes les infos, mais apparemment sa disparition reste inexpliquée. C'est le premier cas d'un tel problème de puis des millénaires.

- Tu ne sais vraiment pas qui a pu attaquer la Congrégation, alors ?

Sarah s'énerve.

- Non ! Non je ne le sais pas, tu ne me crois pas ? Non, j'en sais rien moi de tout ça... Je... Et puis mince.

Bestioles

Nous sommes coupés par un sym d'Énavila :

"Courrez au vaisseau ! nous syme Énavila, courrez ! Je me suis fait attaquer par des bestioles, ces saloperies non pas d'onde mentale, courrez !"

Énavila nous donne accès à sa vision, elle est en train de se battre contre un troupeau de bêtes de la taille d'un léopard. Elle n'a qu'un bâton pour déjouer leur attaque, les manches de sa combinaison sont en lambeaux, elle semble blessée à de multiples endroits, ses avant-bras sont en sang.

"Bougez-vous bordel ! nous crie-t-elle avec son bracelet, je me dirige droit vers le vaisseau, je ne vais pas faire de détour, je ne tiendrai pas, courrez !"

Nous réfléchissons quelques secondes avec Sarah, attendre pour l'aider ?

"Non ! nous coupe-t-elle, surtout pas ! Ils vont nous déchiqueter, rentrez ! Vous serez peut-être sauf, je ne sais pas si j'y parviendrai de toute façon, ne vous occupez pas de moi !"

Le bracelet donne Énavila à cinq kilomètres (cinq quadri-pierres), le vaisseau est à près de huit kilomètres. Cinq kilomètres ! Elle a dû courir ! Nous avons fait huit kilomètres en quelque chose comme 5 heures, et elle n'a pas dû partir il y a plus de deux heures.

Sarah à du mal à courir, je l'aide un peu, j'ai aussi encore très mal au ventre et à la tête. J'ai toujours mes lianes, mais elles me ralentissent plus qu'autre chose. Énavila se rapproche de nous à grande vitesse, dix minutes plus tard, alors que nous n'avons parcouru qu'un kilomètre, Énavila n'est plus qu'à quatre de nous.

Je presse Sarah, mais elle tombe souvent.

- J'ai la tête qui tourne trop, si on continue à cette vitesse je vais tomber dans les pommes.

- Respire plus vite ! Allez relève toi, vite ! Énavila arrive sur nous.

Je la prends par le bras et la tire, mais elle n'avance pas ! Nous sommes toujours désespérément lent par rapport à Énavila. J'ai moi aussi la tête qui tourne de plus en plus, j'ai du mal à comprendre tout ce que me dit Sarah. Je la tire sans ménagement. Nous avons perdu la piste par laquelle nous sommes venu, et nous perdons du temps dans les buissons et les branches. Je laisse tomber mes lianes, tant pis, mais elles s'accrochaient sans cesse.

- Allez ! Sarah !

J'ai presqu'envie de la laisser tellement elle va doucement ! Énavila n'est plus qu'à deux kilomètres et nous sommes encore à quatre kilomètres du vaisseau !

Sarah glisse et tombe dans une pente raide, je me jette derrière elle pour tenter de la rattraper, mais elle glisse et roule jusqu'en bas. Cela aurait pu nous faire gagner du temps si elle ne s'était pas blessée en tombant. Elle s'est ouvert la main sur une pierre ou une branche qui dépassait. Je ne lui laisse pas le temps de regarder sa blessure, elle se plaint mais je continue à la tirer.

Du bruit ! Nous entendons les grognements et les sifflements atroces des bêtes qui ont attaqué Énavila, elle n'est plus qu'à quelques centaines de mètres alors que le vaisseau est à plus d'un kilomètre et demi.

Le vacarme est énorme ! On dirait que ces bestioles labourent tout sur leur passage, on entend des arbres tomber. Énavila crie, elle jure à n'en plus finir. Je n'ai pas le temps de voir venir, à peine eus-je l'idée de me trouver un bâton pour me défendre, deux bêtes on déjà sauté sur Sarah ! Mon Dieu, elle sont immondes ! On dirait qu'elles sont à moitié brûlées ! Il en arrive de partout ! Sarah est au sol, elle hurle. Les bêtes sont en train d'éssayer de lui manger le flanc !

Je prends la première pierre que je trouve et la lance sur une bête. Elle hurle, se retourne vers moi et me saute dessus. Elle me jette au sol. Je me protège avec mon bras, qu'elle attrape avec son bec muni de dents. La combinaison tient bon, je lui donne plusieurs coups de poings et tente de la faire passer par dessus moi. Elle griffe avec ses pattes. Je parviens à la renverser, je me relève et lui donne un coup de pieds de toutes mes forces dans la tête. Je fais de même avec la bête sur Sarah. J'aide Sarah à se relever, je lui hurle de courir le plus vite possible vers le vaisseau.

Ce n'était qu'un avant-goût ! J'aperçois Énavila au prise avec des dizaines de ses sales bestioles qui arrive ! Mais comment fait-elle ! Mais je n'ai pas le temps de réfléchir, je me fais attaquer par derrière par une des bêtes que j'ai frappé. L'autre est partie aux trousses de Sarah, elle lui a sauté dessus, Sarah est au sol.

"Va près de Sarah, me commande Énavila, je vous rejoins, nous allons nous regrouper, tente de te trouver un bâton ou quelque chose !"

Facile à dire, j'ai l'autre bestiole qui m'a bondi dessus ! Je crois qu'une de ses griffes a percé ma combinaison au niveau du ventre, j'ai une forte douleur à ce niveau là. Je finis par lui attraper une patte et la lancer contre un arbre. Je cours vers Sarah, attrape une patte arrière de la bête qui lui attaquait le dos et je la projette de toutes mes force contre une grosse pierre.

Mais le troupeau enragé arrive à ce moment là, quatre ou cinq bêtes me tombent dessus simultanément. Je frappe comme je peux, tente de les projeter, mais je fatigue vite. Énavila arrive, elle déploie une force phénoménale ! Elle est en sang de la tête aux pieds.

- Relève Sarah ! Vite !

- Je fais ce que je peux !

Je suis à bout de force, ma vision se trouble dangereusement. Sarah semble avoir perdu connaissance. J'arrive à parvenir jusqu'à elle, impossible de la réveiller, d'autant que des dizaines de bêtes me saute dessus tour à tour. Plusieurs sont sur Sarah désormais ! Bordel ! Ces saloperies sont en train de la bouffer !

Énavila est encore plus féroce que les bêtes, elle hurle en les projetant avec une force en laquelle j'ai du mal à croire, je tente de faire comme elle mais je suis beaucoup trop fatiguée. Voyant que j'ai du mal, elle me jette son bâton. C'est impossible ! Je ne tiendrais pas ! Énavila traîne Sarah et repoussant tant bien que mal les attaques des bêtes. Je suis désormais près d'elle et je tente de l'aider du mieux que je peux avec mon bâton, mais c'est surtout moi que j'essaie, vainement, de défendre.

Nous avançons un peu, tant bien que mal, le vaisseau ne doit plus se trouver qu'à quelques centaines de mètres. Mais je n'en peux plus, je tombe au sol. Les bêtes me sautent dessus de toute part. Je ne parviens pas à me relever. Une des bêtes finit par mordre le bâton et me le retirer des mains. C'est foutu ! Merde... Sarah avait peut-être raison, autant mourir...

Je me bats tant bien que mal encore quelques minutes, mais la douleur est trop intense, ces saloperies sont en train de me bouffer, bordel, quelle vie de merde...

Attente

Réveil difficile...

Je suis dans un tube, encore. Je me rendors.

Arg, ma tête ! Où suis-je, encore ?

Soudain le bruit d'un choc me fait frissonner. J'interroge mon bracelet, c'est toujours le même que celui du vaisseau. De toute façon où pourrais-je être ailleurs que dans un des tubes du vaisseau ? Remarque il se passe tellement de trucs bizarres.

J'ouvre mon tube ; je me relève doucement, je suis bien dans le vaisseau, je suis nu dans mon tube, je n'ai pratiquement plus de blessure, juste bon nombres de cicatrices supplémentaires qui s'ajoutent à celle que j'ai déjà. Énavila est là, assise dans un coin.

- Salut.

Elle tourne la tête vers moi, ne répond pas au début, puis finalement me lance un "salut" nonchalant.

Un nouveau grand bruit se fait entendre.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Les bestioles, elles s'archarnent depuis que je vous ai ramené ici.

- J'ai perdu connaissance, désolé, je... Merci.

- Ya pas de quoi.

- Mais, tu es blessé, tu n'es pas passé dans un tube ?

- Je ne pouvais pas. Seule Sarah peut activer la régénération, j'ai réussi à la mettre en place pour elle et toi, mais pas pour moi.

- Prends mon tube, peut-être que je pourrais l'activer.

- Non tu ne pourras pas.

- Pourquoi ? Si toi tu y es arriver, regarde, tu es meurtrie de partout, tu ne peux pas rester comme ça.

- Laisse, OK ? C'est bon, ça va mieux maintenant, j'ai un peu dormi, ça va. J'ai juste faim.

- Combien de temps suis-je resté dans le tube ?

- Deux jours d'Adama.

- Ça fait deux jours que tu attends, et les bestioles saute tourne autour du vaisseau depuis deux jours ?

- Oui, et il ne fait toujours pas nuit.

Hum, deux jours de tube, il a bien dû s'écouler un jour entre le crash, avant. Ce qui me ferait un total d'environ 379 jours.

- Sarah, comment va-t-elle ?

- Je pense qu'il lui faudra encore un jour ou deux pour se remettre, elle était plus amoché que toi.

- Tu as essayé de griller une bestiole dehors ?

- Non, je n'ai pas le contrôle du vaisseau, mais je ne sais pas si t'a remarqué, elles sont déjà grillées.

- Oui elles ont une texture assez bizarre. Comment ça se fait que les bracelets sont inefficaces, elles n'ont pas de système nerveux ?

- Si, mais il ne réagit pas, on dirait qu'elles ont un système parallèle qui contrôle leurs mouvements, qui ne fonctionne pas par impulsions électriques.

La pauvre, sa combinaison est complètement déchirées, il ne lui reste guère qu'un court short et de quoi lui faire avoir un minimum de pudeur.

- Tu ne veux vraiment pas venir dans mon tube, tu fais vraiment pitié.

- Je t'emmerde.

- Désolé, je ne voulais pas te blesser, dans ma langue cette expression n'est pas négative.

Sur ce elle me réponds en français.

- Je sais.

- Tu parles français ?

- Bien sûr...

- Tu veux ma combinaison, alors, la tienne est dans un sale état. Quoi que je n'ai pas vu la mienne.

- C'est pas mieux, tient, enfile là... Tu...

Elle me regarde un instant.

- Tu as beaucoup de cicatrices.

Sa voix ! C'est la première fois que j'entends un ton amical ! C'est magnifique.

- Oui ces sales bestioles m'ont bien amochées.

- Même avant, quand je t'ai mis dans le tube, tu en avais déjà beaucoup.

- Oui, tu sais ça fait plus d'un an que je cours dans tout l'univers, qu'on me tire dessus, que des bestioles m'attaquent, que je me fait frapper, attaquer, écraser au sol, sans que je sache pourquoi, alors ça marque... Encore plus psychologiquement que physiquement, d'ailleurs...

- Tu sais très bien pourquoi.

Elle reprends sont ton désagréable. Je réponds sans même vouloir la contredire, je ne me réponds qu'à moi-même, de toute façon elle va encore m'envoyer paître.

- Non je ne le sais pas...

Nous restons silencieux un instant, j'enfile ma combinaison. Les bestioles sautent toujours contre le vaisseau. Deux jours qu'elles s'acharnent ! Il ne doit vraiment rien avoir à bouffer dans le coin... Je m'appuie contre la paroi du caisson, à l'opposé d'Énavila, comme pour en être le plus loin possible. Elle est vraiment belle. Elle me rappelle quelqu'un, mais qui, ça remonte à si longtemps.

- Tu peux arrêter de me regarder, s'il te plait ?

- Désolé. Tu me rappelles quelqu'un, tu es allé sur Terre avant de me donner le bracelet ?

Elle ne répond pas.

- Qu'est-ce que ça peut faire que tu me le dises ? De toute façon on est coincé sur cette foutu lune, qu'est-ce que tu veux que je fasse, que j'utilise un bracelet magique pour appeler le géant bleu et lui dire où tu es cachée ? Qu'au début tu te sois trompée, OK, mais maintenant, après tout ça, comment tu peux encore croire que je suis le dernier des salauds qui a détruit tous tes rêves et je ne sais pas quoi encore. Et puis si vraiment tu me haïssais, pourquoi m'as-tu sauvé, aujourd'hui, pourquoi tu ne m'a pas laissé me faire bouffer par ces saloperies de léopards à bec cramés ?

- J'aurais pu, et ne me le fait pas regretter. C'est moi qui déciderait quand je me vengerai de toi, moi seule.

- Pfff, foutaise de merde, t'es pitoyable dans ton entêtement, à quoi ça nous avance ?

- Et à quoi ça t'avance que je te raconte ma vie ?

- Ben, je sais pas, à briser un peu la glace, après si ça se trouve je pourrai te payer un verre.

Elle sourit.

- Pfff, t'es vraiment qu'un pauvre con.

- Tu parles quand même sacrément bien le français, c'est votre apprentissage automatique qui fait ça ? Sarah aussi parle le français d'ailleurs, on devrait toujours parler en français, ça serait cool.

Elle ne dit rien.

- Comment tu as fait pour nous ramener ici ?

- Je vous ai tiré.

- Mais comment tu as réussi à nous tirer avec ces sales bestioles qui continuaient à t'attaquer.

Elle s'énerve.

- J'en sais rien, je vous ai tirer, j'ai frappé ces sales bêtes, j'ai réussi à faire vite, c'est tout.

- Et comment tu as ouvert le vaisseau, si seule Sarah peut le contrôler.

- J'en sais rien, je l'ai ouvert, c'est tout, et si tu continues à poser des questions je t'envoie dehors.

- OK... De quoi est-ce que tu veux qu'on parle ?

- De rien, je ne veux plus entendre ta sale voix.

C'est pas possible d'avoir un si mauvais caractère ! Elle est vraiment incroyable. Comment a-t-elle pu nous ramener ici ? Et la façon dont elle se battait contre ces bêtes ! S'il y a quelqu'un de pas normal ici, c'est elle. Elle aurait vu ce mec en bleu, aussi ? Peut-être qu'il lui a fait subir le mec truc qu'à moi, ce truc sur le cerveau. Peut-être qu'elle a survécu, elle. Qui peut-il bien être. Dans la station elle disait qu'il allait venir tout détruire. Peut-être que c'est elle, la traître, après tout, peut-être que c'est grâce à elle qu'il a pu attaquer la Congrégation. Mais qu'est-ce que j'ai à faire dans cette histoire ? Elle m'a donné le bracelet, et le bracelet a tenté de me tuer, ou tout du moins il m'a fait tellement déprimé que j'ai failli me tuer moi-même. Ensuite les bracelets à Washington et à Sydney on aussi tenter de me griller le cerveau, mais j'ai pu m'en tirer. Et cette pierre, comment ai-je pu la trouver par hasard ?

- C'est toi qui m'a donné la pierre ?

- Qu'elle pierre ?

- Après que je me suis noyé, sur l'Île de Ré, la pierre qui permet de résister au bracelet, qui permet de résister au géant bleu, aussi, j'imagine. Tu a utilisé cette pierre ? C'est grâce à elle que tu as résisté à l'attaque du géant bleu sur ton cerveau ?

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Tu fais chier !

- C'est toi qui fait chier, occupe toi de ce qui te regarde.

C'est quand même frustrant de l'avoir là, sachant qu'elle a sans doute beaucoup de réponses, et qu'elle refuse simplement de parler pour je ne sais qu'elle raison.

- C'est quoi les planètes rebelle.

- Un lieu où tu ferais mieux de ne pas aller si tu tiens à ta vie.

- Je ne tiens pas à ma vie, c'est toi qui y tiens, c'est toi qui m'a sauvé.

- Ta gueule.

- Putain mais ça t'avance à quoi de m'envoyer chier sans arrêt, qu'est-ce que tu vas y gagner ? C'est complètement débile ce comportement. Tout ça parce que tu ne veux pas admettre que tu t'es planté, tout ça parce que tu ne veux pas comprendre que je ne suis pas celui que tu cherches.

- Tu l'es, tu caches bien ton jeu, c'est tout.

- N'importe quoi, j'ai failli me faire bouffer par ces sales bêtes, si j'étais vraiment super méchant, déjà ces bêtes elles n'auraient pas voulu de moi, et puis j'aurai été sauvé par un monstre immonde, pas par la plus belle fille que j'ai jamais vue.

Elle ne dit rien, me regarde silencieusement, puis elle tourne la tête.

- Ta gueule de macaque me suffit pour croire que t'es qu'un salopard.

- Ça ne serait pas toi, plutôt, la traître, Énavila ? Ça ne serait pas toi qui aurait rancarder le géant bleu ? Moi le géant bleu il m'a buté, mais toi, si tu l'as rencontré, si tu savais qu'il allait attaquer, c'est pas toi plutôt la petite salope dans l'histoire ?

Je n'ai pas le temps de réagir quand elle bondit et me saute dessus. Elle m'attrape à la gorge.

- Ta gueule ! Tu vas la fermer !

- Non, je ne vais pas la fermer, moi je n'ai rien à me repro...

Putain elle serre fort la garce.

- ...à me reprocher...

Elle serre encore un peu puis me repousse et se recule.

- Tu ne sais pas de quoi tu parles, tu ne sais rien, alors tais-toi.

Je la laisse retourner dans son coin.

- T'as vraiment un problème. Tes parents te battaient ou quoi ?

Elle me jette un regard noir et ne réponds pas.

- Mais on va rester là jusqu'à quand, on va crever de faim là-dedans !

- Tu veux sortir ? Te gène pas, moi je ne mets pas les pieds dehors avec ces bestioles, j'en ai trop bavé.

Inlassablement ces sales bête sautent sur le caisson, donnent des coups de bec dedans, rien ne semble les arrêter. Vivement que Sarah se réveille, peut-être qu'avec le vaisseau elle pourra les repousser.

Que faire, attendre... Mais attendre quoi ? Que Sarah se réveille, ça peut prendre des jours... Je n'ai pas très faim, le tube a dû me donner de l'énergie. Et Énavila ? elle n'a pas manger depuis qu'elle nous a ramené, deux jours ! En plus elle a été vraiment salement blessée, ses avant-bras et ses jambes sont recouverts d'ecchymose et de croûtes. Elle me fait de la peine, mais bon, si elle s'entête...

Du temps passe, je m'endors plus ou mois, deux ou trois heures doivent s'écouler, Énavila est toujours dans son coin, moi toujours dans le mien. Finalement, contre toute attente, c'est elle qui brise le silence :

- Il y a des hommes sur cette planète.

- Comment le sais-tu ?

- Je ne sais pas, je le sens, je crois.

- Tu le sens ? Tu les sens ?

- Oui, je... C'est un peu comme quand vous faites de sym entre vous, je sens quelque chose. Là c'est pareil, je sens comme des gens qui parlent entre eux.

- Ils sont loins ?

- Je ne sais pas.

- C'est récents ses sensations, le sentais-tu aussi avant ?

- Oui, un peu, mais je n'y ai jamais vraiment fait attention.

Je ne sais pas trop quoi dire, je ne voudrais pas l'énerver, pour une fois qu'elle semble un peu plus loquace. Elle continue :

- Mais...

J'attends.

- Pff, non rien, c'est débile.

- Dis toujours.

Elle soupire, elle me regarde puis regarde la paroi, un bestiole tape tellement fort contre le caisson qu'il bouge un peu. Les sifflements de ses saloperies me font frissonner.

- Il y a autre chose... C'est pour ça que j'ai pété les plombs dans le vaisseau... Il y a quelque chose de pas normal ici.

- Tu as déjà ressenti ça, avant ?

Elle se tourne vers moi subitement.

- Salaud !

Elle se lève et s'approche de moi, je me protège avec mes bras, au cas où elle tente encore de m'étrangler.

- Salaud, c'est toi qui nous a fait venir ici, c'est ça !

- Mais qu'est-ce que tu racontes, tu pètes encore un plomb ou quoi !

- Connard !

Elle se jette sur moi, je la repousse et me relève, elle me ressaute dessus, je trébuche sur un des tubes et tombe.

- Mais oui ! Bien sûr ! Suis-je bête ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt, c'est évident !

Je me relève avant qu'elle ne soit sur moi.

- Je ne vois pas ce qui est évident...

- Espèce de petite merde, en fait tu nous as ramené tranquillement chez toi pour m'avoir ! C'est chez toi ici, pas vrai ?

- T'es débile ! C'est pas du tout chez moi ! Mais qu'est-ce que tu ra...

- Enculé !

Elle se précipite vers moi, elle tente de me frapper ! J'évite son coup et je réponds direct, je la frappe en plein visage et elle part à la renverse.

- Faut se calmer, merde !

Elle trébuche sur un tube et tombe. Elle reste au sol, elle a l'air épuisée. Je m'approche d'elle.

- Ça va ? Je ne t'ai pas vrai trop mal ?

Elle se relève en moins de deux et me saute dessus et tente de nouveau de m'étrangler :

- Putain de salaud, pourquoi tu nous as amené ici, POURQUOI !

Je suis obligé de la frapper de nouveau pour me dégager, elle est complètement barge !

- Mais ça va pas dans ta tête bordel ! Tu pers les pédales ! J'ai rien fait moi, quand est-ce que tu vas comprendre ça, que depuis le début ne n'ai ABSOLUMENT rien fait, je ne fais que subir ! Et j'y comprends rien !

- Je vais te crever !

Elle se lance vers moi et me frappe dans le ventre, j'en ai le souffle couper et me plie sous la douleur. Elle ne s'arrête pas là et me frappe au visage, je riposte et lui décoche un coup de genoux dans la jambe, puis la pousse en arrière avec mon pied. Elle tombe sur un tube, je me remets de son coup de point. Elle se relève.

- Tu joues bien ton jeu, petit salaud, franchement j'ai bien failli me faire avoir. Heureusement t'es un peu bête.

- Énavila, mais merde, à quoi ça t'avance ? JE NE COMPRENDS RIEN ! J'ai rien fait putain !

Elle a un peu de mal à tenir debout, mais ça ne l'empêche pas de revenir à la charge, elle tente un coup de pied, elle perd l'équilibre mais elle me projette tout de même sur le côté.

- Tiens ça me rappelle le coup de pied que tu m'avais filé dans le coin de la rue, le jour où je t'avais couru après.

Je me relève plus vite qu'elle et je la pousse sans ménagement contre une paroi. Elle est bloquée à genou, je la tiens en étranglement, appuyant de tout mon poids sur elle, ma tête, repliée, poussant contre son dos, de façon à ce qu'elle ne puisse pas l'atteindre.

- Tu fatigues, tu ferais bien de te reposer un peu, plutôt que de t'exciter comme ça.

Elle a du mal à respirer, je ne voudrais pas l'étrangler complètement non plus, je relâche un peu ma prise. Elle souffle difficilement.

- Je te hais ! Pourquoi tu me fais ça, pourquoi tu m'amènes ici !

- Je ne t'ai pas amené ici, Énavila !

- Tu veux juste t'assurer que je vais bien crever ici, c'est ça ?

- Je ne veux pas que tu meures, Énavila.

- Alors pourquoi tu es tombé dans les pommes pendant l'attaque des bêtes, pourquoi tu les as fait venir ?

- Je ne les ai pas du tout fait venir ! Comment aurai-je fait une chose pareille ! Mais pour qui me prends-tu, un Dieu ?

- Pourquoi...

- Pourquoi quoi ? Je suis prêt à répondre à toutes tes questions.

- Tu n'es pas sincère...

Sa voix devient plus faible, j'ai peur de trop la serrer, je me retire d'un coup.

- Oh et puis merde !

Elle se relève d'un coup et me saute dessus, je la laisse presque faire, parant juste un peu ses coups.

- Allez, frappe-moi, acharne-toi, ça va vachement t'avancer ! De toute façon tu n'es pas logique ! Tu me sauves de ces bestioles et maintenant tu voudrais me tuer ! La vérité c'est que t'es paumée, autant que moi, tu comprends pas ce qu'il t'arrive et t'as tellement les boules de te...

- Ta gueule !

Je ne pare pas un puissant coup de poing qui me rend presque KO, elle a toujours autant d'énergie !

- La vérité c'est que tu as tellement peur de te tromper que tu ne préfères faire aucun choix ! Bordel, QU'EST-CE QUE JE T'AI FAIT !

- T'es un salaud, un salaud...

- Dis moi UNE SEULE CHOSE de mal que je t'ai faite, allez, vas-y ! Dis moi une seule chose de mal que je t'ai faite qui n'était pas en réponse d'une de tes attaques !

Elle est devenue beaucoup moins agressive depuis que je suis passif, tentant simplement d'éviter ses coups. Elle reste silencieuse.

- Et si c'était lui, qui te trompait, hein ? Si c'était lui ? Après tout c'est lui qui t'as envoyé ici, c'est pas moi, c'est lui !

- Tu mens ! Tu mens ! Tu me bouffes ! Tu me ronges ! C'est affreux, c'est affreux... J'ai tellement mal...

Elle s'arrête finalement de tourner et se laisse glisser contre la paroi, elle est à bout.

Elle m'a bien frappé la garce, elle m'a fait mal !

Si seulement elle m'en disait un peu plus ! Si seulement elle m'expliquait pourquoi elle m'en voulait réellement, peut-être qu'on pourrait réfléchir ensemble... Elle est de nouveau calme, affalé dans son coin. Remarque, ça fait passer le temps... Je devrais peut-être continuer à la provoquer, peut-être qu'elle finirait par dire ce qu'elle sait.

De multiples heures passent, Énavila s'est assoupie, j'ai aussi fait un petit somme. La faim et surtout la soif rendent cette attente très difficile. Je me demande comment Énavila peut bien tenir, depuis plus de deux jours qu'elle attend ici sans rien boire ni manger. Il semble que les bestioles se sont un peu calmé, on les entends toujours tourné autour du vaisseau, mais leur véhémence est moindre. Le jour commence à décliner, enfin...

Si seulement nous avions un récipient, je pourrais peut-être tenter d'aller à la rivière et ramener de l'eau.

Encore quelques heures, je n'en peux plus coincé dans ce caisson ! Il va falloir que je sorte ! Le jour semble bien toucher à sa fin, peut-être que ces bêtes ne traînent pas la nuit, ce serait une aubaine. J'aimerais ouvrir le caisson pour sortir, mais, je ne sais pas comment faire. Mon bracelet ne me donne pas du tout accès au vaisseau, je ne sais pas comment a fait Énavila. Je vais doucement vers elle, elle dort profondément. Je la secoue un peu, il ne faudrait pas qu'elle perde connaissance. Elle gémit :

- Soif...

- Oui, je vais tenter d'aller cherche de l'eau, mais il faudrait que tu m'ouvres le caisson.

- Soif...

Je la secoue un peu plus.

- Énavila, les bêtes sont parties, il faudrait que tu ouvres le caisson, je pourrais aller te cherche de l'eau.

- Je pourrais pas... Il faut réveiller Sarah. J'en peu plus...

- Comment fait-on ? Comment est-ce que je peux ouvrir son tube ?

Énavila reste silencieuse un instant :

- Je n'y arrive pas, c'est trop dur, il faut attendre...

Elle commence vraiment à être mal en point. Qu'est-ce que je peux bien faire, comment ouvrir ce foutu caisson, comment a-t-elle pu s'y prendre ? Je ne trouve vraiment rien dans le bracelet qui me permette d'accéder au vaisseau, tous les accès sont interdits. Pourtant ce maudit vaisseau devrait bien se rendre compte que je suis la seule personne valide qui reste ! Je ne vais quand même pas mourir de soif enfermé ici !

Quelques heures plus tard, mon bracelet commence à sérieusement beeper sur ma déshydratation avancée. Énavila est de nouveau dans les vapes. Je me suis un peu énervé contre la porte du caisson, sans succès, j'ai retenté de me glisser par l'avant, comme le premier jour, mais rien à faire, j'ai trop peur de rester coincé ou de m'empaler sur un bout de ferraille qui dépasse.

- Il pourrait pleuvoir, merde ! Ça nous ferait un peu d'eau !

Il fait maintenant complètement nuit. Je n'entends plus signe des bêtes, elles ont du partir. C'est stressant d'être coincé là-dedans !

Erik me manque. C'est étrange. Il me manque presqu'autant que Pénoplée. Je ne l'ai presque pas quitté depuis mon départ de Melbourne, depuis mon départ de la Terre. Je crois que je me suis vraiment attaché à lui, peut-être encore plus qu'à Naoma, ou même Pénoplée. Je serais près à le prendre dans mes bras, à le serrer contre moi. C'est sans doute une forme d'amour, une forme d'attachement, voire même de dépendance, qui dépasse un peu le cadre purement basique de l'attirance sexuelle. C'est peut-être ce type d'amour qui conduit, parfois, à l'homosexualité, quand, finalement, ce n'est plus tellement le sexe qui compte, mais l'amour.

Difficile de savoir ce qui me manque le plus, la Terre, Deborah, Erik, Pénoplée, Naoma, ma famille, mes amis, Mandrake... Je suis tellement perdu...

Je somnole, je dors un peu, peut-être beaucoup, mon bracelet est affolé, je n'y prête même plus attention. Plusieurs heures passent, toujours aucun signe de Sarah ou d'Énavila. Je vais mourir ici ? C'est trop bête, pas maintenant, pas si loin, pas sans savoir, pas sans être retourné sur la Terre, une fois, au moins...

Camp

Jour 380

Une heure, il me faut une heure avant d'avoir des idées à peu près construites, avant que cette douleur affreuse, immense, insoutenable ne s'envole comme par enchantement.

J'ai beaucoup de mal à bouger, comme si j'étais extrêmement engourdi, il me faut plusieurs minutes pour reprendre mes esprits, me situer, me rappeler. Tout est assez flou dans mon esprit, la Terre, Stycchia, Adama, le Congrès, l'attaque, le crash... Ça m'a l'air tellement vieux, combien de temps ai-je dormi ?

Il fait toujours nuit, je suis toujours assoiffé et affamé. Sarah est toujours dans son tube, Énavila est allongée à côté de moi. Elle a donc bougé, serait-ce elle qui m'a réveillé avec cette douleur ? Qui d'autre l'aurait pu ? Le vaisseau ? Sarah est toujours endormie, elle ne semble pas être sortie de son tube. Mon bracelet m'indique que nous sommes depuis 6 jours dans ce système, ce qui ferait 382 jours après mon départ de la Terre. Je ne sais d'ailleurs pas vraiment si ce décompte vaut encore la peine d'être tenu. La plupart des jours que j'ai compté n'étaient pas les mêmes que sur la Terre, et je n'avais pas réintégré dans mon bracelet un correctif avec les jours plus courts de Stycchia et ceux plus longs d'Adama. Dans le vaisseau Sarah m'a dit que nous étions sur Terre en juillet 2003, fin juillet cela donnerait dans les 180 jours depuis le 22 décembre, nous sommes restés deux sixièmes dans le vaisseau, soit 194 jours, 6 jours ici, soit 380 au total. Je cale mon bracelet sur à peu près 24 heures terrestres par jour et programme un calendrier automatique. Nous sommes donc en janvier 2004.

Une fois cette mise au point faite, je me lève difficilement, je suis à bout de force, et je n'ai guère plus de courage que d'allonger correctement Énavila en m'assurant qu'elle et toujours en vie, et regarder si Sarah respire toujours. Je me rappuie contre une paroi, il semble que toutes forces m'aient quitté, j'ai bien peur de ne devoir mourir ici...

Janvier 2004, j'ai eu 27 ans, 28 dans six mois... Bah ! Qu'est-ce que ça peut bien dire désormais ! Je suis sans doute considéré mort là-bas depuis longtemps...

Je suis mort là-bas mais je n'ai pas envie de mourir ici... Sarah, Énavila, réveillez-vous !

Je me traîne difficilement jusqu'à Énavila. Je la secoue.

- Énavila ! Énavila !

Rien...

- Énavila...

Je me blottis finalement contre elle, j'ai froid, j'ai peur, je ne sais pas trop ce que j'ai, peut-être que j'aurai envie qu'elle se réveille et qu'elle me prenne dans ses bras.

Je dors une dizaine d'heures. C'est Sarah qui me réveille ; elle m'aide à me tirer dans le tube, elle tire aussi Énavila. Je me rendors sous les soins attentionnés du vaisseau, sans me poser guère plus de questions.

Jour 381

Je me réveille dix heures plus tard. Sarah est assise contre une paroi, Énavila dort. Elle me salue :

- Moy.

- Oto. Qu'est-ce qu'il se passe ici bon sang !

- Je ne comprends pas beaucoup plus. Quand je me suis réveillée vous étiez tous deux très mal en point, je vous ai tiré dans les tubes.

- Comment se fait-il que tu sois restée si longtemps dans ton tube ?

Elle reste silencieuse un instant.

- J'étais très mal en point. Et le vaisseau n'est plus très en forme non plus.

Étrange, son indice de confiance n'est pas top.

- Tu me caches quelque chose.

- Oui, je... Ce n'est pas important pour le moment.

- Soit, est-ce que les bêtes sont revenues ?

- Je suis sortie, il fait nuit, elles sont toutes étalées autour du vaisseau, elles sont pratiquement mortes.

- C'est le vaisseau qui les a tuées ?

- Non. Et elles ne sont pas vraiment mortes, elles sont agonisantes, mais pas mortes. Je ne me suis pas attardée dehors.

- Il faut absolument que nous puissions nous aussi commander les tubes et le vaisseau, j'ai bien cru que j'allais mourir en attendant que tu te réveilles.

- C'est impossible, tout est bloqué, l'artificiel du vaisseau est en mode dégradé et est incapable de rajouter le support de nouvelles ondes mentales, il faudra faire avec.

- Comment va Énavila ?

- Bien. Elle était dans un sale état mais elle récupère vite.

- Quand va-t-elle se réveiller ?

- Dans quelques petits sixièmes je pense, un trente-sixième peut-être.

Je me lève et tente de faire quelques pas pour me dégourdir les jambes. Il fait toujours nuit.

- Le jour semble très long sur cette planète.

- Oui, il dure un peu plus de 7 jours d'Adama.

- Ce qui fait 9 jours de la Terre.

- Oui.

- Quel est le ratio exacte entre une heure de la Terre et un trente-sixième d'Adama ? Et entre une pierre et un mètre ?

- Une de tes heures correspond à 1,345 trente-sixièmes, un mètre à 1,225 pierres.

- Et dans l'autre sens ?

- Un trente-sixième correspond à 44 min et 37 secondes de chez toi, une pierre à 81,6 centimètres.

Un jour d'Adama fait donc 26 heures 46 min et 2 secondes.

- Je peux sortir ?

- Si tu veux, je viens avec toi.

Sarah ouvre le caisson et je m'avance doucement, mais Sarah me pousse en me disant que le vaisseau ne détecte aucune activité à proximité. Il fait encore nuit noire, le ciel est magnifique, il y a au moins quatre ou cinq lunes qui traînent, et on distingue un ténu croissant de la planète principale, qui semble vraiment énorme. Cette planète m'intrigue :

- C'est quand même étrange que cette planète tellurique ait autant de lunes.

- Oui, mais je pense qu'elle ne devait pas en avoir initialement, c'est sans doute quand les trois systèmes se sont rencontrés que les perturbations ont permis à cette planète de récupérer toutes ses lunes, elles devaient auparavant être des planètes à part entière. Cette planète est assez loin du soleil du système, et il n'y a entre les deux qu'une seule petite planète, pas plus grosse que la lune sur laquelle nous sommes.

- Oui c'est ce que tu avais dit dans le vaisseau.

Je m'éloigne un peu du vaisseau, mon bracelet me donne une vision nocturne améliorée. Il y a des bêtes de partout, éparpillées autour du vaisseau, comme mortes. Je m'approche de l'une d'elle, elle respire encore. Je la pousse avec un bâton, pas de réaction. Elles sont vraiment dans un sale état.

- On dirait qu'elles sont bouffées par un truc, comme si elle avait la gangrène.

- C'est le cas, elles ont une sorte de maladie qui les ronge.

- Mais elles étaient déjà comme ça quand elles nous ont attaqué, pourquoi subitement elles ne peuvent plus bouger ?

- Je ne sais pas. Dans l'historique du vaisseau celui-ci ne semble pas être intervenu, en plus il était sans effet sur leur système nerveux. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Elles se sont peut-être attaquées entre elle, ou quelque chose, un élément, un gaz, les a paralysé.

- Hum, c'est tout de même très étrange. Pourquoi toute d'un coup ? Il y a un truc bizarre... On peut les manger ?

- Il ne vaut mieux pas, elles ont cette sorte de maladie. Il vaudrait mieux retrouver des lézards, ils semblent comestibles.

- Il nous faudrait aller chercher de l'eau, aussi. mais on a pas de récipient. Peut-être qu'on pourrait trouver dans les décombres du vaisseau quelque chose qui puisse nous permettre de transporter de l'eau.

- Il y a bien des tôles froissées, mais je ne suis pas sûre qu'on parviennent à les détacher.

Je fais le tour du vaisseau, à la recherche d'un bout de ferraille qui pourrait servir de vase ou de seau. Je déniche finalement une sorte de cône, assez lourd, mais creux, pouvant peut-être contenir deux ou trois litres d'eau. Je ne sais pas où se trouve Sarah, je lui envoie un sym.

"Sarah j'ai un truc qui peut contenir de l'eau, tu viens avec moi à la rivière ?"

"Viens m'aider, le vaisseau a une caisse de survie."

Je vais vers Sarah. Mon cône est super lourd, ça pèse au moins dix kilos, ce n'est pas très pratique. Sarah est à l'arrière du vaisseau, elle tente d'ouvrir une trappe en-dessus de la sortie du caisson, dans le fuselage de la queue.

- Qu'est-ce que c'est.

- C'est peut-être une caisse de secours, mais le vaisseau refuse de me donner l'accès, on dirait qu'il a perdu le contrôle de cette partie, la liaison entre l'arrière et l'avant doit être rompue.

- Et on ne peut pas l'ouvrir manuellement ?

- En forçant, si, peut-être, mais le plus simple serait de rétablir la liaison.

- Comment faire ?

- Il faudrait lui donner de quoi se regénérer.

- Le vaisseau peut se réparer tout seul ?

- En partie, oui.

- Il faut lui donner quoi ?

- Il a déjà créer des racines, elles devraient lui permettre de rechercher des matières premières dans le sol, mais il ne trouve pas grand chose, le principal problème c'est qu'il est en piteux état et j'ai peur qu'il fasse n'importe quoi.

- Mais il y aurait quoi dans cette caisse ?

- Je ne sais pas, je me suis juste rappelé que certains vaisseau avait une sorte de kit de survie en cas de crash.

- Si on ne peut pas l'ouvrir c'est vachement utile, pourquoi il ne se libère pas automatiquement ?

C'est le cas normalement, mais le vaisseau était déjà très endommagé avant le crash, c'est sans doute la raison pour laquelle la caisse est restée bloquée.

- Et il y a quoi dedans, à bouffer ?

- Peut-être, ou des outils, peut-être des barres polymorphes.

- Ah ! Des trucs comme nous avions sur Stycchia dans le labo, ça serait bien pratique !

- Il faudrait ouvrir cette trappe, mais je ne sais vraiment pas comment faire.

- Peut-être à coup de pierre, il n'y a pas de poignée ? D'ouverture manuelle ?

- L'ouverture manuelle c'est via l'artificiel, mais il ne répond pas.

Ce n'est pas vraiment ce que j'appelle ouverture manuelle, mais bon... Je récupère une grosse caillasse et l'envoi de toute mes forces contre la trappe. Mais tout ce que je récolte c'est d'être paralysé et de tomber par terre.

- Mince, le vaisseau croit qu'on l'attaque, et en plus je ne peut pas désactivé la protection. Je vais te libérer.

Je peux de nouveau me relever. Je ne comprends pas très bien.

- Mais comment sait-il que je l'attaque s'il ne peut pas communiquer avec la queue ?

- Je ne sais pas, il est détraqué de toute façon, je crois que c'est fichu pour cette caisse. Allons chercher de l'eau.

Nous nous éloignons, pas très rassurés, en direction de la rivière. Il y a de nombreux bruits d'animaux. Étrangement il semble y avoir plus de vie la nuit que le jour. Nous ne nous attardons pas à la rivière, et après avoir bu chacun, nous retournons rapidement au vaisseau. Quand nous arrivons, Énavila dort toujours. Nous décidons alors de faire un tour pour essayer de capturer certains animaux. Avec le bracelet c'est assez simple, et nous ramenons diverses bestioles plus étranges les unes que les autres. Une fois grillées par le vaisseau, nous les mangeons avec appétit. Ce n'est pas très bon, mais au moins elles nous remplissent le ventre. Énavila se réveille pendant notre festin. Sarah lui ouvre la porte et elle nous rejoints sur l'aile de l'appareil.

- Quoi de neuf ? Qu'est-ce qu'il est arrivé aux bestioles ?

Nous lui racontons que nous les avons trouvé ainsi, nous lui parlons aussi de la caisse, de notre virée à la rivière, dont elle boit l'eau dans le cône posé contre la carlingue. Elle mange plusieurs petites bêtes que nous avons attrapé, elle semble avoir une faim de loup !

- Vous avez trouvé autre chose ? Vous avez encore de ses trucs à manger ? On peut manger les autres ?

Énavila pointe du doigt les bêtes à moitié mortes qui nous ont attaqué.

- Il ne vaut mieux pas, elles semblent avoir une sorte de maladie. Mais on peut aller chasser d'autres petites bêtes, avec le bracelet ces faciles.

Je pense à un truc.

- Et ? Tu ne pourrais pas tenter d'ouvrir la caisse de survie, avec tes pouvoir peut-être que tu y parviendrais ?

- Je n'ai pas de pouvoir bordel, me prends pas la tête avec ça.

- Mouais... Tu ne veux quand même pas tenter de l'ouvrir ?

- Où est-elle ?

Nous descendons de l'aile et allons tous les trois derrière le vaisseau, Enavila jette un oeil à la trappe, elle a la même idée que moi, lancer une pierre, et le résultat est identique, elle se retrouve les fesses par terre. Je lui tends la main une fois que Sarah lui a rendu l'usage de ses membres, mais elle refuse mon aide.

- Je suis assez grande pour me lever. J'ai faim, allons chasser d'autres bêtes.

- Après tout ce que tu as déjà mangé !

- Il vaut mieux chasser maintenant que c'est facile et faire des réserve, si nous nous faisons de nouveau attaquer et que nous devons rester coincer dans le caisson.

- C'est vrai, mais nous n'allons quand même pas rester là toute notre vie, il va bien falloir qu'on parte d'ici.

Nous repartons vers la forêt, Sarah est devant nous.

- Le vaisseau est naze, on ne pourra rien en faire...

- On ne pourrait pas utiliser juste une partie, pour faire une voiture ou un véhicule ?

- Il faut voir avec Sarah, c'est elle qui le commande. Mais il nous faut un truc qui vole, impossible de se déplacer dans la foret sinon.

- Est-ce que tu as vu quelque chose avant de te faire attaquer, en montant dans la montagne ?

- J'ai entrevu la vallée, rien de spécial, mais on devrait sans doute descendre, on aura peut-être plus de chance.

- Tu crois que ces sales bêtes nichent en hauteur, tu ne crois pas qu'on peut en trouver plus bas aussi ?

- J'en sais rien, mais quand elles m'ont attaquée elle venait du haut, il me semble qu'elles étaient sur les crêtes.

- J'ai l'impression qu'on est fichu. Dès qu'on va s'éloigner du vaisseau on va se faire bouffer en moins de deux. Si nous nous faisons attaquer dans la vallée par un troupeau de bêtes, nous ne nous en sortirons pas.

- Ça ne nous avance pas de rester ici.

- On pourrait peut-être tenter de réparer le vaisseau, ou attendre. Sarah a dit qu'il avait commencé à faire des racines, il parviendra peut-être à voler de nouveau ? Ou peut-être nous donner des armes, de quoi nous défendre.

- J'ai pas envie de traîner là.

- Si c'est pour se faire bouffer au bout de deux jours, ça vaut peut-être la peine d'attendre un peu, de toute façon c'est plutôt mal barré pour qu'on se casse d'ici rapidement.

- Connard.

- Tu fais chier, tu crois encore que c'est moi qui t'ai amenée ici ?

- Oui.

- Pauvre conne.

Elle m'énerve. Je sens que de jouer à Robinson avec elle et Sarah va être moins fun qu'avec Erik et Noama sur Stycchia. J'avance et je rejoins Sarah. Il ne nous faut guère de temps pour attraper une bonne réserve d'animaux. De retour au vaisseau, Énavila en mange une bonne partie ; quant à moi un ou deux me suffisent pour être repus.

- Sarah, tu penses que le vaisseau peut arriver à se réparer suffisamment pour voler ?

- Comme je t'ai dis ce n'est pas gagné. Si l'artificiel était en étant, je pense que oui, mais il a été considérablement endommagé, et je ne suis pas sûr qu'il parvienne à se regénérer correctement.

- Mais on ne pourrait pas l'aider ?

Énavila se met de la partie :

- Tu veux faire quoi, creuser une mine avec tes petits doigts ?

- Je t'emmerde, je cherche une solution.

- La solution c'est de se barrer d'ici et de trouver les habitants de cette planète.

Sarah est curieuse :

- Les habitants ? Comment savez-vous qu'il y a des habitants.

Énavila a beau faire des trucs étranges, je doute un peu de sa super perception :

- Énavila les "sent".

- Va te faire foutre, je suis sûr qu'il y a des hommes sur cette lune.

Sarah ne fait pas attention à nos chamailleries :

- Tu es sûre comment ?

- Je suis sûre, c'est tout.

- Je vois.

Énavila se lève et descend de l'aile.

- J'en sais rien pourquoi j'en suis sûre, je le sens, il me semble, peut-être, oh et puis merde, faites ce que vous voulez, je n'ai pas besoin de vous. Je vais descendre la rivière.

Je tente de la raisonner :

- On n'est pas pressé à ce point, bordel, on peut attendre quelques jours pour voir comment va le vaisseau, et si on peut récupérer le contenu de cette caisse, puis on partira, de toute façon je suis d'accord, on ne va pas rester ici éternellement.

Sarah me soutient :

- Ylraw a raison, il ne faudra pas plus d'un demi-sixième pour être fixer sur le vaisseau, en attendant on peut peut-être fabriquer des armes.

Énavila se tourne vers moi, et demande presque gentiment :

- Tu nous apprends à faire des cordes et des lances ?

- On peut essayer, mais j'ai peur que ces arbres ne s'y prêtent pas trop, il faut voir si les fibres de leur sortes de feuilles sont solides. On peut déjà récupérer les pierres qui traînent et en aiguiser quelques unes.

Sarah se lève sur l'aile.

- Il faudrait peut-être aussi dégager toutes ces bêtes, je ne suis pas très tranquille en les voyant tout autour de nous. Elles peuvent peut-être encore se réveiller.

- Elles ont l'air sacrément mal en point, à mon avis elles vont toutes crever dans pas longtemps. Je ne sais pas trop ce qu'elles ont eu, mais c'est efficace.

Énavila a déjà commencé a faire un tas de pierre à côté du vaisseau. Rapidement elle en trouvent quelques unes un peu tranchantes et tente de couper les arbres tombés lors de notre crash.

- On pourrait tenter de déplacer un peu tous ces arbres pour en faire des barrières, ils nous bloquent pas mal le passage en ce moment, j'en ai baver pour vous ramener au vaisseau la dernière fois.

- Oui, c'est une bonne idée, on va déjà pousser ce qui est poussable.

Sarah prend la relève d'Énavila et continue de ramasser des pierres, et Énavila et moi commençons à déblayer un peu le terrain. Mais ces arbres sont très lourds, sans tronçonneuse c'est vraiment la galère. Quoi qu'il en soit nous passons plusieurs heures à cette tâche, et, après un tour à la rivière pour boire, nous contemplons le travail accompli de l'aile du vaisseau. Nous avons à peu près nettoyer l'environnement immédiat du vaisseau, sur quatre ou cinq mètres, là où le crash a provoqué le plus de dégâts et où les arbres étaient complètement fracassés. Le vaisseau à dû s'écraser à une sacré vitesse quand même pour tout exploser sur un si grand rayon ! Désormais nous ne ferons plus grand chose sans outils. Nous avons mis de côté tous les bâtons de taille correcte qui peuvent servir de manches pour des haches ou des lances. Après un deuxième repas, Énavila commence à tailler des pierres, et nous je tente avec Sarah de tresser nos première cordes.

Je ne sais pas trop si tout ça va nous servir, mais au moins ça nous occupe et nous évite de nous engueuler, ce qui est déjà pas si mal. Finalement les feuilles allongées de ces arbres se tressent bien, et les cordes ont l'air solides. Après plusieurs heures, satisfait de notre première sorte de hache, qui ne coupe pas très bien, mais qui pourra au moins en assommer quelques uns, nous allons une nouvelle fois fêter cela en allant boire un coup à la rivière.

Quand nous arrivons de nouveau dans la clairière du vaisseau, les premières lueur du jour pointent à l'horizon. Nous décidons que c'est le bon moment pour un somme. Nous mangeons un ou deux lézards grillés, puis nous plaçons notre réserve dans l'un des tubes, de façon à les conserver. Les tubes peuvent faire office de frigo, plus ou moins. Nous nous endormons tous les trois, épuisé, quand les étoiles commencent à disparaître du ciel.

Jour 382

Un grand fracas nous réveille, quelques heures plus tard. Nous nous levons rapidement. Sarah contrôle les environs du vaisseau en dialoguant avec l'artificiel :

- Ce sont les bêtes, elles se sont réveillées, elles sont recommencés à nous attaquer.

- Mais ? Les mêmes ?

- On dirait, mais je ne suis pas très sûre.

Énavila trouve tout de suite une explication :

- Le jour ! C'est le jour ! Quand il fait nuit elles sont en léthargie, et avec le jour elle reprenne vie !

- Possible, ça correspond. C'est étrange, pourtant il n'y a pas de différence importante de température, ou je sais pas, quel facteur pourrait jouer ?

- La lumière, sans doute, leur maladie leur bouzille peut-être leur système nerveux quand il n'y a pas de lumière.

Sarah émet un doute :

- Je ne pense pas, elles n'ont pratiquement aucune onde mentale, ce doit être autre chose.

Énavila ne se laisse pas faire :

- Disons qu'elles n'ont aucune onde mentale que nous détectons, elles ont peut-être un système nerveux plus complexe, pas basé sur des impulsions électriques, ou peut-être que cette maladie est une sorte de parasite, je ne sais pas...

- Ce n'est peut-être pas une maladie, peut-être qu'elle sont comme ça naturellement.

- Peut-être, après tout, nous ne connaissons rien de ce mon....

Nous nous taisons tous, il y a comme un grésillement, les bêtes ne sautent plus.

Le bourdonnement s'amplifie, nous ne nous entendons bientôt plus parler.

"Sarah, dis-je, qu'est-ce qu'il se passe !"

"Il faut sortir, avertit Sarah, il faut sortir, il y a un truc qui nous tombe dessus"

"Qu'est-ce que c'est ! demande Énavila"

Par la fente du toi, nous apercevons à peine comme des éclairs, comme un nuage, comme une énorme chose qui descend sur nous.

"Qu'est-ce qu'on fait ? dis-je, on sort ?"

"On est sans doute plus en sécurité ici, fait remarquer Sarah."

"Moi je ne reste..." à juste le temps de commencer Énavila, qui n'a pas le temps de terminer son sym ; nous sentons le vaisseau se soulever du sol, un vacarme infernal nous empêche même de comprendre les sym, je m'accroche comme je peux à un tube alors que le vaisseau est sans doute projeter au sol par cette chose.

"Sarah ! crie Énavila, ouvre ! Ouvre ! Ouvre !

Le vaisseau est soudain parcouru d'éclairs, le bruit est infernal, je ne sais même pas si ce sont mes cris que j'entends.

Sarah saigne au visage, elle a dû se cogner. Un instant le vaisseau reste au sol et la chose semble s'éloigner.

"Maintenant ! avertis-je, maintenant ! Dehors !

Le caissons s'ouvre mais avant que nous n'ayons eu le temps de nous frayer un passage à l'extérieur nous sommes de nouveau soulever et jeter dans les airs. J'ai cru voir une griffe énorme qui agrippait le vaisseau.

Je me blesse moi aussi dans la chute, j'ai l'impression que les arcs électriques sont en train de me cramer, nous allons cuire dans ce chaudron !

Le vaisseau tombe dans les arbres, qui amortisse sa chute, mais je ne pense plus aux autres, mon seul objectif est de sortir, le plus rapidement possible. Je me glisse vers l'extérieur, tombe, m'accroche comme je peux aux branches souples. Énavila et Sarah tombent juste après moi.

Dragon électrique

Un Dragon ! C'est une dragon ! Enfin, un truc énorme qui vole et qui balance des éclairs. Il rugit à nous rendre sourd. Son corps est parcouru d'étincelle, d'arcs électriques. Il plonge de nouveau vers le vaisseau. Après quelques secondes, hébétés devant le spectacle, nous fuyons dans la forêt, descendant la pente à toute vitesse.

"Les bestioles ! nous syme Énavila, elles rapliquent !"

Mince, je les avais oublier celles là.

"On est fichu, répond Sarah, qu'est-ce qu'on va faire !"

"On peut tenter de monter à un arbre !", je propose.

"Il nous faut trouver de l'ombre, suggère Énavila, il nous faut nous réfugier dans une grotte, elle craigne le noir !"

"T'es gentille, lui dis-je, on va la creuser la grotte !"

Nous courons toujours dans la pente, je tombe plusieurs fois, Sarah aussi, seule Énavila semble bien se débrouiller, mais elle nous attend. Les bêtes nous suivent, elles ne doivent être qu'à quelques centaines de mètres, nous les entendons dévaster la forêt derrière nous.

C'est interminable, je m'épuise. La peur me fait courir, mais j'ai le souffle court. Ma tête me fait mal, j'espère que les chocs dans le caisson ne m'ont pas fêler le crâne. Nous courons, courons, courons. À plusieurs reprises nous dévalons une pente raide, espérant qu'elle pourra les arrêter, mais elles ne seront sur nous dans quelques secondes, nous sommes finis.

La forêt change un petit peu, les petits arbres oranges laissent petits à petits place à d'autres, plus gros.

"C'est plus sombre, nous lance Énavila, peut-être qu'elles ne s'aventureront pas ici, accélérons !"

Accélérer ! Sarah perd déjà du terrain, moi aussi. La forêt est moins dense, les grands arbres masque le soleil et il y a moins d'arbustes au sol, la pente est toujours forte mais elle diminue petit à petit. Il est plus facile de courir maintenant, mais j'imagine qu'il en est de même pour nos poursuivants.

"On va se faire bouffer bordel ! désespérai-je, Elles s'en branlent de la forêt sombre, elles sont toujours derrière !"

"Non ! objecta Énavila, Elles courent moins vite ! C'est vous qui ralentissez ! Ne perdez pas courage ! Courrez !

Énavila, auparavant devant, revient un peu en arrière, et attrape Sarah par la main pour la tirer.

Je tente de contrôler mieux ma respiration pour tenir encore un peu, mais j'ai un point de côté terrible, et je me suis blessé en tombant, je saigne du front, j'ai du sang qui coule dans les yeux.

"J'en peux plus, envoyai-je, je vais arrêter de courir, je vais les combattre, je n'arrive plus à courir !"

"Non ! me dit Énavila, Tu n'as aucune chance, cours ! Cours encore un peu !"

Une falaise ! De l'eau ! Je saute !

Mon Dieu faites qu'il y ait assez d'eau ! Il faut que j'arrête de causer à Dieu, moi, les mauvaises habitudes ne vont pas repren...

Ah ! Oui !

Nous sommes subitement arrivés près d'une petite falaise surplombant une rivière plus grosse, elle ne devait faire que six ou sept mètres de haut, peut-être dix, et nous avons sauté tous les trois. L'eau n'était pas si profonde, mais elle a suffit pour amortir la chute.

"Non ! syme Énavila, Elles sautent après nous !"

Les bêtes nous imitent, et rapidement elles tombes tout autour de nous. Une me tombe dessus et manque de m'assommer. Je reste un moment sous l'eau, puis remonte. Je suis épuisé, j'ai du mal à me maintenir à la surface. Heureusement les bêtes ne savent pas trop comment nager, la plupart sont au fond de l'eau.

Nous avançons comme nous pouvons, Sarah semble dans les vapes, Énavila la traîne. Impossible de sortir de l'eau pour l'instant, les parois sont trop abruptes. J'en ai marre !

Les bêtes semblent avoir abandonné, nous nageons un peu moins vite. Énavila tire quand même le train devant avec Sarah, je me demande bien où elle puise autant d'énergie ! Nous nageons au moins vingt minutes, puis le courant semble augmenter.

"Il nous faut sortir, nous envoie Énavila, le courant augmente, il va y avoir des rapides ou des chutes d'eau".

"Là-bas sur la droite le côté semble accessible, fais-je remarquer, maintenons-nous vers ce bord".

Nous nous rapprochons du bord droit, et presqu'en nous laissant flotter, nous nous agrippons aux arbustes sur le bord, une sorte de percée dans la paroi, recouverte d'un tissu de mousse orangée. Une fois sortie de l'eau, nous nous étalons sur le sol, je n'en peux plus.

- Les bêtes ! crie Énavila, Elles ressortent de l'eau, elles ne sont pas mortes, elles ne nous ont pas lâchées !

Je me redresse, Sarah est toujours évanouie, Énavila en envoi une première au tapis. Je tire Sarah.

"Laisse Sarah, me crie Énavila, c'est foutu, sauve ta peau".

"Mais on ne peut pas la laisser, lui dis-je, ils vont la massacrer !"

"Laisse-là ! crie-t-elle encore, Cours !"

Une bête me tombe dessus, elles ressortent petit à petit de l'eau, il me faudrait un bâton ou quelque chose. Le petit rebord donne sur une sorte d'allée naturelle, sans doute un ancien cours d'eau.

- Oops ! Merde !

Je tombe nez à nez avec un énorme truc, une bestiole à quatre pattes bizarrement foutus. Il rugit en me voyant et se précipite. Je fais demi-tour et cours dans l'autre sens. Énavila est au prise avec plusieurs bête, elle tente de protéger Sarah.

"Énavila ! dis-je, On a un problème".

- Oh ! Merde !

Elle crie quand l'énorme lézard arrive. Mais elle a l'idée de lui jeter une des bestioles dessus. Celui-ci la dépèce en moins de deux. Rapidement une partie des bêtes délaissent Énavila et saute sur le nouvel invité.

"Aide moi, demande Énavila, on va tenter d'escalader les parois !"

J'aide Énavila à tirer Sarah tout en repoussant tant bien que mal les bêtes qui nous sautent encore dessus.

"Monte le premier, ordonne-t-elle, aide-moi à tirer Sarah de la-haut !"

J'escalade du plus vite que je peux. Énavila se bat comme un tigre. Une fois sur un premier rebord, je fais signe à Énavila qui porte un peu Sarah. J'arrive à lui attraper la main, elle est lourde ! Je la tire malgré tout sur le rebord, Énavila, après deux ou trois coups de pieds bien placé, m'y rejoint.

Toutes les bêtes s'en prennent dorénavant au lézard géant. Il est tout orange, un peu comme la mousse. Il est très gros, il doit faire dans les cinq ou six mètres de long.

- Il ne faut pas que nous restions ici, les bestioles ou ce lézard orange pourront nous atteindre une fois qu'ils auront fini entre eux, montons encore.

Vingt minutes plus tard, nous contemplons la suite de la bataille en surplombant la scène de cinq ou six mètres. Une vingtaine de bestioles sont sortie de l'eau, il devait y en avoir presque une centaines au début, dans le bois. Sept ou huit sont déjà mortes, écrasées par le lézard orange ; mais il a du mal avec les dernières, il en a quatre sur son dos, qui tente de lui déchirer son épaisse peau. Difficile de savoir l'issue du combat. Sarah me revient à l'esprit, elle est allongée. Je vérifie son état, elle à l'air juste assommé, son rythme cardiaque et sa respiration sont normaux.

- Peut-être qu'on devrait partir, le gros n'arrivera sûrement pas à monter ici, mais si les petits gagnent, ils viendront sur nous ensuite.

Énavila est toujours debout à observer le combat.

- Je ne pense pas qu'il gagne, le gros en a encore tué quatre, il n'en reste plus que neuf et aucun ne sont sortie de l'eau depuis un moment ; c'est tout ce qu'il reste. Et même, trois ou quatre, j'en fais mon affaire.

- Mouais, ces saloperies sont hargneuses, et nous sommes épuisés.

Elle m'impressionne, je ne sais pas si elle fait ça pour se donner du courage où si elle est pragmatique.

- Comment va Sarah ?

- Elle a l'air juste assommée.

- Réveille-la, elle t'en dira plus.

Énavila s'est assise sur le rebord pour contempler l'issu du combat. Je suis exténué. Je remue doucement Sarah.

- Il faudrait peut-être de l'eau.

- T'inquiète encore deux petits et le gros aura décortiquer ce qu'il reste des bestioles, et nous pourront peut-être descendre chercher de l'eau.

Je jette un oeil au combat, il ne reste plus que trois bestioles qui s'acharnent encore sur le gros. Il est gravement atteint tout de même il commence à avoir du mal à bouger et saigne abondamment, mais je ne pense pas que les deux bêtes parviendront à en venir à bout.

- Si ça se trouve on pourra même bouffer du gros calibre dans pas longtemps.

- Tu crois qu'il vont réussir à le tuer.

- Eux, non, mais il est salement touché, et on pourra peut-être l'achever. On devrait préparer des pierres.

Enavila se lève et commence à faire un petit tas de pierre.

- T'es folle, tout ce qu'on réussira à faire c'est l'énerver, et si ça se trouve il est plus agile qu'on ne le pense et il peut monter ici.

- Il est presque mort, et si nous le laissons il va aller crever dans un coin. Autant faire en sorte qu'il meure ici. Je ne veux pas vraiment le tuer en lui lançant des pierres, je veux juste qu'il s'épuise en tentant de nous attraper.

- Il est pas débile, il va se casser.

- Pas sûr.

Je continue à tenter de réveiller Sarah, elle ouvre enfin les yeux, elle va bien. Je lui raconte ce qu'il s'est passé depuis la chute dans l'eau, elle se lève et regarde aussi la fin du combat. Le gros lézard n'a plus qu'un adversaire, toujours aussi kamikaze. Dix minutes plus tard il finira écraser par une grosse patte du lézard. Énavila commence alors immédiatement à lui lancer des pierres. Sarah ne comprend pas, je lui explique les desseins d'Énavila. Elle ne semble comme moi pas convaincu que ce soit une très bonne idée.

Rien ne se produit vraiment comme prévu. Plus exactement c'est Énavila qui avait raison. Après la mort de la dernière bête, le gros lézard s'est traîner doucement vers la rivière pour boire, et quand Énavila lui à lancer des pierres dessus, il n'a que jeter un oeil vers le haut, rien de plus. Soit il ne l'a pas vue, soit il est trop épuisé pour agir. Il s'affale au bord de l'eau, la tête dans le courant. Nous attendons, dix minutes plus tard, il n'a toujours pas bouger. Une partie de son sang bleuté colore les eaux.

- Il est mort ? demande Sarah

- On dirait, lui dis-je

- Plus qu'à dépecer tout ça, continue Énavila

- On a pas grand chose comme outil, fais-je remarquer, et sa peau m'a l'air bien épaisse.

Énavila se tourne vers la pente :

- On dirait que de la fumée s'échappe du vaisseau. Le dragon n'a plus l'air là, je pense qu'on le verrait d'ici.

- Qu'est-ce que c'était que cette saloperie ? Dis-je.

- C'était comme un reptile volant, explique Sarah. Je crois que nous en avons eu sur Adama.

- C'était plus que ça, rajoute Énavila, vous avez vu sa tronche, il était défoncé comme les bestioles. À mon avis il avait la même merde qui lui bouffe la peau et qui l'empêche de sortir la nuit.

- Mais ces arc électriques, dis-je, c'est incroyable !

C'est étrange en effet, concéda Sarah, elle avait encore une voix faible. Il ne me semble pas me rappeler d'autres espèces connues qui peuvent créer des décharges électriques de cette envergure.

- Ça sera la première, dit avec affront Énavila, en tout cas il a bien dû défoncer le vaisseau.

- On pourra peut-être récupérer la caisse, leur dis-je, maintenant, il a dû l'ouvrir pour nous.

- Moi je ne retourne pas là-haut, dit Sarah.

- Si Énavila a raison, lui fais-je remarquer, il suffit d'attendre la nuit, et on devrait être tranquille.

- Ouais, dit Énavila en se retournant vers nous.

- Je ne retourne pas là-haut, répéte Sarah.

énervée - Et bien tu resteras là, lui crie Énavila, énervée, et tu nous prends pas la tête !

- Pas besoin de s'énerver, dis-je, on encore du temps avant que la nuit tombe, de toute façon, en attendant il nous faut trouver de quoi tenir jusque là.

- On va déjà goûter au gros, reprend Énavila.

- Il nous faudrait des outils, dis-je, c'est vraiment pas de chance qu'on se soit fait attaqué juste au moment où nous en avions fabriquer un ou deux.

- On peut toujours en refaire, ajoute Énavila, en regardant pensivement l'horizon.

- Les arbres sont différents, ici, dis-je tourné vers la forêt, en fait ils ressemblent plus à des arbres que là-haut.

- À part qu'ils sont orange, oui, dit Sarah. Mais plus bas dans la vallée, ils semble y en avoir d'autres encore plus grands.

Le petit promontoire où nous nous trouvons nous offre une assez belle vue sur la vallée. Nous pouvons deviner les lacets du fleuves qui doit y couler, et sur ses rives d'immenses arbres aux feuilles orangées. Le soleil rougeâtre est maintenant haut, et proche de lui brille aussi une énorme étoile bleutée, celle du système voisin. La supergéante rouge n'est pas dans le ciel, on peu aussi compter trois ou quatre lune, mais on ne voit pas la planète principale. Difficile sans doute de trouver des cycles dans tout ça, entre les mouvements de tous ses astres si proches.

- J'espère que seul l'étoile du système permet de réveiller ces saloperies, espérai-je, si les deux autres étoiles le peuvent aussi, la nuit ne suffit peut-être pas toujours.

- La super géante rouge était levée, cette nuit ? demande Énavila.

- Je ne sais plus, dis-je, je ne sais plus quand les bêtes ont arrêter de taper, il me semble qu'il faisait sombre, mais peut-être pas nuit, peut-être qu'elle était encore dans le ciel. De toute façon on verra bien.

- De toute façon on verra bien, dit Énavila, on n'a guère le choix.

Nous restons silencieux un instant. Je m'allonge sur le sol caillouteux, exténué. Je dormirais bien. Énavila va encore me faire remarquer que je suis une larve.

- Il nous faut nous reposer, oui, s'accorde Énavila, mais il nous faut d'abord tenter de récupérer de la viande du gros lézard, pour manger aujourd'hui et peut-être demain.

Elle n'était pas complètement contre l'idée de se reposer, elle doit être aussi fatiguée. Elle s'est plus battue que moi. J'ai un peu honte.

- Allons-y, lui dis-je, descendons.

Je me relève et je descend doucement vers le lézard, j'ai encore l'appréhension qu'une de ces bestioles se réveillent ou sorte subitement de l'eau. Énavila me suit, Sarah n'est pas très chaude.

- Si tu restes là-haut, crie-je à Sarah, essaie peut-être d'aller un peu vers l'entrée du passage pour voir si d'autres bêtes ne viennent pas.

"D'accord, nous syme-t-elle."

- Tu n'aurais pas dû lui dire ça, me dit Énavila, elle va encore se paumer.

- Tu n'est pas très cool envers Sarah, elle est un peu timide mais elle n'a pas peur.

- Elle est morte de trouille.

- Et après, moi-aussi j'ai peur, t'as pas peur toi ?

Elle ne répond pas. Nous allons voir la tête du lézard, dans l'eau, il semble bien mort, il ne bouge plus du tout.

- Il faudrait qu'on fasse du feu, dis-je.

- Tu sais faire, non ? Vous en aviez fait sur Stycchia.

- Erik y était arrivé, oui, mais on avait mis du temps.

- Et bien on essaiera, sinon on mangera cru.

Énavila arrache un bout de chair et le goûte. Elle en prend un deuxième, je goûte aussi. Ça n'a pas vraiment de goût, un peu amer, enfin, un goût un peu étrange.

- Il faudrait qu'on en coupe un bout et qu'on le monte là-haut, j'imagine qu'ici il va rapidement être dépecé par les charognards du coin.

Déjà plusieurs insectes tournent autour du lézard, presqu'aucun ne tourne autour des bestioles. Il faut dire qu'elles empestent un peu, et leur chair est comme carbonisée. Je ne sais vraiment pas la maladie qu'elles ont chopée.

Après avoir, sans succès, tenter d'arracher un bout de chair avec les pierres que nous trouvons, nous nous rendons à l'évidence qu'il nous faudra d'abord fabriquer des outils avant de pouvoir récupérer de la viande.

Je demande à Sarah où elle se trouve.

"J'ai suivi le rebord de la brèche, me syme-t-elle tout en m'envoyant les images de ce qu'elle décrit, elle reste étroite pendant presque un quatri pierre, ça monte un peu, on passe une crête, puis elle s'évase sur l'autre versant. Plus qu'un affluent je pense que c'était le cours initial de la rivière, qui à dû changer. Le versant est constitué d'une grande prairie, il y a beaucoup d'animaux, une autre petite rivière semble arriver à quelques quadri pierres de là."

La prairie, sur le versant un peu en pente, s'étant presque jusqu'au pieds de grandes montagnes ; plusieurs troupeaux de gros lézards similaires à celui que nous dépeçons se distinguent aux abords des forêts. Sarah continue. Énavila ne bouge pas, elle reçoit elle aussi les visuels de Sarah.

"Le gros lézards était sans doute acharnée car ce doit être une femelle, il y a, un peu plus loin, un autre gros lézard qui garde l'entrée d'une grotte, sans doute leur terrier, et il y a des petits qui lui tournent autour."

"On va te rejoindre, lui envoie Énavila, nous avons besoin d'outil, impossible de couper la chair de ce lézard sans, elle est trop dure. Mais il faut qu'on se dépêche, il y a déjà plusieurs insectes qui sont sans doute venue pondre leur oeufs."

Nous remontons, puis, en suivant le bord de la brèche arrivons en haut d'une petite crête qui nous laisse découvrir la vue que Sarah nous avait envoyée. Sarah est un peu plus en contre bas, presque au dessus de la tanière des gros lézards.

- Il est gros, dit Énavila, nous n'arriverons pas à le tuer, les petits doivent être bons à manger, pourtant.

- Ils sont aussi assez gros, dis-je, il nous faut des armes. L'un de nous peut faire diversion, mais je ne sais pas si de deux nous serons assez pour en attraper un.

- En tout cas, dit Sarah, s'il reste ici, il devrait dissuader d'autres animaux de prendre la brèche, on sera sans doute pas trop déranger pour manger l'autre.

Sarah me surprend un peu, parfois elle semble si fragile, mais en fait elle ne baisse jamais les bras, on dirait qu'elle se bat pour quelque chose, qu'elle ne veut pas abandonner parce que, même si elle est apeurée par tout ce qui arrive, elle veut toujours aller de l'avant.

- Je propose qu'on essaie de trouver quelques bâtons de pseudo-bois mort dans la forêt, suggère Énavila, et qu'on retourne manger, on ne pourra peut-être plus après.

Nous acquiesçons, et après un tour dans les sous-bois, nous mangeons, un peu à contre coeur, la viande déjà froide du gros lézard. Des sortes d'oiseaux nous tournent autour en piaillant, attendant leur tour avec impatience. Nous buvons un peu d'eau de la rivière, et nous remontons nous allonger sur le rebord. Le stress diminuant la fatigue nous accable, et nous nous endormons tous les trois sans même prévoir un tour de garde pour une bonne sieste.

Ce sont les cris des bêtes qui nous ont remplacé autour du lézard mort qui nous réveille. Mais il y a un autre bruit, un bruit d'abeille.

- Le dragon ! crie Énavila, regardez !

Des rugissements nous montre la direction du dragon électrique, en dessus de la crête, il doit attaquer les troupeaux de l'autre côté du versant. Ne pouvant résister à l'idée de voir le spectacle, nous courons jusque là, pour le voir fondre avec rage sur les troupeaux de lézards qui fuient dans la forêt, expliquant pourquoi ils se tiennent au niveau de la lisière. Mais grâce à ses arcs électriques, il réussit à en immobiliser plusieurs, sans doute sonnés par la décharge. Mais il ne prend même pas le temps de les manger entièrement, se contentant de leur arracher quelques lambeaux avant de sauter vers d'autres animaux.

Nous courons nous cacher dans la forêt quand le dragon prend notre direction. Il vole un peu en dessus de la tanière du lézard, s'arrête au niveau de notre dîner, puis repart vers la vallée. Nous ressortons du bois après une vingtaine de minutes sans signe de sont retour. Plusieurs arbres brûlent sur le versant, une dizaine de gros animaux, des gros lézards comme celui qui nous a débarrasser des bestioles, ou d'autres genre, plus gros ou plus petit. Plusieurs petites bêtes charognardes semblent déjà s'intéresser aux victimes du dragon. Les bêtes ressortent petit à petit, le danger passé, de leur cachette. La plupart des animaux attaqués par le dragon ne sont même pas morts, ils se traînent encore péniblement en beuglant de douleur. Les deux ou trois qui ne bougent plus sont rapidement déchiquetés par les carnassiers du coin.

Le croissant géant de la planète principale commence à se lever. C'est vraiment incroyable. Ces animaux, ce dragons, ces étoiles, toutes ces lunes. Je me demande bien où nous sommes tombés.

- Sarah, dis-je, on a vraiment eu de la chance, de pouvoir respirer, de trouver cette lune, où ça arrive assez fréquemment ?

- Non, ce n'est pas fréquent, me répond-elle, trouver la vie n'est pas si hors du commun, mais avoir des formes de vie et un écosystème différent du notre avec des conditions si proches, c'est très dérangeant. Je pense que nous avons beaucoup de chance. D'ailleurs j'ai dû mal à en revenir, que nous soyons arriver si près d'un système qui comportait une planète habitable.

- On n'est pas sortie d'affaire pour autant, remarque Énavila, pour l'instant ça ne se présente pas forcément génial.

- On est encore en vie, dis-je, et c'est déjà pas si mal. On a déjà tenu cinq ou six jours.

- Génial ! s'exclame Énavila, mais je ne suis pas là pour battre le record de la plus longue vie sauvage.

- Si on ne trouve pas de civilisations avancées, dit tristement Sarah, maintenant que le vaisseau est en miette, j'ai peur qu'on ne puisse pas faire grand chose.

- De toute façon ça ne sert pas à grand chose de revenir sur le sujet, fais-je remarquer, tant que nous n'en saurons pas un peu plus sur cette planète.

- Oui, acquiesce Énavila, tentons d'abord de refaire quelques outils, de quoi nous défendre, on ira faire un tour au vaisseau dès qu'il fera nuit, puis nous redescendrons la rivière, c'est sur le fleuve que nous aurons le plus de chance de trouver une ville, ou quelque chose.

Nous reprenons un peu courage, de revoir ce dragon a sans doute un peu démystifier la peur qu'il nous avait causé. Pas tellement que nous le craignons moins, mais il semble se comportait comme n'importe quel rapace, et pas spécialement dirigé uniquement contre nous. Le promontoire où nous nous trouvons constitue une place de choix, protégée vers le haut par la rivière, et par le bas par la brèche, c'est sans doute un glissement de terrain qui la créée. Vers le versant, la crête n'offre pas une aussi bonne protection, mais elle est suffisamment à pic de l'autre côté, vers la plaine, pour que les bêtes ne s'y aventurent pas sans raison.

Jour 383

Les feuilles des arbres d'ici ne se prêtent pas au tissage de cordes, nous avons toutefois taillé en pointe plusieurs solides bouts de bois, ou plutôt l'équivalent local, une sorte de matière ressemblant au bois, mais plus souple, plus élastique, avec une sève plus liquide, qui brûle un peu. Je l'ai goûté, elle n'est pas bonne, même si on dirait qu'elle est un peu sucrée.

Nous n'avons pas réussi à faire un feu, même pas un peu de fumée. Il n'a pas plus depuis que nous sommes ici, il y a encore de la neige sur les plus hautes cimes. Difficile à deviner la succession des saisons. Sarah et Énavila se parlent peu. Énavila m'évite aussi la plupart du temps. J'ai l'impression que Sarah ne veut pas trop me parler non plus. L'ambiance n'est pas très gaie, j'espère que nous nous entendrons mieux dans quelques jours. Énavila reste toujours aussi mystérieuse sur les raisons qui lui poussent à croire que j'ai manigancer une partie de ce qui arrive. Sarah prétend m'avoir tout dit sur l'expérience Terre. Je dois me contenter de ces explications. Mais je n'ai aucune idée de qui peut être ce géant bleu, pourquoi cette attaque sur Adama, quid de cette lune où je suis mort, et bien d'autres questions encore. C'est terrible de se dire que je vais peut-être mourir ici sans en savoir plus, sans comprendre.

Mourir ici... À quoi bon toute cette route si c'est pour finir oublié de tous, loin de tout ce que l'on a pu connaître... Si seul... Pourquoi se battre, à quoi bon survivre, ici. Nous ne partirons plus. Avant, je ne comprenais pas que l'on puisse en avoir marre de vivre, qu'on puisse en avoir marre de se battre, qu'on puisse baisser les bras et préférer la mort. Aujourd'hui, tellement perdu, je me demande bien pour quoi ça vaut la peine encore que j'aille de l'avant, plus rien de ce en quoi je croyais ne tiens, plus rien, même Dieu, que je n'avais pas complètement oublié, n'est plus aujourd'hui qu'un groupe de chercheurs et la Terre leur éprouvette. J'ai Marie devant moi ! Combien de 'je vous salue Marie' ai-je bien pu réciter plus jeune ? Des centaines, des milliers...

Le lézard mort près de la rivière est déjà presque complètement dévoré, il ne nous aura nourri qu'un seul repas. Mais somme toute nous n'avons pas trop à nous soucier de la nourriture, grâce à nos lances et nos bracelets nous attrapons sans de grandes difficultés les petits animaux autour de nous. La viande crue n'est pas très bonne, mais nous ne mourrons pas de faim. Après plus de six jours passés ici, cette nourriture s'est avérée bien tolérée par nos organismes. Nous souffrons le plus du froid, nos combinaisons sont déchirées, et si elles nous couvrent encore suffisamment, elle ne font plus office de régulateurs thermiques ou de couche, mais nous pouvons nous laver dans la rivière. Le courant fort nous laisse penser que les germes n'ont pas trop le temps de se développer, et nos bracelets la juge relativement potable.

Nous nous sommes un peu avancés vers le versant dégagé, comportant cette grande plaine. La plupart des animaux ne sont pas très hostiles, de plus nos bracelets arrivent à peu près à nous prévenir d'un danger, et les petits charognards que nous avons vu se laissent facilement maîtriser avec les bracelets. Les troupeaux sont revenus à l'orée des bois, le dragon ne s'étant plus manifesté, sans doute aller dévaster plus loin. Les gros lézards qu'ils avaient à moitié tués se traînent péniblement dans la plaine. Leur compatriotes ne semblent pas vraiment leur porter assistance, les laissant agoniser au milieu de la plaine.

Ils auraient pu nous fournir des proies faciles, mais de peur de tomber sur un essaim de lézards à deux queues notre témérité s'est bornée à quelques centaines de mètres de notre cachette. Protégé par l'à-pic d'un côté, nous avons planté des piquets et confectionner une sorte de barrière sur les dix mètres de largeur de l'autre côté. Sans doute un maigre protection si un troupeau de chiens-lézards grillés nous attaque - c'est leur nom officiel désormais - mais au moins une protection psychologique qui nous laisse dormir en relative quiétude.

Chien-Lézard

Jour 384

C'est au plus haut du soleil qu'ils sont revenus. Un vacarmes du tonnerre nous a réveillé, alors que nous dormions, presque apaisés, à l'ombre des arbres sur notre promontoire. Des sifflements bien connus ont attiré notre curiosité de l'autre côté de la crête. Des centaines, des milliers de chiens-lézards grillés parcouraient le versant. Beaucoup d'animaux étaient sans doute depuis longtemps partis se réfugier dans les bois en les entendant arriver, malheureusement, contrairement au dragon, les chiens-lézards n'hésitent pas à s'engouffrer dans les sous-bois.

Si certains des animaux les plus gros tentaient de leur tête, sans grand espoir devant le nombre d'assaillants, la plupart couraient en espérant leur échapper, mais les plus agiles étaient déjà partis depuis longtemps, descendant à travers la forêt vers les ombres des grands arbres de la vallée. Les restants, fatigués ou blessés, sont impitoyablement massacré par les chiens-lézards destructeurs.

Au début le mouvement ne nous inquiète guère, les chiens-lézards arrivent en masse du haut pour traverser le versant vers le bas. Mais un élément nous échappe, sous le vacarme nous n'avions pas vu le dragon électrique qui tournait au dessus de la bataille. Et quand nous le remarquons enfin, quand il descend plus bas et que son bourdonnement nous indique sa présence, il est déjà dans notre direction, et, soit par ses cris soit par coïncidence, les chiens-lézards bifurquent et prennent notre direction.

- Merde, dis-je, on dirait qu'ils viennent vers nous.

- Impossible, chuchote Sarah, comment peut-il nous voir de si loin, caché sous les sous-bois ?

- J'ai peur qu'il ne nous sente, dis Énavila en se levant, il nous faut partir, sinon on va se faire rechoper.

- Tu crois vraiment qu'ils nous en veulent ?

Mes ma dernière question eut rapidement sa réponse, quand, pris de court, nous évitons de justesse une décharge du dragon électrique qui fonde sur nous. Nous courons rapidement, en restant dans les sous-bois, au centre du promontoire, en espérant que le dragon perde notre trace, mais il continue à tourner au dessus de nous, et rapidement nous distinguons les sifflements des chiens-lézards qui approchent.

"On ne peut pas rester là, indique Énavila par sym, il nous faut partir."

"Mais où peut-on aller, nous sommes bloqués ! désespère Sarah."

"S'ils viennent vraiment ici, notre seule chance c'est la rivière ! dis-je."

"Oui ! dis Énavila en récupérant deux morceau de bois mort, on prend des branches et on se jette à l'eau, ils arrivent !"

Nous n'avons guère le temps de plus tergiverser, le dragon descend de plus en plus et ses éclairs enflamment les feuillages des arbres alentours. Quand il nous sent bouger, il n'hésite pas à s'écraser au milieu des arbres, il est gigantesque, plusieurs arbres sont abattus sous son poids. Nous sommes séparés, Énavila et Sarah retournent vers l'avant du promontoire, j'ai dû bifurquer pour éviter un arbre tombant. Je n'ai pas le choix, je retourne directement au dessus de la rivière et saute dans l'eau, je n'ai pas eu le temps de récupérer un branche morte pour me soutenir, je me blesse au genou au fond de la rivière, j'entrevoie Énavila et Sarah descendant du promontoire, le dragon s'est renvolé, j'espère qu'elles vont s'en sortir !

J'ai juste le temps d'entrevoir des centaines de chiens-lézards arriver avant de devoir faire attention dans les rapides. Pourvu qu'il n'y ai pas de chutes d'eau ! Je bois la tasse à plusieurs reprise, le courant devient de plus en plus fort, la rivière se rétrécit, de nombreux rochers dépassent désormais des flots. Le vacarme de la rivière couvre le bourdonnement du dragon, mais je distingue encore ses cris de temps en temps. Il est derrière, sans doute sur Énavila et Sarah. Que vais-je faire s'ils les tue ! Que vais-je faire tout seul ?

"Nous sommes dans l'eau derrière toi ! Je te vois ! me syme Énavila."

Quel idiot ! Dans l'affolement j'ai oublié le bracelet !

"Je me suis blessé au genou mais ça va, ils sont après vous ?"

"Oui, ils nous suivent par les bords et nous sautent dessus, ils vont nous submerger, nous avons pu récupérer les lances, elles nous servent, mais je ne suis pas sûr que nous allons nous en sortir."

"Qu'est-ce que je peux faire ?"

"Nager le plus rapidement possible sans te poser de question pour ne pas qu'il te rattrape, nous nous retrouverons avec le bracelet plus tard, ne te préoccupe pas de nous."

Quoi que puisse dire Énavila, j'aurais de toute façon bien du mal à me préoccuper d'autre chose que de moi dans une pareille galère.

Le dragon, que j'avais oublié, me survole à quelques mètres, je peux sentir son odeur immonde, son grésillement et l'électricité qui s'échange entre lui et l'eau. La rivière coule toujours au milieu des arbres, qui lui barrent quelque peu le passage, mais la pente s'accroît et ceux-ci se font plus rares, ne laissant rien présager de bon.

La rivière devient un torrent, je me cogne à plusieurs rochers, le dragon vole de plus en plus près, il m'a vu, j'en suis sûr. Sale bestiole ! Il envoie ses arcs électriques de colères, je sens des secousses dans l'eau.

Une chute d'eau ! Je suis entraîné, je me blesse de nouveau en tombant, elle faisait quelques mètres de eau. Une autre, encore une autre, je n'ai plus le temps de m'occuper du dragon, ne pas me noyer serait déjà pas mal.

Une autre rivière rejoint notre cours d'eau, les flots augmentent, les rochers sont moins proéminents. Le courant reste fort et je lutte toujours plus pour ne pas m'écraser contre les pierres que pour éviter les passages du dragon. Je plongeais sous l'eau au début quand il me survolait, je n'en ai maintenant plus la force.

Énavila et Sarah sont toujours derrière, j'ai leur signal sur mon bracelet, elles sont à une centaines de mètres derrière. Difficile de savoir si les chiens-lézards sont toujours là, leurs ondes mentales sont pratiquement inexistantes. Mais j'aurais rapidement de leur nouvelles, ils arrivent par la rive droite, ils nous courent après depuis la-haut sans relâche. Ils m'ont vu et certains n'hésitent pas à me sauter dessus du bord. Heureusement la rivière s'est élargie et je peux me reculer vers la rive gauche pour les éviter. Ça n'empêche pas certains de sauter sur des rochers qui dépassent pour ensuite me tomber dessus, à plusieurs reprise je dois nager sous l'eau pour m'en dépêtrer.

Une nouvelle chute d'eau, je suis beaucoup trop vers la rive gauche, je percute un gros rocher du bord qui me sonne un peu et je ne peux pas contrôler ma chute. La cascade est plus grande que les précédente, je racle contre le bord et une pierre m'ouvre la jambe quand j'arrive en bas. Je me retiens à une souche pour ne pas être emporté par les flots. J'arrive à me hisser sur un petit rebord derrière la chute d'eau. Mon mollet est entaillé, il saigne abondamment. Je vois tomber Énavila et Sarah, mais je les préviens trop tard que je suis resté là, elles sont déjà emportée plus en avant.

"Je suis blessé, je vais rester là un moment si j'arrive à les éviter, il faut que je me fasse un garrot, on se retrouvera plus tard.

"Sarah est aussi blessée, je m'occupe d'elle, à plus tard, bonne chance."

Je n'ai pas le temps de savourer cette rare parole sympathique d'Énavila, plusieurs dizaines de chiens-lézards tombent de la cascade, je prie pour qu'ils ne me trouvent pas, mais deux ou trois me tombent dessus. Je tente tant bien que mal de les repousser dans la rivière, en m'accrochant à ma souche ou aux rochers. Ces saloperies ont des griffes, ils s'accrochent à moi, m'entaillant le dos et les jambes. J'arrive à m'en défaire, mais il y en a toujours et toujours qui tombent.

Je n'en peux plus, je tente de me déplacer vers le bord, pour sortir de l'eau. J'arrive à escalader un peu sur le côté et à me frayer un chemin vers la rive. Je me laisse finalement tomber sur un tapis de mousse derrière un gros rocher. Pourvu qu'ils me laissent en paix !

Mes blessures me brûlent, heureusement que l'eau les a nettoyées. C'est ma jambe qui est la plus atteinte, il me faudrait de quoi recoudre, je suis ouvert sur pratiquement tout le mollet.

Mon bracelet m'indique je j'ai perdu presqu'un litre de sang, il me faut boire beaucoup et rapidement.

Je parviens, difficilement, à découper un lambeau de ma combinaison pour faire un noeud autour de mon mollet et tenter de resserrer la plaie. C'est affreusement douloureux. Je souffle cinq minute puis me rapproche un peu de la rivière pour boire. Je bois abondamment mais je me fais repérer de certains chiens-lézards qui passent encore. Ils sont de l'autre côté de la rive mais je ne doute pas qu'avec leur acharnement ils vont parvenir à traverser. Je ne reste pas pour m'en assurer et pars en boitant immédiatement dans la forêt.

Il ne faudra qu'une dizaine de minutes avant que le premier chien-lézard ne me rattrape. Heureusement j'ai récupéré un bâton pour m'aider à marcher et je peux lui opposer une résistance efficace. Il me saute dessus à plusieurs reprises, j'arrive avec mon bâton à le détourner. Il est toutefois trop rapide pour que je puisse tenter de l'assommer. J'arrive finalement à lui tomber dessus, je me tiens à genoux sur son dos, et avant qu'il ne se retire, je lui écrase le crâne avec une grosse pierre.

Je me relève pour repartir, mais cette charogne n'est pas morte ! Il continue à bouger ! Il se relève même et se traîne vers moi. Je n'aurais plus trop à m'en soucier, et je décide de partir au risque d'en voir d'autres arriver. Deux me tombent dessus cinq minutes plus tard. Heureusement j'ai trouvé entre temps un meilleur bâton, plus solide et plus long, dont un bout est suffisamment pointu pour leur infliger des blessures.

Encore un ! Je ne vais pas y arriver, je dois fuir ! Mais comment ? Je peux à peine marcher ! Monter à un arbre ? Déjà avec leur écorce glissante je ne suis pas sûr d'y arriver, et je suis persuadé que ces chiens-lézards montent encore mieux que moi.

Je ne tiendrais pas tête à une de plus, il me faut reculer. Je lance un dernier assaut ou j'en embroche deux et je pars en courant, ignorant ma douleur à la jambe, vers les endroits les plus sombre de la forêt. J'entends les sifflements d'autres chiens-lézards qui arrivent ! Je ne vais tout de même pas mourir ici ! Dévorer par ces sales bêtes ! Je sonde mon bracelet pour savoir ce qu'il traîne dans le coin, il semble détecter des ondes mentales à une centaines de mètres de l'endroit où je me trouve, je m'y dirige, peut-être d'autres animaux feront diversions. Malheureusement les animaux fuient à mon approche.

Je dois me battre contre un chien-lézard qui m'a rattrapé. Mais je le repousse simplement et repars en courant. J'ordonne à mon bracelet de me faire secréter tous les anti-douleurs possibles. Dix minutes plus tard, mon bracelet vire au rouge et m'avertit que je vais perdre connaissance sous peu si je ne m'arrête pas. En poursuivant des animaux, je me retrouvent proches de leur terrier. L'entrée est assez large pour que je puisse passer, entre deux grosses pierres. Je m'y engouffre, je n'ai guère le temps de réfléchir. Je peux me reculer de quelques mètres, dans la pénombre. Pourvu qu'ils ne me trouvent pas !

Peine perdue, il ne leur faut que quelques minutes avant de me trouver, mais, coincé dans le petit passage, je peux plus facilement les repousser avec mon bâton. Ils sont beaucoup moins vigoureux dans le noir, et ils ne peuvent s'avancer que les uns derrière les autres.

Des heures et des heures ! Des heures et des heures durant ils s'acharneront. Je suis à bout de force, je les repousse encore et encore avec mon bâton, j'en ai tué sans doute cinq ou six. Je tente d'utiliser leur cadavres pour me protéger. Il me faut manger et boire. D'autres sont arrivés à l'extérieur, je les entends siffler tout autour. Ils me semble que certains tentent même de creuser pour m'atteindre...

J'ai un peu de répit pour m'occuper de ma blessure. J'utilise de la bave pour la nettoyer. Le noeud que j'ai réalisé à permis aux chairs de rester en contact, elles commencent à se rattacher. Entre deux attaques, je me confectionne un nouveau noeud, pour mieux maintenir la plaie fermée. Je m'endors un peu, à un moment, alors que j'ai bloqué devant moi avec mon bâton le corps de trois chiens-lézards morts.

Mon bracelet ne fonctionne pas bien, je n'arrive pas à contacter Énavila et Sarah, j'espère que c'est juste parce que je suis terrer dans cette cachette, empêchant sans doute les ondes de passer correctement.

Jour 385

Mon Dieu ! Pourvu qu'il fasse nuit bientôt ! Je ne sais plus combien dure le jour, un peu plus de quatre jour je crois. De mon trou je ne vois presque rien, impossible de me rendre compte si le soir tombe. Je suis coincé là depuis dix-huit heures. Énavila et Sarah doivent me croire morts, si elles ne le sont pas déjà elles-mêmes...

Je dors, enfin, plusieurs heures, protégé par un amoncellement de cadavres devant moi, j'en ai encore tué deux ou trois de plus.

Quelque chose derrière moi ! Il y a quelque chose derrière moi ! Je ne peux pas me retourner, je pousse frénétiquement le tas de chiens-lézards mort avec mes pieds, je panique, sortir ! Je commande à mon bracelet de me calmer un peu pour ne pas perdre les pédales. Il me faut une vingtaine de minutes pour enfin sortir de cette puanteur. Il fait sombre dehors, mais les quelques chiens-lézards qui restent bougent encore un peu, pas suffisamment pour m'inquiéter, toutefois.

J'en ai presque oublié la chose derrière moi dans le terrier. Un chien-lézard ! Il sort juste après moi, il se dirige vers moi. Il me faut mon bâton, vite !

Je me relève, mais je m'aperçois alors que ce chien-lézard est différent. Il a peur, il a peur de moi. Il n'est pas grillé, comme les autres, et d'ailleurs il bouge, signifiant sans doute qu'il n'a pas cette fichu maladie. Je me tourne vers lui, tend la main. Il vient vers moi, il se baisse. On dirait qu'il est apprivoisé ! Apprivoisé ! Cela voudrait dire qu'il y a une espèce intelligente sur cette planète !

Je me méfie quand même, c'est peut-être une technique de ces animaux pour s'approcher de leur proie. Mais je n'ai guère le choix, je dois m'asseoir, je ne tiens plus debout. Le chien-lézard vient vers moi, il s'assit à côté de moi. Je pose doucement une main sur lui, il semble content.

- Ah, chien-lézard, dans quelle galère on est !?

J'ai parlé pour la première fois, il a tourné la tête vers moi et glapit, plus exactement émis une sorte de sifflement de satisfaction.

- Tu as déjà entendu des voix ? Chien-lézard ?

"Ylraw, c'est Énavila, ça va ?"

"Je suis content de t'avoir, c'est pas la super pêche mais je suis encore en vie, c'est déjà ça. Je vous avez perdues."

"Oui, nous nous sommes cachées dans une sorte de grotte, beaucoup plus bas, j'ai pu bloquer l'entrée et nous avons attendu la nuit.

"J'ai fait à peu près pareil. Vous allez bien ?"

"Moi ça va, Sarah pas trop, mais c'est surtout qu'on meurt de faim."

"Je suis blessé à la jambe, je ne sais pas si je pourrais redescendre jusqu'à vous."

"Je vais retourner au vaisseau, pendant qu'il fait nuit, je ne sais pas combien de temps il me faudra pour remonter jusque là-haut. Tu ne peux vraiment pas essayer de venir jusqu'ici, tu resterais avec Sarah, en m'attendant."

"Je vais tenter. Je vais d'abord aller à la rivière, pour boire, puis je la suivrai doucement en descendant. Mais il me faudra sans doute plusieurs heures avant de vous rejoindre, vous êtes à plus de vingt-cinq kilomètres (25 quadri-pierres).

"Oui nous avons cavalé pendant des heures et des heures avant de trouver une cachette. Écoute, je pense que Sarah est en sécurité ici, et s'il y a une chance de récupérer quelques chose au vaisseau, je ne voudrais pas la louper, nous ne survivrons pas à une nouvelle attaque comme ça. Il nous faut rapidement trouver de quoi manger et de quoi nous protéger. Je vais monter vers toi, Sarah nous avertira s'il y a un problème."

"Très bien, je vais vers la rivière, je la descends par la rive gauche."

Je me lève difficilement. Mon bracelet m'indique qu'il me faut rapidement manger si je veux pouvoir me remettre de mes blessures. Plusieurs petits animaux se trouvent autour de nous. Je perçois aussi les ondes mentale de mon nouveau compagnon. Je tente avec succès de l'immobiliser. En avançant vers la rivière, j'attrape deux sortes d'oiseaux avec mon bracelet. J'en file un à Chien-lézard qui est tout autant affamé que moi.

Il me faut près d'une heure pour rejoindre la rivière. Énavila a déjà parcourue quatre kilomètres, alors que seulement un et demi séparait mon terrier de la rivière. Je bois beaucoup et décide d'une pause après avoir manger un autre oiseau.

Je fais un nouveau somme de deux heures, et je suis réveillé par mon chien-lézard qui renifle quelque chose. Mon bracelet me signale une grosse bestiole dans le coin. Je me relève, je vais un peu mieux, mais je suis engourdi et ma blessure au mollet est extrêmement douloureuse. Il fait maintenant complètement nuit, deux lunes couplées à la vision nocturne du bracelet me permettent toutefois de voir sans trop de problème. Faute de bâton, je récupère une grosse pierre pour me défendre. Chien-lézard est sur la défensive, la grosse bête rode autour de nous. Un quart d'heure s'écoule, la bête ne s'approche toujours pas, je décide de descendre la rivière. Je vais doucement, les abords de la rivière sont escarpés et peu praticables.

Je marche deux heures avant de devoir m'arrêter à cause de ma blessure. De mes blessures devrais-je dire, car je suis aussi griffé salement dans le dos. La grosse bête nous suit toujours, ce qui ne me rassure guère. J'ai trouvé un nouveau bâton qui me sert de canne.

Je bois et mange de nouveau, pour le bonheur de Chien-lézard qui en profite aussi. Je fais une pause d'une demi-heure et je repars. La grosse bête est toujours derrière nous, mais je ne l'ai pas encore vue, juste entr'aperçue. Elle reste à quelques dizaines de mètres dans la forêt, attendant sans doute le moment propice pour attaquer. Je fais confiance en mon bracelet pour me prévenir et me défendre dans cette alternative. Ah ! Ma pierre ! C'est sur toi que j'aurais compté il y a bien longtemps, et maintenant c'est le bracelet qui me protège, quelle monde étrange !

J'ai froid, si je reste sur place, je gèle. Ma combinaison n'est plus formée que de deux ou trois lambeaux, et ma blessure m'affaiblit beaucoup. Si seulement je pouvais faire un bon feu. Énavila n'est plus qu'à un kilomètre, je fais une pause. Je vais devoir m'éloigner un peu de la rivière pour continuer, et je ne voudrais pas qu'elle me manque. Je ne sais pas trop ce que j'espère de la rencontre, mais je crois que la voir me fera du bien, même si elle m'envoie balader.

Il ne lui faut pas plus de dix minutes pour me rejoindre. Elle a plutôt l'air d'aller bien. Elle n'a plus de sa combinaison que les chaussures, un short presque jusqu'aux genoux et l'équivalent d'un soutien-gorge. Elle est craquante. Chien-lézard bouge, Énavila s'apprête à lui sauter dessus.

- Non ! Attends, il est gentil.

- Gentil ?

- Oui, il n'est pas malade, de plus on dirait qu'il est apprivoisé, il n'a pas peur de moi, et il a peur quand je lui crie dessus.

- Intéressant, tu l'as trouvé où ?

- Il était planqué dans le même terrier que moi, il devait aussi avoir peur de ses collègues grillés.

- S'il est vraiment apprivoisé, c'est plutôt bon signe.

- Ouais... Tu es allée vite, moi j'ai du mal.

- J'ai pas envie de traîner, je ne voudrais pas me retrouver là-haut en plein jour. Tu tiens le coup ?

- Bah, on fait aller, ma blessure à la jambe me handicape pas mal. Il y a une bête qui me suit depuis un moment, aussi, je n'ai pas réussi à voir ce que c'était, elle est plutôt grosse.

Énavila reste silencieuse un instant, inspectant sans doute les environs avec son bracelet.

- Il y en a plein, plus bas. L'une d'elle nous a attaqué pendant qu'on dormait. Elles sont peureuses, elles attendent qu'on dorme. Je peux t'en débarrasser, mais tu en trouveras d'autres, plus bas. Elles semblent solitaires, par contre.

- Tu en as déjà tué une ?

- Celle qui nous a attaqué, oui, d'ailleurs Sarah s'en régale. Leur viande est plutôt bonne. Mais dans ton état tu n'arriveras pas à la tuer, tu la blesserais tout au plus et elle s'enfuierait.

Elle reste silencieuse un instant.

- À tous les deux on peut l'avoir, si nous la paralysons avec nos deux bracelets, il nous suffira d'une lance ou de grosses pierres pour l'avoir. Le problème c'est qu'on ne pourra pas transporter la viande, c'est dommage.

- Bah, si elle se contente de me suivre à distance, je pourrais mettre une alerte sur le bracelet si je veux me reposer. Va au vaisseau, ne perds pas de temps. Je serais bien allé avec toi, désolé.

- Sarah a plus besoin de toi que moi. D'un autre côté j'ai pas mal faim, j'en mangerais bien un bout.

- On va se crever pour rien, attrape plutôt ces sortes d'oiseaux, il y en a plein et avec le bracelet c'est facile.

- Oui, tu as raison, bon, j'y vais.

- Bonne chance, à plus tard.

Énavila part sans même me saluer, cela lui aurait sans doute trop coûté. Je me repose encore une dizaine de minute, puis je prends mon courage à deux mains et repars de l'avant avec mon compagnon. Peut-être que la bête va suivre Énavila ? Je ne lui souhaite pas mais en un sens je ne suis pas très rassuré d'avoir cette chose qui me rode autour. D'autant que je ne sais même pas vraiment à quoi elle ressemble, et qu'elle m'a l'air assez grosse, mon bracelet ne suffira peut-être pas à la maîtriser. Énavila en a tué une, certes, mais elle est en meilleure forme que moi.

Je dois passer par une partie escarpée, j'ai beaucoup de mal. il fait très sombre sous les arbres et mon bracelet ne me permet qu'une vision partielle. Le sol est couvert de petit buisson qui n'arrangent pas mes affaires. C'est à cause de l'un d'eux que je manque un trou, perd l'équilibre et glisse sur plusieurs mètres. Je n'ai pas le temps de me relever, la bête qui me suit en profite et fonce sur moi. Chien-lézard tente de s'interposer mais il ne fait pas le poids. La bête, qui a la taille d'un gros sanglier, aux pattes retournées, comme tous les animaux ici, me saute dessus. C'est une sorte d'énorme chien-lézard. Je parviens à interposer mon bâton entre elle et moi, et j'utilise mon bracelet pour la paralyser. Mais elle est coriace, si mon bracelet l'empêche de m'attaquer, elle continue à se débattre. Il me faut maintenant la mettre hors d'état de nuire, ou j'ai peur qu'elle ne me laisse pas en paix. Elle m'a sacrément griffé la garce, j'ai les deux bras et le ventre en sang, comme si j'avais besoin de ça !

C'est Chien-lézard qui m'aidera, il se jette sur la bête avec acharnement. Son bec acéré coupe la peau épaisse de la bête, disons loup-lézard. Elle ressemble un peu à une araignée aussi avec ses pattes qui se plient dans l'autre sens, ou à une sorte de serpent à pattes géant. En fait la créature la plus proche que je connaisse ce doit être l'alien de l'Alien 3, le truc qui court dans les couloirs. Bref, Chien-lézard la lacère, et moi je la maintiens tant bien que mal avec mon bracelet. Je n'ai pas le courage de me relever, et je laisse chien-lézard en venir à bout. Il lui faudra une bonne demi-heure.

J'en profite pour regarder où son Énavila et Sarah. Sarah va bien, je lui indique qu'il me faudra encore plusieurs heures avant d'arriver. Énavila est déjà bien loin, à plusieurs kilomètres, et elle avance à bonne allure.

Je me lève finalement, après avoir passer de la bave sur mes blessures. Je cherche une pierre acéré pour découper un bout de ma proie, mais pas moyen. J'utilise alors mes dents directement sur la bête. Je suis devenu un véritable animal sauvage ! La viande est chaude, c'est un régal, on dirait presque du poulet ! J'en mange plus que de raison, mon chien-lézard aussi, puis nous repartons doucement dans la pente.

Je croiserai de nombreuses bêtes, tout du moins mon bracelet les détectera, la plupart, apeurées, fuiront à mon approche. À croire que les animaux sortent la nuit. J'arriverai même à voir certains poissons dans la rivière, mais impossible de les attraper, même avec l'aide du bracelet.

Il me faudra près de dix heures et deux sommes avant d'arriver, en boitant, près de Sarah. Énavila et elle ont élu camp sur une grosse pierre, me rappelant notre bivouac quand nous sommes arrivées dans le cratère du village. Ah je donnerai cher pour être avec vous, Naoma et Erik ! Enfin, j'ai une belle brune et une belle blonde, c'est déjà ça. C'est quand même assez cool la congrégation, parce que même paumé au fin fond de la galaxie, on a quand même des jolies filles avec nous.

Sarah m'aide à monter à ses côtés, je suis éreinté. Toutes mes blessures me brûlent affreusement. Sarah n'est pas non plus en très bon état. Je lui présente chien-lézard, que j'aide à monter aussi sur le rocher.

- Je suis complètement mort, il me faudrait au moins un sixième pour me remettre.

- J'espère qu'Énavila retrouvera une partie de la caisse de survie, il y a des pansements réparateurs dedans. Ta blessure à la jambe risque de s'infecter sinon. Que te dis ton bracelet ?

- Ben, il dit que c'est pas top, mais je ne comprends pas tout, comme je n'arrive pas trop à lire.

- Tu me donnes l'accès ?

- OK.

Sarah regarde dans le vide et reste silencieuse un instant.

- Tes défenses immunitaires sont actives mais il ne semble pas y avoir d'infection. La plaie doit être propre.

- Oui j'étais dans l'eau, et j'ai beaucoup nettoyé, après je me suis fait les pseudo-bandages avec des bouts de ma combinaison.

- Ça serait quand même bien qu'Énavila retrouve une partie de la boîte de secours, il doit y avoir des pansements réparateurs à l'intérieur, ta blessure serait guérie plus rapidement. Tu ne peux pas courir, j'imagine ?

- Non ! Je peux à peine marcher ! J'ai mis un temps fou pour redescendre jusqu'ici alors qu'Énavila est montée en quelques heures.

- Elle a une forme spectaculaire. Je me demande si elle est déjà arrivée au vaisseau.

"Énavila, lui demande Sarah, en me mettant en copie, où en es-tu ?"

"Je ne retrouve pas ce fichu vaisseau ! J'ai remonté la rivière, ensuite il me semble que j'ai suivi en sens inverse le même chemin que nous avions pris, mais je n'ai pas retrouvé la clairière. Je suis en train de redescendre pour trouver la rivière qui passait près du vaisseau et la remonter."

"Normalement il va encore faire nuit pendant un moment, lui dis-je, mais fais quand même attention à toi, il y a d'autres bêtes la nuit aussi."

"Oui j'ai vu, mais pour l'instant elles ne m'ont pas trop ennuyé, et le bracelet fonctionne plutôt bien sur elles."

Je mange un peu de la viande qu'il reste, chien-lézard ne dit pas non non plus.

- S'il est apprivoisé, me dit Sarah, il faudrait essayé de l'inciter à retourner d'où il vient, ça nous permettrait peut-être de trouver un village.

- Oui, mais comment faire, il a l'air de vouloir rester avec nous.

- Il faudrait le perdre, il serait peut-être tenter de retourner chez lui.

- On le suivrait à distance ?

- Oui. D'un autre côté, s'il ne sait pas rentrer chez lui, on peut le suivre pour rien.

- Oui, il est peut-être plus sûr qu'on suive le fleuve, s'il y a un village il sera sans doute à proximité. Et si nous pouvons aller jusqu'au bord de mer, peut-être que nous aurons plus de chance là-bas.

- Mouais...

Sarah n'est pas très enjoué, je ne lui suis pas beaucoup plus. Difficile de savoir où aller et ce que nous avons trouvé. Maintenant que le vaisseau est détruit, plus moyen de nous soigner facilement et de trouver refuge. Et si chaque journée nous sommes attaqués par ces bêtes, nous risquons de ne pas faire long feu sur cette planète.

Je m'allonge pour un somme. Quelques nuages masquent les étoiles, la nuit est éclairée par deux petites lunes. La traînée réconfortante de la Voie-Lactée traverse le ciel. Je rêverai de ma prépa, où l'objectif des concours n'est pas tellement d'être sélectionner pour intégrer une école, mais plus de la retrouver, perdu sur cette planète, en haut d'une montagne, ou perdue dans la forêt... Plusieurs bêtes rodèrent autour de nous, mais Chien-Lézards et nos bracelets furent des protecteurs suffisants pour nous avertir à temps.

Jour 386

La pierre n'est pas ce qu'il y a de plus confortable pour dormir, heureusement que je me suis servi de Chien-Lézard comme oreiller. Il est plutôt content d'ailleurs, émettant une sorte de gloussement de satisfaction.

La supergéante rouge, un gros point rouge, à peine éblouissant, se lèvera quelques heures plus tard. Nous croisons les doigts avec Sarah pour qu'elle ne réveille pas les grillés et qu'Énavila ne soit pas inquiétée, mais sa lumière est bien blafarde, pas beaucoup plus lumineuse que les deux lunes dans le ciel.

Énavila a bloqué son bracelet, pourquoi, nous l'ignorons, mais il nous est impossible de savoir où elle est. Elle répondra tout de même à un appel, indiquant que tout va bien. Ne sachant trop que faire, j'en profite pour discuter avec Sarah.

- Tu as toujours travaillais dans ce labo qui surveillait la Terre, où tu as fait autre chose.

- Principalement dans le labo, mais il m'arrivait d'aller voir ailleurs quand j'en avais marre. Mais il n'y avait pas beaucoup d'autre chose à faire dans la Congrégation, et ma place au labo m'était précieuse.

- Mais, combien de temps tu es restais déjà, deux milles ans ? Tu pêtes pas un plomb à faire la même chose pendant deux milles ans ?

- 1371 ans, enfin oui, ça fait dans les 2170 années de la Terre. Non on ne s'ennuie pas. On ne s'ennuie pas parce qu'on suit la vie de centaines de personnes, des milliers de personnes. Je suis la vie de familles entières depuis des centaines d'années. J'ai toujours quelqu'un à retrouver, voir ce qu'il devient, ce qu'il invente. C'est passionnant de voir toutes les interconnexions entre les gens, les familles, les idées.

- Oui mais pendant deux milles ans ! C'est pas toujours un peu la même chose ?

- Tu ne te rends pas compte. Vous évoluez tellement vite ! Il y a tellement de choses à vérifier, à recouper ! Et puis dans la Congrégation ce serait largement pire.

- C'est quand même étrange que personne de la Congrégation n'ait été au courant, les secrets ça filtre forcément.

- D'ailleurs ça a filtré, et maintenant tout le monde est au courant.

- Oui, c'est vrai. Mais c'est resté secret plus de deux mille ans !

- Pas deux mille ans, l'expérience a débuté en 6374, il y a 6250 ans, 9900 ans pour toi. C'est vrai que beaucoup pensaient que nous ne pourrions garder cette expérience secrète. Il y a eu il y a environ trois mille ans une grande campagne d'assainissement, ou beaucoup d'expériences secrètes ont été découvertes et annulées. Mais l'expérience Terre est un peu particulière, parce que la Terre est très loin de la Congrégation, et dès le départ tout a été mis en oeuvre pour la protéger. De plus très peu de personnes ont été impliquées. Mais finalement le voile est tombé.

- À cause de moi...

- Un peu à cause de toi, oui, mais pas uniquement. Énavila, et sans doute d'autres personnes des planètes rebelles étaient au courant, ce sont elles qui ont tout déclenché. Même si tu n'avais pas été là, je ne donnais pas cher du futur de l'expérience.

- Et qu'est-ce qu'il va se passait, tout d'un coup les vaisseaux de la Congrégation vont se pointer et intégrer tout le monde dans le paradis éternel Adamien ?

- Il est difficile d'imaginer que le Congrès laisse l'expérience se poursuivre, mais la marche à suivre ne sera sans doute pas aussi brutale. J'imagine un premier contact avec les instances dirigeantes, et la mise en place d'une procédure évitant les révoltes, les révolutions ou les conflits.

- Oui c'est vrai que j'imagine que toutes les personnes opprimés pourront être tentées de réclamer vengeance avant que chacun ne trouve une place confortable sur une planète paradisiaque de la Congrégation.

- La terre deviendra sans doute un musée, une réserve naturelle, peut-être que les personnes ne désirant pas intégrer la Congrégation pourront y rester. Avant que qui que ce soit de la Terre de devienne membre, il faudra statuer, comme pour vous.

- Ça peut prendre des centaines d'années, à votre rythme ! Tout le monde sera mort depuis longtemps !

- Il y aura sans doute une mesure exceptionnelle. Un premier clonage pourra être fait pour que chacun soit à l'abris de la mort et de la maladie, puis les choses pourront allaient à leur rythme.

- Un clonage de toute le monde ! Mais il faudra des entrepôts énorme pour stocker 6 milliards de personnes !

- Pas plus que ce que nous pratiquons déjà. Dans la Congrégation il y a de l'ordre de quatre-vingt milliards d'initaux conservés.

- C'est vrai c'est logique, les clones on s'en fou, mais les initiaux il faut les conserver. Mais où sont peut stocker quatre-vingt milliards de corps ?

- Ils sont répartis ! Chaque planète à son stock, une partie en orbite, une partie au sol.

- Tu sais, pour conserver 2,1 milliards de personnes (1 tri-quatri), un cube de 750 mètres de côté suffit (4,5 tri pierres).

- Oui, mais c'est quand même une sacré organisation ! Surtout qu'il faut les déplacer quand la personne vient.

- Une fois adultes les gens n'utilisent plus trop leur initial. Ils sont stockés souvent en orbite, ou dans un endroit où la place ne manque pas. Et si la personne le désire, quelques jours suffisent pour le rapatrier.

- Oui, enfin, il faudrait construire tout ça sur la Terre, ça prendrait quand même du temps !

- Nous nous préparerions sans doute à l'avance. Mais cette discussion est sans doute sans objet, l'attaque de la Congrégation a dû tout remettre en question.

- C'est assez incompréhensible, qui voudrait attaquer la Congrégation ?

- C'est d'autant plus incroyable que l'attaque n'a pas été repérer. Adama est dans le coeur de la Congrégation, la seule explication d'attaque de vaisseaux repose sur une furtivité à l'épreuve de nos artificiels, ou une téléportation physique.

- C'est possible ?

- Théoriquement les artificiels ont démontré que oui, mais nous n'avons jamais pu le prouver par la pratique, la mise en place d'un téléporteur physique réel repose sur beaucoup trop d'entropie pour pouvoir être maîtriser par notre technologie.

- Pourtant vous n'évoluez presque plus, pourquoi, la téléportation physique ça arrangerait pas mal vos affaires, attendre trois jours à chaque téléportation est un peu ennuyeux.

- C'est vrai mais c'est relatif, trois jours pour plusieurs dizaines ou centaines d'années lumières (quinto-quadri pierres), ce n'est pas tant que ça, et quand on vie des milliers d'années, trois jours ne sont pas plus que quelques heures ou minutes pour toi.

- Mouais, pas convaincu, trois jours restent trois jours. En trois jours je me suis fait attaqué par Énavila, je suis passé au Congrès et la Congrégation s'est faite attaquée et la moitié des permanents du Congrès tués.

- C'est vrai que depuis ton arrivée ça bouge un peu.

Je passe en français :

- Ça rocke sévère, ouais !

- Je ne sais pas danser le rock, dit Sarah en souriant.

- Moi non plus, ou très mal... Et c'est pas gagné pour qu'on apprenne par ici, d'ailleurs on ne peut même pas écouter de la musique.

- Si, avec ton bracelet.

- Ah ? Il a des musiques incluses ?

- Il peut en créer automatiquement en fonction de ton humeur. Bien sûr il n'aura pas tes musiques préféré, mais les textes sont pas si mal. Parfois un peu trop 'artificiel', mais ça détend.

Sarah m'explique comment paramétrer le bracelet pour jouer de la musique. C'est plutôt bien fichu.

Énavila nous indique enfin qu'elle est sur le chemin du retour. Elle n'a pas trouvé d'autre moyen pour repérer le vaisseau que de remonter vers les cimes et pouvoir retrouver la zone du crash. Elle n'est pas très bavarde et semble exténuée.

Ma blessure me fait mal, je languis le retour d'Énavila. Elle n'a pas clairement détaillé ce qu'elle avait récupéré, j'espère seulement qu'elle aura retrouver des tissus régénérateurs comme ceux décrits par Sarah. Je vais plusieurs fois à la rivière pour nettoyer ma blessure, mais mes bandages sont désormais trop sale, de plus des petits insectes tournent autour, j'ai peur que quelques uns n'aient trouvé l'endroit un peu trop m'accueillant pour leur nichée.

Sarah n'a pas une grande pêche non plus. La viande de la bête n'est plus vraiment bonne. Je pense que nous commençons à subir les manques de notre alimentation déséquilibrée. Nous n'avons pas encore trouvé de fruits à réellement parler. Il y a bien quelques plantes dont les feuilles sont un peut gonflées et pourrait s'apparenter à des fruits, mais leur goût est extrêmement amer. Je rêve de retrouver les même délicieux fruits que nous avions sur Stycchia. À défaut je bois beaucoup d'eau, mais je me demande même si cette eau est finalement si potable. Je commence à désespérer. Ma jambe me fait souffrir, j'ai la migraine, faim d'autre chose que cette viande, j'ai du mal à dormir, et je n'attends même plus le jour avec envie, bien au contraire, s'il marque le retour des grillés.

Les heures d'attentes seront dures. Énavila arrivera finalement, très énervée. Elle en a de nouveau contre moi, me répond sèchement, sans que je comprenne vraiment pourquoi, me reprochant sans doute encore cette situation. Mais tout n'est pas si négatif, elle a retrouvé une bonne partie du contenu de la caisse, elle arrive donc très chargée, ce qui explique son état de fatigue et le temps qu'elle a mis. Elle a ramené six barres comme nous avions sur Stycchia dans les bâtiments, mis à part que désormais je saurai en faire usage de façon plus étendue grâce au bracelet. Grâce aux barres, qui prennent à peu près la forme que l'on désire, Énavila s'était constituée comme une combinaison une armure, qui lui permettait de les porter plus facilement. Elle ramène aussi deux combinaisons de survie, dont une qu'elle portait. Ce sont des combinaisons ressemblant à celle que possédait Sarah sur Terre. Malheureusement, celles-ci ne comporte pas d'abeille. Ce sont, d'après les explications de Sarah, d'anciens modèles qui assurent simplement une protection accru grâce à un très grande résistance et un champ de défense électromagnétique, plus puissant que celui des bracelets. Ces combinaisons sont aussi capable, dans une certaine mesure, de soigner, et nous en enfilons Sarah et moi chacune une. Énavila se contente elle d'une combinaison classique neuve.

La caisse contenait aussi des armes et des sondes automatiques. Des petits artificiels volants capables de découvrir le terrain et faire des analyses pour l'eau, l'air, la nouriture... Mais, le seul exemplaire qu'à retrouvé Énavila était en piteux état, sans doute à cause des décharges du dragon. Énavila l'a tout de même ramené, au cas où il soit capable de se réparer, mais il semble vraiment hors d'état de fonctionner. Quant aux armes, Énavila, bien qu'elle ait chercher plusieurs heures, n'en a trouver qu'une, qui semble toutefois encore fonctionner. Une sorte de pistolet à l'antimatière, qui propulse des microcapsules d'antiprotons qui s'anihilent quand on le désire.

Énavila nous a bien entendu négocier l'arme contre les deux combinaisons, de toute façon elle a la peau suffisamment épaisse et après tout c'est elle qui a tout ramener, elle peut bien prendre ce qu'elle veut. Les combinaisons sont très efficaces, et ma blessure sera guérie en quelques heures.

- Combien de temps ses barres fonctionnent-elles ?

- Ça dépend de l'utilisation, répond Sarah, mais elles contiennent une réserver d'antimatière comme source d'énergie, et elles ont l'air pleine, donc elle devrait tenir plusieurs années, même si nous les utilisons intensément.

- Mais ce n'est pas un peu dangereux d'avoir une réserve d'antimatière comme ça ? Ça ne peut pas nous péter à la figure ?

- Pas plus que dans les bracelets. Les anti-particules sont piégés de telle façon qu'une réaction en chaîne est difficilement possible. C'est plus dangereux de faire une mauvaise manipulation avec la barre que la faire exploser. Si elle devient instable elle a de toute façon un mode d'urgence où elle s'éloigne automatiquement.

- Une mauvaise manip ?

- Oui, ces barres sont un peu anciennes, elles n'ont pas de vérification de prise de forme, ce qui fait que tu peux te transpercer toi-même la poitrine si tu ne fais pas attention.

- Dommage que les combis n'aient pas d'abeille.

- Oui, ça nous aurait bien servi, ne serait-ce que pour repérer les environs. Si tu es montée au niveau des cimes, Énavila, tu as vu quelque chose ?

Énavila s'était allongé pour se reposer, mais elle ne s'est pas encore endormie.

- Non, répond-elle. Il n'y a que de la forêt orange. Il y a beaucoup de montagne, l'horizon de porte pas très loin.

- On va essayer de suivre le fleuve, alors, qu'est-ce qu'on peu faire d'autre ?

- Pas grand chose, répond Sarah tristement.

- Oui, suivre le fleuve, lance Énavila, énervée. Maintenant si vous pouviez parler avec vos bracelet, j'aimerai dormir quelques heures avant que l'on reparte, il faut profiter de la nuit.

- Tu penses qu'ils vont nous attaquer de nouveau dès que le jour va se lever.

- Sans l'ombre d'un doute.

- Tu en a vu, des cimes.

- Oui.

- Ils étaient endormis, comme autour du vaisseau ?

- Je suis fatiguée, on en reparlera plus tard... peut-être.

Sarah s'est aussi allongée. Je fais de même, Chien-lézard vient près de moi. Je somnole plus que je ne dors, je n'ai plus trop sommeil. J'ai enfilé une des combinaisons ramenées par Énavila, je suis au chaud et je sens ma blessure se guérir. C'est vraiment la galère d'être paumé dans ce trou perdu. En un sens je trouve ça plutôt sympa d'être seul avec deux bombes sexuelles dans un endroit inconnu, mais l'ambiance est tout de même significativement différente à celle sur Stycchia. C'est d'autant plus frustrant que le jour, le soleil, la lumière, auxquels je tiens temps, sont désormais synonymes de danger et de mort. J'ai bien peur que ma chance m'ait abandonné. Jusqu'à présent, c'est vrai, les choses étaient parfois catastrophique, mais jamais très longtemps, et la vie était plutôt cool. C'est vrai que j'en ai bavé, à Washington, Mexico, Sydney, Melbourne, sur Stycchia, Adama, mais bon, c'était quand même assez fun dans l'ensemble, ça finissait bien. Là c'est moins sympa, je vois moins comment on va pouvoir s'en sortir, et je pense que c'est un peu le même sentiment que j'avais sur Stycchia, quand nous ne savions pas du tout où nous étions et comment on pouvait faire pour revenir sur Terre. Sauf qu'à l'époque je me consolais dans les bras de Pénoplée, alors que là je me fais bouffer chaque jour par des sales bestioles.

Pénoplée, je suis aussi embêté de t'avoir quitté sur un malentendu. J'aimerais tant que tu ne m'en veuilles pas. C'est un peu désespérant de toujours perdre les gens qui nous sont proches, de toujours devoir les quitter. David, Deborah, Patrick, Naoma, Erik, Pénoplée... Pauvre David, dire qu'il est mort à cause de moi... J'espère que Deborah va bien, ma Deborah...

Je finis par m'endormir pour rêver, encore et toujours, de cette prison dans laquelle je suis, de ce trou noir d'où je ne sais comment sortir, de cet enfer vers lequel je descends chaque jour un peu plus sans savoir comment revenir vers la lumière, lumière que je crains, désormais...

Jour 387

Énavila dort beaucoup plus que prévu, et j'en profite pour chasser quelques bestioles avec les barres, c'est d'une facilité déconcertante. Ces barres sont vraiment formidables, je peux les transformer en épée ou en bouclier en un clin d'oeil, elle peut vraiment prendre n'importe quelle forme, se glisser sur moi pour me faire une armure, devenir une échelle, un parapluie, une lance ou tout autre objet auquel je peux penser. Elles possèdent toutefois des limitations, d'une part la matière qui la compose est limitée, et bien sûr on ne peut pas générer un objet qui nécessite plus de matière ; on peu jouer sur l'épaisseur, mais cela au risque d'augmenter les chances de cassage.

La combinaison est vraiment fantastique, j'ai une vision nocturne parfaite, je me croirais presque en plein jour. Elle possède en plus une possibilité de camouflage qui me rend presque invisible pour les bestioles à partir du moment que je ne suis pas trop dans leur axe de vision, ce qui me permet de rapidement récupérer une bonne dizaine de petite bête. Et, cerise sur le gâteau, elle me permet d'allumer un feu ! Nous en sommes tellement content avec Sarah que nous n'attendons pas Énavila pour manger nos premiers oiseau-lézards au barbecue.

Sarah est vraiment jolie, autant tous les gens de la Congrégation sont beaux, possèdent généralement un corps parfait, autant je ne les trouves pas tous attirant, ou du moins à mon goût. Mais Sarah, peut-être parce qu'elle me rappelle aussi un peu la Terre, quand elle me venait en aide, Sarah est jolie, vraiment jolie, un peu réservée, à la fois sûre d'elle et un peu timide. J'ai l'impression qu'elle cache quelque chose, qu'elle ne veut pas tout raconter, ou simplement veut-elle rester discrète. Elle a dû se cacher toute sa vie, et ne jamais dévoiler ce qu'elle faisait, elle a sans doute développer un sens accru du secret. Elle doit se méfier de tout le monde et de tout ce qu'elle dit, c'est sans doute la raison qui fait que je dois insister et la cuisiner pendant un bon moment à chaque fois que je veux qu'elle me parle un peu.

- Pourquoi Goriodon n'était pas au courant pour la Terre, les précédents chef du Congrès le savaient, non ? C'était qui avant Goriodon, c'était Teegoosh, juste avant le Libre Choix ?

- Oui, tu commences à connaître l'histoire de la Congrégation, c'était Teegoosh. Il était au courant, enfin je crois.

- Comment tu as su toi ? Comment tu es rentrée ?

Sarah hésite, voilà un nouveau sujet sensible.

- Je, et bien, je travaillais, avant le Libre Choix, dans un labo de recherche biologique. Et puis, j'ai subi, un peu à mon insu, une sorte de qualification, et puis on m'a finalement parlé de l'expérience, et j'ai tout de suite accepter.

- Mais le rôle dans l'expérience Terre, c'était pas vraiment de la biologie, si ?

- C'était surtout des gens compétents et discrets, près à passer leur vie dans l'oubli et le secret. Après le pôle d'activité n'était pas prépondérant. Mais tu te trompes, il y avait pas mal de validation biologique dans l'expérience Terre, nous sommes maintes fois intervenu sur le métabolisme humain pour raccourcir correctement son espérance de vie, et...

- Moralement c'est pas un peu... "dur" de traiter des hommes comme des cobayes, de faire des expériences sur eux, de les modifier, de les laisser mourir dans des conditions atroces ? Comment vous réagissez face aux guerres, aux massacres ?

- C'est eux ou nous.

- Comment ça ?

- L'expérience Terre, d'une part c'est une expérience, et avant d'y venir on en accepte les règles. On sait l'objet et les conditions. Ensuite c'est notre seule façon de réchapper à la morosité de la Congrégation, ou on devient, en quelque sorte, prisonniers d'un paradis artificiel éternel. Pour beaucoup le choix ne se pose pas vraiment. Mais... C'est plus sur nous qu'on pleure, c'est plus de voir quelle cruauté l'homme peut avoir qui nous désespère, c'est plus de se rendre compte jusqu'où peut aller l'homme qui nous oblige à poursuivre, qui nous force à ne pas intervenir, savoir vraiment, quand on ne biaise pas les cartes, jusqu'à quel niveau l'homme peut arriver.

Elle se tait un instant.

- Parfois j'ai espéré, pendant la guerre froide, qu'une troisième guerre mondiale se déclare et qu'on en finisse. Mais j'ai aussi de l'espoir, l'espoir que le bien triomphe, que la raison triomphe... L'expérience Terre ce n'est plus un question de cobayes, et nous n'intervenons plus depuis très longtemps, l'expérience Terre désormais c'est nos vies, c'est nous, c'est de savoir si c'est les bons ou les mauvais côtés de l'homme qui vont triompher... Dans le labo, on ne vit plus que pour ça, on ne vit plus que pour regarder vos vies, vous regarder évoluer, vous regarder profiter de quelque chose que, paradoxalement, nous n'avons plus, la liberté.

- Pourtant, je... Dans la Congrégation c'est plutôt cool la vie ?

- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu n'y es resté que quelques sixièmes, c'était nouveau pour toi, tu découvrais, mais après cent, cinq cents, mille ans ? À tourner en rond ? L'homme n'est pas fait pour vivre dans l'aisance, ça le corrompt. Il faut de la difficulté, il faut qu'il se bâte pour avoir l'impression de vivre, l'impression de servir à quelque chose, c'est affreux de n'être rien, de ne rien faire, d'être...

- Je comprends, je pense que tu as raison, si on n'a pas de défi, ou d'espoir de changer les choses, d'avoir quelque chose de mieux, de différent, on doit perdre un peu le goût à la vie. Mais comment ça se passe, alors, pour tous les habitants de la Congrégation, comment ils font pour ne pas péter un câble ?

- Ils sont morts !

- Ils sont morts ? Comment ça ?

Est-ce qu'il y aurait quelque chose de caché ? Est-ce que la Congrégation serait vraiment un truc après la mort, est-ce que les morts de la Terre apparaîtraient dans la Congrégation ? Mon Dieu, se serait...

- Ils sont morts dans le sens où ils ne vivent plus vraiment, ils restent dans leur éternité à attendre que le temps passe... C'est vous qui vivez, c'est vous qui êtes dans la vrai vie, nous nous sommes dans votre paradis, et nous vous regardons avec envie, c'est vous qui avez de la chance, pas nous.

Je reste un instant à méditer sur les paroles de Sarah. Ce n'est sans doute pas aussi extrême. Je ne suis pas sûr qu'à choisir je ne préfère pas la vie dans la Congrégation à ma petite vie, pourtant bien tranquille, que j'avais à Paris. Sarah ne se rend pas forcément compte de la chance qu'ils ont. Pas de travail, pas de maladie, une vie quasi éternelle, et tant de choses à apprendre et à découvrir !

Je mange le reste de mon oiseau-lézard en silence, je ne serais pas contre un peu d'assaisonnement ou un peu de verdure. J'ai bien tenté de ramasser quelques unes de ces herbes, mais pas une ne semblent comestibles, en plus d'avoir un goût extrêmement amer. Pff, quelle galère...

Énavila nous rejoint en silence alors que nous étions Sarah et moi plongés dans nos pensées en grignotant les os de nos oiseaux-lézard. Ce ne sont d'ailleurs pas des os à proprement parler, des sorte de bâtonnets un peu souples, plats, grisâtres. Énavila se met trois bestioles à griller, elle n'est pas très bavarde.

- Bien dormi ?

- Me prends pas la tête, ok ?

- Putain mais jamais t'arrêtes d'être conne ! lui dis-je, passablement énervée de son attitude.

- Ylraw a raison, on est suffisamment ennuyé pour ne pas en plus que tu rendes les choses plus difficile. C'est quand même ta faute si on est là !

- Ma faute ! s'énerve Énavila, et puis quoi encore, c'est toi qui a décidé de venir vers cette planète de merde !

- Pour recharger les batteries, pas s'y poser ! Moi je voulais repartir vers la Congrégation !

- Mon cul oui, c'est toi, non Ylraw plutôt ! C'est lui qui nous a foutu dans ce merdier !

- Mais tu délires ! lui rétorque Sarah qui s'est éloignée un peu et s'est levée. Il a dormi tout le long, comment veux-tu qu'il est fait quoi que ce soit ! C'est toi qui est devenue folle et qui m'a fait perdre les commandes !

- À cause de lui ! Tu n'as toujours pas compris que c'est lui qui dirige tout ici !

- Mais n'importe quoi, il a manqué de se faire tué je ne sais pas combien de fois, et moi pareil ! Personne ne dirige rien ici, il faut que tu redescendes sur terre, t'es complètement dans ton délire.

- Mon délire ! Je délire peut-être mais moi je suis franche, je ne fricote pas avec Goriodon.

- C'est le chef du Congrès, à qui voulais-tu que je parles de ça ? À toi directement, peut-être ?

- C'est pas la première fois que tu couches avec le pouvoir, espèce de salope, t'as pas fait pareil avec Teegoosh, peut-être, pour pouvoir venir dans l'expérience Terre ?

Sarah n'en peut plus et se rue sur Énavila.

- Salle chienne ! Tais-toi, tu ne sais rien, tu ne comprends rien, tu inventes tout !

Énavila se lève et se recule pour éviter Sarah. Je me lève aussi, prêt à les séparer.

- Ah oui ? Ose me dire que tu n'as eu aucune relation avec Teegoosh, allez ! Je suis sûre que tu as couché avec lui !

Sarah se calme et se recule un peu, complètement hors d'elle.

- T'es vraiment... T'es vraiment odieuse... Comment tu peux affirmer des choses pareilles.

- Vas-y, dis-le, affirme haut et fort que tu n'as jamais couché avec Teegoosh !

- Je n'ai jamais couché avec Teegoosh ! C'est ridicule !

Sarah est sincère. Énavila se tait un instant, lui lançant des regards de colère, sans doute déçu de ne pas avoir deviner juste.

- Tu mens, reprend-elle, je suis sûre qu'il y a quelque chose entre toi et Teegoosh !

J'interviens finalement.

- Bon on va peut-être en rester là, non ? À moins que vous préfériez vous battre ?

Elles ne me regardent même pas, continuant à se lancer des regards noirs.

- Vous êtes chiantes à toujours vous énervées bordel ! Vous pouvez pas rester cool un peu ! C'est quoi votre problème, mince, à vous les nanas de la Congrégation, à toujours vous prendre la tête, les filles de la Terre sont plus cools.

Je me rassois près du feu, y rajoute quelques branche et me met à griller un nouvel oiseau. Après tout qu'elle fasse leur vie ! Énavila reprend sa brochette et se remet à manger avec appétit. Sarah s'approche aussi du feu, et s'assoit sans dire mot. Nous restons silencieux pendant une dizaines de minutes, les bruits de la nuit, partiellement masqués par le crépitement du feu et le bruit de la rivière, nous rappelle que nous sommes entourés d'inconnu, de hululements étranges, de grognement inquiétants... Mais il ne nous faudra pas trop tarder, si nous voulons avancer avant le lever du jour, même si nous ne savons pas vraiment où aller :

- Étant donné que nous avons du feu, on pourrait peut-être faire cuire de la nourriture en avance, pour pouvoir marcher plus longtemps, en plus si nous devons nous cacher pendant les quatre jours où il fera jour, il nous faudra des réserves.

- Il vaut mieux qu'on marche le plus léger possible, reprit Sarah, il doit rester encore deux jours de nuit, on peut tenter de marcher le plus possible, et de simplement trouver une cachette et faire des réserves quand le jour commencera à se lever.

- Oui, tu as raison, c'est sans doute plus malin, je lui consens.

Énavila ne dit rien, elle approuve sans doute en silence. J'ai vraiment du mal à comprendre pourquoi elle est toujours autant sur les nerfs, et pourquoi elle considère que je suis responsable de tout ce qui nous arrive. Qui ou quoi a bien pu lui ancrer cette idée dans le crâne aussi fortement ? Bref, la fin du repas se fait sans de nouvelles altercations. Nous récupérons nos affaires, Chien-lézard termine joyeusement nos restes, et une fois qu'Énavila a terminé de manger, nous nous mettons en route sans tarder. Nous ne sommes pas trop chargé, nous transformons les barres de façon à pouvoir les porter facilement. Sarah et Énavila les portes autour de la taille ou autour des cuisses, moi, plus habitué à mes randonnées, je préfères les utiliser en bâtons pour m'aider à marcher.

Nous marchons plusieurs heures sans dire mot, Sarah et moi tentant de suivre le rythme effréné d'Énavila. Après six heures de marche ininterrompue, nous arrivons enfin à négocier une pause de quelques minutes. Le paysage ne change guère, nous suivons la rivière, qui prend de plus en plus l'allure d'un fleuve désormais, serpentant au milieu des grands arbres. Nous avons pratiquement contourné la barre montagneuse sur laquelle nous nous sommes écrasés, mais notre horizon reste une succession de colline et de petite montagne. En regardant derrière nous, nous avons tout de même l'impression que nous avançons vers les plaines, les hautes montagnes laissant place à un relief plus doux.

Nous n'avons droit qu'à guère plus de vingt minutes de pause, déjà Énavila se remet en route. Ma blessure est presque guérie et elle ne me handicape plus vraiment. Je reste néanmoins avec Sarah, un peu derrière, histoire de forcer Énavila à modérer un peu son allure. À plusieurs reprises elle part devant, nous ne la voyons pas pendant plusieurs heures, puis nous la retrouvons assises sur un rocher à nous attendre. Ça me fait sourire parce que je faisais un peu de même quand nous faisions de la randonnée avec Damien, Pixel et Guillaume.

J'aimerais bien discuter avec Sarah, mais nous devons fournir pas mal d'efforts pour avancer, et je me dis que nous aurons tout le temps, pendant les quatre jour de soleil, pour nous raconter nos vies, terrés dans notre cachette. Je me demande d'ailleurs bien où est-ce que nous allons pouvoir nous cacher, il nous faudrait trouver une grotte, parce que si nous montons dans un arbre, les chiens-lézards grillés pourront nous atteindre, sans parler du dragon électrique. J'ai quand même du mal à croire que cet animal existe vraiment, ce truc énorme, volant, lançant des éclairs, c'est difficilement crédible, est-ce qu'il pourrait être une machine ? Pourrait-on se trouver dans un virtuel ? Est-ce que le géant bleu ne nous aurait pas téléporté ailleurs mais simplement tués ou capturés et enfermé dans un virtuel ? Je fais part de mon hypothèse à Sarah, mais il est vrai que l'envisager ne nous avance pas à grand chose, virtuel ou pas nous sommes dans de beaux draps, et je ne crois pas qu'aucun d'entre nous ne soit près à se tuer pour confirmer ou infirmer cette éventualité.

Cette possibilité me séduit assez, toutefois, elle expliquerait toutes les incohérences que nous trouvons, le saut dans l'espace, cette planète inconnu, ces bestioles fantastiques... Et elle ne nous renseigne pas beaucoup plus sur les intentions de ce géant bleu. J'aimerais vraiment savoir ce que sait Énavila de cette histoire. Elle a déjà rencontré ce gars, pour quelle raison ? Que lui a-t-il dit, est-ce que c'est lui qui l'a montée contre moi ?

Après de nouveau quatre ou cinq heures de marche, Sarah et moi n'en pouvons plus, nous imposons une pause à Énavila. La progression sur les rives du fleuve est assez aisée, et nous avançons sans doute à quatre ou cinq kilomètres par heure, ce qui nous fait entre quarante et cinquante kilomètres parcouru depuis notre départ. Pendant que nous préparons un feu, Énavila va chasser ; elle revient rapidement avec de quoi faire un bon festin, au boucan que nous avons entendu, et vu l'allure de ses prise, elle a dû s'amuser un peu avec son pistolet.

- Ça fait de sacrés dégâts, ton machin, bientôt il ne reste plus rien à bouffer, c'est plus propre avec les barres et une bonne électrocution.

- Oh ça va ! T'auras de quoi manger, stresse pas, j'ai bien le droit de me détendre un peu, tu préfères que je passe mes nerfs sur toi ?

- Non pas vraiment. Ça marche comment ce pistolet ?

- Rien de bien compliqué, répond Sarah, il contient un réservoir de micro-capsules qui confine des portions d'anti-métal ionisé, de façon à pouvoir le maintenir par un champ électromagnétique. Ces micro-capsules sont propulsées à l'intérieur de petites aiguilles à très haute vitesse. Un détonateur permet de les faire exploser.

- Mais c'est pas dangereux ? Il y a un réserve d'antimatière dans le pistolet ?

- Oui il faut beaucoup d'énergie pour produire de l'antimatière, le pistolet possède une réserve, mais il faut le recharger après un certain temps, toutefois l'antimatière est très puissante, 12 microgrammes d'antimatières (six bi-quadrièmes de pierre) suffisent à tout faire exploser cinq mètres à la ronde (six pierres).

C'est toujours la même galère avec ses unités, j'ai un peu du mal à me rendre compte, enfin bon je comprends bien que avec pas beaucoup on peut faire péter un gros paquet.

- On ne peut pas le recharger, donc, une fois vide il ne nous sert plus à rien ?

- Si tu sous-entends que je devrais l'économiser, va te faire foutre, c'est mon jouet, rétorque Énavila au quart de tour.

- Je ne sous-entends rien du tout, je cherche à comprendre comment ça marche.

- Mon cul !

- Va te faire, Énavila, y'en a marre que tu nous agresses sans arrêt.

- Tu devrais être content que je ne m'amuse pas sur toi.

- Tu devrais peut-être le faire, ça m'éviterait de me prendre la tête avec une sale conne dans ton genre, t'es qu'une merde, tu n'as aucun contrôle de toi, tout ce que tu sais faire c'est péter les plombs et tout faire foirer.

Je suis resté calme et froid en disant cela, et elle a continué à manger tranquillement, se contentant d'un "Je t'emmerde" même pas agressif. Je ne poserai pas plus de questions sur ce sujet, même si j'en ai plusieurs qui me trottent dans l'esprit. Je mange avec appétit trois bestioles et demi, et, une fois rassasié, donne la moitié de ma quatrième à Chien-lézard, qui attendait patiemment sa part. Il a vraiment été éduqué, par qui ? Après mon copieux repas, même s'il n'était pas très varié, je me confectionne une couche en retirant quelques pierres pour ne pas me casser le dos. Sarah et Énavila échange quelques mots, rien de bien intéressants, je regarde un instant la voûte étoilée, la super-géante route bien loin de nous, et je m'endors rapidement, la marche m'a épuisé.

Énavila me réveille six heures plus tard, pour nous remettre en route, Sarah est déjà debout. Elles ont rallumé le feu et fait cuire de nouveaux quelques bêtes, je me force à en manger deux, puis nous partons, au pas de course, derrière Énavila qui continue à imposer son rythme effréné. Le paysage change légèrement, le relief est de moins en moins important, et de nouveaux types d'arbres apparaissent. Après plusieurs heures de marche nous devons faire un large contour pour pouvoir continuer à suivre le fleuve, un éboulement géant en a changé le cours, et cela semble assez récent. Des centaines d'arbres ont été déracinés et possèdent encore leur feuillage jaune, suggérant que la catastrophe s'est passés il y a peu. Le cours du fleuve a été barré par l'éboulement, créant une sorte de barrage entraînant la formation d'une retenue d'eau relativement conséquente. La vallée, pourtant large, est complètement sous les eaux, et il nous faut remonter sur les flancs de la montagne pour pouvoir passer par dessus le tas de roche et de pierres. C'est un pan entier de la montagne qui s'est effondré, et notre progression est beaucoup plus difficile dans l'immense pierrier ainsi formé, d'autant que des arbres déracinés bloquent souvent le passage. Finalement, nous arrivons à trouver un chemin vers le lit du fleuve, presque sec. Le fleuve n'a semble-t-il pas encore suffisamment remplie la vallée pour passer par dessus l'éboulement, et seul quelques filets d'eau s'échappe de ce nouveau barrage naturel. Espérons qu'il ne cède pas alors que nous suivrons le cours du fleuve...

Le temps perdu à contourner l'éboulement est gagné par la suite, car la marche dans le lit du fleuve est facile. Nous n'avons pas vraiment quoi que ce soit à rattraper, mais nous accélérons quand même naturellement le pas comme pour récupérer le temps perdu, pour ne pas prendre du retard sur la distance que nous aurions hypothétiquement parcourue si cet éboulement n'avait pas eu lieu.

Mais cette course ne fait que nous épuiser d'autant plus vite, et après six heures de marche Sarah jette l'éponge et s'arrête. J'aurais pu marcher encore une heure ou deux, mais dans la mesure où nous ne savons même pas où nous allons quel importance de s'arrêter maintenant ou plus tard. Énavila voudrait encore continuer, mais nous parvenons à la dissuader d'aller plus loin pour nous attendre ensuite.

- Il fera jour dans combien de temps, deux jours environ ?

- Oui, je pense, me répond Sarah. D'ailleurs il vaudra mieux qu'on remonte un peu vers les hauteurs, demain, pour trouver une cache, il jamais je barrage cède, on sera en sécurité.

- Il peut céder à tout moment, lui réponds sèchement Énavila, c'est pour ça qu'on ferait mieux d'avancer.

- Je suis fatiguée, OK ? J'en peux plus, continue si ça te fait plaisir, mais moi je me repose un moment.

- Coupons la poire en deux, leur dis-je en tentant de calmer la situation, on mange un bout, on dort deux sixième, et on repart.

Qui ne dit mot consens, et avant que je ne décide, Énavila part déjà chercher à manger. Je récupère ou découpe du bois pour le feu, j'avoue que de transformer ces barres en épée pour découper des branches m'amuse comme un petit fou. D'un autre côté j'ai toujours eu une préférence génétique pour le coupage de bois, je pense que bûcheron est sans doute le métier qui me convient le plus, quoique je ne crache pas sur boulanger.

Nous reprenons un peu le moral, voilà trois jours que nous n'avons pas été attaqués, les barres et les combinaisons rendent la chasse et la confection du feu un jeu d'enfant.

- Ça serait cool qu'on trouve des trucs à mélanger avec ses bestioles.

- Comme ? demande Énavila.

- Je sais pas, du sel, des légumes ?

- On peut peut-être en récupérer dans nos urines, fait remarquer Sarah.

- Si on en mange pas tu crois qu'on en pisse ? lui lance Énavila.

- On doit bien en manger un peu dans ces bêtes, dis-je, mais de toutes façon c'est plus des fruits et des légumes qu'il nous faudrait pour améliorer notre alimentation.

- Je n'en suis pas sûre, rétorque Sarah, vous avez sur Terre un rapport à l'alimentation assez étrange, nous n'avons pas vraiment connu de période similaire sur Adama. En fait nous sommes très rapidement passé à de la nourriture purement végétale, puis artificielle contrôlée, après l'éradication des reptiliens. Mais je ne suis pas sûre que la viande ne couvre pas la plupart des besoins.

- Ce n'est pas forcément super bon de manger que de la viande, non ? lui fais-je remarquer.

- Surtout celle-là, reprend Énavila, on sait même pas si c'est vraiment comestible, cette merde.

- En tout ça on a tenu un demi petit-sixième avec, c'est déjà pas si mal, dit Sarah, mais je ne sais pas si nous tiendrons indéfiniment rien qu'en mangeant cela.

- Indéfiniment ! s'écrie Énavila, j'ai pas l'intention de rester là indéfiniment !

- Jusqu'à ce qu'on construise un vaisseau spatial pour se barrer d'ici, dis-je, ce qui revient un peu au même.

- T'inquiète de savoir que je risque de devoir te supporter, ça va me motiver pour fabriquer de quoi retourner dans la Congrégation en moins de deux.

- Je prie le ciel pour que ce soit vrai, tiens d'ailleurs je vais m'asseoir plus près de toi, des fois que ça te motiverait.

- T'es con ! me lance Énavila en me poussant sur le côté.

Elle sourit, Sarah aussi, moi aussi, ce jour est à marqué d'une pierre blanche. Je reprends ma place et nous terminons le repas joyeusement. Nous nous couchons ensuite tous les trois pour une sieste qui deviendra presqu'une nuit.

Jour 388

Quoi qu'en dise Énavila elle est aussi fatiguée, et elle ne nous réveille que cinq heures plus tard. Une grosse lune s'est levée et nous éclaire considérablement. Nous avons un peu peur que cela ne puisse réveiller les grillés et nous plions rapidement bagage, sans même manger de nouveau quelque chose.

Nous hésitons entre courir dans le lit asséché du fleuve ou remonter dans l'objectif de trouver une cachette. Finalement, après deux heures, nous ralentissons la cadence et reprenons un rythme plus soutenable, aucun signe de grillés dans les environs.

Concernant les animaux "classiques", nous n'avons guère à nous soucier, nos combinaisons les détectent à plusieurs centaines de mètres, et nous pouvons tranquillement les contourner quand ils nous semblent un peu trop gros ou trop nombreux. Chien-lézard fait aussi office de bon radar, et nous avertit promptement quand il sent la présence de quelques bêtes rodant à proximité.

Mais soudain, nous sommes pris de panique en apercevant un énorme oiseau passer devant la plus grosse lune. L'identifiant rapidement au dragon électrique, nous allons nous tapir dans la forêt. Il ne semble toutefois pas s'intéresser à nous, mais à quelques chose beaucoup plus en avant. Cela nous rassure et nous donne aussi l'espoir de découvrir peut-être un village, ou au moins un élément digne d'intérêt. Quand nous sommes rassurés qu'il ne s'en prendra pas à nous, nous reprenons la route d'autant plus rapidement que nous sommes curieux de savoir ce qui attire ce dragon.

Mais deux ou trois heures de course ne nous rapprocheront pas suffisamment, et nous faisons une nouvelle pause, routinière désormais, Énavila s'occupe de la chasse, je fais le feu avec Sarah. Je suis frustrée qu'Énavila ne décide de dire ce qu'elle sait, elle garde bien précieusement son secret, se méfiant toujours autant de moi. Sarah m'a au moins renseigné sur l'expérience Terre, mais je n'arrive toujours pas à comprendre le rôle d'Énavila, pourquoi m'a-t-elle donnait ce bracelet ? Qu'est-ce quelle faisait sur la Terre, comment y est-elle allée en déjouant la surveillance du labo ?

- Nous l'avons bien remarqué, répondit Sarah, c'est d'ailleurs pour cette raison que je suis intervenue par la suite. Il nous a fallu un certains temps pour faire le lien avec toi.

- Est-ce qu'elle est venu pour la première fois à Paris ? Est-elle venue avant, ou après ?

- Nous ne savons pas, nous l'avons trouvée un peu par hasard, et c'est bien possible qu'elle soit venue sur Terre à plusieurs reprise, même depuis plusieurs années.

- Mais qu'est-ce qu'elle y faisait ?

- Aucune idée, nous ne l'avons jamais observée directement, quand nous avons eu des doutes, nous avons décidé de rapprocher un satellite d'observation, et c'est grâce à lui que nous t'avons finalement trouvé, mais il nous a fallu quinze jours (un petit sixième).

- Comment m'avez-vous trouvé ?

- Par recoupement, l'explosion au Texas, la fusillade au Mexique, et l'émetteur.

- Ah oui, c'est vrai, avec l'émetteur c'était facile...

- Quel émetteur, demande Énavila qui revient.

- Rien d'important.

- Regardez, j'ai trouvé une nouvelle bête.

- Elle est grosse ! s'étonne Sarah.

- Oui, pourtant c'était facile de l'attraper, elle ne s'est même pas défendue, pour autant elle ne dormait pas.

- Il va falloir la découper, fais-je remarquer, on arrivera pas à la faire cuire sinon.

Avec les barres transformées en épées, la découpe ne fut pas trop difficile, et nous attendîmes patiemment devant les appétissants morceaux qui grillaient sur notre feu. Malheureusement, quand, chacun une bonne part en main nous nous fûmes souhaitées bon appétit, nous déchantâmes bien vite en vomissant toutes nos tripes à la première bouchée, nos bracelet en panique.

Cette saleté n'est pas du tout comestible ! Nous l'aurions trouvé si nous avions eu la présence d'esprit de la goûter une fois crue, et pas tous en même temps ! Nous devenons trop confiant, et c'est bien fait pour nous !

Nous nous précipitons à la rivière, pour boire, mais une bouchée de cette saleté nous a vraiment tous les trois mis KO, nous vomissons encore pendant bien une demi-heure tout ce que nous pouvons ingurgiter.

- Saleté ! Tu m'étonnes que la bête n'avait pas peur !

- C'est clair, j'aurais dû m'en douter, quelle conne.

- En tout cas à l'avenir on prendra soin de goûter un peu avant de mordre à pleines dents !

Cette idiotie nous fera bien perdre trois heures, trois heures à nous remettre, et trois heures avant que nous puissions enfin remanger quelque chose, mais nous avons tous l'estomac en vrac. Finalement nous décidons de repartir sans même dormir, pour oublier ce mal au ventre, mais deux heures plus tard nous tombons de fatigue, et nous faisons une nouvelle pause. Six heures de repose, et nous nous sentons enfin fin prêts pour un bon petit déjeuner.

Plus de traces du dragon, mais nous avançons tout de même rapidement pour espérer trouver ce qui l'attirait, peut-être une ville ou un village, peut-être d'où vient Chien-lézard.

C'est épuisant, Énavila donne un train d'enfer, et si nous sommes motivés, Sarah et moi, pendant les quelques heures après que nous avons commencé à marcher, c'est ensuite rapidement la fatigue et la douleur qui reprennent le dessus. Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour manger un truc sucré ! C'est tout de même incroyable que nous ne trouvions aucun fruits. Que mange les herbivores, uniquement ces feuilles oranges au goût si amer ? Après tout s'il y a des ressemblances avec la végétation terrestre, c'est vrai que c'est un écosystème complètement différent, j'ai d'ailleurs du mal à croire que nous puissions survivre, nous n'avons rien à voir avec cet écosystème, nous ne devrions pas pouvoir assimiler la viande de ces animaux, cette eau au goût étrange.

- Comment ça se fait, Sarah, que nous survivons ici, qu'on peut respirer, boire, manger ?

- J'ai du mal à l'expliquer aussi, c'est la première fois que je vois une planète avec une flore et une faune qui ressemble à celle de la Congrégation sans être identique. D'habitude c'est toujours extrêmement différent.

- C'est un hasard, tu crois ?

- J'espère que non.

- Comment ça ?

- J'espère que ça veut dire que cette planète à connu un début de terraformation.

- Qui aurait mal tourné ?

- Je ne sais pas, je me dis qu'il serait envisageable qu'un terraformation ait été entreprise, et que les conditions de la planète, la richesse dans le sol en souffre, ou en silicium, le rythme jour nuit, la proximité de la planète autour de laquelle nous gravitons, enfin, que des éléments aient obligé les artificiels à adapter un peu l'environnement.

- En modifiant les plantes et les animaux ajoutés ?

- Oui, en changeant un peu génétiquement les espèces pour leur permettre de survivre ici.

- Mais, est-ce que c'est possible ?

- J'en sais rien. En tout cas dans la Congrégation nous ne savions pas faire, mais nous sommes ici vraisemblablement en dehors de la Congrégation, et les artificiels ont pu évoluer librement, sans que nous sachions exactement ce qu'ils sont devenus, peut-être ont-ils réussi cet exploit.

- Mais ? Ils l'auraient fait pour quoi ?

- Je ne sais pas, pour eu, pour les hommes de l'Au-delà, peut-être...

- Ça voudrait dire que cette planète est habitée ?

- Ça ne veut pas dire grand chose, ça peut vouloir dire qu'il y a des milliers d'années une tentatives de terraformation a eu lieu, mais tout aussi bien c'est peut-être les espèces qui se sont adaptés toutes seules, que la terraformation a échoué et que les hommes sont partis depuis bien longtemps.

- Tu penses que les hommes auraient pu tenter de terraformer, mais que ça aurait foiré et ils seraient partis ? Mais les espèces végétales et surtout animales ne peuvent pas s'adapter si vite !

- La vie a parfois des ressources surprenantes, si la terraformation a commencé à marcher, puis si les conditions ont changé brutalement, l'adaptation des espèces peut être très rapide. Et puis cela a très bien pu se passer il y a plus de 13000 ans (8000 années d'Adama) !

- Oui remarque en 13000 ans il peut quand même se passer des trucs.

- 13000 ans c'est rapide pour une adaptation complète, mais nous ne savons pas de quoi ça a pu partir. En tout cas je ne crois pas que cette planète soit ainsi d'origine, c'est trop semblable à une planète humaine pour que nous y soyons complètement étrangers.

- Mais alors, on peut peut-être espérer trouver des hommes, ou alors observent-ils toujours cette planète, on peut tenter de se faire repérer ?

- C'est notre seul espoir, nous n'arriverons jamais à rien, seul ici, nous ne vivrions pas passer longtemps pour fabriquer quoi que ce soit à part, au mieux, une machine à vapeur.

Et même une machine à vapeur, me dis-je, il nous faudrait fondre du fer, le mouler... Un bâteau à vapeur, peut-être, pour nous déplacer sur les cours d'eau. Ce serait sans doute le plus intelligent, il n'y a pas de route de toute façon.

- D'ailleurs on aurait pu construire un radeau pour descendre le fleuve.

- Oui c'est vrai, j'en ai parlé avec Énavila, elle a dit que dans un premier temps il valait mieux qu'on s'éloigne le plus rapidement possible de la zone du crash, pour tenter de fuir les grillés.

- C'est pas bête, on pourra faire un radeau plus tard, de toute façon il ne nous aurai pas beaucoup servi, vu que le fleuve est coupé.

- Oui, elle a eu du flair, nous aurions perdu plusieurs jours pour pas grand chose. Elle disait que si nous sommes tranquille quand il fera jour, on pourra en profiter pour fabriquer un radeau, mais maintenant que le fleuve est sec, ce n'est plus vraiment intéressant.

- Il y a peut-être d'autres affluents qui arrivent plus en aval.

- Espérons, cette marche forcée est exténuante.

Nous marchons encore pendant plus de cinq heures, Énavila veut absolument trouver ce qui attirait le dragon. Malheureusement nous ne trouvons rien, nous avons beau avancer, aucune trace de quelque chose de nouveau. Peut-être le dragon a-t-il simplement vu une proie, rien de plus.

Le jour commence à se lever pour de bon, nous décidons de faire une pause.

- Que fait-on, demande Sarah, nous nous trouvons une cachette ou nous continuons ?

- Je serais pour continuer, nous dit Énavila sans que nous soyons surpris.

- Évidemment... Mais si on se fait attaquer ? On n'aura pas la chance de l'autre fois avec la rivière.

- Mais nous sommes armés, cette fois-ci. Je peux faire exploser ce satané dragon avec ça !

- Ce serait plus raisonnable de nous trouver une cachette, et si rien ne se passe pendant un jour, on repartira.

- Ce sera un jour de perdu, si on se fait attaqué nous serons bien obligés de trouver une cachette.

- Ce n'est pas tellement une question de temps, c'est une question de survie, lui dis-je un peu énervé.

- Il a raison, confirme Sarah, nous ne sommes pas à un jour près, nous devons avant tout penser à notre survie, nous n'avons plus grand chose pour nous soigner, désormais.

- Et où va-t-on se cacher ? rétorque Énavila, on va construire une forteresse ?

- On peut creuser un trou, bloquer l'accès avec des morceaux de bois.

- Mouais, pour être coincés comme des rats si jamais les grillés nous trouvent ? Sans moi, je préfère encore courir.

- Putain tu fais chier, tu seras vachement avancée une fois qu'on sera mort Sarah et moi, c'est parce que t'as une arme et que tu te crois plus forte que ces saloperies que nous on va en réchapper.

- Et ben au moins je serais débarrasser te toi, c'est déjà ça.

- C'est tout ce que tu veux de toute façon, tu ferais mieux de me buter tout de suite avec ton flingue, comme ça au moins on n'en parlerait plus.

Sur ce je me couche sans en dire plus. Je suis épuisé, j'ai du mal à soutenir les attaques incessante d'Énavila. Si vraiment elle ne nous supporte pas, qu'elle aille au diable ! De toute façon nous ne pourrons pas nous en tirer tout seul, si nous ne trouvons personnes sur cette lune, je ne me vois pas vraiment vivre en sauvage le reste de ma vie avec Sarah et l'autre furie. Elle ferait bien de partir et de me laisser avec Sarah, subir ses humeurs commence à être fatiguant.

Je me demande bien ce que nous allons faire si nous ne trouvons rien, dans une semaine, deux, un mois, un an. Est-ce que nous allons continué à parcourir la planète dans l'espoir de trouver quelque chose ? Au bout de combien de temps allons-nous laisser tomber ? Allons-nous simplement attendre de nous faire tuer ? Si nous survivons, allons-nous nous installer à un endroit que nous trouvons agréable, pour tenter de survivre, de vivre ici, jusqu'à notre mort ? Ces saloperies de clones ne vieillissent presque pas, ça pourra durer des centaines d'années, peut-être auront nous le temps de fabriquer quelque chose... Même pas l'espoir d'avoir des gamins, le seul truc qui pourrait nous tenir en vie, tenter de fonder une communauté, est grillé d'avance avec ces clones stériles. D'un autre côté, ce n'est peut-être pas plus mal, les pauvres mioches, la moitié se ferait bouffer par des grillés. Il vaut peut-être mieux qu'on meure rapidement ici, et que d'autre clone de nous reprennent tranquillement la vie dans la Congrégation, dans cent soixante ans... Et dire que si ça se trouve ce n'est pas la première fois, peut-être que nous avons juste subi une sorte de duplication, que nous sommes toujours là-bas, et que j'ai en fait des dizaines ou des centaines d'autres clones paumés sur des planètes diverses dans la galaxie...

Le plus dérangeant, c'est la notion du Moi, à partir du moment où je suis cloné, si les deux exemplaires restent conscient, ce sont alors deux personnes distinctes. En fait je ne suis pas vraiment ce que je crois, je ne suis que la copie d'une copie d'une copie. Est-ce que je pense vraiment comme si j'étais le Ylraw originel, celui qui, j'espère, se trouve encore dans son caisson sur la Terre, à Sydney. Non, forcément, je ne dois pas penser pareil, puisque je n'ai pas vraiment les mêmes caractéristiques, mon cerveau n'est pas pareil, je suis sans doute plus, ou moins, intelligent, mon corps ne réagit pas pareil. Je reste persuadé que notre personnalité découle principalement de l'interaction de notre physique sur notre cerveau, les hormones, les sensations, l'image que nous donnons. En fait je ne suis qu'une approximation de moi, et tant que cette approximation ne sera pas retransmise dans mon vrai corps, sur Terre, je ne suis pas sûr de redevenir moi. Ce n'est qu'à ce moment là que l'ancien moi disparaît, quand il est écrasé par le nouveau, jusqu'à ce moment j'ai toujours le risque qu'on réveille mon nouveau moi et que je reste enfermé à jamais dans les clones, et que je devienne une autre personne, puisque mon vrai moi recommencera une autre vie, une vie différente... Qui me dit, d'ailleurs, qu'il n'est pas déjà réveillé, mon vrai moi de Sydney, qu'il n'est pas déjà en train de retourner en France, qu'il n'y ait pas déjà retourné, qu'il ne vit pas paisiblement sa vie après son tour du monde, qu'il n'est pas en train d'oublier son aventure étrange sans même se douter que je suis là, à des millions d'années lumières de lui, à me morfondre ?

Bah ! Peu importe, après tout, que chacun vive sa vie, clone ou pas... Je suis bien sur une planète inconnue avec des espèces étranges à l'autre bout de la galaxie, et rien que d'avoir vu cela, et de tenter d'en réchapper, c'est déjà pas mal... Je ne me laisserai pas mourir ici, je survivrai, je ne sais pas trop pour faire quoi, mais je survivrai, même à devenir fou.

Jour 389

Nous dormons beaucoup, et c'est le jour qui me réveille en sursaut. Le soleil n'est pas encore levé mais il ne va sans doute pas tardé. Énavila dort encore profondément, Sarah est réveillée.

- Ça va, lui dis-je.

- Oui, ça va.

- Tu as bien dormi ?

- Plus ou moins. De toute façon ses clones dorment toujours bien.

- Quelque chose te tracasse ? Comment ça ils dorment toujours bien ?

- La régulation du sommeil est un peu différente, ou plus exactement ils sont tels que le sommeil est toujours profond et reposant.

- Mais Pénoplée m'avait dit qu'ils n'étaient pas modifiés ?

- Ce n'est pas vraiment des modifications, c'est juste qu'ils sont tellement bien fait qu'ils rassemblent toutes les bonnes caractéristiques. Les clones dorment bien, tombent peu malades, ne dépriment pas, vieillissent très peu, résistent au stress...

- Qu'est-ce qu'il ne va pas, alors ?

- Rien, rien, tout va bien.

Sarah me cache quelque chose, mais elle cache tellement de chose, ce n'est pas la peine d'insister.

- Il va faire jour, tu penses qu'on devrait suivre Énavila et continuer à marcher ?

- Difficile à dire, je serais plutôt d'avis, comme toi, de nous trouver un cachette, au moins pour cette fois-ci, et aucun grillés ne passent, de reprendre la route.

- En cherchant une cachette, il pourrait être pas mal qu'on remonte un peu vers les cimes, et voir vers où nous allons, nous sommes un peu... On voit pas grand chose d'ici, et puis ce barrage ne m'inspire pas confiance, j'ai peur qu'il ne cède, nous ne sommes pas encore suffisamment loin.

- Il y a tellement de choses qui peuvent nous tomber dessus que c'est dur de savoir quoi faire.

En attendant qu'Énavila se réveille, je pars chasser et Sarah prépare un feu, la chasse est facile, mais j'en profite pour faire un tour pour voir s'il n'y aurait pas une grotte ou une cachette facile, rien de tout cela. Quand je reviens Sarah et Énavila sont en pleine discussion, ou plutôt engueulade devrais-je dire.

- Je ne reste pas une minute de plus avec cette conne, me dis Sarah en se tournant vers moi quand j'arrive.

- Qu'est-ce qu'il y a encore, lui dis-je sans même regarder Énavila.

- Elle est bornée en plus d'être folle, elle va nous conduire directement à notre perte.

- Qu'est-ce que tu veux faire ?

- Je veux monter vers le haut de cette grande colline, pour avoir un point de vue, en plus on les verra arriver de plus loin si jamais ils reviennent.

- C'est une mauvaise idée, nous coupe Énavila, ils viennent des hauteurs, plus nous montons, plus nous nous rapprochons d'eux, il faut avancer vers les plaines le plus rapidement possible si nous voulons nous en sortir.

- Qui te dit qu'ils ne viendrait que des hauteurs, qu'ils n'y en aura pas encore plus vers les plaines, et qui te dit qu'il y en a encore sur les hauteurs d'ici, on en sait rien, comment on pourrait savoir ?

- Je le sens.

- Tu le sens, mon cul oui.

- Je le sens aussi, et ça empeste.

Elle me rendra fou !

- Tu fais chier bordel, ça t'arrive jamais d'expliquer un peu au lieu de toujours envoyer balader tout le monde ?

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise de plus ! J'en sais rien moi bordel ! Tu crois que ça me fait plaisir ? J'en sais rien ! Je ne sais pas pourquoi je pense ça, je le sens, c'est tout, j'ai une impression, il me semble, je sais pas, j'explique pas, c'est comme pour toi, ton odeur, cette planète de merde, cette vie de merde, les bracelets, les mensonges, je le sens, je le crois, j'en sais rien ! Merde !

Je soupire, qu'est-ce que je peux bien dire... Le pire c'est que j'aurais tendance à la croire, j'aurais tendance à la suivre... Tout le monde reste silencieux pendant que j'embroche les bestioles sur une des barres transformées en multibroches. Sarah revient s'asseoir près du feu pour manger.

- Que fait-on, alors ? je lui demande.

- Je t'ai dis, je ne la suis plus, qu'elle fasse sa vie, moi je monte sur la colline.

- C'est débile, c'est du suicide, lui rétorque d'une voix presque amicale Énavila. Sarah ne tourne même pas les yeux vers elle.

- Qu'est-ce que tu fais, toi ? me demande-t-elle.

- J'en sais rien, vous êtes chiantes, toujours vous énerver ! Comme je saurais ce qu'il faut faire... Pour moi il est plus raisonnable de cherche une cachette, si j'étais seul je passerai la journée à me creuser un trou pour m'y cacher.

- Génial, commente Énavila.

- C'est pas plus con que de partir à l'aveuglette on ne sait où sous prétexte que tu sens quelque chose. En plus avec un clone.

- Pourquoi avec un clone ?

- L'initial possède quelques capacités extra-sensorielles que les clones n'ont pas, me réponds Sarah.

- Quel genre de capacités ?

- Des capacités à prédire le danger, à sentir certaines choses, comme le temps, une catastrophe...

- Étrange, et pourquoi les clones ne l'ont pas, c'est dû à quoi ?

- Ils ne l'ont pas parce que nous ne savons pas le reproduire, ce n'est pas lié à la fonction d'onde cervicale, ça découle de quelque chose de plus ancien, de plus lié au physique, au corps, une sorte de fonction d'onde corporelle. Mais ça n'a rien d'exceptionnel, les animaux ont la même chose, en plus développé, chez l'homme c'est assez infime, certaines personnes le maîtrise un peu mieux, mais c'est rare.

- Peut-être qu'Énavila arrive alors à écouter la fonction d'onde corporelle de son clone ? Elle a déjà eu de bonne intuitions, non ?

- Ah oui, quand ? C'est n'importe quoi, peut-être qu'elle avait ce genre de sensations avec son initial et qu'elle croit les avoir toujours, mais je n'y crois pas. Je pense qu'elle ne sent rien du tout.

- Pfff, j'en sais rien, leur dis-je, mais on ne pourrait pas se mettre d'accord ? C'est con de se séparer, ça ne fait que diminuer nos chances de survie.

- Je ne suis pas sûre que suivre Énavila les yeux fermés les augmente beaucoup.

- Énavila, on t'a toujours suivi jusqu'à présent, cette fois-ci tu pourrais peut-être nous suivre ?

- Va te faire foutre ! Je sais que j'ai raison je sais que nous devons continuer à avancer. Si vous voulez me suivre, je vous attendrais, sinon tant pis, on va pas se taper sur le système plus longtemps, vous faites votre vie, je fais la mienne.

- Mince, s'exclame Sarah, mais tu peux pas comprendre qu'on doit prendre des décisions sur un consensus si on veut survivre ! Tu peux pas comprendre qu'on a besoin de se reposer, qu'on ne survivra pas à une nouvelle attaques des grillés !

- Tu peux pas comprendre que j'en ai rien à foutre de ta gueule ? Que tu me sers à rien, que vous me servez à rien ? Je veux déjà bien que vous me suiviez et je vous attend, alors ne m'en demande pas trop.

- T'es vraiment qu'une conne ! lui crie Sarah, t'as raison, casse-toi, on se démerdera.

Énavila ne répond pas, elle mange tranquillement son oiseau-lézard. Une fois celui-ci terminé, elle se lève et récupère ses deux barres ainsi que son arme.

- Bon, pas de remords, alors, vous ne venez pas avec moi, nous dit-elle d'une voix calme.

- Non, lui répond Sarah d'un ton sec.

Elle va partir, peut-être devrions-nous quand même aller avec elle, elle a quand même eu de bonnes intuitions jusqu'à présent.

- Qu'est-ce que tu veux faire, Sarah, tu ne veux vraiment pas qu'on avance ?

- Tu ne vas pas t'y mettre, non, tu sais bien que c'est de la folie, il nous faut trouver une cachette, ou nous allons tous mourir.

- Bon, très bien, bonne chance alors, nous dit Énavila d'une voix presque triste.

Elle reste silencieuse un instant.

- Vous voulez que je vous laisse mon arme ?

- On ne veut rien de toi, lui répond durement Sarah, laisse-nous.

- Très bien, allez au diable.

Elle se tourne et commence à partir.

- Bonne chance, Énavila, à bientôt, peut-être, lui crie-je tout de même.

Elle ne se retourne même pas, lève juste le bras en signe d'adieu, et elle part en courant. Nous voilà deux désormais. Nous finissons en silence les trois bêtes cuites qu'il reste, puis nous levons le camp nous aussi.

Nous prenons directement la direction du sommet de la colline. Dans un premier temps la forêt est espacée et accessible, mais rapidement il nous devient difficile de progresser, une sorte de fougère géante recouvre l'ensemble du sous-bois, et la combinaison nous indique que son contact peut être toxique. Nous l'évitons tant bien que mal pour tenter de continuer à monter, mais nous nous trouvons rapidement au beau milieu d'un véritable labyrinthe, sans savoir réellement la direction de la colline. À plusieurs reprises nous hésitons à retourner vers la rivière, mais d'une part nous n'avons d'autre choix que de rebrousser notre chemin et suivre nos traces, ce qui nous prendra de nombreuses heures, et d'autre part Sarah est bien trop fière pour s'avouer vaincu et retourner dans les pas d'Énavila. Nous continuons donc péniblement notre voix, mais après plus de huit heures de marche, notre priorité devient la recherche d'un lieu ou faire une pause et trouver de quoi manger. Malheureusement le coin semble assez pauvre en animaux, hormis une sorte d'insecte qui prolifère sur les fougères, celles-ci semblent avoir repousser des environs les autres animaux ; il n'y à guère que les pseudo-oiseaux que nous entendons caqueter dans les hauteurs, mais ils sont un peu loin pour subir l'influence des bracelets.

Il nous faudra deux nouvelles heures pour trouver un endroit à ciel ouvert, ou la foudre semble avoir abattu un arbre immense. Cette aubaine nous donne l'opportunité de capturer de quoi manger et de trouver du bois assez sec facilement. Nous nous ménageons un espace sur le tronc immense pour notre campement provisoire. Le jour progresse mais le soleil n'est toujours pas levé, la géante rouge est passée pendant quelques heures à l'horizon, nous ne la voyons plus désormais, tout comme la supergéante rouge, qui a disparu.

Le tronc, qui dans sa chute à fait tomber plusieurs arbres des alentours, s'appuie sur la cime des arbres environnant encore debout, et nous permet, sans trop de difficultés, de le remonter pour avoir une vue d'ensemble. Nous avons du mal à situer la rivière, mais notre progression vers la colline semble bien maigre, notre direction n'était vraiment pas très bonne, je me demande même si nous ne sommes pas revenus vers le lit du fleuve.

Cette constatation ne nous donne guère de courage et nous nous octroyons un petit repos sur l'énorme tronc. Il ne nous faut pas longtemps pour tomber dans un profond sommeil, la marche dans les sous-bois était épuisante. Nous ne nous réveillons que plusieurs heures plus tard, et le soleil ne semble toujours pas lever, mais nous nous mettons néanmoins en marche rapidement, l'arrivée prochaine du jour attise notre crainte des grillés, il nous faut trouver une cachette rapidement.

- Est-ce que ça vaut encore le coup qu'on monte sur la colline, on devrait peut-être s'occuper à chercher un endroit où nous réfugier, dis-je à Sarah, alors que nous reprenons la route.

- Jusqu'à présent nous n'avons rien trouvé qui puisse faire office de cachette.

- Peut-être simplement nous terrer sous ces fougères et attendre, il faisait relativement sombre là-bas dessous.

- Il ne faisait pas beaucoup plus sombre que dans la première grande forêt que nous avions traversé au début, et les chiens-lézards nous avait suivi, pourtant.

- Oui, et puis si jamais ils nous rattrapent la dedans, nous n'aurons aucune chance d'en réchapper, ils sont plus habiles que nous.

- Mais d'un autre côté ton Chien-Lézard en a baver pour traverser ces fougères, on sentait bien qu'il ne voulait pas du tout y aller, d'ailleurs il n'avançait pas plus vite que nous pour éviter les fougères, peut-être que ça les empêcherait de venir, mais c'est un pari dangereux.

- Oui d'autant que comme ils sont grillés, ils ne sentent peut-être plus rien.

- C'est bien possible. C'est pour ça que je pense que c'est mieux que nous nous rendions près de la colline, nous aurons plus de chance d'y trouver un grotte, ou un abri, et si nous parvenons rapidement en haut, nous pourrons peut-être les voir arriver et trouver un endroit où nous cacher.

Je ne suis pas convaincu par l'analyse de Sarah, mais d'un autre côté je n'ai pas beaucoup d'idée, je me dis de plus en plus que nous aurions dû suivre Énavila, au moins nous ne nous serions pas posé de questions, avancer le plus vite possible en aval du fleuve. J'ai de plus en plus peur que de monter vers la colline soit notre perte. Mais nous sommes tellement perdu que n'importe quelle alternative parait plus raisonnable...

Huit heures supplémentaires ne nous ferons qu'à peine arriver à mi-pente de la colline, elle était beaucoup plus loin qu'il n'y paraissait. La progression est désormais plus simple, les sous-bois sont plus ouvert, il y a plus de pierre aussi, mais malgré notre attention nous ne voyons aucune grotte ou cachette intéressante. Nous aimerions continuer, mais Sarah comme moi est épuisée. Un bruit de rivière nous guide pour trouver de l'eau, nous n'avons pas bu depuis le départ de la rivière. L'eau n'est pas bonne, mais nos bracelets s'inquiètent de notre déshydratation.

J'ai beaucoup de mal à parler avec Sarah, elle est tellement distante, elle ne répond que vaguement et je sens bien que je l'ennuie ; comme je n'ai pas spécialement l'intention de l'énerver, déjà qu'elle est plutôt susceptible, je reste silencieux la plupart du temps, ou pose des questions pratiques, sur le parcours, sur les plantes que nous rencontrons. C'est un peu triste quand même, Énavila me manquerait presque. Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour me payer une bonne rigolade avec Erik. Il me manque, il me manque presque plus que Pénoplée... C'est peut-être à lui que je me suis le plus attaché, finalement...

Jour 390

Mais la question du sujet de discussion disparaît bien vite dans la montée, où nous nous essoufflons suffisamment pour ne pas penser à autre chose. Jour 390, mon bracelet compte désormais pour moi les jours qui passent. Nous aurions aimer arriver au sommet sans de nouvelle pause, mais notre progression devient tellement lente que nous décidons de manger un peu et de nous reposer avant de repartir. Coïncidence, nous arrivons au sommet au même moment où le soleil se lève. Il nous a fallu presqu'une journée entière pour arriver là ! La vue n'est cependant pas extraordinaire, nous devinons le cours du fleuve, qui va de l'avant, difficile de donner une direction, j'imagine qu'il n'y a pas de notion de point cardinaux, étant sur une lune, le soleil doit se lever un peu n'importe où suivant la période. La planète est un peu montée sur l'horizon, elle est vraiment énorme, rougeoyante. Son épaisse atmosphère nous masque complètement sa surface. Elle doit peut-être ressemblait à celle de Vénus, écrasée sous une énorme pression, soumis à une température infernale.

Le fleuve continue dans sa vallée qui s'agrandit au fur et à mesure, nous devinons deux immense lacets autour des montagnes qui s'amoindrissent, suggérant la direction de la mer, si mer il y a. Mais toute cette eau doit bien aller quelque part. L'autre côté de la colline ne nous offre guère de vue, une petite vallée avec sans doute une rivière rejoignant le fleuve, et une montagne comme horizon, beaucoup plus haute que notre colline.

Bref, nous ne sommes pas beaucoup plus avancés, nous n'avons pas trouvé de cachette, nous n'avons pas non plus d'idée claire de la direction à prendre. Le plus simple serait finalement de redescendre vers le fleuve. Nous pouvons aussi redescendre vers la petite rivière, puis, mais nous irons quoi qu'il arrive de nouveau vers l'aval du fleuve. Nous ne voyons pas le barrage d'ici, il est masqué par une autre avancée montagneuse que le fleuve contournait par un lacet. Si nous devons construire nous même une cachette, il nous faudrait soit la faire en bois, soit creuser. Les quatre barres, morphées en grille, ne suffisent pas à former un espace suffisant pour nous mettre à l'abris de la furie des grillés, et le dragon nous écraserait d'un pas. La levée du jour nous rend toutefois beaucoup plus inquiets, et malgré la fatigue nous continuons à marcher rapidement en suivant la crête, sans avoir beaucoup plus d'idée quant à que faire et vers où nous diriger.

Nous arrivons à localiser Énavila, elle se trouve très en avant, elle a dû courir toute la journée, quoi que notre progression a été tellement lente que c'est difficile à dire. Quelques heures s'écoulent, et la levée du soleil nous donne finalement du courage, après ces quatre jours de nuit. Nous avançons tranquillement en tentant de suivre la crête, et le danger des grillés semble écarté, il faut tout de même admettre que nous avons sans doute parcouru peut-être cent ou cent-cinquante kilomètres depuis notre dernière attaque.

Sarah s'arrête à plusieurs reprise pour étudier les insectes. Ceux-ci ressemblent toute de même beaucoup à ceux de la Terre. Beaucoup n'ont que quatre pattes, cependant, mais certains en ont six, même s'ils ne sont pas très courants. Nous avons même trouvé une araignée, qui s'apparenter à s'y méprendre à une araignée de mon jardin. Sarah a passé de nombreuses années à étudier l'évolution des insectes sur la Terre comparée celle d'Adama. Elle semble dire qu'il y a deux souches distinctes d'insectes, ceux à quatre pattes formant un ensemble à part. Peut-être est-ce le signe, d'après elle, de l'arrivée des hommes sur une planète contenant déjà de la vie, et de l'échec de l'ajout d'un écosystème purement humain sur celui existant. Pour elle, l'hypothèse la plus plausible en terme d'évolution serait l'arrivée il y a plusieurs centaines de milliers ou quelques millions d'années d'un écosystème d'adama classique, et que celui-ci aurait évolué pour s'adapter au milieu, notamment la riche teneur des sols en soufre, par exemple. Pourtant cette hypothèse est difficilement envisageable, car aucun humain n'existaient il y a plusieurs centaines de milliers d'années, les premiers vol extra système adamien remonte à la colonization de Ève, il y a presque dix milles ans d'Adama, soit seize milles ans de la Terre. Et à l'époque les techniques de terraformation étaient extrêmement précaire, impossible que les hommes d'alors ait pu venir jusqu'ici, en dehors des limites de la Congrégation actuelle. Le plus tôt envisageable, le moment où les sondes automatiques se sont éloignées de plus de deux cent années-lumière d'Adama, remonte à trois ou quatre mille années d'Adama après le MoyotoKomo, soit il y a treize mille ans de la Terre au maximum. Impossible, selon Sarah, que la nature ait changée à ce point en treize mille ans, que les animaux que nous avons rencontré aient pu apparaître à partir d'un écosystème du type de celui d'Adama.

Le jour avance, et nous continuons nos hypothèse en suivant la crête. La seule explication qui satisfait Sarah est que, aussi improbable que cela puisse paraître, la vie sur cette lune est apparu de manière indépendante, et que notre chance est immense de pouvoir respirer correctement et digérer la viande des animaux. Cela ne se passe pas forcément idéalement, nos bracelets nous avertissent d'un manque en acide gras et certaines vitamines, que nous ne pouvons pas synthétiser et non présent dans la nourriture locale, mais que nous ayons survécu presque dix jours est déjà invraisemblable.

Après un bon repas, où j'expérimente quelques insectes grillés, c'est assez bon quand c'est bien cuit, et une petite sieste, nous reprenons notre route tranquillement. Nous apprécions de n'être plus que tous les deux, et de ne pas avoir à suivre le rythme effréné d'Énavila.

- Elle revient vers nous, m'interrompt Sarah, alors que je m'étonnais devant une sorte de fleur que nous n'avions encore jamais vu.

- Qui ?

- Énavila, elle a bifurqué, elle vient vers nous très rapidement, elle court.

- Tu peux la contacter ?

- Oui, attend.

Sarah reste silencieuse un instant, mais je sens rapidement son affolement. Elle se retourne vers la montagne en face, puis regarde dernière nous. Elle redevient calme.

- Énavila revient vers nous, d'après elle les grillés foncent droit sur nous, mais elle n'a pas vraiment d'élément, tu vois quelque chose ?

- Non, dis-je en montant sur un rocher pour avoir une meilleure vu, je ne vois pas plus de trace du dragon dans le ciel. Tu penses qu'elle délire ?

- Sûrement, comment pourrait-elle savoir si les grillés vont vers nous, elle est plusieurs dizaines de kilomètres en avant, et d'ici nous ne voyons rien.

- Elle n'a rien vu du tout ?

- Non, elle m'a juste dit qu'elle avait senti qu'ils arrivaient.

- Comme d'hab. C'est possible qu'ils arrivent, cela dit, la dernière fois ils n'ont pas attaqué dès la lever du jour, il a fallu attendre que le soleil soit assez haut, c'est peut-être pareil.

- Oui, mais qu'est-ce qu'on peut faire ? Pour l'instant nous n'avons trouver aucun endroit où nous cacher.

- Dernièrement nous n'avons pas trop chercher.

Énavila nous coupe tous les deux, "dépéchez-vous, bon sang, qu'est-ce que vous trainez, courrez dans ma direction, j'ai reussi à rejoindre un troupeau d'énormes lézards, ils ne sont pas très aggressifs, au milieu d'eux nous seront protégés, mais magnez-vous !"

"Mais ils sont à plusieurs dizaines de kilomètres, lui répond Sarah, et en plus nous ne voyons aucun grillés, d'ici, tout est calme."

"Écoutez, ils foncent sur vous, j'en suis sûre, alors courrez, venez vers moi, ou planquez vous, mais préparez-vous à les prendre sur la tronche !"

Si l'avertissement d'Énavila nous stresse un peu et nous mets sur nos gardes, nous restons tout de même plutôt perplexes. Ce qui ne nous empêche pas de marcher plus vite dans la direction d'Énavila, sans que nous décidions de céder à la panique et de courir.

Après une heure ou deux et le soleil qui nous réchauffe, nous marchons de nouveau plus calmement. Énavila semble toujours se diriger vers nous à grande vitesse, et nous finissons par nous dire que c'est une façon pour elle de nous rejoindre sans avoir à se justifier.

Marées

Trois heures plus tard, nous courrons Sarah et moi à perdre haleine, le dragon nous a déjà survolé plusieurs fois, alors que nous nous tapissions du mieux que nous pouvions, et une véritable déferlante de grillés est tombée sur la montagne de l'autre côté de la petite vallée. Ils nous est difficile de savoir quand est-ce qu'ils vont nous atteindre, mais ils ne leur faudra sans doute pas plus de quelques heures pour descendre et remonter vers nous.

"On ne pourra pas courir quatre jours d'affilée, il nous faut trouver une cachette ! crie-je mentalement à Sarah et Énavila."

"C'est trop tard, s'énerve Énavila, le troupeau pourra nous protéger, il faut que vous accélériez, dans combien de temps vont-ils vous rattraper ?"

"Aucune idée, répond Sarah, pas plus que quelques heures, mais le dragon nous tourne autour aussi"

"Dès que j'aurai un peu de visibilité je pourrai tenter de le dézinguer, mais je suis encore très loin de vous, et je n'avance pas vite dans cette satanée forêt !"

"Mais on n'atteindra jamais le troupeau, désespère Sarah, il nous faut un autre moyen, une autre cachette, c'est beaucoup trop loin, nous ne pourrons pas leur échapper aussi longtemps, la rivière est au moins à soixante-douze kilomètres d'ici (72 quadri-pierres, 200 en base six) !"

"Si vous arrivez à trouver où vous cacher, mais s'est aussi un bon moyen de se faire piéger si vous n'arrivez pas à vous défendre, une fois que vous m'aurez rejoins, on pourra les retarder avec mon arme.

"C'est de la folie ! On ne peut pas courir plus de cinquante kilomètres dans s'arrêter ! Il nous faudra de quoi boire et de l'énergie, nous allons nous épuiser !"

"Mangez en courant ! Vous n'avez pas le choix ! Attrapez les animaux que vous pouvez pendant que vous êtes encore loin des grillés, emportez-en avec vous, faîtes-vous des sacs à dos avec les barres !"

C'est du délire, comment pouvons-nous nous en sortir ! Courir pendant soixante kilomètres sans s'arrêter, poursuivi par ces chiens-lézards, nous n'en réchapperons pas ! Quels fous nous avons été de vouloir monter sur cette colline, alors que nous aurions pu suivre Énavila, et que nous serions alors protégé au milieu de son troupeau !

Nous sommes toujours sur les crêtes, mais les arbres nous protègent du dragon, qui nous survole encore ; il fait de large cercle cherchant sans doute une proie. Nous avons légèrement bifurquer pour nous éloigner du versant par où vont arriver les grillés, mais aussi pour nous diriger vers Énavila, encore une trentaine de kilomètres nous sépare d'elle, les grillés nous aurons rejoint avant, il nous faudra sans doute deux ou trois heures pour nous retrouver, et encore, si la progression dans la forêt est aussi difficile que quand nous sommes venus, c'est peut-être cinq ou six heures que nous aurons à survivre avant qu'Énavila ne puisse nous aider avec son arme.

C'est de la folie, mais qu'importe, nous n'avons pas le choix, et la lutte pour la survie surpasse tout autres considérations. Nous ralentissons un peu le rythme avec Sarah pour ne pas trop nous essouffler, je parviens à capturer quelques oiseaux sur notre trajet, c'est l'occasion de souffler un peu, nous mordons dedans alors qu'ils sont encore chaud, mais ce n'est guère appétissant, et nous reprenons la course après deux ou trois bouchées.

Deux heures plus tard, les sifflements stridents des chiens-lézards grillés tombant sur nous nous font courir à perdre haleine au milieu des fougères vénéneuses. Heureusement les combinaisons nous protègent, mais la substance toxique sur les feuilles attaque le revêtement. Chien-lézard est en sang, j'ai bien peur qu'il ne survive pas à notre course, surtout si les grillés nous rattrape. Énavila est encore loin, mais nous entendons de temps en temps de violentes explosions, elle doit utiliser sans remords son arme pour se ménager un passage.

J'ai dans mon dos quelques oiseaux morts, et mon autre barre en forme d'épée me permet de rapidement me frayer un passage dans les fougères. Sarah me suit de près, et prend le relais de temps en temps quand je fatigue.

Les sifflements deviennent assourdissant, et en quelques minutes des milliers de chiens-lézards grillés fondent sur nous. Nous tentons de continuer d'avancer, mais nous sommes rapidement encerclés. Je laisse tomber ma barre sur le dos et me munie de deux boucliers épées pour chacun de mes bras. Je tente d'aider un peu chien-lézard, mais j'ai bientôt plus à faire pour sauver ma propre peau. Sarah est dos à dos avec moi, nous bataillons comme des lions, nous nous plaçons finalement dos contre un énorme tronc d'arbres, et, rapidement épuisés, nous tentons de nous protéger tant bien que mal avec nos barres en forme de bouclier. Chien-lézard est perdu, j'ai un pensée pour lui, mais j'ai peur qu'il ne nous faille pas longtemps avec de le rejoindre. Nous arrivons tant bien que mal à nous protéger de leurs assauts, pendant quelques dizaines de minutes tout du moins, car la pression est énorme, ils nous montent littéralement dessus, nous sommes enseveli sous leur fureur. Ils nous griffent, mordent, cherchent par tous les moyens à nous attraper. Écrasés sous leur poids, nous tentons avec Sarah de nous mettre en boule l'un contre l'autre et d'utiliser les barres pour faire une cage demi-sphérique autour de nous, mais quatre barres ne nous donnes pas assez de matière pour les tenir hors de portée, ils nous atteignent encore facilement au travers des trou de la grille. Nous sommes maintenant loin de l'arbre, ils s'acharnent tellement qu'ils nous obligent à bouger, peut-être que si nous pouvions nous recaler contre le tronc les barres suffiraient pour nous protéger.

Nous saignons abondamment, ils nous griffent de toutes part, ça empeste, il faut chaud, nous avons du mal à respirer ensevelis sous leur chairs putrides.

"On ne peut pas rester là, nous allons nous faire étouffer, et je ne tiendrais pas longtemps le maintien de la grille."

"Oui, me réponds Sarah, ma combinaison est déjà dans un sale état, ils l'ont transpercée à plusieurs endroits, il faut qu'on reparte, je suffoque."

"À trois on se lève et on part en courant... 1... 2... 3 !"

Notre plus sage décision aurait été de rester tel que nous étions, mais cela nous était insupportable, et je préfère encore mourir en combattant qu'à petit feu enterré sous cette puanteur.

Je morphe de nouveau mes deux barres en bouclier épées, et je fonce sans réfléchir vers l'avant. Je développe toute l'énergie qu'il me reste pour me débarrasser des grillés devant moi et partir dans la forêt. Sarah est à mes côtés, je lui somme de partir devant du plus vite qu'elle peut, pour ouvrir la voix alors que je me protège le dos avec un plastron.

L'épaisseur du sous-bois, et le manque de lumière les ralentissent un peu, suffisamment pour que notre course nous permette de les distancer un peu, mais nous sommes clairement en sur-régime, j'ai un point de côté très douloureux, et la substance des fougères brûle mes plaies ouvertes. Je vois trouble et j'ai du mal à suivre le rythme de Sarah.

C'est affreux, nous courons pendant plus d'une heure, à plusieurs reprise les grillés me tombe dessus et je dois me battre pour reprendre de l'avance. Nous nous dirigeons dans n'importe qu'elle direction, Sarah est désormais au même niveau que moi, elle fatigue aussi, nous n'y arriverons pas, comment Énavila peut elle supposer que nous tiendrons quatre jours comme ça, c'est de la folie, nous allons tous mourir ici !

"Je suis là !"

Énavila ! Je ne pensais même plus à elle !

"Je suis un peu plus haut, vous allez beaucoup trop vers la droite ! Il vous faut bifurquer vers la gauche, nous pourrons reprendre le chemin que j'ai tracé !"

"C'est impossible pour l'instant ! lui crie Sarah, il y a un talus sur la gauche, si nous le prenons nous allons nous faire rattraper !"

"Bon j'arrive !"

Deux minutes plus tard, de multiples explosions se produisent derrière nous, dont une qui me met à plat ventre. Énavila m'aide à me relever et nous partons immédiatement en courant, les explosions ont sans doute détrousser une partie des grillés, mais ceux juste derrière nous sont encore là.

- Il y en a des milliers ! s'étonne Énavila.

- Oui, lui dis-je, on ne tiendra jamais jusqu'à la rivière !

- Vous tiendrez ! nous crie Énavila comme si elle ne doutait pas d'elle-même, mais le troupeau est encore à plusieurs heures de course d'ici, il faut garder le rythme.

- Nous ne tiendrons jamais ! désespère Sarah, je suis déjà à bout de force, blessée, je n'ai plus d'énergie !

- C'est ça où tu crèves ! Sois déjà bien contente que je sois revenue ! Moi j'étais sauvée, là où j'étais ! s'énerve Énavila.

- Le troupeau est trop loin pour nous Énavila, lui dis-je, cela fait déjà plusieurs heures que nous nous battons, est-ce que tu n'aurais pas vu une cachette qui pourrait nous abriter, plus proche, est-ce qu'on ne pourrait pas avec ton arme creuse un trou, faire une grotte ?

- On n'a pas le temps, et on risquerait de mourir enseveli, c'est trop risqué, on verra si vous ne tenez pas. Je n'ai vu aucune grotte sur mon chemin. Il faut qu'on retourne vers le troupeau, c'est notre seule chance !

- On ne peut pas retourner vers la gauche pour l'instant, les explosions les ont déviés de ce côtés, il faut qu'on fasse le tour plus loin, en plus si ton chemin est plus découvert, la lumière les rendra d'autant plus forts, nous devrions rester dans les sous-bois les plus sombres possibles.

- Bon, je sais pas, réfléchit tout haut Énavila... OK, suivez-moi !

Énavila tourne un peu plus sur la droite, à quatre-vingt dix degrés de la direction qu'elle voulait nous faire prendre initialement.

- Où est-ce qu'on va ?

- Courrez ! Suivez-moi, faites-moi confiance pour une fois !

Énavila ouvre la voie, mais rapidement vient derrière nous pour nous pousser et tirer de temps en temps avec son arme quand les grillés sont trop proches. J'ai toujours mon point de côté, j'ai toujours la vision trouble, tout mon corps me brûle, je suis à bout de force. Je ne tiendrai jamais jusqu'à la rivière, j'ai envie de vomir... J'utilise désormais une des barres comme canne, pour ne pas tomber. J'en ai marre de ces situations catastrophique, j'en ai marre de frôler la mort, de toujours devoir courir, courir, courir... J'ai bien envie de me laisser tomber et dévorer par ces bêtes, après tout, c'est ce qui nous arrivera tôt ou tard, on ne pourra pas éternellement leur échapper...

Énavila me pousse, me pousse encore, pour que je continue, pour que je ne baisse pas mon rythme. Elle me donne du courage, quand elle me crie dessus, elle me donne l'envie de continuer. Quand elle me pousse, quand elle me tire, elle est belle, quand elle me dit que nous allons y arriver, elle est belle... Je tombe ! Un grillé ! Qu'il me tue ! Tranché en deux ! Bien fait pour lui. Elle me parle, oui je repars, non je ne suis pas fatigué, je ferai tout ce qu'elle voudra, si elle continue à me prendre par la main... Je cours, je cours, je cours, je cours...

C'est long, tellement long, tellement... J'ai tellement mal. Des explosion, encore, toujours, du bruit, d'enfer.

Le lit du fleuve !

Je reprends mes esprits, nous sommes à découvert ! Le dragon ! Sarah !

- Courrez ! nous crie Énavila, je vais les retenir ! Un peu plus loin en aval du fleuve il y a une caverne, un trou sur la gauche, sous les racines d'un immense arbre, cachez-vous à l'intérieur, utilisez vos barres pour barrer l'entrée, je vous rejoindrai un peu plus tard ! Courrez du plus vite que vous pouvez !

Énavila s'arrête alors et commence à canarder, j'ai repris des forces et du courage, je ne sais pas par quel moyen, j'attrape Sarah par la main et nous partons en courant. Plusieurs grillés sont tout de même à nos trousses, ce qui on réchappé au barrage de feu d'Énavila. Je reprends ma barre comme épée bouclier. Il fait grand soleil, ces saletés ont repris de l'énergie ! Je dois en trancher plus d'un. J'accélère, je cours à toute vitesse, Sarah me suit de près.

Le nombre de grillés augmentent, il nous faut nous battre plus, ils courent plus vite que nous !

- Le trou ! s'égosille Sarah.

- Où ?! Je ne le vois pas !

- Là-bas, dans le lacet ! Encore cinq cents mètres (un demi quadri-pierre) !

Un dernier sprint ! Bah ! Cinq cents mètres c'est long ! Je prépare mes deux barres pour former rapidement une grille, Sarah aussi. Elle passe la première et prépare le blocage de la porte, je plonge après elle et elle morphe rapidement ses deux barres en grille. Deux grillés parviennent à rentrer, je dois retransformer mes barres pour les découper, seule façon de vraiment les empêcher de nuire. Sarah a du mal à tenir l'entrée, je viens à son secours, fortifie la grille en ajoutant un de mes barres, et utilise l'autre comme pilier de soutènement, pour que nous n'ayons pas à tenir les grilles avec nos mains et subir ainsi les assauts des grillés en furie.

Je souffle.

- Où est Énavila ?!

"Énavila, comment ça se passe ?"

"Regardez par vous même, je n'ai pas le temps d'épiloguer !"

Énavila nous autorise à nous brancher sur son bracelet, nous voyons alors ce qu'elle voit. Je garde quand même en même temps un oeil sur notre entrée, ou les grillés s'acharnent. Sarah a d'ailleurs la bonne idée de faire pousser des piques à la grille, vers l'extérieur, pour empêcher les grillés de trop l'attaquer directement.

Énavila est submergée, elle ne peut pas trop utiliser son arme, ils sont trop proches, elle se bat comme un lion avec sa barre-épée. Son autre barre lui sert de plastron, elle n'a qu'une combinaison normale, qui ne la protège pratiquement pas contre les grillés. C'est incroyable, elle déploie une énergie qui me sidère, ses coups d'épées projettent les grillés.

Le Dragon ! Le dragon électrique plonge sur elle. Elle utilise son arme mais le manque. Des arcs électriques lui font perdre son épée. Elle se relève et court, mais le dragon est toujours sur elle. Elle l'évite une seconde fois, mais il l'assomme avec un arc électrique, elle s'effondre, on ne voit plus rien un instant. Elle est en l'air quand elle reprend conscience ! Dans ces griffes ! La peau du dragon est immonde, grillées et nauséabonde ! Le dragon est montée en altitude, on voit au sol les grillés qui s'amassent. Au loin arrive des gros lézards ! Cinq ou six gros lézards sont avec les grillés, ils ne semblent pas se battre avec eux. Énavila est encore sonnée, Le dragon la porte à sa bouche, il veut la dévorer ! Mon Dieu elle va se faire bouffer par cette saloperie ! Qu'est-ce qu'on peut faire ?

Énavila s'apprête à lui tirer dans la bouche, mais il referme sa gueule sur son bras et lui bloque son arme. Elle doit la lâcher. Elle retransforme son plastron en épée pour lui asséner un coup sur la gueule. Le dragon ne semble rien sentir et continue de vouloir lui arracher le bras. Elle s'énerve et frappe encore et encore, de plus en plus fort et de plus en plus vite. Le dragon finit par ouvrir sa gueule, elle retire son bras et y pose la barre qu'elle morphe en étoile pour bloquer la gueule ouvert du dragon. Le dragon secoue la tête, Énavila se retrouve de nouveau sous lui, toujours dans sa griffe. Le dragon tente de se dépêtrer. Il redescend en altitude. Finalement il semble parvenir à écraser la barre avec ses mâchoires. Énavila se bat pour se libérer des griffes, mais elle n'a pas assez de forces. Le dragon est parcouru d'une secousse électrique, Énavila la reçoit, elle hurle de douleur. Je dois couper la perception des sensations pour ne pas perdre connaissance moi-même. Elle ne peut plus se servir que d'un seul bras, son bras droit est cassé. Elle parvient à se recroqueviller pour laisser passer son genou dans la griffe et faire pression.

Si seulement nous pouvions distraire le dragon pour qu'il la lâche. Mais malheureusement notre entrée est complètement bouchée par les grillés qui s'amoncellent. Certains semblent creuser au-dessus de nous, je ne sais pas combien de temps notre cachette va tenir...

Le dragon va pour de nouveau la mordre, elle parvient à récupérer la barre qui s'était coincé entre ces dents, la morphe en épée, elle concentre toutes ses forces et lui donne un coup magistral sur le museau, si fort qu'il pénètre profondément dans sa chair. Il remue la tête violemment, elle en profite et glisse la barre entre elle et son énorme doigt. Elle la transforme ensuite de telle façon que des piques s'enfoncent pour le forcer à lâcher prise, il desserre son emprise, elle se contorsionne pour se glisser hors de sa griffe et elle saute sans hésiter dans le vide ! Elle est folle ! Le dragon était encore à plusieurs dizaines de mètres du sol !

Elle tombe sur les grillés, ils amortissent sa chute mais elle ressent une vive douleur à la jambe.

- Il faut lui libérer l'entrée ! crie-je.

- On n'y arrivera jamais ! conteste Sarah, ils sont trop nombreux !

- On ne peut pas la laisser, aide-moi !

Je récupère mes deux barres, Sarah maintient la pressions sur les grillés. Je suis recroquevillé derrière mes deux barres en forme de boucliers, je pousse de toutes mes forces pour me frayer un passage. Je m'appuie sur la grille que Sarah a reformé avec ses barres. J'entends de nouveau le dragon hurler. Énavila tente de s'en sortir mais elle se fait submerger par les grillés, un gros lézard s'approche d'elle, il va la piétiner.

Ma combinaison tient bon mais je me fait tout de même rudement malmené, je parviens à sortir, je les repousse comme je peux.

Je suis sorti ! Je cours vers elle, il a des grillés de partout, c'est l'enfer.

"Énavila vient, je suis là !"

"Retourne te cacher, c'est trop tard ! Je vais tout faire péter !"

"Non, je suis là, viens, viens avec moi !"

"Je ne peux plus bouger, ils me dévorent !"

Je saute sur les grillés qui entourent Énavila, je n'y arriverai jamais ! Je frappe de toutes mes forces, je parviens finalement la voir.

"Accroche-toi à moi, monte sur mon dos !"

C'est affreux ! J'ai tellement mal ! Énavila s'accroche à moi, elle m'attrape du bras gauche autour de mon coup. Quel joie de l'avoir près de moi !

Ça me redonne du courage, je cours de toutes mes forces vers la cachette.

"Je ne tiens plus, ils me font reculer, dépéchez-vous !"

"Sarah, Sarah ! On arrive !"

Une dernière barrière, la plus dure, se glisser dans le trou, Énavila passe la première. Une fois qu'elles sont toutes les deux dans le trou, je me laisse tirer par un pied que j'ai pu glisser. Énavila me rapatrie vers elle, et, une fois dans la tanière, je donne immédiatement mes barres à Sarah qui fortifie la grille de protection. Énavila se laisse tomber sur mon ventre.

"Merci."

J'aurais donner ma vie, pour ce merci...

- Où est le dragon ? demande Énavila.

- Je ne sais pas, quand je suis allé te chercher, je ne l'ai pas vu, pourquoi ?

- Pour ça !

C'est comme si le temps s'arrêter, c'est comme si subitement on devenait sourd et aveugle. Une lumière aveuglante, tellement que les grillés qui masquaient l'entrée en rougeoient, et quelques seconde plus tard un tonnerre fracassant !

L'arbre au-dessous duquel nous nous trouvions est en partie déraciné, nous devons nous reculer dans un recoin étroit du trou.

Il faut une dizaine de minute avant que le souffle ne s'arrête et que tout redevienne calme. Les grillés encore là se relèvent progressivement et reprennent leur attaque forcenée contre nos grilles, désormais plus solides avec l'étroitesse de notre repli.

Mais un grondement persiste, et un bruit sourd ainsi qu'un tremblement s'intensifie.

- Qu'est-ce que ça peut être, s'inquiète Sarah, qui se trouve allongée à côté de moi, Énavila étant inconsciente sur mon ventre.

- Je ne sais pas, l'explosion a sans doute provoqué des avalanche de pierre dans les montagnes.

- Le barrage ! nous écrions-nous presque simultanément.

- Si le barrage a cédé nous sommes fichus ! dis-je.

- Qu'est-ce qu'on peut faire, combien de temps faudra-t-il à l'eau pour arriver ?

- Nous sommes passé là-bas il y a trois jours, il ne doit pas se trouver à plus de cinquante kilomètres à vol d'oiseau.

- C'est loin, ce n'est peut-être pas ça qui fait tout trembler.

- Tu es prête à parier ?

- Non... Si c'est ça, combien de temps avant que l'eau arrive ?

- Il y a quand même pas mal de lacet, notamment, la barre montagneuse qui nous empêchait de voir le barrage du eau de la colline, elle devrait bien arrêter les eaux, mais même, je ne pense pas que nous ayons plus d'une heure.

- On n'aura jamais le temps d'aller où que ce soit ! En plus il reste beaucoup de grillés vivants autour, on est foutu !

- En plus Énavila est inconsciente, j'espère qu'elle est encore en vie, elle doit avoir le bras et la jambe cassés. Le mieux est que nous restions ici.

- Ici ! Mais nous allons mourir noyés !

- Si on se fait emporter par les flots aussi ! Peut-être qu'on pourra conserver avec les barres des poches d'air.

- On ne tiendra pas plus que quelques minutes !

- Il faut qu'on tienne le temps que le gros de la vague déferle, ensuite si nous parvenons à maintenir les poches d'air, elles pourrons nous permettre de remonter à la surface.

- Mais comment faire des poches d'air ! Nous n'avons pas de place ici, et si nous enlevons les grilles, les grillés vont nous sauter dessus !

- Peut-être que l'arrivée des flots vont les faire partir ?

- Ils s'en moquent ! On peut les couper en deux qu'ils continuent à bouger !

- Je sais alors ! On peut tenter quand même de faire une poche d'air, de repousser les grilles, je sais pas ! T'as une meilleure idée ?

Sarah réfléchit un instant, mais elle n'a pas vraiment de brillante idée.

- On devrait peut-être sortir, reprend Sarah, les eaux vont sans doute apporter beaucoup de terre et de boue, nous allons être ensevelis !

- Si c'est le cas nous serons ensevelis quoi qu'il arrive. Si on sort maintenant on devra se battre contre les grillés.

- On n'y arrivera pas !

Je n'y crois pas beaucoup non plus.

- Tu as vu tout ce que nous avons subi aujourd'hui ! Ce n'est pas pour lâcher maintenant, on n'y arrivera !

- Te fatigue pas, je vois bien que tu n'y crois pas plus que moi, tu n'as pas le talent d'Énavila. Je vais me battre avec toi, même si ce n'est que pour repousser notre fin de quelques jours...

- Bon, préparons-nous. Est-ce que l'on peut mélanger les barres ?

- Normalement oui, mais il faut qu'elles soient toutes les deux en phase molle.

- OK, normalement il va y avoir un puissant souffle avant l'arrivée de l'eau, il devrait dégager les grillés qui restent, nous on devrait être épargné, en espérant que l'arbre au-dessus ne va pas s'effondrer. Dès que les grillés disparaissent, il faut transformer les barres en ballon et y stocker le maximum d'air. Il faudra bien les accrocher pour ne pas que l'eau les arrache.

- Nous n'aurons que quelques secondes, c'est impossible !

- Est-ce qu'on peut préparer à l'avance la forme que doivent prendre les barres ?

- Oui mais si tu veux les mélanger, il faut le faire avant.

- OK, aide-moi, tiens les grilles, je vais déjà en mélanger deux puis deux. On fera deux ballons, c'est de toute façon mieux si jamais on en perd un.

- On ferait mieux de garder les barres pour nous protéger de l'eau, de la boue et de la pression, on va se faire recouvrir !

- Écoute j'en sais rien ! J'en sais rien de ce qu'on doit faire !

- Je voudrais sortir, je ne veux plus rester là, je veux voir ce qu'il se passe dehors !

- On ne peut pas sortir pour l'instant, Sarah, on va se faire bouffer par les grillés !

- Merde ! On va crever de toutes façon, j'ai envie de sortir !

Fais chier !

- Moi je reste là, de toute façon je ne peux pas laisser Énavila, et je ne pourrai pas la porter dehors. Alors sors si tu penses que c'est mieux, après tout chacun peut choisir sa façon de mourir.

Sarah hésite, les grillés continuent à s'attaquer à la grille, ils sont toujours aussi hargneux.

- J'ai peur.

- Moi aussi j'ai peur, Sarah.

Je m'approche d'elle et je l'embrasse sur la joue, elle est surprise. Je la prends par la main.

- Je vais remonter un peu Énavila, de façon à pourvoir la maintenir plus facilement.

Je tire doucement Énavila pour la déposer entre nous deux, elle est toujours inconsciente. Elle est encore en vie, son bras est vraiment salement amoché.

Quelques minutes de répit. Je souffle, je serre Énavila contre moi et tente de me reposer un peu. Est-ce que le barrage a vraiment cédé, n'est-ce que des éboulements sur les bords de la vallée ? Le tremblement continue, le bruit sourd s'intensifie peu à peu... J'ai tellement peur... Je ne sens même plus la douleur, je suis exténué, mes muscles me brûlent, je suis tant fatiguer. Et il va encore falloir ce battre, pour remonter à la surface, pour ne pas couler. Je hais l'eau ! Je hais l'eau !

Qu'est-ce qu'on est censé faire juste avant de mourir, sa confession ? Se rappeler toutes les belles choses qui nous sont arrivées histoire de partir au paradis avec une bonne dernière impression ?

Je n'ai pas vraiment envie de mourir maintenant, quand est-ce qu'on est vraiment sûr qu'on va mourir, quand on a la tête sur le billot, quand on est assis sur la chaise électrique ? À quoi est-ce que l'on pense, alors, à ce qu'aurait pu être notre vie si jamais ? Si jamais je n'avais pas croisé Énavila dans Paris, si je n'avais pas trouvé ce bracelet, si je n'avais pas pris cette BMW à l'île de Rée, si je n'avais pas pris la Viper, si je n'étais pas allé au Mexique, à Sydney, si je n'avais pas couché avec Pénoplée, si j'avais laissé Érik, si je n'avais pas tenté de m'échapper du Congrès, si je n'avais pas cherché Énavila dans la station, si nous l'avions suivi avec Sarah, ce matin...

Ah et puis merde ! On s'en fout ! Je ne vais pas crever maintenant ! Je crèverai plus tard !

Je suis beaucoup moins sûr de moi dix minutes plus tard quand le bruit et tel que nous devons parler par sym Sarah et moi pour nous entendre.

La puissance de l'eau...

Tout est soufflé en un instant, les grillés, l'arbre, le reste...

Je n'ai le temps que de prendre ma respiration, déjà l'eau envahit tout.

Je m'accroche aux grilles, nous les avions profondément ancrées dans la terre, mais elles ne tiendront pas.

L'eau nous submerge, je tiens fort Énavila d'une main, les grilles de l'autre. Sarah avait raison, nous avons bien fait de laisser les barres ainsi.

Mais nous n'avons pas plus de cinq minutes, dans trois minutes il nous faut sortir, sinon nous allons mourir noyés.

La boue et les débris commencent à se déverser.

"Il nous faut sortir maintenant, ou la boue va nous recouvrir."

"Il y a beaucoup trop de pression, nous allons être déchiquetés !"

"Nous n'avons pas le choix, il faut y aller !"

Nous transformons les barres, J'en utilise une pour coller Énavila à moi, j'enroule l'autre autour de mon bras en attendant. Les débris affluent, Sarah a raison, il faut se dépêcher. Elle sort la première, elle est tout de suite emporter par le courant.

Je peine pour sortir avec Énavila, je suis obliger de transformer ma deuxième barre en bouclier pour me protéger des débris, l'air me manque déjà. Énavila est secouée par des spasmes, elle se noie déjà !

Je m'extirpe du plus vite que je peux, le courant m'entraîne. Je suis obligé de bloquer ma respiration avec le bracelet, pour empêcher toute respiration réflexe. Mon bracelet contrôle mon stress, ça me permet de pouvoir tenter de nager.

Énavila est trop lourde, je ne vais pas parvenir à remonter à la surface, si je veux survivre, il faut sans doute que je la laisse.

Je ne peux pas la laisser !

Mon Dieu ! Mon Dieu !

Une palme, j'ai l'idée de transformer ma barre en palme autour de ma jambe. Je récupère l'autre barre et fait de même à mon autre jambe, je maintiens Énavila avec mes bras.

J'ordonne à mon bracelet de me faire pédaler.

Le courant m'emporte toujours, c'est trop dur.

Je bloque le nez et la bouche d'Énavila, au cas où il lui reste un peu d'air.

Je continue à nager, je n'en peux plus.

Je vais mourir noyé, comme à l'île de Rée...

"Je suis à la surface, je ne peux pas aller vers toi, il y a trop de courant."

"Je n'y arriverai pas, Énavila est trop lourde."

"Laisse-là, sauve ta peau."

"Je ne peux pas, je ne peux pas..."

Je vais mourir avec Énavila dans mes bras, quelle ironie, avec celle avec qui tout a commencer, en tentant de la sauver...

Des arbres ! Le sol !

L'eau me projette contre un arbre, ce doit être le rebord de la vallée, si je parviens à m'accrocher peut-être que les flots vont rebaisser bientôt.

Je suis pris dans les branches, l'une d'elle blesse grièvement Énavila, du sang se mélange à l'eau, ma combinaison me protège. Je transforme immédiatement mes barres en crochet pour qu'elles nous tiennent moi et Énavila accrocher à l'arbre. Je désactive le blocage de ma respiration, en espérant que l'air arrive bientôt.

De l'air, enfin ! Je prends ma respiration et perds connaissance.

Inondation

C'est un sym de Sarah qui me réveille, plusieurs heures plus tard.

"Je suis accrochée à un énorme arbre dans le courant, je ne peux pas retourner vers la rive pour l'instant, il faudrait que vous fassiez de même pour profiter du fleuve, les eaux doivent être plus calme où tu te trouves, nous allons peut-être perdre contact. Énavila semble mal en point, il faut la soigner rapidement, tu devrais lui mettre ta combinaison. Bonne chance."

Nous sommes toujours accrochés dans les branches de l'arbre, celui-ci est en fait à moitié déraciné, mais étant sans doute profondément ancré dans le sol il n'a pas été emporté par les flots.

Mon bracelet bippe dans tous les sens, mon corps a fondu plusieurs kilos de muscles pour tenir. Il me faut manger et boire rapidement.

Je me détache et dépose doucement Énavila sur une branche. Il faut que je lui enfile ma combinaison, mais ce n'est pas très pratique d'ici, et je ne sais pas si je parviendrai à la descendre.. Pauvre Énavila, tu es vraiment dans un sale état. Elle respire néanmoins correctement, elle a dû parvenir à évacuer l'eau qu'elle avait dans les poumons.

Je me retourne vers la vallée, quel paysage de désolation ! La majeure partie de la vallée a été complètement dévastée. Les eaux recouvrent encore presque tout le fond plat, et s'écoulent maintenant calmement, marron, charriant des tonnes d'arbres arrachés.

"Les grillés ! m'interrompt Sarah, il en reste, méfie-toi, je viens de me faire attaquer par un qui est monté sur mon tronc d'arbre."

Encore eux ! J'en ai un frisson dans le dos. D'après mon bracelet, Sarah se trouve maintenant vraiment en aval, à plusieurs dizaines de kilomètres. Si je ne veux pas la perdre, il faudrait que je transporte Énavila jusqu'au fleuve, mais les eaux ont tout de même bien descendu, et au milieu des branches et des arbres arrachés, ce sera un véritable enfer pour rejoindre la rive. Si je remonte vers le haut de la colline, je risque de tomber de nouveau sur plus de grillés.

Bon, en attendant d'avoir une idée, je vais mettre ma combinaison à Énavila, et chercher de quoi manger. Je récupère une des barres que j'utilisais pour maintenir Énavila, et je m'en sers en hache pour casser des branches et tenter vaguement de constituer une plate-forme. Le résultat n'est pas à la hauteur de mes espérances, mais il me permet au moins de pouvoir déposer Énavila à côté de moi pour la déshabiller. Je vais du plus doucement que je peux, pour ne pas lui faire de mal. Étant donné son état, son bracelet m'autorise sans problème un accès à Énavila. Sa morsure au bras n'est vraiment pas belle, j'espère qu'elle pourra guérir. Sa fracture de la jambe n'est pas plus rassurante, Il semble qu'elle se soit cassé le tibia et le péroné simultanément. C'est d'autant plus inquiétant que sa jambe est maintenant plus courte, les os ont dû se recouvrir, tirés par l'élasticité des muscles. Je me demande bien si la combinaison sait guérir un truc pareil. Il faudra peut-être lui créer une attelle. Les barres pourraient faire office.

Sa combinaison retirée, je l'échange avec la mienne. L'opération est tout autant difficile. Heureusement ma combinaison fonctionne encore, les accrocs qu'elle a eu n'ont pas altérés ses fonctions de guérison, de régulation de la température et de protection.

Je suis épuisé, je dormirai bien encore. Mais il faut auparavant que je trouve de quoi manger, et si possible de quoi boire.

Je me redresse pour regarder aux alentours, cette combinaison est vraiment plus légère. J'aurais plus de chance de trouver des animaux si je remonte vers les hauteurs, mais la zone non sinistrée est quand même assez haute, sinon je peux tenter ma chance en espérant tomber sur des animaux morts dans les environs.

Je laisse une barre en forme de plastron à Énavila, pour la protéger et si jamais elle se réveille, de toute façon je garde un oeil sur elle via son bracelet. Je descends doucement de l'arbre et commence l'inspection des environs. Je tombe rapidement sur des animaux morts, qui n'ont pas eu le temps de remonter vers les hauteurs ou qui se sont fait écraser par les arbres déracinés.

Plusieurs ruisselets se sont formés où de l'eau coule encore, elle est toute marron, je cherche la plus claire, difficile à dire, mais j'utilise ma barre en guise de seau dans le lequel j'adjoins un filtre pour récupérer plusieurs litre d'eau.

Le soleil monte vraiment doucement dans le ciel, c'est très troublant, on a l'impression que le temps s'est arrêté, que nous sommes dans un matin interminable. Quand je retrouve Énavila, la combinaison a déjà bien commencé son action, elle s'est rigidifiée en s'étirant autour du bras et de la jambe, pour faire office de plâtre, ce qui me rassure, car je ne voyais pas trop comment j'aurais pu lui étirer la jambe correctement sinon. Pour l'instant Énavila a suffisamment de réserves, et la combinaison recommande simplement de la faire boire.

Je creuse un petit foyer dans une grosse branche pour faire un feu, malgré mon bracelet et ma barre j'ai un peu du mal à l'allumer, mais j'y parviens finalement et je suis réconforté à l'idée de pouvoir déguster un excellent lézard grillé au feu de bois, non pas que je n'en avais pas déjà dévoré un cru auparavant.

L'eau du seau a un peu décanté, je vais tenter d'en faire boire à Énvila, mais quand je lui soulève la tête et que j'approche le versoir, elle se réveille brutalement et pousse le seau que je ne rattrape pas et qui tombe par terre.

- Non ! T'abuses !

- Qu'est-ce que c'est !

- C'est de l'EAU ! Tu crois quoi, que j'allais te filer un cocktail magique ?

Ils ont un mot spécial sur Adama pour un genre de boisson spéciale faîte par les artificiels, une sorte de boisson nationale, on "congrégationnale", mais je ne sais pas trop comment le traduire.

- Où est-ce qu'on est ?

Elle ne semble pas si mal en point que ça, finalement.

- Sur la colline opposé où nous étions ce matin.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé, pourquoi tout est détruit ? C'est l'explosion ?

- C'est bien toi qui l'a provoquée, l'explosion ?

- Oui, pour détruire le dragon.

- Ce n'est pas uniquement l'explosion. Cette dernière a fait céder le barrage, c'est les flots qui ont tout massacré. L'explosion n'était pas très forte où nous nous trouvions.

- Le barrage ! J'aurais dû y penser, quelle idiote ! Où est Sarah ?

- Elle va bien, nous étions dans notre cachette, quand les flots ont tout dévasté, nous sommes sortis pour ne pas être noyés, nous avons été séparés par le courant, nous sommes atterris ici, Sarah est sur le fleuve, accroché à un arbre.

- C'est toi qui m'a tiré jusqu'ici ?

- Oui, tu es resté inconsciente depuis l'explosion. Tu as un bras et une jambe cassée.

- Oui je sais. Qu'est-ce qu'on fait ? J'ai faim.

Je me lève et va lui chercher un lézard qui grille.

- Tiens, mange. Je vais aller rechercher de l'eau, après il faudrait qu'on retourne vers la rivière, et qu'on tente de rejoindre Sarah. Il y a beaucoup d'arbres déracinés, on devrait parvenir à en utiliser un comme radeau.

Je m'apprête à redescendre quand elle m'interpelle.

- Eh !

- Oui ?

- Merci.

Je lui souris, ne sais pas quoi répondre et redescends au sol pour récupérer le seau. Après un nouvel aller-retour où je fais une provision de bestioles mortes, nous profitons enfin d'un véritable festin. Nous convenons qu'après une petite sieste, nous partirons vers la rivière.

- J'ai du mal à croire que nous soyons encore en vie, quand je courrai ce matin dans la forêt, je n'aurais pas donné cher de ma peau, lui dis-je en terminant mon troisième lézard, repu.

- Je te sentais mal aussi, c'était moins une que je te laisse, à plusieurs reprises quand les grillés t'ont sauté dessus, j'ai eu une hésitation.

- Merci de ne pas m'avoir laissé tombé, pour être franc, quand les eaux nous ont recouverte et que je n'arrivai pas à remonter à la surface à cause de ton poids, j'ai aussi hésité.

- C'est normal, j'étais crevé, j'étais loin d'être sûre d'y arriver moi non plus, j'avais couru presque tout le jour sans rien mangé, je n'en pouvais plus, j'en étais à un point ou l'instinct de survie prend le dessus, comme pour toi dans l'eau.

- On a eu de la chance.

- Je ne suis pas sûre qu'on ai eu tant de chance que ça.

- Moi je trouve quand même qu'après ce qui nous ai arrivé, c'est quand même incroyable que nous soyons toujours en vie.

- Ce n'est pas si incroyable que ça. C'est plus facile de lutter pour la survie des autres que pour la sienne, et tout n'est pas complètement aléatoire. J'avais vu la cachette sous l'arbre, je m'étais même dit que je pourrais retourner là si je me faisais attaqué.

- Oui, et pour le barrage, nous y avons pensé Sarah et moi, nous serions sans doute mort si nous étions sorties après l'explosion.

- Nous avons eu de la chance de ne pas être emporté par les flots, j'ai eu de la chance que tu n'ai pas perdu conscience, mais ce n'est pas tout à fait un hasard, tu t'es battu pour ça.

- Nous avons quand même eu de la chance d'atterrir dans cet arbre.

- Moins que Sarah qui est sur un tronc qui flotte. Peut-être est-ce que nous allons mourir entre ici et le fleuve. Il ne faut pas considérer que chaque fois qu'on s'en sort c'est grâce à la chance ou je ne sais quoi d'autre, c'est aussi parce qu'on se bat, c'est aussi parce qu'on prend des risques. Et chaque fois qu'on fait ça, nous sommes un peu plus préparé pour la prochaine fois.

- En France, lui dis-je en Français, nous avons un proverbe : "ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort".

- Oui, enfin, c'est relatif, si je te coupe les deux bras je ne vais peut-être pas te tuer, mais je ne suis pas sûr que tu sois vraiment plus fort.

Incroyable, j'ai toujours eu la même réflexion vis à vis de ce proverbe ! Je me contente de sourire, elle pourrait le prendre mal.

Nous nous trouvons ensuite une position pas trop inconfortable pour nous reposer, le soleil monte doucement, et je parviens à m'allonger sous ses rayons, quelle joie.

Je dors bien cinq bonnes heures.

- Debout ! Debout ! me crie Énavila, des grillés !

Merde !

Je me lève rapidement, juste pour filer un coup de pied à un qui parvenait à grimper. Énavila me lance une barre, je la transforme en épée et calme définitivement un autre qui montait le long du tronc penché.

- Je ne peux pas bouger, il faut que tu m'aides !

- On dirait qu'il n'y en reste que trois, ils sont pas mal amochés, ils n'arrivent pas à grimper, on devrait être tranquille.

- Nous ne sommes plus tranquille maintenant, il faut qu'on parte d'ici, nous avons assez dormis, il nous faut rejoindre Sarah, les grillés doivent se regroupés, nous avons déjà perdu du temps.

- Oui, tu as raison.

- Il faut que tu m'aides à descendre et que tu vires les trois qui restent, je ne suis pas sûre de pouvoir t'aider.

Je vais soutenir Énavila pour la faire arriver jusqu'au noeud principal de l'arbre, ensuite je prends sa barre, déjà sous forme d'épée, et je descend doucement vers le sol. À portée de coup des grillés, j'en fracasse deux, et je saute au sol pour éliminer le troisième, c'est plutôt un jeu d'enfant à un contre un, ils ne sont pas très gros. Je remonte ensuite un peu pour aider Énavila à rejoindre le sol.

Ce sont son bras droit et sa jambe droite qui sont cassés, elle peut ainsi s'appuyer sur une barre transformé en béquille du côté gauche pour avancer, et la combinaison rigidifiée l'aide aussi pas mal.

- Les eaux ont pas mal baissée pendant notre sommeil, il nous faudra plus marcher, ça ira pour toi ?

- Ne te fais pas de soucis, je ferais des pauses si nécessaire, mais ça ira. Je ne pourrai pas courir, par contre, alors, si jamais un grand nombre de grillés nous attaquent et que nous ne pouvons pas faire fasse, cette fois-ci il faudra que tu me laisses, je ne pense pas que tu puisses me porter.

- Tu l'as bien fait, toi, quand nous avons perdu conscience près du vaisseau la première fois.

- Oui mais le vaisseau n'était pas loin, et j'étais en plein forme.

- Bah je ne suis pas en si mauvais état que ça.

Elle ne répond pas. Je tente de lui ouvrir la voie en choisissant le chemin le plus simple, je repousse ou coupe les troncs ou les branches éparpillées. La progression me paraît plus simple que quand je l'avais envisagé juste après le passage des eaux. Elle devient toutefois de plus en plus difficile au fur et à mesure que nous nous approchons de la rive. Après quatre heures de marche, nous faisons une première pause. Pas de signe de grillés, c'est une bonne chose.

Jour 391

Il nous faudra presque douze heures de plus pour parvenir au bord de la rivière. Nous ne croiserons que quelques grillés, pour la plupart seuls et à moitié estropiés. Énavila a insisté pour que nous avancions le plus que nous pouvions, mais nous convenons de faire un feu et un repas avant de chercher de quoi fabriquer une embarcation.

Nous sommes hors de portée de Sarah, j'espère que tout va bien pour elle.

Les eaux ont beaucoup baisser, et dans quelques heures le fleuve retrouvera sans doute son cours initial. Il charrie beaucoup moins de débris et ses eaux sont plus claires, même si encore très marrons. Nous en buvons toutefois, toujours en les filtrant plus ou moins avec une barre-seau-filtre.

Nous n'avons toutefois pas trop de mal à trouver un arbre suffisamment sec pour flotter correctement. J'ai un peu de peine à le tirer au bords de l'eau cependant, Énavila pouvant difficilement m'aider, mais j'utilise la barre, en forme de barre pour une fois, pour faire levier. Notre tronc n'a rien d'un radeau, mais nous préférons partir rapidement pour rejoindre Sarah et revoir plus tard la construction d'une véritable embarcation. J'ai quand même eu la chance de choisir un tronc qui fait une fourche, ce qui l'empêche de se retourner facilement. Cette fourche est d'autant plus intéressante que nous pouvons y poser des rondins parallèles pour faire une petite plate-forme. L'un de nous doit tout de même se trouver à califourchon à l'avant du tronc pour que celui-ci ne bascule pas, mais nous convenons de nous relayer à se poste pour pouvoir nous reposer par tour. Les deux barres servent à maintenir les rondins, et nous rajoutons deux grandes perches pour pouvoir diriger un peu le navire.

Nous ne tardons pas à partir, et je prends la première garde, laissant Énavila se reposer. Je sommeillerai quand même à moitié, me contenant de temps en temps de rapprocher le plus possible l'embarcation du centre du fleuve. Dans mes moments d'éveil, pendant les huit bonnes heures de sommeil d'Énavila, je tenterai d'attraper quelques poissons, mais ma pêche se limitera à trois ou quatre petits poissons, pas vraiment mangeable.

Jour 392

Je dormirai ensuite presque dix heures d'affilée, sous la bienveillante protection d'Énavila. Cette longue période de calme nous permettra de nous reposer vraiment, mais nous décidons de faire une pause pour manger, la pêche d'Énavila n'étant pas meilleure que la mienne.

Le soleil est désormais bien haut dans le ciel, il faut d'ailleurs très chaud, et une pause dans ce que nous pouvons trouver d'ombre n'est pas contre notre volonté. Toujours pas de signes de Sarah, cela nous étonne un peu, car nous pensions la retrouver rapidement après le grand lacet qui nous empêcher sûrement de communiquer avec elle de l'arbre où nous avons échoué.

- Tu penses qu'elle aurait continué ? dis-je à Énavila, alors que nous nous apprêtons à faire un feu.

- Les courants devaient être très fort quand elle s'est faite emporter, elle est peut-être beaucoup plus en aval. Elle n'a sans doute pas pu s'arrêter avant un moment.

- C'est quand même étrange, regarde le fleuve est droit pendant un très longue distance maintenant, elle serait au-delà des collines, là-bas, il nous faudra plusieurs jours pour y arriver.

- C'est pas dit, nous avons pas mal avancée aujourd'hui, nous venons aussi de l'autre côté du versant, là-bas, me répond Énavila

- Peut-être qu'on peut voir des signes de fumée, elle a dû faire un feu. Non je ne vois rien...

- On va avancer de toute façon, on mange et on repart, comme on peut se reposer sur le tronc d'arbre, autant ne pas traîner.

Je n'argumente pas plus, j'aurais voulu consolider un peu le radeau, mais Énavila a raison, mieux faut tenter de retrouver Sarah au plus vite. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé.

Nous mangeons rapidement les animaux que je suis parvenu à attraper. Je rechigne maintenant à ramasser les animaux morts, la plupart sont déjà dévorer par d'autres charognards, comme les lézards à deux queues, ou leur état ne m'inspire pas vraiment confiance. Notre repas est d'ailleurs constitué principalement de lézards à deux queues. Nous ne traînons pas ensuite, et nous reprenons la descente du fleuve. Il fait encore grand jour, mais nous ne voyons pas de trâces de grillés, l'inondation a dû les disperser complètement.

Nous gardons le même rythme de garde et de repos. Énavila est encore très fatiguée, sa jambe va mieux mais son bras est loin d'être guéri.

Six heures s'écoulent, toujours aucune trace de Sarah. Je ne parle quasiment pas avec Énavila, nous restons chacun de notre côté du radeau, moi assis sur le tronc, les jambes dans l'eau, mais la combinaison est étanche, et Énavila allongée à l'arrière. D'après les estimations de la combinaison, il faudra au moins trois semaines à son bras et sa jambe pour se guérir correctement, et encore un mois de plus pour qu'elle soit de nouveau en pleine possession de ses moyens. Je ne me rendais pas compte que c'était si long. Il faut dire que je ne me suis jamais rien cassé, je n'ai pas trop d'expérience dans ce domaine. Je ne sais pas si les délais sur Terre sont beaucoup plus longs... Il faut dire aussi que nous ne nous trouvons pas dans des conditions optimales, la nourriture ne doit pas couvrir l'ensemble de ses besoins, et notre situation précaire nous soumet à un stress permanent guère favorable à un rétablissement rapide. Mes blessures ont désormais l'apparence de grosses croûtes, que mon bracelet me somme de ne pas toucher, de toute façon avec la combinaison, ce n'est pas pratique, je les regarde un peu quand je la retire pour aller aux toilettes.

Nous nous arrêtons trois heures plus tard. Il fait encore grand soleil et les deux étoiles du systèmes sont hauts dans le ciel, pas de traces de grillés, toutefois. Je pars à la chasse et ramène du bois et de quoi manger. Les eaux ont été beaucoup plus clémentes ici, les arbres arrachés sont moins nombreux, et la faune est plus importante. Les arbres changent aussi. Nous ne sommes plus qu'entourés de collines, et nous sommes proches du grand tournant que nous voyions lors de notre précédente pause. Toujours pas de trâces de Sarah.

- Tu crois qu'elle aurait pu aller plus loin ? dis-je à Énavila.

- Pas sans raison. Peut-être que les rives étaient infestées de grillés.

- C'est étrange, nous n'en avons vu que quelques-uns.

- Peut-être aussi qu'elle a perdu connaissance, ou qu'elle s'est faite attaquée.

- Mais n'aurions-nous pas alors un signe de son bracelet ?

- Normalement si, a priori nous ne sommes pas à portée, ou peut-être a-t-il était enseveli trop profondément.

- Elle nous a pourtant contacté après que nous nous soyons échoué, elle a pu avoir un accident après certes, mais le plus dur était passé, et même si le courant était encore fort, ça me parait étrange qu'elle soit allée aussi loin.

- J'en sais rien, si elle avait perdu le contact, elle aurait aussi naturellement chercher à remonter en hauteur.

- Elle avait peut-être peur des grillés, toute seule.

- Oui, c'est vrai.

- Je vais peut-être essayé de monter sur la colline, d'en haut je devrais avoir un aperçu de l'aval, et peut-être est-ce que j'aurais un signal.

- Oui, mais je ne pourrais pas venir avec toi.

- Je sais, tu préférerais que je reste avec toi ?

- Non, pas du tout, monte sur la colline, je me débrouillerai, de toute façon tu ne devrais pas en avoir pour plus de 5 ou 6 heures aller-retour (7 ou 8 trente-sixièmes).

Son "non" catégorique me blesse un peu, comme si même dans son état je ne lui servirais à rien.

- OK, de toute façon nous devrions rester en contact d'ici à là-haut. Je vais manger, me reposer un peu, et j'y vais, il va encore faire jour pendant au moins deux jours, en plus.

- Prends les deux barres, si tu veux.

- Non je n'en prendrai qu'une, tu peux aussi te faire attaquer ici.

- OK.

Nous mangeons avec appétits les petites bestioles que j'ai ramenées ; je dors ensuite trois bonnes heures, puis au premier réveil d'un bruit étrange, je décide de partir pour le haut de la colline.

Je quitte Énavila avec une barre et pars au trot en direction de la colline. Mais si je fais le beau devant Énavila, je déchante bien vite une fois dans les sous-bois. Ils sont épais ; heureusement il n'y a presque pas de ces fougère vénéneuses, seulement beaucoup d'arbustes et énormément d'arbres morts, comme si une catastrophe s'était passée ici aussi il y a quelques années. Les arbres sont jeunes, hormis quelques vieux et immenses de ces arbres-herbes orangés.

J'aurais dû dormir plus, après deux heures à batailler dans les sous-bois je suis exténué et prêt à faire une pause. C'est à ce moment là, bien sûr, qu'il a décidé d'attaquer, cet immonde lézard-singe-oiseau. Une sorte de super chien-lézard, deux fois plus gros, soit presque les deux tiers de ma taille, plus fin, avec quatre vigoureux bras qui se plient à l'envers de nous, comme tous les animaux ici.

Il m'est tombé dessus quand je tentais de dégager un petit coin pour m'allonger, tombant de fatigue. Il s'accroche à mon dos comme une sangsue, m'enveloppant avec ses grands bras. Il me bloque au sol, il n'est pourtant pas très lourd, mais il me tient fermement les chevilles et m'empêche de bouger les jambes. Je sens ses crocs dans mon dos, à travers la combinaison. Pourquoi mon bracelet ne l'a-t-il pas vu ! Je tente de l'immobiliser, mais mon bracelet n'arrive pas à se synchroniser avec son cerveau ! Salopard, je vais te balancer une décharge direct !

Il est secoué et me lâche en bondissant, mais le temps que je me redresse et que je transforme ma barre en épée il est déjà dans les arbres.

- Reviens, sale bête !

Il ne se fait pas prier et me saute dessus du haut de l'arbre, je tente de donner un coup d'épée pour le faucher, mais il est plus agile et je ne fais que l'effleurer. Il me renverse et s'apprête à me mordre au cou, j'intercale rapidement l'épée, mais il est doué d'une force phénoménale ! Je morphe alors une pique sortant de l'épée au niveau de son cou, pour le faire reculer, je lui balance au passage une nouvelle décharge avec mon bracelet. Je me remets debout rapidement et lui fonce dessus mais il est déjà dans les arbres. Il crache puis s'enfuit.

Je suis soulagé, mais je l'aurais été d'autant plus si je l'avais su mort. J'ai peur de ne devoir remettre mon somme à plus tard. Je décide alors de continuer plus lentement, pour ne pas m'épuiser. Je laisse mon bracelet en mode scanner pour vérifier qu'aucune sale bestiole ne me tourne autour.

Encore trois heures, toujours pas de sommet en vue.

"Tout va bien ?" me demande Énavila.

"Ça va, mais je me suis fait attaquer par une sorte de singe oiseau"

"Singe-oiseau ? Je peux voir ?"

Je lui donne accès à mes souvenirs.

"C'est étrange, il n'a pas l'air très bête... Il t'a bien eu !"

"C'est clair, je n'ai rien pu faire, et le bracelet ne lui fait presque rien."

"Oui, mais même les bestioles pas grillés réagisse mal, on les tétanisent plus que nous les paralysons."

"Je me suis vraiment fait avoir par ce singe, je ne l'ai même pas vu venir."

"Ton bracelet devrait te prévenir plus tôt maintenant, il a dû retenir la leçon."

"Tu crois qu'il peut le faire tout seul ?"

"Bien sûr, qu'est-ce que tu crois, il est plus malin que toi."

"Il pense comme moi ?"

"Pas loin, il a tous tes souvenirs, il peut anticiper la plupart de tes pensées ou réaction, c'est une aide utile quand tu t'interroges, il trouve souvent des solutions plus pertinentes à tes questions."

"Mais comment je fais pour savoir ?"

"Tu lui parles ! Tu ne l'as jamais fait ?"

"Ben, jamais directement, je l'interroge sur mes souvenirs, ma santé, des trucs du genre, mais pas des questions philosophiques et..."

"Tu essaieras plus tard, me coupe Énavila d'un ton sec, pour l'instant magne-toi, je n'ai pas envie de traîner ici longtemps."

Je n'insiste pas plus et je repars vers le sommet, mais je suis vraiment fatigué, je n'avance pas.

"Qu'est-ce que t'en pense, toi ?" je demande à mon bracelet.

"Je sais pas trop."

"Cool, je vois que tu m'es d'une aide utile."

"Je ne vais pas te dire ce que tu sais déjà."

"C'est à dire ?"

"Qu'il faudrait que tu dormes pour retrouver ton attention, mais que si tu t'endors tu risques de ne pas te réveiller avant trois ou quatre heures."

"Ouais, d'un autre côté si je ne me refais pas attaqué, il suffit de monter et de redescendre."

"Mais tu n'es plus le même homme."

"Qu'est-ce que tu veux dire ?"

"Je ne te le garanti pas, mais d'après tes souvenirs, de ce que j'ai pu corroborer, ton corps ne réagit pas comme sur Terre. Dans tes souvenirs sur Terre, je perçois une sorte de tension, une sorte de voile."

"C'est à dire, j'étais plus fort sur Terre ?"

"Pas plus fort, différent, n'oublie pas que tu as un clone presque standard, qui réagit de manière standard, ton corps sur Terre était différent, et tes repères ne sont pas forcément valable maintenant, surtout dans ces conditions extrêmes."

"Oui à la limite dans la Congrégation ce n'est pas vraiment un problème, on n'est pas censé se faire attaqué toutes les cinq minutes."

"Exactement, ici la nourriture, le stress, la fatigue, les blessures, le manque d'oxygène, énormément d'éléments ne sont pas dans la norme, et ton clone, même s'il est plus résistant, qu'il guérit mieux, qu'il résiste mieux au stress, ton clone n'est pas ton corps de la Terre, il te faut donc faire beaucoup plus attention aux signaux qu'il t'envoie, car ils peuvent avoir beaucoup plus d'importance que tu le penses."

"C'est pas con, c'est vrai que j'aurais pu penser à ça, mais ça ne m'avance pas tant que ça, si je ne sais pas trop les différences."

"Malheureusement je ne peux pas t'aider plus, je n'ai des données que depuis ton bracelet enfant sur Stycchia, tout ce qu'il y a avant, je n'ai que tes souvenirs, et même si c'est déjà beaucoup, je ne sais pas exactement tes réactions physiologiques d'alors."

"Tu causes bizarrement, je parle comme ça moi ?"

"Un peu"

"Fichtre, j'ai dû changé, dans mes souvenirs j'étais plus cru."

"Oui, tu as changé."

J'ai changé... Je me trouvais un peu trop vulgaire, aussi, alors j'ai fait des efforts pour enrichir mon vocabulaire et crier "Fichtre" plutôt que "Bordel de merde"... Maintenant je jure plutôt en adamien, je n'ai même plus Érik pour me faire un peu travailler mon anglais... Pourtant, sans les périodes de sommeil, je l'ai vu il n'y a pas si longtemps, trois semaines, au plus.

Je reprends courage et j'accélère le rythme, mon coup de barre est passé, et la vue du sommet proche dans les clairières que je traverse m'incite à me dépêcher.

Quelques minutes avant d'arriver au sommet, j'ai un faible signal de Sarah. Elle est loin !

"Elle est vachement déportait du cours du fleuve !" me commente Énavila qui a eut écho du signal aussitôt retransmis par mon bracelet.

"Oui, mais elle ne répond pas, pourtant son bracelet se déplace."

"Elle s'est peut-être fait bouffer par quelque chose."

"Peut-être, c'est galère, nous n'avons pas accès au contenu, pas moyen de savoir ce qu'il s'est passé."

"Elle ne doit pas être morte alors, sinon le bracelet se serait débloqué."

"Peut-être qu'il ne le sait pas, peut-être que la bête lui a juste pris le bracelet, ou n'importe quel animal aurait pu le trouver. Elle a peut-être perdue dans l'inondation."

"Oui, enfin quelque soit la raison c'est notre seule trace d'elle, et c'est pas de bol qu'elle ne suive pas le fleuve, parce que je ne pourrai pas marcher correctement avant plusieurs jours, et elle est à plus de cent kilomètres de nous (cent quadri-pierres)."

"Peut-être que le fleuve fait une boucle, peut-être qu'après le grand tournant il remonte vers le nord ?"

"Tu vois quelque chose de là où tu es ?"

"Non, il faut que je monte encore un peu pour atteindre le sommet".

Encore dix minutes avant d'infirmer ma supposition, le fleuve continue pendant encore plusieurs dizaines de kilomètres au moins, dans la direction opposée à celle d'où provient le signal de Sarah. Il nous faudrait nous dépêcher, pour la rattraper, mais Énavila blessée c'est impossible, devrais-je y aller seul ? Je reprends la conversation avec Énavila :

"Qu-est-ce qu'on fait ?"

"Je suis pour qu'on continue à descendre le fleuve."

"Et Sarah ?"

"Avec ma jambe nous n'avancerons pas, à part si tu veux y aller tout seul."

"Pour qu'on se retrouve chacun dans notre coin, c'est pas forcément le mieux."

"Pourquoi pas, tu peux partir à la recherche de Sarah, et moi rester ici ou descendre tranquillement le fleuve en attendant que ma jambe guérisse. Mais de toute façon c'est pas la peine que je parte à la recherche de Sarah, je guérirai moins vite, et je n'avancerait pas."

"Mais si on descend le fleuve nous aurons encore plus à faire pour la retrouver, et si ça se trouve d'ici quelques jours nous n'aurons plus du tout de traces d'elle."

"C'est vrai que si elle s'éloigne, ce sera mal barré pour qu'on la retrouve plus tard."

Nous restons silencieux un instant, Énavila reprend :

"Mais elle se trouve aussi dans une direction pas super cool, ici c'est tranquille l'inondation a viré tous les grillés, il va bientôt faire nuit, mais le prochain jour, si nous nous faisons rattaquer, nous n'aurons pas la chance que nous avons eu jusqu'à maintenant, je suis blessée, nous n'avons plus d'arme, nous ne sommes que deux."

"En descendant le fleuve nous ne serons pas forcément plus tranquille."

"Je pense que si, sur notre radeau nous sommes plus en sécurité, et c'est la direction opposée d'où viennent les grillés."

"C'est vrai, mais on ne peut quand même pas laisser Sarah."

"Tenter de la retrouver est un immense effort, ce n'est pas comme si nous pouvions le faire en quelques heures, cela nous prendra plusieurs jours, je ne veux pas t'empêcher d'y aller, mais je ne pense pas que je te suivrai, dans mon état c'est stupide."

Abandonner Énavila bien vivante ou laisser l'ombre de Sarah, que choisir, que faire, comment trouver une solution ? Si je pars avec Énavila le temps qu'elle se remette, nous n'aurons alors plus de trace de Sarah. si je pars maintenant tenter de retrouver Sarah, outre le fait que je ne suis pas très rassuré de me retrouver tout seul dans la nature, c'est laisser Énavila blessée en proie aux dangers, même si elle est tenace, elle a quand même une jambe et un bras cassés.

Peut-être que je pourrai laisser mon bracelet dans le coin, pour faire relais ? Ou une barre ? Que faire ?...

"Si j'étais toi j'irai tenter de retrouver Sarah. En se dépêchant il ne doit pas falloir plus de deux ou trois jours pour la rejoindre, ça ne fait pas beaucoup plus qu'elle a dû partir. Et au moins nous aurons le coeur net de ce qui lui est arrivé, bien ou mal."

"Et toi ?"

"J'attendrai ou je descendrai un peu le fleuve, je peux me débrouiller pour manger avec une barre."

"Et si tu te fais attaquer ?"

"Si je me fais attaquer, avec ou sans toi, je suis mal barré, je peux difficilement me défendre, et quand on se fait attaqué on n'a déjà bien à faire pour sauver sa peau, alors..."

"Il vaut peut-être mieux attendre quelques jours que tu puisses te débrouiller."

"Au plus on attend au plus elle sera loin, et il me faudra des semaines avant d'être sur pied pour me battre. M'attendre c'est tirer un trait sur Sarah, vas-y tout seul. C'est ce que je ferais si j'étais toi."

"Oui je sais, mais retourner vers les grillés encore plus démunie que ce que nous étions, c'est aussi un peu suicidaire pour moi."

"On peut laisser tomber. Je ne te reprocherai pas de ne pas y aller, je ne suis pas sûre que j'y serai vraiment aller moi-même, c'est risqué, et il fait encore grand jour."

"Normalement il va faire nuit bientôt, si je me dépêche je pourrai peut-être la retrouver avant qu'il ne fasse jour, et revenir ici."

"Revenir peut-être pas, mais la retrouver sûrement."

"Bon alors je n'hésite pas plus, j'y vais."

"Bon courage. Je vais tenter de rester dans le coin pendant quelques jours. Si je ne suis pas là à ton retour, c'est que j'aurai sans doute descendu le fleuve, quoi qu'il en soit, si nous ne nous retrouvons pas, je tenterai d'être ici dans un mois (deux petits sixièmes)."

"OK, à bientôt j'espère."

Elle ne répond pas et je pars sans plus attendre en direction du signal de Sarah. Je n'ai même pas fait un somme alors que je suis épuisé. Je ne pourrai pas courir deux jours dans dormir, il me faudra bien me reposer. De plus je suis parti en direction du signal mais je n'ai même pas correctement regarder l'horizon pour voir les collines et montagnes à passer, pour choisir un itinéraire. Qu'importe, de toute façon il me faudra remonter fréquemment en altitude, parce que même pas une demi-heure plus tard, je n'ai déjà plus le signal du bracelet de Sarah.

Un peu plus de deux heures plus tard, je tombe littéralement de fatigue et je monte dans un arbre pour faire un somme à l'abri. Je trouve un grand arbre-herbe dont la tige, tordue, m'offre un siège confortable à trois mètres en dessus du sol.

Jour 393

Quatre heures plus tard, le bracelet me réveille en sursaut, des grillés ! D'après lui il fonce sur moi, il a réussi à les repérer malgré leur onde mentale incohérente parce qu'ils sont très nombreux, à moins d'un kilomètres. Mince ! Je m'apprête à sauter pour prendre la fuite, mais ce n'est pas le moment de se tordre la cheville. Je glisse le long du tronc et par en courant dans la direction opposée.

"Énavila ! Des grillés, ils me foncent dessus, je fais demi-tour, ils vont dans ta direction !"

"Merde, pourtant c'est presque nuit, comment ça se fait."

"J'en sais rien, mais d'après mon bracelet il y en a des centaines, je ne pourrais pas les combattre, je cours vers toi."

"OK je me prépare à partir avec le radeau. De toute façon tu ne seras pas là avant plusieurs heures. C'est étrange."

Énavila a raison, il fait presque nuit pourtant.

"La planète ! me crie Énavila virtuellement, c'est sans doute elle qui réfléchit suffisamment le soleil pour les activer !"

C'est vrai que le croissant de la planète, à un peu plus de la moitié, est très lumineux dans le ciel couchant. Pourtant il fait assez sombre, c'est étrange, il doit y avoir autre chose :

"Il n'y a pas l'autre étoile, aussi ?"

"Ah si, peut-être plutôt, il n'y a pas la supergéante route par contre, juste la géante bleue, c'est peut-être sa lumière qui les active, je ne me rappelle pas si elle était toujours là quand ils étaient réveillés."

"Je ne sais pas..."

Pour gagner du temps, je tente de reprendre le même chemin qu'à mon aller, de façon à utiliser mes souvenirs du parcours. Le bracelet m'est bien utile, il me prévient des difficultés et m'indique la trajectoire à prendre. Il calcule à l'avance et m'envoie les souvenirs de mon passage, c'est extrêmement pratique.

Pour l'instant je garde les grillés à bonne distance, mais je ne tiendrai jamais ce rythme jusqu'au fleuve. En plus je n'ai qu'une barre, et pas de combinaison protectrice, s'ils me rattrapent je suis fini ! Saloperie de vie de merde ! On peut pas rester tranquille cinq minutes sans se faire emmerder ! En plus j'ai faim !

Une heure de course, je n'en peux plus, si seulement Énavila était là pour me traîner... Ils se rapprochent, ils font un boucan terrible. Il doit y avoir des gros trucs dans le lot ça fait sérieusement trembler le sol. J'entends les arbres qui cèdent sur le passage. Peut-être qu'ils ne me courent pas derrière, après tout, peut-être qu'ils ont juste peur de quelques chose, où qu'ils vont à un endroit précis. Je pourrais monter dans un arbre et les laisser passer ?

Je ralentis un peu sur cette idée, mais je repars bien vite de plus belle ; je n'ai pas trop envie de prendre ce risque.

Il me faudra encore presque deux heures avant d'arriver en vue de la rive, Énavila n'est plus là ! Elle à quitter le rivage ! Certains grillés m'ont devancé et sont déjà là !

"Plonge dans le fleuve, je n'ai pas pu rester, certains grillés m'ont attaqué ! Je ne suis pas très loin, tu me rattraperas à la nage !"

Elle est gentille, et comment je les évites, moi, ces bestioles ! Ce sont des gros machin, du même genre que nous avions croisés dans les premiers jours au bord du torrent. Ils ne sont heureusement pas très agiles, je parviens tant bien que mal à me faufiler entre, ne recevant qu'un coup de patte de l'un d'eux. Je me jette à l'eau et pars en crawl vers l'aval. Certains me suivent mais ils ne nagent pas bien, la plupart coulent. Ils sont vraiment stupides, ces machins. C'est ce qui les rend vraiment dangereux, cela dit, ils n'ont peur de rien.

"Tu es dans l'eau ?"

"Oui je nage, mais je ne te vois pas."

"Ils te suivent ?"

"Non, ils ne savent pas nager, ils coulent."

"Ils sont vraiment cons ! Bon, je vais me mettre sur le bord droit, pour t'attendre, certains me suivent de la rive gauche."

Vingt bonnes minutes me sont nécessaires avant de retrouver Énavila, nous repartons immédiatement, je m'accroche au radeau, je n'en peut plus.

- Je suis mort...

- Repose-toi, je conduis le radeau, moi je me suis bien reposée.

- C'est la première fois qu'on voit des gros...

- Oui, mais ils nous cherchaient bien, ils doivent nous sentir, ou je sais pas, mais c'est bizarre, comment nous trouvent-ils à chaque fois ?

- Ouais, c'est étrange, peut-être qu'ils sentent le bracelet, ou un truc du genre.

- C'est possible, oui, c'est bien possible. Je ne donne pas cher de la peau de Sarah, alors...

- Ah ! Quelle galère ! On ne s'en dépêtrera jamais !

- Ça va pas être évident de survivre si on se fait attaquer chaque journée...

- Il nous faudra une cachette, ou un moyen de les repérer de très loin.

- Nos bracelets commence à les identifier plus facilement, je les ai sentis alors qu'ils étaient encore à plusieurs dizaines de kilomètres ("sizaines" de quadri-pierre)

- Peut-être qui si nous trouvions une île, où ils ne pourraient pas venir.

- Oui les habitants de cette planète, s'il y en a, sont peut-être dans des coins sans grillés, des îles, ou vers les pôles.

- Tu sais où nous sommes par rapport à la planète ?

- En latitude tu veux dire ? Près de l'équateur, c'est ce que Sarah m'avait dit.

- Tu te rappelles de la taille de la planète ?

- Hum... Je ne sais pas si Sarah nous l'avait dit... Non je n'ai rien...

Je cherche moi aussi.

- Tout ce que j'ai c'est qu'elle m'avait dit dans le vaisseau que la planète avait des lunes de rayon supérieur à quatre mille quadri.

- Si on est pessimiste en disant que le diamètre est de neuf mille cinq cents kilomètres (sept bi quadri pierres), la distance au pôle est de l'ordre de sept mille cinq cents kilomètres (cinq bi-quadri pierres et demi).

- Sept mille cinq cents kilomètres ! Il nous faudra des mois !

- À une moyenne de trente-six kilomètres par jour (100 quadri-pierre en base 6), il nous faudra plus de deux cents jours. Cent si nous allons deux fois plus vite.

- Mouais, on sera sans doute morts d'ici là, mais c'est peut-être la direction qu'il nous faut prendre, mais comment savoir vers où sont les pôles ?

- Par rapport à la rotation de la planète, le fleuve semble aller dans cette direction.

- Et Sarah ?

- J'en sais rien...

Je m'endors sur cette dernière parole, exténué... La faim me réveille trois heures plus tard, le soleil est presque couché. Énavila est à l'avant, dirigeant le radeau tant bien que mal.

- J'ai la dalle.

- Ils nous suivent encore, ils ont plus de mal avec les rochers sur la rive, mais je les ai vus il n'y a pas longtemps, c'est mieux que nous attendions encore quelques heures avant de nous arrêter.

- On peut peut-être choper du poisson ?

- J'ai tenté, mais je n'y suis pas arrivée, mais avec mon bras et ma jambe je ne suis pas très douée, tu auras peut-être plus de chance que moi.

J'utilise mon bracelet pour repérer les poissons qui passent à proximité de notre radeau, les immobiliser marche assez bien, il me faudrai juste une épuisette. La barre fait très bien l'affaire, transformé en sorte de passoire géante, je capture rapidement des petits poissons. Crus ce n'est pas ce qu'il y a de plus fameux, mais ma faim se moque du goût.

- Pas mal l'épuisette, je tentais de les harponner, c'est vrai que ce n'était pas très malin.

Énavila me copie, et attrape elle aussi quelques petits poissons qui passent. Ce n'est pas si évident parce qu'ils ont plutôt tendance à fuir à notre arrivée, mais nous aurons au moins quelque chose dans le ventre avant de faire un arrêt.

Quand j'en ai marre des poissons, je me rendors de nouveau pour six bonnes heures de sommeil, il fait sombre quand je me réveille.

- Ils ne nous suivent plus il me semble, on va pouvoir s'arrêter et manger. J'ai reçu un signal de Sarah tout à l'heure, elle s'est encore déplacée dans une direction opposée à la notre, mais on peut l'atteindre en trois ou quatre jours de marche. Maintenant qu'il fait nuit, c'est peut-être jouable.

- Oui, je vais y aller, on ne peut pas l'abandonner comme...

Je regarde en aval du fleuve, pensif.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Énavila se tourne pour regarder elle aussi.

- Il y a une lueur ? demande-t-elle.

- On dirait oui, le soleil s'est couché plus à droite, le bracelet confirme une luminosité supérieure.

- Un feu, peut-être.

- Peut-être, ça n'a pas l'aire très loin.

Nous avons très faim tous les deux, mais nous sommes trop curieux pour ne pas aller de l'avant. Nous n'avons guère de vue car une sorte de barrière rocheuse nous masque le lointain. Le fleuve s'engouffre dans une brèche, le courant y est d'ailleurs beaucoup plus conséquent, et nous devons nous accrocher fort pour ne pas être renversés. Notre radeau en souffre, et je rattrape à la dernière seconde une des barres qui servait à le consolidait et qui s'était détacher. Le passage rapide est assez cours, mais pas vraiment dangereux, il nous a juste surpris. Le passage étroit débouche sur un immense lac dont nous voyons à peine l'autre côté dans le soir tombant. Toutefois, l'origine de la lueur ne fait plus de doute, il y un village de l'autre côté du lac !

- Un village ! Incroyable !

- Il a l'air sacrément fortifié, nous ne devons pas être les seuls à craindre les grillés.

Les lumières nous révèle la forme de ce village au bord du lac, petite forteresse semble avoir ses fortifications qui vont sur le lac même, protégeant un port à l'intérieur. Sans doute les grillés viennent-ils parfois du lac même. Peut-être y a-t-il même des poissons grillés ? Des requins grillés ? Bouh cette idée me fait froid dans le dos.

- Des bateaux ! Ils sortent du port !

- Mince, tu crois qu'ils nous ont vus ?

- Je ne pense pas, mais le jour est tombé, ils sortent peut-être pour pêcher.

- Il faudrait qu'on se rapproche de la rive, si on se retrouve au milieu du lac, ils vont nous voir.

- Oui, d'autant qu'il n'y a plus trop de courant.

Nous récupérons les deux barres pour ramer en direction du bord. Le lac est très grand, le village doit se trouver à plusieurs kilomètres, peut-être dix. Le lac en fait bien trois de large. Je me demande bien si l'inondation est arrivée jusque là. Sans doute pas, et puis la barrière rocheuse à dû stopper les flots. Par contre le niveau du lac avait dû beaucoup baisser.

Nous ramons presqu'une heure, mais une fois au bord, trop fatigués et affamés, nous décidons de manger avant d'aller plus loin, surtout que l'approche du village sera peut-être dangereuse.

- C'est trop risqué de faire un feu, je pense.

- Ça craint d'encore bouffer cru, marmonne Énavila, il ne fait pas encore super nuit mais ils le verront sans doute, surtout qu'on ne sait même pas à quoi ressemble les habitants.

- Peut-être qu'ils pourraient nous accueillir, on se méfie peut-être pour rien, si c'est des hommes, on devrait y trouver de quoi manger ?

- Oui c'est vrai, mais je n'ai pas la force de ramer plus. On ne perdra rien à prendre quand même un peu des forces et à nous reposer, une fois repérer, s'ils nous sont hostiles, nous ne pourront plus rester dans le coin.

- Tu as raison, bon je vais voir ce que je peux attraper.

Nous mangeons cru, sans trop d'enthousiasme, les six oiseaux-lézards et une sorte de gros iguane que j'attrape. Leur viande n'est pas très goûteuse, mais je la trouve déjà meilleure que les premiers jours. Sans rivière à proximité, nous buvons l'eau du lac, que nous laissons décanter un moment au préalable. La pause post-prandiale nous assomme et nous dormons tous les deux, sans monter la garde, de toute façon nos bracelets veillent.

Nous dormons cinq heures d'affilée avant qu'un cor ne nous réveille. Un bâteau passe à quelques centaines de mètre de nous. Nous distinguons des formes humaines sur le pont, mais difficile de dire si ce sont vraiment des hommes. Ils sont en train de pêcher dans le lac.

"Ils sont petits pour des hommes, me syme Énavila, pourtant ils ont une forme humaine."

"On dirait qu'ils ont une queue."

"Oui, c'est vrai... Oui ils ont bien une queue, ce ne peut pas êtres des hommes alors."

"Ils doivent être une forme intelligente de la sorte de singe qui m'a attaqué, dans la forêt."

"Sans doute."

"Tu captes quelque chose ?"

"Non le bracelet ne se synchronise pas, ils sont trop loin ou alors c'est comme pour les bestioles, leur onde mentale est trop différente."

"Il vaut mieux qu'on avance vers le village à pied ou en radeau ?"

"En radeau ça m'arrange, je ne peux pas trop marcher."

"Ah oui c'est vrai."

"Ça serait bien si on l'arrangeait un peu, d'ailleurs, il a souffert dans le courant."

"Pas le temps, on verra plus tard, de toute façon on n'en aura peut-être plus besoin, maintenant qu'on a trouvé un village, il faut tenter de rentrer en contact avec eux."

"Oui, bon, allons-y alors."

Nous repartons avec le radeau une fois le bateau de pêche passé. Tout en restant près du bord nous avançons vers le village, il nous faut ramer car il n'y a pas de courant, nous n'allons pas bien vite et il nous faut presque quatre heures avant de débarquer à distance raisonnable du village.

Jour 394

"Est-ce que ça vaut la peine qu'on se cache ? De toute façon avec les murailles on ne pourra pas rentrer ?"

"On peut déjà s'approcher un peu pour voir, mais je ne pourrais pas faire grand chose, avec ma jambe."

"C'est peut-être mieux que j'aille voir d'abord tout seul ?"

"Oui bonne idée, je te suivrai avec ton bracelet, ouvre le moi."

"OK."

J'avance doucement vers le village, en tentant de ne pas faire de bruit. Mon bracelet me donne une vision plus lumineuse, en augmentant l'effet de la persistance rétinienne. Les choses sont un peu plus floue, mais on n'y voit presque comme en plein jour. Le mur d'enceinte du village fait bien cinq mètres de haut, aucune chance de le gravir. Je fais le tour en restant à environ cent ou deux cents mètres, à la lisière de la forêt. J'arrive au dessous d'une route surélevée, une sorte d'aqueduc, mais je pense que c'est bien une route en hauteur, toujours sans doute pour se protéger des grillés ou des intrus. La route fait environ trois mètre de large et se trouve à deux mètres de haut, soutenue par une succession d'arches. Elle vient du village et se dirige à perte de vue dans une direction presque perpendiculaire au lac. De l'autre côté de la route il y a des champs cultivés, une sorte de céréale je dirais. Malheureusement je ne peux plus alors rester au couvert de la forêt.

Je décide alors de m'approcher du village, en me cachant derrière les arches en dessous la route. J'ajoute en surimpression la détection d'onde mentale du bracelet. Il y a deux personnes sur les remparts en face de moi qui scrute, il faut que je fasse très attention si je ne veux pas me faire repérer.

"Qu'est-ce que tu veux faire ? Si tu t'approches trop ils vont te voir."

"Je voudrais tenter de me coller à la muraille pour faire le tour de l'autre côté."

"C'est risqué, tu es à découvert de l'autre côté, s'il y a quelqu'un sur la route il va te voir."

"Qu'est-ce qu'il vaut mieux faire, alors ?"

"Peut-être est-ce qu'il vaut mieux qu'on se fasse repérer de loin, explicitement, pour montrer que nous ne sommes pas hostile. S'ils te trouvent ainsi, ils auront des doutes sur nos intentions."

"Tu es pour que nous nous faisions prendre directement, alors ?"

"On ne pourra pas faire grand chose d'autre."

"Bon, je reviens vers toi, alors."

"OK"

Je refais avec la même précaution le chemin en sens inverse, une-demi heure plus tard, je suis de nouveau avec Énavila. Nous parlons à voix basse.

- Ça serait mieux que tu y ailles toute seule.

- Toute seule ?... Et tu restes dehors au cas où. Oui c'est une bonne idée. Moi je ne pourrais pas faire grand chose de l'extérieur.

- Oui.

- C'est peut-être mieux que j'arrive d'une direction opposée de là où tu es, comme ça s'ils se lancent dans des recherches, ils ne te trouveront pas facilement.

- Le plus simple est peut-être que tu arrives par la route, tu pourras aller jusque là-bas ?

- Sans barre je ne sais pas.

- Tu penses qu'ils te la confisquerait ?

- Il ne nous en reste que deux, je ne voudrais pas prendre le risque.

- Mais s'ils te sont hostiles, c'est mieux que tu aies de quoi te défendre.

- J'ai la combinaison, elle devrait suffire, je ne pourrais pas les attaquer dès le début si je veux voir l'intérieur, et je ne pense pas qu'ils me laissent entrer avec une béquille s'ils veulent m'arrêter... Et puis je marche presque aussi bien avec la combi rigidifiée.

- Bon, OK, tu veux qu'on remange avant d'y aller ?

- Non c'est bon, je n'ai pas envie de perdre de temps.

Énavila m'ouvre son bracelet et je suis sa trajectoire de la forêt. Elle met presqu'une heure pour rejoindre un point éloigné de la route, et faire croire qu'elle vient de là. Ensuite elle avance doucement, à deux mètres de la route, presque dans les champs cultivés, vers le village. Elle s'arrête à plusieurs reprises, soit pour tenter de se faire remarquer, soit pour se reposer.

Ce n'est qu'à environ une centaine de mètre qu'ils la repéreront finalement. Toute de suite une activité se déclenche sur les murailles. Difficile de voir ce qu'ils font. Énavila s'est arrêtée, elle s'éloigne encore un peu de la route pour se trouver bien en évidence. Plusieurs personnes apparaissent sur la muraille, toujours masquées entre les dents de scies.

"Ils n'ont pas l'air très grands, me dit Énavila, le bracelet estime à un mètre vingt (une pierre et demi). Ils parlent entre eux, mais impossible de savoir d'ici quelle type de langue."

Énavila attend dix minutes puis recommence à avancer voyant qu'ils n'ont pas l'air de faire quoi que ce soit. Elle s'arrête de nouveau à cinquante mètres environ.

Hommes-Oiseaux

"Ils approchent, sur ma gauche."

Son bracelet détecte une dizaine de personnes arrivant furtivement sur sa gauche.

"Je ne les vois pas... Ça y est je les vois, ils sont armés. Ils avancent vite. Je te préviens s'ils me font chier je les dégomme."

"Ta combi te protègent, ne bouge pas en attendant."

En quelques secondes elle est entourée d'une dizaines de petits êtres recouverts de plumes. Ils ont des lances et des épées, des boucliers. Ils ressemble un peut aux lézards à deux queues, en beaucoup plus gros. Ils parlent entre eux une langue que le bracelet de décrypte pas. Leur esprit est aussi insondable, le bracelet ne se synchronise pas. Ils somment Énavila de les suivre. Ils lui attachent les mains derrière le dos et la pousse sans ménagement. Elle a du mal à marcher et elle tombe. Ils ne prennent même pas soin de la relever, et, trois de chaque côté, ils la tirent rapidement vers le côté opposé du village où je me trouve. Énavila se retient de crier, sa jambe et surtout son bras par lequel il la tire la font souffrir. Heureusement que c'est la combinaison rigidifiée qui prend la plupart de la traction.

Ils la tirent jusqu'à l'entrée d'une grotte où ils s'engouffrent. C'est semble-t-il le moyen d'entrer dans leur citadelle. Le tunnel est assez long, et on aperçoit en dessus des trappes d'où des archers peuvent sans doute protéger l'arrivée. Le bout du tunnel, après plusieurs portes, permet d'arrivée devant le port, où mouillent quelques bateaux. Il faut ensuite traverser une nouvelle grande pour entrer dans une deuxième séries de fortifications, peut-être un village plus ancien, les murs sont moins hauts.

Énavila rentre alors dans une grande salle souterraine, taillée dans le roc. Il semble que la citadelle fut un rocher dans lequel ils construisirent leur château. Ils ne sont pas doux avec elle, elle est toujours attachée. Ils empruntent un escalier et descendent au sous-sol. Il y a l'air d'y avoir plusieurs niveaux, il fait très sombre, Énavila a mis en route la vision de nuit, je ne sais pas comment les autres font pour voir, leur vision de nuit est peut-être bonne. Ils ne vivent peut-être que la nuit, d'ailleurs, avec les attaques des grillés le jour.

Cinq minutes plus tard Énavila est jetée dans un cachot, enfermée, et ils repartent sans d'autre forme de politesse. Le cachot est minuscule, une petite salle, toujours taillée dans le roc, le sol est partiellement recouvert d'eau, qui s'infiltre en provenance du lac à cette profondeur, sans doute.

"Ils m'ont défoncé le bras, ces enculés !"

"Sinon ça va ?"

"Ouais, mais je ne vais pas rester longtemps ici, ils ont plutôt l'air hostile, t'as eu une bonne idée de ne pas venir."

Elle reste silencieuse un instant, je réfléchis. Soudain elle me coupe son accès et reprend, énervée :

"T'aurais pas fait ça volontairement, petit salaud, pour me livrer à eux ?"

"Toujours aussi confiante, bien sûr que non je n'ai pas fait ça volontairement. D'ailleurs si tu restes dans ce cachot il va falloir que je vienne te chercher."

"Mouais, dit-elle peu convaincu, attendons un peu, savoir ce qu'ils vont faire de moi."

Énavila me redonne l'accès et tente de regarder à travers la grille.

"Ils n'ont pas l'air très évolués, en tout cas, c'est pas eux qui vont nous filer un vaisseau... On dirait des sortes d'hommes oiseaux, ils ont des plumes sur la tête, et un bec."

"Oui, mais c'est très étrange qu'ils t'aient tout de suite conduit au cachot. Ils n'ont pas été curieux, ça peut vouloir dire qu'ils ont déjà vu des hommes, ce qui seraient une bonne nouvelle."

"Ils ont peut-être vue Sarah, elle est peut-être prisonnière ici, peut-être qu'elle a perdu son bracelet."

"Mouais, ou peut-être que ce sont des simples grouillots, ils t'ont simplement recueillis sans se poser de question."

"Je ne sais pas, mais c'est étrange qu'ils n'aient pas été plus curieux, oui, même s'ils avaient déjà vu Sarah, nous sommes quand même bien différents d'eux."

"Peut-être que certains d'entre eux nous ressemblent, après tout."

"Oui, enfin ils sont quand même beaucoup plus petits et avec des plumes, mais bon."

Énavila secoue les grilles, c'est du solide. Son cachot ne doit pas faire plus de deux mètres sur un et demi. Il n'y a rien pour s'asseoir, elle devra se mettre dans les un ou deux centimètres d'eau du sol si elle veut s'allonger. Elle passe sa main le long de la paroi, c'est vraiment de la roche taillée, s'ils l'ont fait à la main ils ont dû y passer des années et des années. Il y a très peu de lumière, une torche simplement à l'arrivée des escaliers. Le cachot en face de celui d'Énavila est vide, impossible de savoir si les autres sont occupés.

Énavila finit par appeler, pour voir si quelqu'un répond. Pas de retour, elle semble seule.

"Bon, le bracelet ne détecte personne, personne ne répond, je dois être la seule vivante ici"

"Il semble, ton bracelet détecte pourtant pas mal de monde en dessus."

"Oui, il compte environ mille sept cents personnes dans le village, c'est quand même beaucoup. Mais il n'y a que des trucs de leur genre, pas d'onde mentale différentes. Il doit y avoir quelques animaux, peut-être des chiens-lézards comme on avait trouvé, mais c'est tout. Sarah n'est sans doute pas ici, ou elle est morte."

Chien-lézard, quel dommage, j'aurais bien aimé te garder... Je ne crois pas que Sarah soit morte, pour moi elle est dans le nord, enfin dans le sud. C'est difficile de se situer sur cette planète, le bracelet est un peu fou concernant l'orientation, Nord-Sud, pour deux raisons, d'une part la planète autour de laquelle nous tournons dégage un champ électromagnétique de folie, mais vraiment de folie, genre il serait dix mille fois plus puissant que celui d'Adama, et en plus Adama tourne dans le sens inverse de la Terre. Quoique vous allez me dire qu'il n'y a pas vraiment de sens, il suffit dans l'espace de regarder de l'autre côté du plan de l'écliptique. En fait si, parce que la Terre tourne de telle façon que son jour sidéral est un peu plus petit que son jour solaire, Adama c'est la situation inverse, son jour sidéral est un peu plus grand que son jour solaire, signifiant bien qu'elle tourne dans le sens opposé à celui de la Terre. Enfin bref, avec ces histoires, impossible d'avoir un nord et un sud magnétique dans le coin.

"Bon, je vais dormir un peu, on avisera dans quelques heures, s'il ne se passe rien."

Énavila s'appuie contre le mur et rigidifie entièrement sa combinaison, de façon à pouvoir dormir sans s'allonger dans l'eau. Pendant ce temps je vais chasser un peu, et après avoir manger deux sortes de raton-laveur-oiseau-lézard, je me prépare à faire un somme moi-aussi. Je ne suis pas très rassuré seul dans la forêt, mais mon bracelet devrait m'avertir en cas de présence...

Trois heures plus tard le réveil d'Énavila me fait sursauter. Des hommes-oiseaux entourent l'entrée de son cachot et l'interpellent. L'un d'eux semblent leur chef, mais il s'adresse à un autre, qui, semble-t-il, est la pour traduire.

"Tu comprends ?"

"Chut."

Énavila tend l'oreille. Ils parlent un peu comme des perroquets, avec une voix gutturale, roque.

"Ça ressemble un peu à la langue de la Congrégation, mais je ne comprends rien, je comprends certains mots."

Elle se tait de nouveau quand l'interprète reprend.

- Je ne comprends pas, leur dit Énavila d'une voix forte et en articulant, tout en haussant les épaules, pour bien leur faire comprendre.

Les hommes-oiseaux font un bon en arrière, surpris. Puis l'interprète reprend, plus doucement.

"Je ne comprends toujours pas, le bracelet non plus, il faudrait qu'ils parlent plus pour que le bracelet analyse et tente de faire des corrélation avec la langue de la Congrégation, les seuls mots que je comprends sont 'montagne' et 'blanc', ils ressemblent trop à ceux de la Congrégation pour que ce ne soient pas les mêmes."

"Oui et même le ton ressemble, malgré leur voix bizarre."

"Oui et en plus ça correspondrait, on était bien dans les montagnes, et on est plutôt habillé en blanc."

"T'es plutôt en gris foncé, toi."

"Tu as raison, c'est vrai que j'ai ta combi. Peut-être qu'il parle de toi ou de Sarah, alors."

"Essaye de leur dire d'autre truc."

- Je suis arrivée avec un vaisseau dans les montagnes... Je me suis crashée... Ensuite j'ai marché le long du fleuve... Un dragon nous a atta...

Ils tiltent sur dragon et répètent à plusieurs reprise dragon quelque chose.

"Dragon de feu, oui, ils parlent de dragons de feu. C'est sûr que dragon électrique ça ne doit pas trop leur parler."

Soudain le chef s'énerve, sans doute parce que l'interprète essaie de communiquer alors qu'il a lui des questions précises. L'interprète repose alors la même question qu'au début.

- Je ne sais pas, lui répond Énavila d'un air perplexe.

Le chef est énervé et s'en va, les autres le suivent, et Énavila se retrouve de nouveau toute seule. Elle se repasse la question de l'interprète.

"Non, je ne comprends pas, les autres mots sont trop différents."

"C'est déjà formidable de voir qu'ils ont sans doute été en contact avec des hommes de la Congrégation."

"Oui, pour avoir un interprète, c'est qu'ils ont dû avoir affaire à eu plus d'une fois."

"Peut-être que certains des hommes de l'au-delà sont arrivés ici. Peut-être qu'ils ont une base sur cette planète, et si ça se trouve ces hommes-oiseaux pourraient nous y conduire."

"Mouais, en tout cas ils n'ont pas l'air super potes avec eux, pour me mettre direct au cachot."

"C'est vrai, c'est aussi bizarre que leur interprète parle aussi mal."

"Non ça ça ne m'étonne pas trop, il suffit que leur bracelet ait correctement intégré leur façon de parler. Ce qui est plus bizarre c'est qu'ils aient besoin d'un interprète."

"Leur onde mentale est différente, peut-être qu'ils ne sont jamais arrivé à comprendre directement leur langue."

"Ouais... Ça ne nous avance pas trop..."

"Tu rigoles, ça veut dire qu'il y a probablement des hommes de la Congrégation ici, c'est extraordinaire."

"Ouais, ou qu'ils sont passés par là à un moment, ils n'y sont peut-être plus, peut-être comme nous ont-ils eu un soucis, on du se poser, sont rester quelques années dans le coin, suffisamment pour qu'ils aient à causer avec les pigeons, et ils sont repartis."

"Ça on en sait rien, mais quoi qu'il en soit c'est plutôt positif."

"Mouais, enfin, on verra, en attendant j'ai pas envie de moisir ici."

"Ça ne sera pas facile pour moi de venir te chercher dans ces conditions, il faudra attendre un peu."

"Je m'en doute, mais ne t'étonne pas si je pète un cable."

Je vois en effet difficilement comment je peux entrer dans ce truc, péter la gueule à tous ces pigeons, comme elles les appelle, descendre dans les cachots et ressortir tranquille.

Plusieurs heures s'écoulent, je dors un peu, mais, plus du tout fatigué, je tente d'occuper mon temps de manière constructive en observant de manière détaillée la forteresse. Mais que ce soit vers le port ou vers la route, le mur d'enceinte ne m'offre guère de renseignements. La façon la plus simple de rentrer serait de passer sous l'eau, mais la distance à parcourir en apnée est bien trop grande, et même en bloquant ma respiration avec le bracelet, je ne suis pas sûr que j'arriverai de l'autre côté. D'autant qu'ils doivent surveiller attentivement leur port, si c'est un point d'entrée. Et puis dans les images d'Énavila, on devine un mur de protection tout autour du port, moins haut qu'autour du village, mais sans doute suffisant pour prévenir un passage non autorisé.

Énavila s'est de nouveau endormie. Je me demande bien ce que je vais pouvoir faire. Et si ils l'a laissent définitivement enfermée ? S'ils ne lui donnent pas à manger ? Ce n'était peut-être pas une si bonne idée de la laisser aller là-bas toute seule. Si Sarah a vraiment disparu et si Énavila se retrouve définitivement coincé dans ce cachot, me voilà tout seul, ce n'est pas très gai...

Ne sachant trop que faire, je décide finalement de suivre un peu la trajectoire de la route, peut-être rejoint-elle une autre ville, ou du moins trouverai-je des indices.

Que nenni, je suis la route pendant facile trois ou quatre kilomètres, en me tenant, à la lisière de la forêt, à bonne distance, mais celle-ci semble continuer pendant encore de nombreux kilomètres. C'est peut-être le seul moyen de se déplacer de ville en ville sans craindre de se faire attaquer par les grillés. Je pourrai tenter de monter sur cette route, mais il y a du passage, j'aperçois de temps en temps des petits groupes passés. La plupart sont à pieds, c'est bien que la prochaine ville ne doit pas être trop loin.

Je m'apprête à faire demi-tour quand j'ai un sym d'Énavila :

"Continue, me dit-elle, je suis de toute façon bloquée ici, va chercher Sarah, profite de la nuit, je peux bien tenir quelques jours ici.

"Tu es sûr, et s'ils ne te filent rien à manger ?"

"Qu'est-ce que tu y pourras ? Si tu trouves Sarah, vous serez plus à même de m'aider tous les deux. Grouille-toi, la nuit a déjà bien commencé."

Elle a raison c'est sans doute le plus sage. Je décide alors de monter sur la colline qui surplombe la barre rocheuse dans laquelle se trouve la brèche du lac, en espérant avoir de la-haut un signal de Sarah.

Il ne fait pas encore tout à fait nuit, les lueurs du couchant sont encore à l'horizon, après trois heures de marche, je surplombe le village, il a vraiment été construit à l'intérieur même d'un gros bloc de pierre, ils ont dû y passer des dizaines d'années pour creuser un truc pareil. De nombreuses torches éclairent l'intérieur de l'enceinte, remplie de petites maisons entassées les unes à côté des autres. Un grande agitation se distingue, il y a vraiment beaucoup de ces hommes-oiseaux qui vont et viennent. Sur le lac une dizaine de bateaux de pêche doivent assurer le ravitaillement du village, et peut-être même d'autres villes en retrait. Je ne distingue pas le bout de la route fortifiée, elle semble contourner en partie la colline que je gravis, tout en se dirigeant un peu plus vers ce que j'estime être l'est, là où se lève le soleil du moins.

Trois heures de marche rapide me sont nécessaires pour parvenir au sommet de la colline, et une demi-heure de plus pour trouver un endroit d'où avoir un point de vue intéressant, en haut d'un arbre mort qui a dû subir la foudre. Pas de signal de Sarah, ce n'est pas très encourageant, par contre j'arrive à deviner l'extrémité de la route, elle semble se rendre à un village qui se trouve au pied d'une colline transformée en immense carrière. Il ne reste d'ailleurs plus grand chose de la colline. Sans doute ce village est-il le point d'entrée pour les mines ou les carrières du coin, riches en minerai ou quoi que ce soit qui intéresse ces hommes-oiseaux. Les deux villages ne doivent en former qu'un seul, le village près du lac n'étant qu'une extension pour fournir de la nourriture au village de mineurs. Je serai quand même curieux de savoir ce qu'ils fabriquent, des armes ? Peut-être simplement des lingots de fer ou d'or.

C'est étrange comme les sensations vis à vis d'une situation normalement effrayante peuvent changer. Je suis seul dans le noir au milieu d'une forêt sans doute peuplé de bêtes féroces et dangereuses, pourtant je me sens presque rassuré d'être dans le noir, qu'il fasse nuit et que ces affreux grillés ne puissent pas m'atteindre. Si ces grillés sévissent sur toute cette planète, la plupart de la vie doit se passer la nuit. C'est quand même extraordinaire que ce soit le soleil qui les réveillent. Quelle est donc cette maladie qui les atteint ? J'ai du mal à imaginer qu'elle type de changement peuvent faire que seul le soleil les touchent. Peut-être cette maladie touche-t-elle leur régulation thermique, ils refroidissent et ne sont plus capable de bouger que le jour, comme les lézards. Peut-être que c'est pour ça qu'ils sont en si mauvais état, peut-être que chaque nuit leur corps se détériore à cause de l'arrêt d'une partie des fonctions vitales. Mais pourquoi ensuite agiraient-ils en bandes ? Toutefois ces animaux sont peut-être un peu comme des loups, ils agissent peut-être en bande naturellement, le fait qu'ils soient malades ne changent peut-être pas leur comportement. L'idée qu'une bande de ces chiens-lézards non malades puisse m'attaquer en pleine nuit me fait froid dans le dos. Cependant force est de constater que pour l'instant nous n'avons pas croisé ce genre de bande, le seul spécimen non malade que nous avons rencontré était chien-lézard, mon pauvre compagnon...

Bref, sans signaux provenant de Sarah je suis un peu perplexe. Je décide toutefois d'avancer en direction de la dernière trace de Sarah que nous avons eu, en amont du fleuve, proche de notre zone de crash. J'espère que j'aurai un signal d'elle un peu plus en avant, sinon je ne sais trop ce que je pourrai faire. De toute façon il me faudra plusieurs jours, et je ne dois pas traîner. J'ai un doute sur ma capacité à courir pendant plusieurs jours, alors j'avance plutôt d'un pas rapide. J'aimerai atteindre le sommet d'une nouvelle colline avant de faire une pause, manger et dormir.

Jour 395

Je n'y arriverai pas sans faire une première pause, au bout de six heures. Un repas, je n'hésite pas une seule seconde à faire un feu, trois heures de sommeil et de nouveau six heures de marche me seront nécessaires pour atteindre le sommet de cette nouvelle colline, plus haute que la précédente, et surtout plus loin que je l'imaginais. J'aurais toutefois à subir les attaques de divers animaux sauvages, détectés pour la plupart bien en avance avec mon bracelet, et dont je peux me débarrasser assez facilement grâce à mes barres-épées et mon bracelet. Ces attaques me fatiguent tout de même considérablement et me font perdre plusieurs heures, d'autant que la progression dans la forêt, en pleine nuit, n'est pas évidente, même avec la vision de nuit activée.

Heureusement j'ai la satisfaction de percevoir un signal de Sarah, et s'il est faible il semble m'indiquer la même direction que le dernier que j'ai eu avant notre précédente attaque de grillés. Je ne suis pas sûr que ce soit très bon signe qu'elle ne se soit pas déplacer, cela pourrait signifier que son bracelet est simplement perdu, ou pire, qu'elle est morte. Trois jours de marche pour découvrir un cadavre ne m'inspirent guère, mais quoi qu'il en soit il faut que j'en ai le coeur net, alors je ne m'autorise qu'un petit repas et une sieste d'une demi-heure avant de repartir.

Je tente cette fois-ci de rester dans la vallée, ou ma progression est plus rapide, et de contourner la montagne entre moi et le signal. Je trouve une lance, mais cela ne m'étonne désormais guère étant donnée la présence de ces hommes-oiseaux. Impossible cependant de mettre la main sur une route ou un chemin. Les bords de la rivière sont assez facilement praticable, des crues fréquentes doivent empêcher que la jeune végétation subsiste, il y a moins de buissons et d'arbustes que dans les sous-bois.

Huit heures plus tard, exténué, l'attaque d'un de ces lézard-ours me donne l'occasion d'en faire un bon repas. Je fais un grand feu et mange plus que de raison. Je dors ensuite plus de neuf heures. Mes rêves sont étranges, très dérangeant, je me réveille mal à l'aise et en sueur. J'ai ce rêve que je n'avais pas eu depuis longtemps où je perçois une sensation d'écrasement, un rêve simple ou je suis seul enfermé dans un cube blanc, écrasé par une puissance plus grande et plus forte que moi.

Jour 396

Je mange de nouveau en ravivant mon feu et je pars sans attendre. Je n'ai maintenant plus le choix, je dois me diriger vers un col pour traverser la barre montagneuse entre moi et Sarah. Je n'ai pas choisi le chemin le plus facile, un éboulement récent à complètement obstrué l'arrivée au col. Je dois faire de nombreuses heures d'escalades avant de pouvoir atteindre le sommet. Les barres me sont d'un recours extraordinaire, elles me permettent de m'assurer pendant ma progression, et plus d'une fois elles m'ont sauvé la vie.

Malheureusement je n'ai plus de trâces de Sarah une fois en haut. en traversant ce col, je suis revenu vers la vallée du fleuve que nous avons suivi, même s'il se trouve encore dans une vallée ou deux de celle où je me trouve, et cette zone plus montagneuse peut masqué le signal de Sarah, toutefois j'aurais parié sur le fait que je me trouverai pile en face une fois ici, et la montagne en face de moi ne devrait pas faire barrière, puisque ce n'était pas le cas quand j'étais encore bien plus loin. Si Sarah a bougé, c'est encourageant, maintenant si c'est simplement son bracelet qui n'émet plus, ou qui a été trouvé par quelque chose ou quelqu'un, c'est plus ennuyeux. Il ne me faudra pas moins qu'une demi-journée pour aller en haut de la montagne de l'autre côté de la vallée, j'hésite à monter directement sur le mont à gauche d'où je me trouve, que je ne voulais pas gravir et que j'ai contourné, mais qui finalement aurait été un meilleurs choix, vu le temps que j'ai mis pour escalader jusqu'au col, et surtout si finalement je le gravis tout de même.

Je m'accorde une heure de pause et je décide finalement de monter directement sur le mont, pour avoir le coeur net sur la disparition du signal. Mais mes trois heures de montée ne m'apporteront aucune réponse, toujours rien.

Je ne capte pas non plus le bracelet d'Énavila, autant dire que je ne sais pas trop quoi faire. Il va sans doute faire nuit pendant encore environ trois jours, ce qui me laisse le temps d'aller au moins jusqu'à la prochaine montagne et de pouvoir revenir vers le village. Je me demande bien ce que je vais pouvoir faire si le jour arrive, me rendre moi-aussi au village ? Je n'aurai peut-être guère le choix si les grillés attaquent. Je n'ai vraiment pas envie de subir une fois de plus leur affres.

Je descends, pensif, vers le col, un peu perdu. J'ai bien peur que nous ne survivrons pas bien longtemps sur cette planète. Tout semble si difficile, dangereux. Je ne me pause même plus la question de pouvoir en repartir, je crois que l'espoir est bien mince. Pourtant les hommes-oiseaux semblent avoir rencontrer des hommes comme nous. Si seulement nous pouvions en savoir un peu plus.

Un peu en dessous le col, quatre heures plus tard, je me fais attaquer par un groupe de singes-lézards. Je dois me battre pendant presqu'une heure pour les mettre en déroute, ces idiots me blessent en me lançant des pierres et des bouts de bois. Il me faudra en tuer trois pour qu'ils décident de s'enfuir. Ils sont coriaces et méchants.

J'en ai vraiment marre. Je décide de faire une grande pause, je fais un énorme feu et mange un bon morceau de ces satanées singes. Sales bêtes !

"Ylraw ?"

Sarah !

"Sarah ! Où es-tu ?"

"Juste en face de toi, en haut de la montagne, je suis montée ici pour tenter de vous retrouver. Où est Énavila ?"

"Elle est prisonnière d'hommes-oiseaux, nous avons trouvé un village, plus en aval du fleuve, des hommes petits, avec des plum..."

"Oui je sais, me coupe-t-elle, ce sont aussi eux qui m'ont enlevée quand je vous attendais sur les bords du fleuve après l'inondation. Leur onde mentale est différente, impossible de m'en tirer toute seule avec le bracelet. Ils m'ont retenue prisonnière, je suis finalement parvenu à m'échapper. Énavila est loin ?"

"Deux jours de marche, environ."

"Bon très bien je te rejoins."

"Rejoignons-nous plutôt dans la vallée, nous pourrons aller vers le fleuve et utiliser un radeau pour redescendre, ce sera sans doute aussi rapide que de rentrer à pieds."

"Très bien, je descends vers la vallée."

J'aurais volontiers fait un somme, mais il ne devrait pas me falloir plus de trois ou quatre heure pour atteindre la rivière, j'attendrai Sarah là-bas, elle mettra sans doute plus de temps. Je pourrai en profiter pour me reposer et tenter de faire un radeau.

"Vous vous êtes aussi fait capturés ? me demande Sarah."

C'est vrai que nous pouvons continuer à discuter sans attendre de nous retrouver, c'est quand même cool c'est bracelets. J'explique à Sarah ce que nous avons fait entre la fin de l'inondation et maintenant.

"Je me suis faites attaquée pendant que je dormais, mon bracelet m'a prévenue trop tard. Je me suis défendue comme j'ai pu mais ils étaient nombreux et on réussi à m'attraper. Ils m'ont alors retirer mon bracelet et les barres. Ils m'ont rapidement enchaînée et malgré le décupleur de force de la combinaison je n'ai pu briser mes liens. Je suis restée ainsi de nombreux jours, je devrais marcher attachée à leur suite. J'ai tenté, sans succès, de comprendre ce qu'ils disaient. Ils n'y avait semble-t-il pas d'interprète comme dans le village."

"Nous avons marché pendant deux jours, ils ont fait de nombreux détours, nous sommes souvent restés caché dans des grottes, ils doivent très bien connaître le coin et savoir où se cacher pour éviter les grillés. Nous nous sommes quand même faits attaqués une fois, par des gros lézards grillés, comme ceux qui t'ont poursuivis la première fois que tu as tenté de venir me retrouvé. Nous étions une quinzaine, plus des éclaireurs, je ne sais pas combien, nous avons bien perdu cinq personnes. J'ai failli y passer, mais ils m'ont efficacement protégé, c'est d'ailleurs ce qui a coûté la vie à quatre d'entre eux."

"Bref, nous sommes finalement arrivés dans un camp fortifié, sans doute une étape intermédiaire pour attendre la nuit. Là j'ai étais mise en cage, j'ai reçu un peu à manger, mais presque rien. J'avais de quoi boire, par contre. J'ai moi aussi attendu la nuit, je ne pensais pas pouvoir me débrouiller toute seule en plein jour. La nuit arrivée, grâce à ma combinaison je n'ai pas eu trop de mal à retrouver mon bracelet et les barres, et à fuir. Je ne crois pas qu'ils m'aient vu, avec la protection visuelle et la nuit, j'ai pu escalader et passer les plusieurs murs en bois sans ennuis."

Par contre je n'avais qu'une vague idée de la direction à prendre, j'ai gravis trois montagne avant d'avoir ton signal, et je me suis faîtes souvent attaquée par des lézards-singes, comme toi, ils sont vraiment hargneux et difficile à repousser. Bref, j'ai erré pendant deux jours avant que nous nous retrouvions.

La rivière n'est guère praticable, comme je le découvre après quatre heure de descente ; il nous faudra sans doute marcher plusieurs heures avant de pouvoir faire un radeau. J'avertis Sarah qu'elle ferait mieux d'aller un peu en oblique vers l'aval, pour gagner du temps.

Nous nous retrouvons finalement huit heures plus tard, la descente de la montagne étant difficile pour Sarah, et elle s'est faite blessée à la jambe par un singe-lézard.

Je prends Sarah dans mes bras en la retrouvant.

- Ça me fait plaisir de te retrouver, lui dis-je, je t'ai cru perdu.

- Nous devons nous dépêcher, me répond-elle en me repoussant doucement, sans doute pas très à l'aise que je l'embrasse, nous sommes sans doute un peu en-dessous du niveau du barrage, et il va faire jour dans un jour et demi environ.

- Oui, ça risque d'être juste, mais une fois sur le fleuve, même s'il fait jour, nous serons déjà plus en sécurité.

- Peut-être, mais comment va-t-on faire pour Énavila ? Si c'est une forteresse nous ne pourront jamais la libérer ? Je ne suis pas sûre que se faire capturer nous aussi nous avance beaucoup, mais si les grillés nous attaques, est-ce que nous auront le choix ?

- J'en sais rien, il faudra peut-être qu'on se construise une cachette, ou que nous restions au milieu du lac pendant le jour.

- Ils ne mettront pas longtemps à nous repérer si le village est au bord du lac.

- Oui, peut-être est-ce qu'on pourra entrée clandestinement dans le village ?

- Je ne sais pas, je ne vois pas trop comment il est, peut-être, mais s'il n'est pas très grand on se fera aussi vite trouvé à l'intérieur.

- On peut peut-être passer par le lac, tu peux retenir ta respiration plus longtemps avec cette combi ?

- Pas vraiment.

- Mouais, de toute façon comme tu dis une fois dans le village il ne faudra pas longtemps avant qu'on se fasse choper.

- Oui, je ne sais pas trop ce qu'on va faire, répond finalement Sarah d'une voix triste.

Nous avançons d'un bon pas, la crainte des grillés et la nuit qui passent nous donnent du courage.

- Ils t'ont maltraité ?

- Non, mis à part ne presque rien me donner à manger, ils ne m'ont rien fait.

- Ils n'ont pas trop été trop méchants contre Énavila non plus. En tout cas cet interprète est un très bon signe.

- Oui, me répond-elle pas vraiment convaincu.

- Quand même ! Ça veut dire que des hommes de la Congrégation sont sûrement venus sur cette lune !

- Mouais, ils n'y sont plus forcément, et peut-être qu'ils sont tout autant bloqués que nous ici.

- Oui enfin bon c'est quand même mieux que si nous étions toujours aussi paumés dans la nature poursuivis par ces fichus grillés, au moins on a un espoir de trouver des hommes.

- Oui, c'est vrai.

Jour 397

Sarah n'a pas la grande forme. Nous parlons un peu plus en détail de notre arrivée au village, et de la discussion d'Énvila avec les hommes-oiseaux, mais ne voyant toujours pas arriver la fin de la vallée, nous forçons le pas et courrons même. La rivière, plus un torrent, descend trop rapidement pour être navigable, heureusement ses abords sont plutôt praticable. Après quatre heures de marche, nous faisons finalement une pause pour manger et nous reposer.

Mais le temps qui passe nous stresse, il ne doit rester plus qu'un jour à un jour et demi de nuit, et nous ne parvenons pas à dormir plus de deux heures. Nous repartons rapidement mais il nous faudra encore douze heures, dont quatre de pause, pour arriver, enfin, au fleuve.

Nous sommes toutefois satisfaits de nous apercevoir que nous arrivons plus en aval que nous ne pensions. Nous ne devons pas être à plus d'une journée du village, ce qui devrait largement nous laisser le temps d'y parvenir avant le lever du jour. Nous ne sommes pour autant pas beaucoup plus avancé quant à ce qu'il adviendra de nous une fois le jour levé. Mais nous imaginons que dans le pire des cas, nous pourrons simplement nous rendre au village, et rejoindre Énavila, certes dans un cachot, mais à l'abri des grillés.

La confection du radeau nous occupe néanmoins trois ou quatre heures, le temps de trouver du bois qui flotte suffisamment, de le couper, l'assembler sommairement, chasser et préparer de la nourriture pour la journée de navigation qui nous attend, et le radeau à moitié terminé que nous perdrons bêtement emporté par le courant.

Jour 398

Une fois sur le fleuve nous pouvons enfin prendre le temps de nous reposé. Nous dormons à tour de rôle, de façon à ce qu'un contrôle toujours la trajectoire du radeau, et évite les pertes de temps inutiles si nous retournons trop près des berges. Nous sommes l'un comme l'autre exténué, et après un premier tour de garde de trois heures chacun, nous dormons ensuite encore six heures d'affilée malgré l'inconfort des bout de bois humides de notre embarcation, tellement frêle qu'il nous faut souvent réemboîter les bouts de bois que nous avons sommairement taillés pour les assembler.

D'après mon compteur, le jour devrait se lever un peu après mon trois cent quatre-vingt dix-neuvième jour de cavale, dans une demi-journée à une journée. Soupir ! Trois cent quatre-vingt dix-neuf jours ! Bon je ne vais pas encore partir dans un délire nostalgique, de toute façon pour l'instant la priorité c'est la survie, pour le retour sur Terre on verra plus tard, bien plus tard, si jamais la pertinence de la question se pose encore un jour. C'est déjà assez extraordinaire, et finalement, même si je meurs aujourd'hui, ou demain, ne serait-ce qu'avoir connu tout cette immensité, la Congrégation, Pénoplée, Sarah, Énavila, Eric, cette lune étrange, vaudra déjà mille fois une vie monotone dans une capitale surpeuplée d'un monde archaïque et injuste. Mais qu'importe, après tout, s'il faut mourir ? Qu'importe ce que l'on a vécu. Peut-être il importe de le transcrire, de le laisser, mais comment alors ? Devrais-je lutter pour qu'un jour quelqu'un retrouve mes écrits, retrouve mon récit sur Terre, retrouve mon bracelet, tout ce que j'y ai enregistré ? C'est sans doute un peu l'essence de la vie, laisser une trace que d'autres pourront voir, lire, comprendre, analyser, suivre ou ne pas suivre. Mais comment ! Comment faire parvenir cette trace sur Terre, désormais ? Comment même la faire parvenir à la Congrégation ? Nous aurions dû peut-être rester dans le vaisseau, et nous laisser voguer pendant quelques millénaires avant que quelqu'un nous trouve.

Des millénaires ! Mais c'est mourir, déjà, que de sauter une année, de perdre le fil, de ne plus connaître les gens, de ne plus retrouver sa vie, d'être un étranger. Je le serais désormais si je retournais sur Terre, tout ce qui a dû changer depuis mon départ, mes parents, mes amis, Mandrake... Et même, si j'y retournais ? Qu'y ferai-je ? Quelle devrait être maintenant la chose la plus juste à faire ? Les logiciels libres ? Que peuvent-ils bien représenter face à la Congrégation. Il me faudrait sans doute lutter pour l'intégration de la Terre à la Congrégation, sortir de la misère et du désespoir tous ceux qui souffrent sur Terre. Pourtant c'est aussi détruire notre identité, c'est affirmé péremptoirement que le modèle de la Congrégation est le meilleurs, et qu'il faut éliminer la façon dont les gens vivent sur Terre. Le choix, sans doute laisser aux gens le choix, le choix de rester sur Terre, de garder leur vie, ou de partir vers un nouveau monde. Mais qui resterait ? Ceux qui ont quelque chose à perdre, sans doute, les puissants, les autres partiraient sans hésitation, qu'est-ce qui peut bien résister à l'immortalité et le plaisir perpétuel ? À la tranquilité d'une vie dans un petit village de Stycchia, avec la femme qu'on aime ?

Je suis partie, pourtant, après tout j'aurais pu refuser de cherche à comprendre, me satisfaire d'une situation intermédiaire, pas vraiment dans la Congrégation mais quand même sous ses bons hospices, dans les bras de Pénoplée. J'aurais pu rester bien sagement à l'écoute du Congrès, j'aurais pu accepter cette mise-en-scène de ma prétendue ancienne identité dans la Congrégation...

Mais je n'aurais jamais survécu à tant de doute ! Je crois que je préfère encore mourir ici que de n'avoir fait tout ce que j'ai fait.. C'est peut-être ma punition, après tout. Après tout les choses ne sont peut-être pas si innocentes qu'il n'y parait, et sans aller à l'hypothèse d'une puissance divine, on récolte tout de même ce que l'on sème...

"Comment ça va ?"

Énavila ! Elle me contacte alors que Sarah dort depuis quatre ou cinq heures sur les six que nous nous étions fixées ; plus exactement les huit trente-sixièmes de jour d'Adama.

"Ça va, nous sommes en radeau, un peu avant le tournant où les gros grillés nous ont attaqués, je pense que d'ici douze heures nous serons vers le village (seize trente-sixièmes). Et toi quoi de neuf ?"

"Tu n'as pas eu de mal à retrouver Sarah, où était-elle ?"

"Elle était prisonnière d'un village d'hommes-oiseaux, mais elle s'est échappée, nous nous sommes retrouvés dans les montagnes, ensuite nous sommes revenues vers le fleuve."

"OK, ici c'est galère, ils ne me filent rien à bouffer, je crève la dalle."

"Même pas à boire ?"

"Même pas, je suis obligée de boire l'eau qui suinte. Bon elle n'est pas trop mauvaise, et la combi a un filtre, donc ça va, en plus elle est riche en minéraux et tout, mais il n'empêche que ces connards me laissent crever de faim."

"Ils ne sont pas revenus te voir depuis leur dernière visite ?"

"Si... Enfin non, juste l'interprête."

"Qu'est-ce qu'il voulait ?"

"Parler. Je crois qu'il a compris que nous ne sommes, enfin, que je ne suis pas comme les hommes qu'il a pu croiser, que je ne viens pas du même endroit, en tout cas. Nous avons parler pendant trois quarts d'heure (un trente-sixième), avant qu'un garde ne passe et ne l'oblige à partir."

"Il t'a appris des trucs ?"

"Pas vraiment, sur le coup je ne comprenais presque rien à ce qu'il disait, il a énormément répéter. Je tentais de donner des mots pour voir s'il les comprenait. On n'a pas beaucoup avancé. Après coup le bracelet à traiter une partie de ce qu'il disait, il a repérer une grammaire apparentée à la langue de la Congrégation, mais la prononciation est super différente, sans doute parce qu'ils ne sont pas capable de parler comme nous, ça siffle à mort. Bref, il me faudra encore parler pendant des heures avant que le bracelet ne traduise correctement. Vous allez faire quoi ?"

"Aucune idée, pour l'instant on va se rapprocher du village, mais après, je ne sais pas."

"Le jour s'est levé ?"

"Non il nous reste encore un jour je crois. Si tu veux j'ai programmé le jour et la nuit sur mon calendrier, tu le veux ?"

"Ouais."

Énavila récupère mon calendrier.

"C'est quoi ton calendrier pourri là, j'y comprends rien."

"Ah oui c'est en jours de la Terre depuis mon départ."

"Qu'est-ce que tu veux que je fasse d'un truc pareil ! Laisse tomber, je ferais le mien."

"OK. Quoi qu'il en soit on est un peu embêté, si les grillés nous attaques, on ne pourra pas faire grand chose."

"Vous pouvez peut-être rester au milieu du lac ?"

"C'est pas gagné, si la plupart ne savent pas trop bien nager, certains y arrivent à peut-être, on ne tiendra pas quatre jours là au milieu."

"La combi de Sarah peut distiller de l'eau, vous aurez des poissons, vous pouvez tenir."

"Mouais, et si un dragon nous attaque, on est mort."

"Je l'ai dégommer le dragon."

"Il y en a peut-être d'autre !"

"On n'en a vu qu'un, et gros comme ils sont, ils doivent occupé un territoire assez grand."

"On en a vue deux ! Dans le lit du fleuve sec, nous en avons vu un deuxième, vers l'aval, ce n'était pas un grillé, en tout cas il ne semblait pas."

"Oui c'est vrai, enfin bon, vous voulez faire quoi, venir avec moi dans le cachot, à quoi ça va nous avancer ?"

"C'est déjà mieux que de se faire bouffer par des grillés !"

"Ah ce moment-là construisez-vous une cachette, creuser un trou, protégez-vous, comme tu voulais faire, venir ici c'est idiot, on sera tous les trois bloqués."

"Nous n'aurons pas le temps de construire une cachette avant le jour, nous arriverons au village quand il se lèvera."

"Arrêtez-vous, alors, de toute façon ce n'est pas partie pour que je bouge. J'ai rien a bouffer, mais je peux boire, je tiendrais bien quatre jours de plus."

"C'est pas génial, en plus pour tes blessures, il te faudrait manger."

"Pas tant que ça mes muscles vont fondre, c'est le plus efficace pour guérir rapidement. Ensuite il me faudra reprendre du poids, mais cet emprisonnement n'est pas si malvenu compte-tenu de mon état. Mon bracelet est plutôt positif pour l'instant."

"Bon, je vais voir avec Sarah."

L'idée de me terrer dans un trou pendant quatre jours ne m'enchante guère, et je serais plus satisfait de tenir compagnie à Énavila dans son cachot, mais elle n'a pas tord, sacrifier notre liberté est idiot, surtout si nous pouvons faire autrement.

Je réveille Sarah une heure plus tard, pour discuter de l'idée d'Énavila.

- Ça ne m'inspire pas trop de rester dehors, m'avoue Sarah en faisant la moue.

- J'avoue que moi non plus, mais si à court terme on sera plus en sécurité dans le village, rien ne dit qu'ils ne vont pas nous laisser mourir dans les cachots, Énavila n'a rien eu à manger depuis qu'elle est emprisonnée.

- Oui sans doute que ce serait mieux is nous parvenions à rester dehors, mais comment nous assurer que les grillés ne vont pas nous trouver ? Il nous faudrait une grotte, une cachette. On n'aura pas le temps de trouver ça d'ici au lever du jour.

- C'est vrai que si nous voulons atteindre le village, nous ne devons pas nous arrêter, et si on décide de chercher une cachette, nous n'aurons plus le choix, il nous faudra absolument en trouver une.

- Je n'ai pas envie de me retrouver face à des grillés, encore, je me demande si je ne préfère pas mourir de faim dans un cachot. De toute façon dans les deux cas, est-ce qu'on pourra s'en sortir ?

- À court terme on sera plus en sécurité au village, c'est sûr, mais dans les jours qui viennent, rester à l'extérieur est quand même un gage de liberté.

- Jusqu'à présent nous avons échappé aux grillés par miracle, il ne faut pas nous leurrer. Même dans la cachette dans le trou près du fleuve, si le barrage n'avait pas céder, ils auraient creuser jusqu'à nous atteindre. Nous ne leur avons jamais réchapper facilement, à chaque fois nous étions à deux doigts d'y passer, moi je ne prends de nouveau ce risque, je vais au village. Je suis désolée, mais je ne reste pas dehors, je ne peux pas supporter une nouvelle attaque.

En un sens la position catégorique de Sarah m'arrange bien. J'avoue aussi avoir le ventre noué à l'idée de devoir de nouveau me battre contre les grillés, devoir supporter leurs attaques acharnées, et voir la mort de si près. J'avoue que je n'ai pas tenté de convaincre Sarah autant qu'il l'aurait fallu, et que j'ai laissé passer un peu le temps pour que la question ne se pose même plus, pour que notre seule issue ne soit que de nous rendre au village. J'avoue que je me suis senti faible, si faible, et que j'ai accueilli avec honte les injures d'Énavila, qui n'a pas manqué de nous traiter de faibles, de limaces, de mauviette, quand nous l'avons rejoins, dans les cachots connexes aux siens.

Les hommes-oiseaux n'ont pas fait beaucoup plus d'histoire que pour Énavila, ils nous ont rapidement conduit dans les cachots, par le même chemin. Nous avons tenté tant bien que mal de glisser les barres sous nos combinaisons, en leur faisant prendre une forme épousant notre corps, de façon à ce qu'elles ne nous soient pas retirées. L'astuce a marché, et Énavila reconnaît au moins que cela nous offre un petit avantage.

Jour 399

Nous sommes chacun dans un cachot différent, sur la même lignée, sans doute pour que nous ne puissions pas nous voir, mais les bracelets nous permettent d'écarter ce problème et de parler librement sans même que nos geôliers ne s'en aperçoivent.

Il ne nous sera toutefois pas facile de faire croire que nous ne nous connaissons pas, nos tenues sont identiques.

"Et qu'est-ce qu'on fait maintenant ? nous rétorque Énavila, après quelques minutes que nous avons passé Sarah et moi à faire le tour des quatre ou cinq mètres-carrés de notre cellule."

"OK, on aurait peut-être dû rester dehors, mais on était crevé, et on n'avait pas envie de courir le risque de devoir nous battre encore contre les grillés, tu ne vas pas nous le reprocher indéfiniment. Tu ne peux pas nous en vouloir de tenter de sauver notre peau, merde. T'aurais été bien avancé si s'était fait bouffer tous les deux..."

"Chiale pas, je t'ai rien dit, c'est pas ma faute si tes parano. Il n'empêche qu'il faut quand même que nous décidions que faire maintenant."

"Je pense qu'ils vont s'occuper de nous bientôt, nous interrompt Sarah."

"Qu'est-ce qui te fait croire ça ? lui lance Énavila."

"Le jour se lève, ils doivent être en suractivité pendant la nuit, pour approvisionner le village, et profiter du jour pour se reposer et s'occuper de la politique interne."

"C'est possible, lui dis-je, mais ils peuvent aussi ne rien en avoir à faire de nous, de jour comme de nuit."

"Nous le saurons bien assez tôt, nous coupe Énavila, énervée, mais ça serait bien que nous soyons prêts."

"Prêts à quoi, lui rétorque Sarah, à leur sauter à la gorge ?"

"Oui."

"Pour faire quoi ? Se faire jeter en pâture aux grillés ? Je pense qu'attendre tranquillement la prochaine nuit est ce que nous avons de mieux à faire."

"Elle n'a pas tord, s'ils sont vraiment très occupé la nuit, ce sera aussi un moment où il y aura moins de monde dans le village."

"Et vous comptez vous évader comment, il faudrait peut-être le préparer un minimum, non ? Plutôt que d'attendre en ce tournant les pouces ?"

"En faisant quoi ? En rongeant les barres ?"

"Pourquoi pas ? lance Énavila, avec les barres vous pouvez peut-être les tordre, et passer entre."

"Quoi qu'il en soit nous ne pourrons pas le faire avant le dernier moment, si on se fait repérer c'est foutu, lui fait remarquer Sarah, par contre on peut peut-être tenter de creuser la pierre, mais je ne sais pas trop à quoi ça peut nous avancer."

"Creuser autour de l'armature des grille pour la fragiliser, suggère Énavila, mais ça va faire du bruit."

"Quelle galère ! On est toujours autant dans la merde."

"Depuis quand t'es impoli toi ? demande Énavila."

Je suis surpris de sa question, surtout par le ton de sa voix. Aurait-elle une faiblesse ?

"Bah, la fatigue sans doute."

"Nous ferions peut-être bien de dormir un peu, oui, ça nous remettrai les idées en place, suggère Sarah."

"Je ne fais que ça depuis quatre jours, de dormir ! s'énerve Énavila, dormez si vous voulez, mais filez-moi au moins une barre ! Combien est-ce que vous en avez ?"

"Deux chacun, je lui réponds, nous en avons perdu deux."

"Les deux miennes, mais j'aurais eu du mal à les récupérer."

Je jette un oeil par la grille pour tenter de voir si le gardien ne regarde pas vers nous, mais la voix semble libre, je récupère une des barres que j'avais entourée autour de ma taille et la fait passer à Énavila. Les cachots ne sont pas très éloignés les uns des autres, et je peux presque attraper la main d'Énavila en lui passant la barre. À ma surprise, elle se laisse effleurer la main avant de la retirer. J'aurais aimer la prendre dans mes bras, ne serait-ce que pour avoir un contact humain, tenir quelqu'un dans mes bras...

Je laisse Énavila tenter diverses expériences avec sa barre, et j'essaie, comme elle le faisait contre la paroi, de me reposer un peu, même si je ne suis pas exténué, mais nous avons ramer pendant des heures sur le lac, et n'avons guère dormi depuis notre décision de nous rendre au village. Malheureusement je n'ai pas de combinaison du même type que celle d'Énavila, et je me rends vite à l'évidence qu'il me sera impossible de dormir contre la paroi. Je tente alors de trouver un coin au sol un peu surélevé ou je ne trempe pas dans l'eau. Mais l'humidité et le froid me rende le sommeil difficile. Je suis d'autant plus énervé qu'Énavila tape doucement quasiment sans interruption. Je finis par me couper les conduits auditifs avec mon bracelet, le chargeant de me réveiller en cas de bruit suspect.

Je n'aime pas trop utiliser ses astuces pour bien dormir, pas tellement qu'elles sont mauvaises, pas autant en tout cas que les somnifères, mais j'ai toujours la crainte de prendre le risque de rendre mon sommeil plus difficile si je perdais mon bracelet. La dépendance à ce truc m'inquiète parfois, tout à la fois j'aimerais ne pas en avoir besoin, ou l'avoir en moi et être sûr de ne pouvoir le perdre. D'un autre côté, le bracelet se resserre quand on l'enfile, et il faudrait sans doute me couper le bras pour le retirer sans mon accord.

C'est la faim qui me réveille. Contrairement à Sarah et Énavila, je ne peux pas filtrer l'eau qui coule, et mon bracelet m'indique tout de même que l'eau est riche en sulfate et qu'une consommation excessive ne serait pas recommandée. Sarah en filtre alors pour moi et me la fait passer discrètement dans une barre en forme de récipient. J'abuse de sa bonne volonté pour boire plus qu'il ne faut.

Nous n'avons pour toilettes qu'une rigole qui récupère les eaux ruisselantes et qui enlève difficilement nos excréments. Je suis obligé de les pousser un peu pour ne pas avoir à subir les odeurs résiduelles. Mais depuis notre arrivée nous n'avons guère eu de confort, et j'utilise le moins possible la combinaison pour conserver ses capacités de protection. Heureusement celle-ci inclus un petit générateur récupérant l'énergie de mes mouvements ; il a pour l'instant tenu le choc, malgré toutes les déchirures affligée par les grillés, et surtout le dragon qui a arraché la manche droite, et sérieusement troué le côté gauche.

Jour 400

Quasiment une journée entière passe sans que nous n'aillons la moindre visite. Je me repose comme je le peux, tente de faire un peu d'exercice pour me dégourdir les jambes, principalement sautiller sur place ou faire des pompes et des abdos. Énavila se moque de moi, disant que si elle n'avait pas son bras et sa jambe cassés, elle me battrait à plates coutures. Je veux bien la croire, surtout que ce corps n'est pas mon initial, quoiqu'il soit quand même pas mal en forme, surtout après nos trois semaines passées ici. Trois semaines déjà ! Bordel ! J'en ai plein le cul du temps qui passe ! Si seulement on pouvait s'arrêter deux secondes pour souffler un peu...

Ils nous jettent de la nourriture, avec des seaux ; leurs restes, semble-t-il, des tripes, des os à moitié rongés, accompagnés d'une bouillie empestant. Nous en avons chacun un seau entier, mais ce sera sans doute la seule nourriture jusqu'au prochain lever de soleil, soit neuf jours.

- Les salauds, ils pourraient nous filer une gamelle ! La prochaine fois qu'il passe j'embroche ce salopard !

L'envolée d'Énavila attire le garde qui vient la réprimander. Il utilise sa lance à travers la grille pour la piquer. Ce qui n'est pas très malin de sa part car Énavila l'attrape et lui arrache des mains, le garde hurle, d'autres gardes arrivent.

"Rend-lui la lance, ne fais pas d'histoires, pas encore, tu as un bras et une jambe cassés, s'ils te tabassent ils peuvent compromettre ta guérison."

Énavila m'écoute et rend la lance au garde, et se recule en signe de soumission.

"Salopard, je me ferai cet enfoiré, je lui embrocherai le cerveau par le trou du cul !"

Une fois Énavila calmée et les gardes repartis, je reprends mon activité de triage, récupérer la nourriture et l'entreposer dans un coin à peu près sec. La bouilli n'est pas qualifiée de trop mauvaise par le bracelet, même si elle a un goût prononcé de papier mâché.

"Il vaut mieux manger la viande d'abord, c'est ce qui va se perdre le plus vite, commente Sarah, la bouillie semble à base de plantes, de céréales ou de racines, elle devrait se conserver plus longtemps."

Nous nous efforçons alors chacun de classer et protéger les restes qui ont été lancés. Je rechigne un peu à récupérer dans l'eau cette immonde bouilli, mais je me dis que je n'aurais peut-être plus que ça à manger dans quelques jours. Une fois mon garde-manger constitué, je passe presque autant de temps à nettoyer le sol de ma cellule, pour garder un minimum de propreté et éliminer toute les traces de nourritures que je n'ai pas pu ou pas voulu ramasser. J'évacue le tout par la rigole, en poussant de l'eau pour que tout soit emporté.

Cette nourriture est infecte, et ma faim ne suffit pas pour me forcer à manger ces os puants. J'en ai la nausée.

"On ne tiendra jamais ici s'ils ne nous filent que ça à manger."

"J'ai déjà tenu quatre jours, mon pote, alors prends-en de la graine."

"Eh oh ! J'ai pas glandé en quatre jours, j'ai fait que courir, je me suis fait attaquer par ces cons de singes, alors ne la ramène pas trop."

Quatre heures s'écoulent, Énavila marmonne de rage dans son cachot, Sarah ne dit pas un mot, et moi je tente de m'occuper tant bien que mal, mais mis à part tenter de dormir ou faire un peu d'exercice, je n'ai guère d'imagination. Énavila a tenté à plusieurs reprises de tenter d'ouvrir la serrure, avec la barre, celle-ci devrait pouvoir prendre la forme de la clé adéquate, mais apparemment le système est un peu compliqué, et le bruit du fer ne manque pas de faire venir siffler le garde a chaque fois ; c'est mal barré...

"Il va falloir qu'on se casse d'ici ! nous répète sans cesse Énavila, moi je vais devenir folle !"

"Tant qu'il fait jour c'est une mauvaise idée, et puis où irons-nous ? lui réponds finalement Sarah."

"J'en sais rien, mais on ne va quand même pas crever ici ?"

"Maintenant nous avons la certitude qu'ils ne veulent pas nous laisser mourir, lui dis-je, ils nous nourrissent."

"Ils nous nourrissent tu parles ! Leur bouffe gerbante ! Leurs restes ! Qu'ils crèvent ! Ah si seulement je n'avais pas mon bras et ma jambe cassé, je resterai pas comme vous à glander !"

"Ah ouais ! Et tu ferais quoi, tu défoncerais les grilles ?"

"Déjà je ne serais pas venu m'enfermer connement ici ! Ah si seulement je vous avez laisser crever ! Au moins je me serai pas fait attaquer par ce foutu dragon, et je serais loin alors."

"Tu serais exactement au même point, dans ce cachot, idiote !"

"C'est ça ouais ! Connard, minable !"

J'arrête là notre conversation constructive et retourne à mes occupations...

Jour 401

Dix heures passent, aucun changement, aucune visite, rien. C'est à en devenir dingue, coincés dans nos quatre mètres carrés, dans le froid, l'humidité. Énavila s'énerve un peu sur les grilles, par deux fois elle fait venir le garde qui lui siffle dessus. Je m'inquiète un peu pour Sarah, qui est entrée dans un mutisme depuis notre arrivée ici. Quelque chose semble la préoccuper, mais impossible de lui faire avouer quoi.

Une demi-journée plus tard, pas mieux. La viande commence à sentir vraiment pas bon, je me force à la finir et à jeter les restes. J'accompagne le tout d'un peu de bouillie pour faire passer, c'est vraiment infect. Il me reste à manger pour deux jours au plus, s'ils ne passent vraiment pas avant le prochain lever de soleil, ça va être dur.

Jour 402

- Il va falloir qu'il se passe quelque chose ! Hurle Énavila en tapant sur les grilles. Bordel !

Aucun réaction des gardes, ils ne sont peut-être même pas là. J'aurais préféré à la limite qu'ils viennent lui faire comprendre qu'elle doit se calmer tout de suite, parce qu'elle a continué à beugler pendant bien une heure, et finalement deux gardes sont arrivés avec chacun un seau. J'ai douté qu'ils allaient encore nous donner à manger, quoi qu'ils auraient pu croire qu'elle criait parce qu'elle avait faim, mais la réalité est beaucoup moins appréciable, leurs seaux contenaient des bêtes, des insectes, qu'ils lui ont lancé au visage. Des saloperies de petits insectes piquants, qui se sont ensuite répandu partout, nous obligeant pendant tout le reste de la journée à les tué le plus rapidement possible, ces fichus bestioles se ruant sur notre nourriture. En plus leur piqûre est extrêmement douloureuse, et démange dix fois plus que celle de moustiques.

"Bien vu Énavila ! Bien vue ! lui martèle Sarah pendant presque tout le temps que nous passons à tenter d'éradiquer les insectes."

Énavila s'est fait énormément piquer au visage, en plus ces insectes, tout petits se sont logés en masse dans ses cheveux. À l'entendre hurler j'ai cru qu'elle allait faire une crise cardiaque.

J'avoue que cette expérience nous a sacrément démoraliser. à la fin de la journée, complètement lessivé, j'ai peine à continuer à tuer les insectes qui restent, et dès que je m'endors je me fais réveiller presque aussitôt par un nouveau qui me pique, ou les démangeaisons insoutenables procurées.

Jour 405

Nous maudirons Énavila pendant les deux jours qui suivent. Impossible de dormir, impossible de faire abstraction des ces immondes minuscule calamités. Les démangeaisons vont en s'amplifiant, seule solution, couper le sens du toucher avec le bracelet, mais c'est très dangereux de dormir ainsi, on peut en effet facilement se mordre la langue ou se tordre complètement un bras sans même s'en apercevoir. Au début nous réprimandions Énavila, un peu avec de l'humour, désormais je crois que moi comme Sarah la haïssons doucement, même si nous savons qu'elle n'est pas vraiment responsable, même si nous savons qu'ils ont fait ça juste pour nous diviser, pour nous empêcher de recommencer, il n'empêche que nous l'avions quand même prévenue de rester calme, de ne pas s'énerver. Il faut toujours qu'elle pète un cable, qu'elle se rebelle, elle ne pourrait pas une fois dans sa vie tenter de prendre un peu sur elle et de ne pas tout faire subir aux autres ?

Six jours que nous sommes enfermés dans ces maudits cachots. Il doit faire nuit de nouveau. Ce pourrait être le bon moment pour tenter de nous échapper, mais nous sommes tout trois à bout de force. Je passe mes journées assis dans un coin, je me lève de temps en temps pour marcher, mais les déplacement me donnent l'irrésistible envie de me gratter, mon bras droit est en feu, j'ai eu le malheur de dormir deux heures en coupant les sensations, je me suis réveillé couvert de piqûres sur mon bras droit. Le pire c'est qu'une seule de ses bêtes peut piquer dix fois d'affiler

Jour 406

Nous ne nous sommes pas dit un mot de la dernière journée, je n'ai plus rien à manger depuis hier, je meurs de faim. Mon bracelet estime mon poids à cinquante neuf et demi, c'est trois ou quatre kilos de moins que mon poids normal. Ce n'est pas encore inquiétant mais c'est sans doute le poids le plus bas que j'ai connu. J'ai froid. Je me force à boire abondamment, je n'attends plus désormais que Sarah me filtre de l'eau, je bois directement l'eau ruisselante, elle n'est pas si mauvaise, en tout cas pas pire que les immondices que j'ai mangés ces derniers jours.

Jour 407

Plus qu'un jour avant le lever du soleil, normalement nous devrions avoir de quoi manger dans deux jours maximum. C'est long, je meurs de faim. J'ai encore perdu un kilo. Énavila n'a pas dit un mot, j'ai parlé un peu avec Sarah, elle va assez bien, elle était un peu plus éloignée du cachot d'Énavila, elle a moins eu à subir les insectes, enfin un tout petit peu moins, ces saloperies s'infiltrent de partout. J'en tue encore plusieurs dizaines par jour. Je commence à avoir vraiment froid, je demanderai bien à Sarah de me prêter un peu sa combinaison, parce que je suis vraiment mal en point, j'ai l'impression que je suis en train de tomber malade.

Jour 408

Il doit faire jour maintenant, mince ! Pourquoi n'avons-nous toujours pas à manger ! Sarah crie à plusieurs reprise "manger" à la grille, mais personne ne répond. À chaque fois je frissonne de voir revenir les gardes avec des seaux d'insectes. Je crie après Sarah de risquer de les provoquer, je crie après Énavila de l'avoir déjà fait, Énavila nous crie maintenant en permanence dessus d'être revenue ici, de ne pas être restée dehors pour la délivrer, Sarah refuse de me prêter sa combinaison ne serait-ce que quelques heures, ça me met hors de moi, je me retiens d'hurler à cette chienne que je suis quand même aller la chercher pendant des jours, que j'ai bien failli me faire bouffer par des grillés géants et par des singes à la con pour elle.

Elle s'en fout ! Elle s'en fout royalement ! J'aurais mieux fait de la laisser crever, j'aurais mieux fait de rester avec Énavila ! Ou tout seul, j'aurais mieux fait de me barrer après qu'Énavila se soit fait prendre, je serais peinard maintenant ! Quel con !

Jour 409

À manger ! Enfin ! Je me jette sur la nourriture, mais quelques bouchées suffisent à me donner mal au ventre. Mon estomac s'est sans doute bien rétrécie. Je fais une pause, bois un peu et je me charge alors de récupérer toute la nourriture lancée, un plein saut, toujours cette bouillie accompagnant des restes de viande. Je suis moins difficile que la première fois, et je mange avec appétit les tripes et la moelle des os.

Une fois repus, je prends enfin le temps de réfléchir un peu.

"Ils ne nous donnent bien à manger qu'une fois pour leur journée, tous les neuf jours, ça va être dur."

"Il faut absolument que nous partions la prochaine nuit, tente de nous convaincre Énavila, nous ne tiendrons jamais ici."

"On peut difficilement faire quoi que ce soit tant que tu ne seras pas correctement rétablie, lui fait remarquer Sarah."

"Je suis quasiment rétabli, ça fait quand même plus d'un petit que c'est arrivé ! Je n'ai pratiquement plus mal !"

"Il faut souvent trois petits pour une bonne solidification des os, et cela dans les meilleurs conditions, ce n'est pas le cas ici. La douleur diminue quand l'os commence à se resolidifier, pas quand tu es guérie. Si tu veux retrouver des os solide, il faut que tu te tienne tranquille encore au moins deux petits."

"Deux petits ! T'es barge, je serais morte de folie d'ici là ! Et puis la combi fait office de maintient, je n'ai pas de tension sur mes membres touchés, on peut considérer qu'ils se réparent dans de bonnes conditions."

"Ton bracelet te dit que c'est OK ? lui demande Sarah d'un ton ironique."

"Non OK il dit que ce n'est pas encore bon, mais merde, on va pas rester ici encore deux petits, on sera mort de faim d'ici là, on aura plus de force, on n'aura même pas la volonté de tenter de s'évader ! C'est maintenant ou jamais."

"Pas maintenant, là la prochaine nuit, fais-je remarquer à Énavila."

"Oui à la prochaine nuit, c'est bon, me prends pas pour une conne."

Deux petits, un mois ! Je suis un peu de l'avis d'Énavila qu'il nous faudrait partir avant, on sera desséché d'ici là. Mais si Énavila n'est pas guérie, si elle ne peux pas courir, nous ne serons pas plus avancer.

"Peut-être qu'on devrait partir de jour, après tout ils s'attendent sûrement a ce qu'on tente de nous enfuir la nuit."

"Tu crois qu'ils savent que nous sommes capable de deviner s'il fait jour ou pas ? demande Sarah."

"S'ils nous donnent à manger un peu après le lever du jour, c'est pas trop dur, lui fait remarquer froidement Énavila."

"C'est bizarre qu'ils ne soient même pas venus nous voir, quand même."

"Peut-être qu'ils ont autre chose à faire, peut-être qu'ils nous prennent pour de simple hommes du coin, et qu'ils se moquent pas mal de nous."

"La question qu'ils me posaient, je crois, explique Énavila, au début, juste après m'être fait capturé, devait être si je connaissais Sarah. J'ai repassé plusieurs fois ensuite le texte, surtout après mon entretien avec l'interprète, et ça devait être un truc du genre « Connaissez-vous la fille blanche des montagnes capturée près du fleuve », ou « trouvée après l'inondation »."

"Donc si ça se trouve, dis-je, ils voulaient simplement s'assurer que nous étions tous les trois ensemble, ou au moins toi et Sarah."

"Mais à quoi ça peut bien les avancer ? demande Sarah dubitative, ils devraient plutôt chercher à savoir ce que nous faisions, ce que nous voulions, si c'est nous qui avons fait exploser le barrage, ils ont du entendre l'explosion d'ici."

"Clair qu'ils ont dû l'entendre ces enfoirés, si seulement ils avaient été plus prêts, ils se seraient pris la vague en pleine gueule, ça les aurait calmer."

"Ça ne nous avance pas beaucoup sur ce que nous devons faire et ce qu'ils veulent, soupire Sarah"

Jour 410

Nous n'aurons pas beaucoup plus d'idées et retournerons rapidement à notre repas en cours. Après avoir manger plus qu'il ne faut, je me jure d'être plus économe à l'avenir et de tenter de garder de quoi manger pour les huit jours qui vont suivre. Mais le petit tas de nourriture que j'ai constitué ne doit pas faire plus de quatre kilos, c'est bien insuffisant pour neuf jours entiers...

Je m'enfonce ensuite dans un profond somme, n'ayant pas encore complètement récupérer de cette calamité d'insectes.

Jour 411

Jour 412

Jour 413

Guère de progrès dans les trois jours qui suivent. Je réussi à conserver presque la moitié de ma nourriture, pas sans d'incommensurables efforts pour me retenir de tout engloutir. Au début, je mangeais une petite bouchée toutes les heures, mais c'est le meilleur moyen de conserver son appétit ouvert en permanence. Maintenant je mange une bonne ration, mais une fois par jour seulement, et c'est bien plus facile à soutenir, même si la sensation de faim reste pratiquement permanente.

Des hommes-oiseaux ! Ils arrivent avec des seaux ? De la nourriture, encore ? C'est inespéré ! Noooon ! Des insectes ! Les hommes-oiseaux lancent directement dans l'allée leur deux seaux, remplis de poissons morts infestés de ses insectes de mort !

Vite ! La nourriture ! Je me jette dessus, mange tout ce que je peux avant que les insectes ne viennent ne le contaminer. Ces petites saloperies de volent pas mais elles sautillent et en quelques minutes elles ont envahi tous nos cachots !

- Les rats ! Les chiens !

Je hurle en Français, Énavila et Sarah hurlent aussi, les traitant de tous les noms. Mais cela ne fait que leur donner prétexte dix minutes plus tard pour relancer de nouveau un saut de cette calamité ! Arg, si je les avais sous la mains, les pourritures ! C'est donc ça, ils nous envoient ces merdes pour nous empêcher de comploter, pour nous empêcher de dormir, pour nous rendre fous ! Je les hais !

"Il faut qu'on se barre d'ici ! Il faut qu'on se barre d'ici ! La prochaine nuit je m'en fous je me casse, vous faîtes comme vous voulez, nous préviens Énavila."

"Oui mais comment nous enfuir, comment sortir des cellules, ils ne les ouvrent jamais, ils ne viennent presque jamais."

"Je m'en tape le prochain qui passe je le bute, je cherche même pas a comprendre, je le défonce direct, il paiera pour les autres s'il le faut."

Nous n'avons même pas le temps de raisonner Énavila, elle se met a hurler sur le champ en s'agrippant au grilles. Assez rapidement deux gardes s'approchent et lui sifflent dessus, ni de une ni de deux elle frappe à travers la grille avec l'épée qu'elle avait préparée et fend le crâne du premier. Le second se recule immédiatement, apeuré, puis s'enfuit.

- Il va avertir les autres vite, regarde s'il a des clés !

Énavila attrape le garde mort par le pied et le tire vers elle, il gémit.

- Merde, ce con n'est pas mort.

- Achève-le, lui recommande Sarah.

- Non ! Demande lui les clés s'il ne les a pas ! lui crie-je avant qu'elle n'ai l'idée de le transpercer avec son épée.

- Il n'a pas de clé, bordel !

Énavila le retourne et l'attrape par le col.

- Les clés ! Les clés !

Elle le secoue mais il est trop amoché, il ne doit rien entendre.

- Clés !!!!!

Énavila hurle a m'en crever les tympans, mais rien n'y fait. Quelques secondes plus tard toute la cavalerie arrive.

- Sortez vos épées, préviens Énavila, on se barre !

Je me prépare, ils vont en effet tenter d'ouvrir les cellules, c'est notre chance.

"Nous n'avons aucune chance, il nous faut remonter je ne sais pas combien de niveaux, nous sommes fichus, désespèrent Sarah."

"On est fichu de toute façon, maintenant, fait remarquer Énavila."

"Mais comment faire, ils ne vont jamais ouvrir les trois cellules en même temps !"

En effet les hommes ouvrent la cellule d'Énavila, ils sont un peu moins d'une dizaine, de toute façon on ne rentre pas plus dans le petit couloir. Ils se postent avec leur lance et leurs épées, Énavila n'en a que fi, elle leur fonce dessus comme une furie. Elle en fauche deux qui ne s'attendait pas à la voir sortir contre eux. Les autres tente de l'embrocher avec leur lance, mais la combinaison de protection d'Énavila est solide, elle a dû la passer en mode armure. Ils ne la contiennent pas, c'est impressionnant, elle hurle en les repoussants comme un bulldozer, ils ne peuvent rien faire, elle est trop puissante pour eux, il faut dire qu'elle fait déjà bien une fois et demi leur taille.

Une fois ceux-ci repousser jusqu'à l'entrée, Énavila hurle.

- Les clés !

Et elle les lance dans le couloir, j'ai un peu du mal mais grâce a ma barre je parviens a les récupérer, leurs clés sont bizarrement foutu, il faut l'enficher dans une encoche, et ensuite pousser un verrou qui devient mobile et permet d'ouvrir la porte.

Ma porte ouverte, j'ouvre sans attendre la porte de Sarah puis je me jette avec Énavila contre les hommes-oiseaux, à nous deux dans les petits couloirs, avec nos épées, ils ne nous contiennent pas. J'ai plus de mal toutefois car ma combinaison ne me protège pas suffisamment.

- Nous n'arriverons pas a remonter jusque là haut !

- Sarah, crie Énavila, descend pour voir s'il n'y aurait pas une issu par le sous-sol !

- C'est impossible, crie-je, nous sommes bien trop profond !

- On n'arrivera pas a remonter jusqu'à la surface, ils sont bien trop nombreux, il nous faut un autre moyen !

- Autant nous rendre avant qu'ils nous embrochent !

- Impossible, maintenant ils nous retirerait nos combinaisons et nos armes, nous ne pouvons pas reculer !

Sarah revient dix minutes plus tard, nous avons avec Énavila presque remonté d'un étage, j'en peux plus, on ne tiendra jamais !

- Il n'y a rien, confirme Sarah, il y a bien un lac souterrain, mais il ne semble pas y avoir d'issu, de toute façon comme nous sommes largement en dessous du niveau du lac, s'il y avait une issu nous serions submergé ici.

- Il nous faut remonter alors, pas le choix !

- Sarah, file moi ta seconde barre, lui crie-je, j'ai besoin d'un bouclier !

Sarah me file sa barre que je transforme en bouclier. Je martèle tant que je peux, mais ils se relaient rapidement, et nous avons beau les repousser encore un peu, leur pression augmente, et je vois mal une échappatoire.

Sarah me remplace un moment, je n'en peux plus, et les couloirs sont trop étroits pour être à trois de front. Énavila se bats encore avec l'acharnement qui la caractérise, ses coups d'épée font des carnages. Nous marchons sur les corps des hommes-oiseaux tombés, plusieurs dizaines déjà. Je suis blessé à mon bras dénudé, je saigne abondamment.

Mais soudain les hommes-oiseaux se retirent, ils battent rapidement en retraite, nous leur courrons après à toute vitesse, pour remonter à la surface le plus vite possible, les derniers marchent a reculons, ils gardent leurs lancent pointées vers nous.

Bien sûr, c'est un traquenard, à l'arrivée en haut des marches, nous sommes dans une salle où se trouve cinq gros lézards semblent-ils pas super amical. À notre arrivée les hommes-oiseaux, qui sont montés aux murs, ils sont agiles ces bougres, lâchent les lézards de combat contre nous. Ces lézards font bien la taille d'un lion.

"Utilisez vos bracelet, c'est notre chance !"

"Bien sûr, les bracelets marchent sur ce type de bestioles."

Énavila fonce, je lui emboîte le pas, nous lançons tous les trois des décharges sur les lézards, je parviens difficilement à en étourdir un, mais les combi de combats de Sarah et d'Énavila n'ont aucun mal à mettre au tapis les cinq autres. Nous nous ruons vers la sortie, Énavila défonce deux ou trois portes avec rage, celles-ci volent en éclat, c'est impressionnant. Les hommes-oiseaux sont surpris, quatres des six lézards de combat se relèvent et nous partent après, mais nous fuyons déjà, les quelques gardes sur notre passage ne font pas le poids, surtout que les lézards ont l'air plutôt incontrôlable et défonce tout sur leur passage aussi, faisant fuir les hommes-oiseaux.

Nous nous retrouvons dehors en quelques secondes, courant tout droit, entre les maisonnette, en direction du port.

"Qu'est-ce qu'on fait ?"

"L'eau ! On plonge dans l'eau !"

Nous n'avons de toute façon guère le choix, les remparts sont infranchissable, et passer dans leur tunnel d'accès serait suicidaire, nous plongeons alors sans hésiter dans les eaux du port, nageant rapidement vers la sortie. Il fait nuit, comme nous nous y attendions. Le port est ouvert, et les hommes-oiseaux n'ont pas le temps de refermer les portes avant notre passage. Ils nous lancent des flêches, Énavila et Sarah ne craigne pas grand chose, mais j'en reçois une dans le mollet. Énavila le voix et me tire à coté d'elle, pour me protéger, mais rapidement les flèches cessent, et nous nageons vers l'extrémité du lac, toute proche, et la continuité du fleuve.

"Il nous faut regagner les berges ! nous hurle virtuellement Énavila, ils sont en train de sortir un bâteau pour nous poursuivre !"

"Ils sortent aussi sur la rive à gauche ! nous dit Sarah, il faut aller de l'autre côté !"

"On est foutu ! dis-je, j'arrive à peine à avancer avec cette satanée flèche, ils vont traverser le pont avant même qu'on arrive de l'autre côté, et si on reste dans l'eau, leur bateau va nous rattraper, ou du pont ils vont nous arroser de flèches !"

"Coupe tes sens pour la flèche, on réglera ça plus tard, me dit Énavila, on va faire de l'apnée, utilisez vos barres comme des palmes !"

J'aimerais bien me virer cette flèche, bon sang !

"File-nous tes barres, on ira plus vite que toi, on poussera avec nos jambes, nage avec les bras toi."

Sarah et Énavila prennent mes barres et se les matérialisent en forme de palme. Elles s'accrochent à moi, un, deux, trois, on plonge !

Nous descendons de plusieurs mètres sous l'eau, nos bracelet coupe nos respiration, j'ai gardé mes sens, tant pis pour ma jambe. Je nage la brasse avec mes bras du plus fort que je peux, Sarah et Énavila me tiennent chacune d'un bras et nage avec l'autre, elles poussent aussi fort avec leur palme. Après quelques mouvements nous sommes synchronisé et nous passons rapidement sous le pont ; c'est la nuit, ils ne doivent pas voir grand chose, quoi que je ne connaisse rien de leur vision, mais en tout cas ils ne semblent pas avoir tiré de flèches.

"Ils ne doivent pas savoir où nous sommes, leur fais-je remarquer, utilisons les barres comme des tubas, ils ne les verront peut-être pas, nous pouvons avancer plus longtemps avec."

"Bonne idée, me syme Énavila, tiens, prends la barre de ma jambe cassée, de toute façon j'ai moins de puissance avec, vide là !"

Je me dis que je ne serai pas arriver à la vider de son eau, alors j'utilise le pouvoir de transformation de la barre pour l'allonger jusqu'à la surface, en forme de barre simple, puis pour faire apparaître à partir d'en haut un tunnel central, déjà vide d'eau.

Je respire un grand coup puis bouche le bout avec la barre, et la passe à Sarah.

"J'ai bouché le bout avec la barre, dématérialise le bouchon pour respirer."

Nous devons nous passer la barre assez rapidement au début, pour retrouver notre souffle, mais après quelques tours, nous nous passons la barre toutes les deux ou trois respirations, et nous continuons à avancer.

"Le bracelet ne semble plus détecter de présence proche, nous pouvons peut-être remonter à la surface, y caille ici."

"C'est vrai que tu n'as pas de combi, fais remarquer Sarah."

"Oui mais ça serait vraiment bête de se faire remarquer maintenant, nageons encore un peu, au moins ont sera tranquille."

Je suis congelé, au moins ça m'évite de penser à ma blessure. Je pers du sang, mon bracelet m'indique une estimation de perte de l'ordre d'un peu moins d'un litre, c'est deux fois plus qu'un don du sang, OK un demi-litre c'était de la gnognotte, mais un litre, c'est chaud, toutefois l'hémorragie semble contenue par le froid, c'est déjà ça.

Finalement après vingt minutes je ne tiens plus, je leur demande de nouveau.

"Je suis glacé, j'ai perdu un litre de sang (deux pierres et demi), est-ce qu'on peut pas remonter, je vais perdre connaissance dans pas longtemps sinon, je suis désolé..."

"OK on va sur la rive, de toute façon ils ne sont plus dans le coin, peut-être qu'ils nous observe, mais avec la nuit et si on est discret, on devrait pouvoir rester tranquille."

Nous remontons prudemment vers la surface en allant vers la rive, nous tentons de ne pas faire trop de vague. La rive est constituée d'une large bande herbeuse, sans doute balayée souvent par les crues, puis la forêt débute. De l'autre côté les champs cultivés ont sans doute remplacé la forêt, il y a encore toutefois quelques haies. Deux grosses lunes et une petites éclairent significativement la nuit. Nos bracelets en mode nuit nous permettent de voir presque comme en plein jour. Nous avançons à quatre pattes pour nous mettre à couvert de la forêt, une fois là je m'effondre, épuisé, j'attendais ce moment depuis trop longtemps.

"Il faut que je te vire ta flèche, me préviens Énavila, prépare toi."

"Deux secondes, deux secondes, laisse moi souffler."

"Non il faut le faire vite, tes vaisseaux sont contracter, ça limitera l'hémorragie. Coupe ton toucher si tu as peur de trop tringler."

"OK, OK."

Je me retourne pour laisser Énavila voir la flèche, elle s'est plantée en plein milieu de mon mollet ! Elle va faire un carnage en tirant ça. Je n'ai même pas envie de tester sans couper la douleur, et je m'enfonce dans un monde fade pendant les vingts minutes qu'il faut à Énavila pour retirer cette maudite flèche.

"Il faudrait que nous te prêtions une de nos combinaison, pour que ta blessure soit désinfectée et guérisse plus vite. Mon bras et ma jambe ne sont pas encore guéris, Sarah, toi tu n'as rien, tu pourrais lui prêter la tienne."

"Non, lui réponds sèchement Sarah."

"Comment ça non, il est blesser, moi aussi, toi toutes tes blessures sont guéries, tu peux lui prêter quelques jours !"

"Non je ne prête pas ma combi, prête-lui la tienne si tu veux."

"Putain mais pourquoi tu veux pas lui la passer ? Il m'a bien passer la sienne, lui."

"Et ben t'as qu'à lui la rendre, je ne lui file pas ma combi, c'est tout, pas besoin de discuter."

Énavila se lève, énervée, elle commence à parler tout haut.

- Quoi mais tu délires, c'est quoi cette merde, pourquoi tu veux pas lui filer ?

"Parle pas tout haut tu vas nous faire repérer, lui dit simplement Sarah."

- Petite pétasse, qu'est-ce que tu veux que ça me foute qu'il te repère, après tout ce que j'ai fait pour toi, et lui aussi, j'aurais dû te laisser te faire bouffer par les grillés, tiens, salope. File-lui ta combi !

Sarah ne répond même pas et s'éloigne. Énavila commence à la suivre, je la retiens.

"Attends, laisse."

"Mais non ! Pourquoi elle te filerait pas sa combi ! C'est pas normal !"

"Il y a peut-être quelque chose qu'elle ne veut pas nous dire, peut-être qu'elle a trop froid, peut-être qu'elle a peur, je sais pas..."

"Et toi ? T'as pas froid et peur, peut-être, t'as perdu un max de sang, t'es glacé. Il faut désinfecté ta blessure !"

"Oui, mais je ne pense pas qu'elle refuse de me donner sa combi uniquement par égoïsme, il doit y avoir un truc dont elle ne veut pas nous parler, attendons un peu, peut-être qu'elle nous le dira."

"Mouais, n'empêche que ça nous met dans la merde, si je te file pas ma combi, maintenant, ça risque d'être chaud pour toi, et si on nous attaque sur ça, je ne pourrai pas faire grand chose."

"Ma combi a déjà dû empêcher que la blessure s'infecte, elle devrait me protéger."

"Rien n'est moins sûr, en plus on ne sait pas si leur flèche n'était pas empoisonnée, il faut désinfecter rapidement, au plus on attend au plus on prend des risques. Bon tant pis je te prête ma combi, déshabille toi."

"De toute façon il me faut faire une pause avant de repartir, il me faut boire aussi."

"Tu n'as pas bu dans le fleuve ?"

"Un peu mais j'aurais préférer boire de l'eau pure, comme je suis blessé."

"Bon enlève ta combi, pendant ce temps je vais aller te chercher un bocal d'eau avec une barre, ensuite je te prêterai la mienne, et on tentera d'avancer un peu, j'ai peur qu'il y ait une équipe d'hommes-oiseaux qui n'approche."

"OK"

Je retire tant bien que mal ma combinaison, Énavila va discrètement vers le fleuve. Je bois presqu'un litre d'eau, puis elle m'aide à mettre sa combinaison, Énavila en profite au passage pour observer ma blessure, elle est moins pire que ce qu'elle pensait. Je n'ai toujours pas rétabli mon toucher, mais une fois la combinaison protectrice d'Énavila enfilée, je bois encore un peu, puis je réactive mes sensations, et Énavila me bloque au sol un moment, bon sang ! Ça fait super mal ! J'ai l'impression qu'on m'arrache la jambe ! Putain pourquoi je l'ai laisser faire ça ! J'aurais dû garder cette flêche ! Merde !

Mais je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort, des signaux indiquant l'approche d'homme-oiseaux nous obligent à lever le camp. La combinaison inclut une quantité limité d'une sorte de liquide désinfectant qui permet aussi de faire ressortir toutes les impuretés, c'est comme un gel qui entre dans la plaie puis ressort en tirant avec lui tout ce qui reste collé ou dilué. C'est autant douloureux qu'efficace. Énavila m'aide à marcher pendant quelques minutes, puis je tente de me débrouiller tout seul avec une barre. Nous nous enfonçons dans la forêt, notre seule chance d'échapper aux hommes-oiseaux, nous prévenons Sarah, deux cents mètres plus loin, que nous bougeons.

Sarah nous retrouve, je dissuade Énavila de lui faire encore des reproche et, nous restons cacher dans un fourré, au milieu de petits arbres-herbes. Nous utilisons ma combinaison et celle de Sarah en mode caméléon quand les hommes-oiseaux passent à proximité, en espérant que leur odorat ne nous perdra pas, mais il fait nuit noire dans les sous-bois, et le plus proche ne passe qu'à une dizaine de mètres de notre cachette. Cela me donne au moins la satisfaction de me serrer contre Énavila, pour la cacher, elle serait trop visible avec ma combinaison, même si elle n'est plus trop blanche désormais. Je m'endors d'ailleurs rapidement en la tenant dans mes bras, mais elle y reste, elle n'a peut-être pas très chaud non plus.

Je dors presque sept heures avant qu'Énavila ne me réveille, pour repartir. Nous ne pouvons pas rester trop longtemps dans le coin, ils finirait par nous trouver. Ma blessure est moins douloureuse, mais Énavila refuse que je lui rendre la combinaison, prétextant que sa jambe est en fait totalement guérie, au moins pour pouvoir marcher sans difficulté. Nous avançons dans la forêt pendant quelques heures, mais nous sommes trop faible pour continuer, nous décidons alors de manger un peu avant de reprendre la route. Sarah n'a pas dit un mot depuis l'épisode de la combinaison, mais elle se charge d'aller chasser. Elle nous ramène des petits oiseaux-lézards, comme nous en avons déjà manger beaucoup, et dont nous savons que la chair crue n'est pas si mauvaise.

Elle retournera en chasser quelques nouveaux après que les premiers nous ai mis en appétit, et nous n'avons presque rien manger depuis presque dix jours. Après un somme d'une heure ou deux, nous mangeons de nouveau un peu puis nous repartons, inquiets de rester dans les alentours du village. Le jour se lèvera dans trois ou quatre jours, mais nous n'en discutons presque pas, tant ce sujet est déjà polémique, et tant sommes-nous dénués d'idées quant à ce que nous pourrons faire une fois que le danger des grillés redeviendra réel.

Après deux heures de marche dans la forêt, et sans signe d'être poursuivi, nous sortons et marchons à la lisière, ce qui nous permet d'avancer beaucoup plus vite, même si je traîne la patte. Je suis obligé de faire des pauses régulièrement, ma jambe me fait vraiment souffrir.

Par deux fois nous seront obligés de nous tapir dans la forêt, pour laisser passer un bateau sur le fleuve, mais ceux-ci ne nous chercher vraisemblablement pas, ils étaient plutôt destinés au transport de marchandise, l'un remontait vers le village, l'autre en venait. Sans doute y a-t-il plus en aval sur le fleuve d'autres villages avec lesquels ils commercent. Nous serions tenté de faire un radeau, pour pouvoir nous laisser aller au gré du fleuve, mais nous avons un peu peur de nous faire repérer trop facilement ainsi. Je serai pourtant mille fois favorable à cette option, tant ma jambe est douloureuse.

La construction d'un radeau nous prendrait toutefois pas loin d'une journée, et si les cachots du village nous étaient devenus insoutenable, face au danger des grillés et du jour qui approche, les choses sont plus relatives, il nous faut trouver une cachette efficace dans les trois jours qui viennent.

Jour 414

Après six bonnes nouvelles heures de marche, nous prenons le temps de nous éloigné suffisamment du fleuve et prenons le risque de faire un feu, quitte à signaler notre présence aux bateaux qui passent. Mais nous sommes trop désireux de manger enfin un peu de viande chaude pour ne pas courir ce danger. Le repas chaud et le sommeil sous la chaleur des flammes me font le plus grand bien. Je dors encore bien plus que Sarah et Énavila, et elles me réveillent deux heures après s'être elles-mêmes levées. Je suis gâté et j'ai droit à un petit déjeuner tout préparer.

- C'est cool, je devrais me faire tirer des flêches plus souvent.

- Ne t'y habitue pas trop, dit ironiquement Sarah.

C'est pratiquement la première fois qu'elle nous adresse la parole depuis l'épisode de la combi. Énavila se retient de l'envoyer balader ; je voulais demander à Énavila si elle désirait reprendre la combinaison, mais je préfère attendre un peu avant de revenir sur ce sujet.

- Bah, je sais que ça ne durera pas...

- Comment va ta blessure ? me demande Énavila.

- Mieux, c'est peut-être parce que j'ai dormi, mais j'ai beaucoup moins mal.

- Tu devrais y jeter un oeil, me conseille Énavila, tant que nous sommes là et que nous avons du feu, on pourra la redésinfecter s'il le faut.

Je retire ma combinaison et je laisse Énavila regarder ma jambe, je n'arrive pas à me contorsionner suffisamment pour bien voir.

- Non c'est bon, il n'y a pas l'air d'y avoir de pue, la cicatrisation à commencer, encore quelques jours et ce sera sans danger.

- Tu veux que je te refile la combi, maintenant je ne dois plus en avoir besoin.

- Non garde là encore quelques jours, mon bras et ma jambe sont presque guéris.

- Tu n'a pas mal ?

- Si, marchait est très douloureux, mais ce ne doit pas être pire que toi, et puis je m'aide de la barre.

Énavila utilise les deux barres pour se faire une canne et une sorte d'atèle au mollet, de façon à ne pas trop s'appuyer sur sa jambe casser. Elle boîte quand même pas mal.

Sarah ne dit rien, Énavila lui lance un regard noir de remontrance, c'est vrai qu'elle pourrait au moins nous expliquer pourquoi elle ne veut pas nous donner sa combinaison.

Nous levons le camp une heure plus tard, et nous nous redirigeons vers le fleuve, en faisant attention à la lisière de la forêt de vérifier qu'il n'y a aucun bateau en approche. Nous marchons silencieusement pendant presque huit heures. Ma jambe me fait moins mal, mais j'avance encore doucement, sans toutefois trop pénaliser le groupe car Énavila n'avance pas beaucoup plus vite avec sa jambe cassé. Je ne pense pas que nous marchons à plus de trois kilomètres par heures, toutefois nous sommes sans doute désormais à plus de cinquante kilomètres du village.

Jour 415

Jour 416

Le passage de bateaux nous donne l'occasion de faire des pauses, souvent nous attendons simplement une demi-heure après leur passage pour avancer un peu dans la forêt, et faire un feu. Presque deux jours passent ainsi, sans grand changement. Ma blessure va beaucoup mieux, et nous n'avons pas eu de problème autre que quelques animaux sauvages un peu téméraire, mais un bon coup d'épée leur faisait rapidement entendre raison.

Nous avons beaucoup manger depuis le départ du village, et nous avons largement rattrapé de notre diète forcée. L'arrivée du jour se fait plus pressente, nous ne voyons pas encore de lueur à l'horizon, mais d'ici à une journée le soleil devrait se lever. Les abords du fleuve n'offrent guère d'endroits où se cacher, la solution la plus satisfaisante à nos yeux serait de construire un radeau, le fleuve est immense à notre niveau, sans doute plusieurs centaines de mètres de large, nous devrions être à peu près en sécurité au centre des eaux.

C'est cette solution qui a notre préférence, et nous passons presque dix heures à rechercher tout le bois mort et sec des environ. Un grand feu nous permet de faire sécher des branches trop humides, et grâce aux barres nous accrochons deux gros rondins bien secs, et ensuite un tapis de branche légères posés sur les barres permettent de constituer un plancher. Il nous faut bien sûr quelques essais infructueux avant d'avoir un embarcation ou nous sommes assis au sec, mais le résultat n'est pas si mal.

Nous devons finalement nous tenir assis avec les pieds dans l'eau, notre poids complet faisant trop s'enfoncer les rondins pour avoir véritablement une surface hors de l'eau. Nous nous sommes confectionner de même quatre rames, qui nous permette de diriger tant que faire se peut notre petite embarcation. Le courant du fleuve est cependant correct, et nous avançons sans doute une fois et demi à deux fois plus vite que si nous marchions. Nous avons quelques réserves de nourriture, nous laissant l'espoir de pouvoir avancer tranquillement pendant plusieurs heures.

Nous croisons deux bateaux, mais les bracelets les détectant bien en avance, nous avons le temps de nous échouer sur la rive et de faire les morts, la rive étant désormais suffisamment fournis en arbustes et bois morts pour que nous passions inaperçus.

Jour 417

C'est aux premières lueurs du jour que nous apercevons un nouveau village, beaucoup plus grand que le précédent. Nous nous plaçons le plus loin possible vers l'autre rive, et nous restons dans les eaux du fleuves le temps de notre passage à proximité du village. Il possède un port, comme l'autre, et de nombreux bateaux y mouillent. Il y a encore beaucoup d'activité tout autour du village, qui ressemble plus à une petite ville.

Ce village plus grand laisse à penser que nous nous dirigeons vers une zone plus habitées, peut-être aussi moins soumise au péril des grillés. Mais qu'allons nous faire plus en aval ? Et qu'allons-nous trouver ? Nous nous accordons sur l'importance de trouver la trace des hommes que ces hommes-oiseaux semblent avoir côtoyer, mais comment pourrons-nous les rejoindre ? L'idéal serait que nous parvenions à communiquer avec certains hommes-oiseaux non hostiles, et qu'ils nous expliquent comment contacter nos semblables. Malheureusement ils ne semblent pas des plus amicaux envers nous. Nous allons peut-être devoir capturer un de ces hommes-oiseaux et le faire parler, mais il nous faudrait trouver un interprète, ou nous ne tirerons jamais rien d'intelligible.

Deux heures après le passage du village, nous faisons une pause pour faire des réserve de nourriture en prévision des quatre jours de soleil qui arrivent. Notre chasse n'est malheureusement pas très fructueuse, à croire que les animaux se sont déjà tous terré dans l'attente de la nuit, ce qui est de la plus mauvaise augure pour nous.

- Vous pensez vraiment qu'on sera tranquille au milieu du fleuve, dis-je pas très rassuré à l'idée d'une attaque de grillés.

- T'as une meilleure idée ?

- Pas vraiment mais l'eau ne les a jamais arrêté.

- Oui mais ils ne savent pas nager, et le fleuve est vachement large.

- On pourrait tenter de se cacher dans le village, nous coupe Sarah, il semblait y avoir plein d'habitation autour, et il était moins fortifié que le premier.

- C'est vrai qu'entre la peste et le choléra, je choisis encore de retourner au village.

- C'est pas forcément une bonne idée, les gens du village ont dû être avertir par les bateaux que nous sommes en fuite.

- C'est à savoir là où nous serons le moins en danger les prochains jours, cachés dans le village, éventuellement prisonniers, ou au milieu du fleuve, au milieu des grillés.

- Si on doit revenir au village, il nous faut remonter le fleuve, il nous faudra bien trois ou quatre heures de marche, ajoute pessimiste, Énavila.

- Il doit sûrement il y avoir un nouveau village en aval, des bateaux semblaient venir de cette direction, peut-être que si ça tourne mal on pourra s'arrêter au prochain village.

- Ça ne me plait pas trop, dit Sarah en faisant la moue, rien ne nous dit qu'il y a un village proche, il faudra peut-être plusieurs jours de navigation, ici nous savons au moins qu'il y a un village, à quelques heures seulement.

- Moi je ne suis pas pour aller en arrière, ce village sait que nous nous sommes évadés, nous aurons plus de chance en aval.

Remonter le fleuve pour le village signifie qu'il nous faudra marcher, et j'avoue que je n'en ai pas vraiment envie, pas plus qu'Énvila, qui boîte elle aussi, seule Sarah n'y verrai pas d'inconvénient, mais elle peut difficilement mettre son veto vu ce qu'il s'est passé ces derniers jours. Nous nous dépêchons alors de faire un feu et d'amasser le plus de viande possible sur notre radeau, de quoi tenir au moins deux ou trois jours, et nous rejoignons le centre du fleuve.

Jour 418

Il ne nous est pas très facile de dormir sur le radeau sans mettre sa stabilité en péril, nous dormons alors chacun à tour de rôle. Nous avançons tranquillement pendant plus d'une demi-journée, les premiers rayons du soleil nous réchauffe, mais ils ne sont pas sans nous faire frissonner à l'idée de tous les grillés qui sont en train de se réveiller à leur contact.

Énavila laissera seulement échapper une "on aurait peut-être dû retourner au village, il y en a un paquet".

Nous n'aurons la confirmation de son intuition que douze heures plus tard, quand la rive droite se noircira de chien-lézards grillés n'hésitant pas une seule seconde à se jeter à l'eau. Nous nous rapprochons rapidement de la rive gauche, qui étrangement reste désertée. Le fleuve s'avère une bonne protection, nous devons nous défendre, mais le nombre de chiens-lézards grillés qui parviennent à nager jusqu'à notre radeau est négligeable comparé au nombre galopant sur la rive, c'est impressionnant, je ne crois pas en avoir déjà vu autant réunis, ça me fait froid dans le dos.

Notre calamité viendra du ciel, non pas un dragon, mais une nuée de lézards volants. De la taille d'une mouette, ils plongent sur nous la tête la première, se laissant tomber de plusieurs centaine de mètres. Des dizaines nous tombent dessus et nous assomme, Sarah perd même connaissance sous le choc, Énavila parvient à la retenir. Nous plongeons rapidement pour nous placer en dessous la structure de notre radeau, mais leur incessantes attaques endommage rapidement la plate-forme que nous avions fait la plus légère possible.

"Le radeau va se disloquer, il faut récupérer les barres avant qu'il ne soit trop tard !"

Nous sacrifions notre embarcation et nous nous accrochons tous les trois à un des rondins de bois, en transformant les barres en boucliers pour nous protéger de l'attaque des oiseaux-lézards. Si les premières attaques ne nous inquiètent guère, nous pouvons facilement dérouté les chiens lézards qui nagent à peine, et les oiseaux s'évertuent à s'assommer sur nos bouclier, trois heures plus tard nous avons peine à voir comment nous allons pouvoir tenir pendant quatre jour ainsi, il nous faut nous reposer, il nous faut manger, la nourriture que nous avions préparée nourrit les poissons, et nous avons bien d'autres choses à faire que les pêcher.

"Ils vont bien s'arrêter un jour ! finie par lancé Sarah, exténuée."

"Sans doute quand nous serons morts, oui, ce qui ne saurait tardé si nous ne trouvons pas vite un moyen de nous en sortir."

"Sortons de l'eau, propose Sarah, il n'y a toujours aucun grillé de l'autre côté, simplement les quelques uns qui ont pu traverser, nous n'aurons qu'à fuir les oiseaux, si on trouve une forêt nous serons tranquille."

"C'est risqué, lui dis-je si jamais les grillés de la rive gauche ont simplement du retard, on se fera piégé."

"Oui mais ici nous ne tiendrons pas !"

"Énavila et moi nous marchons avec difficulté, on ne pourra pas courir, si on se fait surprendre, on est foutu."

"On est foutu ici aussi, j'en peu plus !"

L'eau du fleuve est assez froide, et si ma combinaison me protège efficacement, Énavila doit mourir de froid. Sarah a raison, nous ne tiendrons pas, ici, mais sortir, c'est devoir soutenir les attaques des oiseaux-lézards.

"Vous voyez un endroit où on pourrait se cacher sur la rive gauche ?"

"Après la rive, ce sont des terres cultivées on dirait, il n'y a que quelques haies. Il y a peut-être des habitations où se cacher, mais on ne voit rien d'ici, il faut sortir."

"Bon, on peut déjà tenter de se rapprocher du bord, on sera toujours à temps de revenir dans l'eau."

Nous nageons tant bien que mal, en bataillant encore avec ces maudits grillés qui s'approchent de trop. Nous étions encore loin de la rive ; la sortie de l'eau est sportive, les oiseaux se déchaînent, nous devons nous accroupir sous nos quatre barres en forme de bouclier pour soutenir leurs attaques. Nous avançons doucement vers une haie d'arbres, contre lesquels nous plus plaçons pour faire une pause. Ils nous offrent une maigre protection, mais au moins nous pouvons faire un points sur les alentours.

- Il n'y a pas l'air d'y avoir grand chose, là-bas, peut-être, on dirait qu'il y a un mur.

- Oui, ça a l'air d'un mur, peut-être une route comme au premier village, mais c'est loin, et complètement à découvert.

- Attention ! crie Sarah.

Un grillé qui est parvenu à franchir le fleuve nous saute dessus, mais Énavila l'évite de justesse, l'assomme une première fois avec le bouclier, puis lui tranche à moitié la tête avec une lame qu'elle fait pousser sur celui-ci. Je la couvre pour la protéger de ces cons d'oiseaux qui ne cessent pas de nous tomber dessus.

- On ne peut pas rester là, qu'est-ce qu'on fait ? Il n'y a que cette route ou ce mur, sinon il faut continuer à suivre le fleuve.

- Allons vers le mur, on verra bien.

La traversée des champs ne se fait pas sans danger, ces satanés oiseaux se relèvent après être tomber, et ils pincent avec leur bec. Ils sont faciles à tuer, mais il y en a tellement, c'est à se demander d'où ils viennent. Nous nous approchons péniblement du mur, qui s'avère bien être une route comme nous avions déjà vu au premier village. Nous décidons finalement de suivre la route dans la même direction que le fleuve, même si celle-ci s'en rapproche petit à petit. Une petite colline nous empêche de voir l'extrémité de la route, qui se révèle être un village, comme nous l'avions supposé.

- Il doit y avoir un port, comme les autres, on peut tenter de rentrer par là.

- Il doivent surveiller, d'autant que tous les grillés sont en train d'arriver sur eux.

- Peut-être qu'au contraire c'est le moment de tenter de rentrer de l'autre côté.

- Avec la nuée d'oiseau qui est sur nous ! C'est pas gagné.

- Mais ? Comment ça se fait, d'ailleurs, pourquoi ces oiseaux et ces grillés viennent sur nous, pourquoi est-ce qu'ils n'attaquent pas le village ?

- Il y a déjà des oiseaux sur le village, regarde.

- Ah oui, mais pour les chiens-lézards, c'est quand même bizarre.

- Peut-être qu'ils allaient vers le village, après tout nous étions les seuls à traîner dans le coin.

- C'est vrai.

Nous sommes plus prudents à l'approche du village, voulant éviter de nous faire repérer. La route, comme celle de l'autre village, est en hauteur, nous pouvons ainsi nous réfugier sous les arches, ce qui nous met relativement à l'abri des oiseaux, d'autant que la proximité du village les divertit aussi pas mal.

- Il faudrait faire le tour du village pour repérer l'entrée.x

- Si c'est un tunnel comme pour le premier village c'est trop risqué.

- Il doit y avoir aussi une porte au niveau de la route, peut-être qu'elle est ouverte.

- Il faudrait monter pour voir.

- Je vais voir, nous dit Sarah, sans même que nous puissions l'en dissuader.

Avec l'aide des barres en forme d'échelle, la montée est des plus simple ; Sarah confirme qu'il y a bien une porte, et qu'elle est ouverte !

- Elle est gardée, lui demande Énavila ?

- Je n'ai pas vu, je ne sais pas.

- Un grillé !

Pas qu'un, deux ou trois nous fonce dessus, heureusement Sarah et Énavila réagissent au quart de tour. Nous convenons que nous ne pouvons pas rester là, et que nous pouvons tenter de rentrer dans le village, pendant l'attaque des grillés, c'est le moment le plus propice. Nous grimpons tous les trois sur la route, Sarah et moi utilisons le mode caméléon de la combinaison, Énavila se cache derrière nous. Mais si nous avançons doucement accroupis au début, l'arrivée d'une nuée d'oiseau nous incite à courir le plus vite possible.

Aussitôt rentrés dans le village, passé les portes, que personne ne semblait gardées, nous nous réfugions derrière un tas d'affaires dans un coin, en espérant que personne ne nous ait vu.

"Là-bas je crois que les petits hommes-oiseaux nous ont vus."

"Les deux gamins sous le porche, tu veux dire ?"

"Oui, ils nous ont regardé d'un air curieux."

"S'ils ne sont pas partis en courant prévenir leurs parents, c'est déjà bon signe. Bon il faut que nous trouvions une cachette."

"Oui, ce sont peut-être eux qui élève les chiens-lézards, si c'est comme des chiens, ils vont nous sentir et nous trouver."

"Il faudrait que nous trouvions leurs réserves de nourriture, ils cultivent, ils doivent bien avoir des greniers."

"C'est peut-être en sous-sol, comme dans le premier village."

"Il y avait des greniers en sous-sol ?"

"Non, c'est pas ce que je voulais dire, mais il y avait pas mal de sous-sol."

"C'est pas sûr, ils devraient plutôt conserver la bouffe en hauteur, le plus éloigné possible des bêtes, surtout si c'est une sorte de blé."

"Ça se mange le blé ? demande Énavila."

"Pas tel quel, il faut le transformer en farine et ensuite on peut faire du pain."

"C'est dur ?"

"Ben il faut un four."

Nous repérons à vue d'oeil la maison la plus haute du coin, et nous y fonçons sans plus de précaution. Les deux gamins sont toujours sous le porche, protégés des oiseaux qui tourne au dessus du village. Nous utilisons les barres pour nous aider à grimper sur le toit d'une maison voisine, puis de toit en toi nous montons le plus haut possible.

"Comment faire pour rentrer ?"

"Passons par le toit."

Les toits sont faits de planches de bois recouverte d'une substance un peut goudronneuse. Ils n'ont pas l'air très solide et nous marchons doucement dessus, en nous tenant à l'écart les uns des autres pour ne pas prendre le risque de passer à travers. Nous trouvons finalement le moyen de défaire une des planches du toi, mais une ne suffira pas à nous faire passer, en arracher deux autres nous permet par contre de nous glisser dans une sorte de grenier, bingo ! La pièce est presque remplie à raz bord, et nous devons ramper entre des sacs de jute pour nous ménager enfin un peu d'espace vital.

"Tu avais raison, ça semble être un réserve de nourriture !"

"Il y a beaucoup de poussière, je ne sais pas si nous pourrons tenir ici."

"C'est surtout nous qui avons fait de la poussière, si nous nous tenons tranquille, ça devrait aller mieux."

Nous ouvrons un des sacs, il contient bien une sorte de farine. Au goût c'est assez insipide, mais fortement astringent.

"Il nous faudra de l'eau si nous voulons rester cacher ici."

"Oui, mais ce n'est pas ici que nous allons en trouver, il nous faudra sortir."

"C'est risqué."

"Oui c'est risqué mais nous ne sommes pas venu ici comme dans un hôtel trois étoiles !"

Évidemment ni Sarah ni Énavila ne comprennent ma dernière remarque, j'ai traduit plus ou moins littéralement l'expression française. Bref, nous décidons que nous devrons aller chercher de l'eau de temps en temps. Mais avant de faire quoi que ce soit, j'ai bien envie de faire un somme, je suis crevée ; Sarah me suit, Énavila, bien sûr, est trop curieuse pour rester là.

"Je vais ressortir jeter un oeil à ce qui se passe aux alentours.xs"

Bonne idée ou pas, nous la laissons faire. Elle revient plusieurs heures plus tard, ramenant deux grande gourde et un grand sac. Elle nous réveille pour nous raconter.

"Le village est désert, ils sont tous au port, apparemment c'est la débandade là-bas, ils refoulent les grillés qui sont parvenus à traverser le fleuve. Les oiseaux se sont un peu calmé, mais ils leur donnent quand même du fil à retordre. Le village est grand, beaucoup plus que le premier ; j'ai l'impression qu'ils fabriquent des armes ici, il y en a de gros stocks près du port."

"C'est peut-être comme le premier village, je la coupe, la route conduit à un autre village où se trouve des mines, celui-ci permettant de pécher et d'apporter la nourriture."

"Et d'avoir un accès au fleuve, complète Sarah, ils doivent faire transporter leur fabrication avec les bateaux."

Mince ! J'aurais dû profiter d'être seul avec Sarah pour lui demander pourquoi elle ne voulait pas nous donner sa combinaison... Double mince ! Nous aurions pu utiliser les barres en forme de ballon pour notre radeau, cela nous aurait aidé à le faire flotter ! Je suis vraiment stupide parfois, si seulement je réfléchissais un peu plus... Énavila reprend :

"En tous cas ils étaient complètement paniqué en voyant les grillés arriver, ils doivent leur faire de sacrés dégâts pour qu'ils laissent le village complètement désert, n'importe qui peut rentrer !"

"Peut-être qu'ils n'ont jamais eu de problème d'intrus."

"Ça m'étonnerait, s'ils se sont fatigué à construire une route surélevée et des murailles, c'est qu'ils ne sont pas toujours tranquilles."

"C'est peut-être juste pour les grillés."

"Je sais pas, en tout cas c'est bon pour nous, regardez, j'ai ramené un sac de nourriture, j'ai raflé tout ce que j'ai trouvé."

Énavila sort de la viande séchées, une sorte de galette, des fruits secs, des noisettes.

"Tes folles, tu aurais pu te faire choper !"

"C'était le moment ou jamais ! Et avec un peu de chance nous tiendrons jusqu'à la nuit !"

"Il nous faudra peut-être encore de l'eau."

"J'ai pris deux grandes cruches, il doit bien y avoir huit litres à dix litres (vingt à vingt-quatre pierres), en nous restreignant, on peut tenir plusieurs jours."

"Tu as dû en baver pour ramener tout ça, tu aurais dû nous appeler."

"J'en ai un peu chié, ouais, mais bon, j'y suis allé doucement."

Nous mangeons avec appétit toutes les bonnes choses rapportées par Énavila, et nous nous rendormons, repus et rassuré. Combien c'est bon, parfois, de se rendre compte, après tant de galère, qu'on se retrouve dans une situation agréable.

Jour 419

Nous dormons tous les trois pendant plus de huit heures, c'est un bruit qui nous réveille, des personnes entres dans la pièce. Nous ne les voyons pas, la pièce est complètement bondées de sacs. Ils viennent sans doute en chercher un. Nous retenons tous les trois notre respiration, en priant pour que nous ne soyons pas repérés. Mais ce serait vraiment de la malchance, ils leur est sans doute impossible de nous sentir étant donné la poussière ambiante, et nous somme quasiment à l'opposé de l'entrée, du moins selon la distance à laquelle le bracelet a détecter nos trois visiteurs.

Jour 420

Nous aurons de la visite régulièrement, sans que cela ne nous inquiète. Nous profitons de ces quelques jours de calme pour nous remettre, mangeant sans trop compter les réserves de nourriture et d'eau apportées par Énavila.

"Nous n'avons presque plus d'eau, il faudrait en retrouver."

"C'est chaud, il y a beaucoup plus de monde maintenant dans le village, il fait toujours jours, mais le temps s'est couvert, les grillés doivent être moins actif, d'ailleurs on n'entend plus les oiseaux."

"Peut-être qu'on pourrait repartir, quand va-t-il faire nuit ? Demande Sarah."

"Encore bien un jour et demi ou deux, lui dis-je."

"C'est juste, mais on peut tenir encore un peu avec l'eau que nous avons, et puis ce serait peut-être plus facile de partir de jour, j'imagine que de nuit il y aura plus d'activité."

"C'est pas dit, ils vont sûrement partir aux champs et à la pèche pendant la nuit, ils seront occupés en dehors du village, ce sera peut-être plus facile pour sortir."

"Mais est-ce qu'on ne pourrait pas rester ici ? demande Sarah, encore un peu au moins, pour une journée et une nuit en plus ?"

"Et pour attendre quoi ? lui lance Énavila."

"J'en sais rien, que vous alliez mieux, vos blessures."

"Moi ma flèche ça va, je ne sens presque plus, quand j'ai marché sur le toi aujourd'hui c'était bon ; après plusieurs heures de marche, je ne peux pas dire, mais sinon ça va."

"Pareil pour moi, ma jambe et mon bras ne me font pratiquement plus mal, et depuis qu'Ylraw m'a redonné la combinaison de survie, je peux marcher normalement sans problème."

Voyant que ma blessure au mollet allait mieux j'avais insisté pour qu'elle reprenne la combinaison.

"De toute façon on ne va pas rester ici éternellement, il faut bien qu'on bouge."

"Mais pour trouver quoi ?"

"Des hommes ! Nous sommes sûr qu'il y en a, nous aurons bien de nouvelles indications à un moment ou à un autre."

"Peut-être qu'on ferait mieux de se rendre, nous aurions un nouvel interprète, et on pourrait ensuite tenter de l'enlever pour le faire parler."

"J'ai pas super envie de tenter l'expérience, surtout qu'ils ont peut-être entendu parler de nous, ici, et qu'ils ne nous laisserons sans doute ni nos combi ni nos barres s'ils nous reprennent. Je préfère qu'on continue vers l'aval du fleuve, peut-être qu'on arrivera dans des coins un peu moins belligérants où ils seront moins suspects à notre égard."

Nous tombons d'accord sur la nécessité de repartir. Nous convenons d'attendre l'arrivée de la nuit, en espérant que nos prévisions seront bonnes.

Jour 421

Jour 422

Nous attendrons deux jours, et la dernière journée, sans eau, est assez pénible dans cette poussière. Heureusement, pour la première fois depuis que nous sommes arrivés, il pleut ! Cette manne divine nous permet de nous désaltérer, et facilite grandement notre sortie du village. Nous ne prenons pas le risque de voler plus de nourriture, et nous sortons rapidement et discrètement par là où nous sommes rentrés. Nous devons tout de même assommer deux hommes-oiseaux, que nous décidons de ne pas tuer, de toute façon mort ou pas, notre passage aura été remarqué, et nous sommes presque sûrs qu'ils n'ont pas eu le temps de nous distinguer avec précision, en nous interpellant ils nous ont parlé dans leur langue. Nous ne demandons de toute façon pas notre reste, et, une fois descendu de la route, nous fuyons rapidement en évitant les groupes d'hommes-oiseaux qui sortent du village. Il y avait un peu plus loin que la route une grande porte, qui devait être fermée quand nous sommes arrivés, et qui est maintenant grande ouvert, laissant transiter les chariots et les hommes-oiseaux.

Ils n'ont pas de chevaux, ils utilisent de gros chiens-lézards comme attelage. D'ailleurs nous devons nous débarrasser de deux chiens-lézards qui nous sont partis après. Heureusement la nuit et la pluie doivent rendre quasiment impossible notre repérage. Nous nous éloignons rapidement du village, suivant de nouveau la rive du fleuve.

Il me faudra plusieurs heures de marche avant de ressentir de nouveau une douleur persistante à ma jambe, mais rien d'handicapant. Nous décidons de faire une pause en nous confectionnant un abri avec un tas de planche sur le bords, sans doute déposé là pour fabriquer un enclos, ou simplement tombé d'une cargaison. Il y a un chemin tracé le long de la rive, à une trentaine de mètres du fleuve, un peu en hauteur, sans doute pour éviter les crues. Il n'y a pas vraiment d'animaux dans le coin, il nous faudrait traverser le fleuve.

- Regarder, au village, il y a l'air d'y avoir un incendie !

- Oui c'est vrai, il y a l'air d'y avoir un sacré feu.

- C'est étrange, avec la plus qu'il fait ?

- Peut-être que c'est un feu volontaire, peut-être une sorte de phare.

- Peut­être qu'ils font griller les grillés !

- Ah oui, pas bête, c'est un bon moyen de s'assurer que ceux-là ne les importuneront pas au prochain lever du jour.

- Oui, mais c'est quand même étrange tous ces chien-lézards, on n'en vois pas tant dans la nature, si c'est vraiment une maladie, il devrait y en avoir de partout.

- Peut-être que justement ils sont plus touché que les autres animaux, et qu'ils passent tous grillés.

- Ou peut-être qu'ils se regroupent, peut-être qu'il n'y en a pas tant que ça et qu'ils viennent plutôt par ici.

- Par ici, on en a quand même rencontré tout le long entre le crash et ici, et nous avons parcouru un bon paquet !

- Oui, c'est étrange. Mais c'est quand même bizarre qu'on se trouve toujours sur leur chemin, et qu'il y en ai autant.

- Oui, c'est pas possible qu'il y en ait de partout autant, déjà nous les verrions dès le lever du jour, or il faut souvent un bonne journée avant qu'ils n'arrivent.

- Peut-être que le soir ils remontent sur les montagnes.

- Peut-être, mais quoi qu'il en soit il y a quelque chose de bizarre là-dessous, si seulement nous pouvions parler avec les hommes oiseaux, peut-être qu'ils pourraient nous en apprendre un peu plus, déjà qu'est-ce que c'est que cette maladie qu'ils ont...

- Oui, soupire Sarah...

Nous décidons finalement de ne pas prolonger notre pause, nous sommes encore près du village, et nous avons trop faim pour ne pas tenter de nous rapprocher de forêt où nous aurons plus de chance de trouver de quoi manger. La pluie n'est pas très chaude, mais la marche me réchauffe. Quatre heure de marche plus tard sous une pluie qui ne cesse pas commence à nous faire regretter le coin douillet que nous nous étions confectionnés dans le grenier du village, avec toutes les bonnes choses que nous avait dénichées Énavila.

Jour 423

La forêt ne se révèle être qu'un petit bosquet, nous y trouvons refuge pour nous y reposer un peu à l'abri de la pluie qui ne cesse pas, mais la faim nous réveille bien vite. Nous décidons finalement d'aller pécher du poisson, mais l'eau froide et l'impossibilité de faire un feu ne nous donne guère de courage. Nous reprenons notre route, je commence à avoir vraiment froid.

Jour 424

Une journée de plus, toujours une pluie d'enfer, Énavila m'a finalement prêtée sa combinaison, je n'en pouvais plus. Nous n'avons pas réussi une seule fois à faire du feu, et nous nous sommes contentés des sous-bois pour dormir, mais ils sont désormais aussi trempés que le reste. Nous commençons tous les trois à être malades, il nous faudrait un endroit sec et chaud.

Jour 425

Un canal ! Nous venons d'arriver en face d'un canal partant du fleuve. Le chemin bordant le fleuve prend la direction du canal, aucun pont ne permet de le traverser pour continuer à suivre le fleuve. Si nous voulons trouver de nouveau un village, c'est sans doute en suivant ce canal que nous le trouverons. Les bateaux naviguant sur le fleuve l'empruntent aussi. La faim nous a pousser à nous demander si nous n'allions pas tenter de passer à l'abordage d'un bateau, mais c'est difficilement raisonnable, est le meilleur moyen de nous faire de nouveau emprisonner, ou pire.

- Un chariot !

Pensifs à la contemplation du canal, nous nous retournons Énavila et moi au cri de Sarah, un chariot, plutôt une petite caravane formée de trois chariots, s'approche.

- Il faut qu'on aille se planquer, vite.

Nous nous éloignons du chemin pour aller nous allonger derrière un fourré. Il pleut toujours autant, et la visibilité est toujours aussi mauvaise ; nous ne sommes pas inquiété de nous être faits remarqués. Nous attendons patiemment le passage des chariots, nous pensons tous les trois à la même chose, tenter de leur voler de la nourriture. Malheureusement les chariots, de taille assez conséquentes, sont chacun gardés par trois hommes-oiseaux en armes ; nous devrons plutôt tenter de leur voler que de les attaquer. La caravane passe doucement, ce sont deux chariots à quatre roues et un à deux roues, traînés par cette sorte de gros chien-lézard, peut-être les mêmes bestioles qui nous ont attaqués à notre sortie du premier village.

"Nous pourrions tenter de faire fuir l'attelage, avec les bracelets, et tenter ensuite de leur voler leur nourriture."

"S'ils ont de la nourriture, ce qui n'a rien de sûr."

"Ils doivent bien manger !"

"Ils ne mangent peut-être qu'une fois par jour, quand le soleil se lèvent, c'était à ce rythme qu'ils nous donnaient leurs restes."

"Peut-être aussi le prochain village est-il assez près."

Nous sommes perplexes et nous convenons plutôt dans un premier temps de les suivre, et de décider un peu plus tard que faire. Toutefois ils avancent à bonne allure, et il nous faut trottiner pour les garder en vue. Assez rapidement l'option de stopper un chariot prédomine, et nous nous rapprochons suffisamment pour que nos combinaisons de combat est une action sur l'attelage. Les gardes ont des casques, c'est sans doute ce qui rend nos bracelets doublements inactifs sur eux. La mise en déroute de l'attelage est assez simple, et en dix minutes les hommes-oiseaux ont la surprise de voir s'évanouir dans la nature leur six chiens de traîneaux. Ils sont un peu déboussolés, et la caravane s'arrête. Ils décident, à notre grande satisfaction, de laisser le chariot sur le bord du chemin, et de tous partir avec les deux autres chariots. Cela n'est toutefois pas forcément bon signe, s'ils transportent des armes ou autre chose que de la nourriture, cela ne nous avancera guère.

- Je ne pense pas qu'ils transportent des armes, dit Énavila, c'est trop lourd, ils doivent les transporter par bateau.

- Pourquoi ne transporteraient-ils pas tout par bateau, de toute façon, c'est peut-être plutôt des choses qu'ils ont oubliées, ou alors un de leur bateau est tombé en rade, lui dis-je.

- Moi je pense que c'est de la bouffe, répond-elle.

- Tu essayes de t'en convaincre ? lui dis-je sur un ton de défi.

- Tu paries ?

- Je parie la moitié de ma part que tu te trompes, que ce sont des armes ou un truc du genre.

Nous avançons de plus en plus vite vers le chariot au fur et à mesure de nos estimations, pour terminer en sprint et vérifier enfin qui a raison. Nous arrivons presqu'en même temps, mais notre arrivée est pitoyable, boitant l'un autant que l'autre, presqu'à cloche pied. Nous éclatons de rire mais ne perdons pas de temps pour découvrir la cargaison. Des armes ! Plus exactement des couteaux, des piques, des têtes de flèches.

- Ah ! Saloperie ! jure Énavila, désappointée.

- Cela ne nous donne même pas un endroit sec ou nous mettre, désespère Sarah.

- Nous pouvons toujours nous placer dessous le chariot, au moins on sera abrité un moment.

- TaaDaa ! crie Énavila en brandissant deux petits sacs.

- Qu'est-ce que c'est, demande Sarah ?

- Leur casse-crûte ! s'enorgueillit Énavila.

- Cool !

Nous nous réfugions sous la carriole, obligés de nous ternir presqu'allongés, mais au moins nous n'avons plus cette satanée plus qui nous tombent dessus. Nous ouvrons frénétiquement les deux sacs.

- Tu me files la moitié de ta part, alors, c'est ça ? demande Énavila.

- Ça compte pas ! lui dis-je, ils transportaient quand même plutôt des armes, le casse-croûte c'est un extra !

Des galettes, nous en prenons chacun une avant même de voir ce qu'il y a d'autre. De la viande séchée, des sortes de pains ou gâteau, et des fruits. Il y a largement de quoi faire deux bons repas. Nous convenons de ne manger qu'un petit peu et de conserver le reste.

Après notre festin qui nous rappelle nos journées fastueuses dans le grenier du village, nous tentons de faire un feu, à la limite du chariot, pour éviter de le faire prendre feu, mais tenter de l'abriter tout de même un peu de la pluie. Malheureusement les planches de bois du chariot sont presque toute détrempée, c'est sans espoir. Nous récupérons la bâche du chariot pour nous allongés dessus. Elle est aussi trempée mais au moins amortit un peu les cailloux qui nous rentre dans le dos. Nous nous plaçons tant bien que mal pour dormir un peu.

Énavila me réveille au bout de trois heures, elle est glacée et me demande si je veux bien lui prêter un peu ma combinaison. J'accepte volontiers, cela fait plusieurs jours que je l'ai et mes trois heures de sommeil à l'abri m'ont permis de me réchauffer un peu.

Les trois suivantes ne seront pas une partie de plaisir, c'est vrai qu'immobile avec la petit combinaison, on se les caille sévère. Nous décidons de ne pas dormir plus longtemps, il faut beaucoup trop froid, et nous avons l'espoir de trouver bientôt un village. Nous mangeons encore une galette et un peu de viande séchée avant de repartir sous la pluie. Elle ne cessera donc jamais !

Jour 426

Le jour se lève petit à petit, mais la pluie assombrit considérablement. Nous ne nous inquiétons pas encore trop de l'arrivée possible de grillés, il fait encore beaucoup trop sombre, nous avons sans doute encore une bonne journée devant nous. Nous avons par contre pratiquement manger toute notre nourriture, il ne nous reste que quelques galettes et les fruits, pas grand chose.

Nous n'avons vu aucun bateau ; la pluie commence à grossir considérablement les eaux du canal, c'est peut-être pour cette raison qu'ils ont préférer utiliser des chariots.

Le village se montre enfin ! Ils doivent peut-être les placer à un jour de marche les uns des autres, de façon à pouvoir faire le trajet toujours de nuit, pour éviter les grillés. Nous devons quitter la route à l'approche du village, la pluie ne nous rend pas non plus invisible. Nous décidons, avant de tenter d'y pénétrer, d'en faire le tour, pour repérer un peu les lieux. Le village, contrairement aux précédents, s'étant sur les deux rives du canal, ce qui nous laisse à penser que ce sont peut-être la présence des grillés sur l'autre rive qui repoussaient les hommes-oiseaux des précédents village. À moins que ce ne soit simplement la largeur du fleuve, qui rend impossible la création d'un pont, en effet le canal ne doit pas faire plus d'une cinquantaine de mètre de large. Le village est tout de même fortifié, possédant même deux niveau de fortification, laissant suggérer une extension.

- Il est vachement plus grand que l'autre, et pas sous une attaque de grillés, ça va être plus chaud de rentrer.

- On peut toujours profiter de la pluie, peut-être tenter par le port ?

- Ça ne me dit rien de plonger dans le canal, mais c'est peut-être une solution, oui.

- Ou alors trouver un chariot qui va en ville et se planquer dedans ?

- Ça c'est pas bête. D'ailleurs si le jour se lève ils ne vont pas tarder à rentrer dans le village.

- Ce n'est pas sûr, ils n'ont peut-être pas la menace des grillés par ici.

- Si c'est le cas nous non plus, et on peut rester dehors.

- Sauf qu'on a faim.

- On peut juste tenter de voler de la nourriture, s'ils partent travailler aux champs, ils ont peut-être aussi de la nourritures avec eux.

Nous restons sur cette idée, et nous dirigeons avec précaution vers les champs qui entourent le village. Plusieurs chemins s'éloignent, et nous suivons l'un d'eux à bonne distance. Il y a plusieurs hommes-oiseaux qui transitent un peu de partout. Nous tentons de rester le long des haies, nous cachant tant que faire se peut du regard des villageois. Après une heure de marche, nous repérons plusieurs groupes d'hommes-oiseaux qui travaillent aux champs.

Il nous faut un petit moment avant de dénicher l'endroit où ils ont entreposé leurs affaires, c'est Sarah qui se charge d'aller piquer en douce leur casse-croûte. Elle nous rejoint souriante dans le petit bosquet nous nous étions caché. Nous avons droit à une nouvelle sorte de pain, de la viande fraîche cette fois-ci, et un autre truc immangeable. Il faut dire que c'est déjà une veine que nous puissions manger une partie de leur nourriture, après tout rien n'indique que leur métabolisme est identique au nôtre. Il ne l'est pas, d'ailleurs, mais il n'est pas si différent semble-t-il.

Nous sommes des voleurs, désormais. Nous le sommes devenus sans même vraiment nous poser de question, comme si c'était naturel, comme si c'était normal. Certes ces hommes nous ont emprisonnés alors que nous n'avions rien fait, mais après tout peut-être avaient-ils des craintes justifiées. Ce ne sont pas des hommes, mais ils s'y apparentent tout de même beaucoup, ils sont plus petits, avec des plumes, parfois extrêmement colorées d'ailleurs, c'est surprenant ; leur maison ne sont pas tout à fait identique à celles des hommes, plus petites, plus en hauteur, après tout ce sont un peu des oiseaux. Toutefois ils sont intelligents et évolué, en tout cas suffisamment pour travailler la terre, construire des villes...

Nous sommes des voleurs, mais peut-on vraiment reprocher à quelqu'un de voler pour se nourrir. Jean Valgean en a fait les frais, nous aurions sans doute le même sort ici, mais diantre, ce ne sont que quelques galettes... Que nous soyons perdu sur une planète au bout de la galaxie nous fait toutefois un peu oublier nos valeurs morales, que m'importe ou pas la survie de ces hommes-oiseaux, après tout, quand la mienne ne m'est même pas assurée. Que m'importe de tué ces pauvres malheureux qui travaillent aux champs contre un peu de nourriture ? Finalement, l'idée ne me dérange pas plus que ça, peut-être parce que ce ne sont pas des hommes, peut-être parce que je n'ai que peut d'empathie à leur égard, peut-être aussi parce que je suis trop perdu et désespérer pour me rendre compte de la portée de mes actes.

- Vous pensez que c'est mal de voler ?

- Voler quoi ? demande Énavila interloquée, la nourriture de ces salopards ? Je ne vois pas en quoi ça peut-être mal.

- Et bien, après tout ils travaillent tranquillement à leurs travaux des champs, ils n'ont peut-être pas grand choses à manger, et puis ils ne nous ont rien fait.

- Ils nous ont emprisonnés ! Il nous ont donné à bouffer leurs restes ! Nous non plus nous ne leur avions rien fait !

- Je pense que les avis nous seraient favorables, complète Sarah.

- Clairement ! s'exclame Énavila.

C'est vrai que dans la Congrégation il ne faut pas vraiment raisonner en terme de loi, mais en terme d'avis. Ce n'est pas vraiment interdit de voler, ça dépend de ce que dirait les gens si on leur présentait la situation. Et je consens que dans notre situation, voler un casse-croûte ne serait sans doute pas considéré comme déplacé, surtout que nous ne pouvons pas trop prendre le risque de leur demander poliment...

Nous finissons tranquillement notre déjeuner, puis nous tentons de trouver un endroit sec pour nous reposer, c'est peine perdue, tout est détrempé ! Nous aimerions entrer dans le village, pour nous trouver comme dans le précédent un coin au chaud et au sec, mais il fait maintenant jour, et nous nous ferions rapidement repéré. Pour une fois que les grillés nous avaient servi !

- On pourrait tenter de se planquer dans un de leurs chariots, comme ça on se retrouverait directement dans le village, ensuite il faudrait juste en sortir discrètement.

- Oui c'est jouable, c'est vrai qu'il y en a pas mal dans le coin, qui n'ont pas l'air trop surveillés.

- Mais il faut nous dépêcher, il fait jour, ils ne devraient pas tarder à rentrer.

- On en sait rien, si ça se trouve les grillés ne viennent pas par ici.

- Même, ils doivent bien rentrer se reposer.

- Pourquoi rentreraient-ils avant la nuit ? Après tout qui te dit qu'ils ne viennent pas au contraire d'arriver aux champs, après tout le jour se lève.

- Ouais, bref on en sait rien. Le plus simple est d'attendre qu'un chariot rentre, tenter d'y monter, ou alors se mettre dans un autre en espérant qu'ils rentrent en même temps.

- C'est risqué, si le chariot roule, on aura moins de chance qu'ils vérifient le contenu. Si on se met dans un chariot à l'arrêt, ils vont peut-être y charger des choses avant de partir.

En somme, nous ne savons pas vraiment que faire, nous décidons toutefois de nous éloigner discrètement du coin où nous nous trouvons, au cas où les personnes à qui nous avons piquer le déjeuner ne décident d'explorer les alentours pour trouver une explication. Mais pour contourner le village sans nous faire voir, nous sommes obligés de faire un grand tour en revenant sur nos pas pendant près d'une heure, il y a vraiment des hommes-oiseaux de partout.

Notre bonne chère nous a redonner du courage, qui redouble quand la pluie cesse enfin.

Finalement, une fois la pluie terminée, nous ne résistons pas longtemps au sommeil, et nous nous éloignons considérablement du canal pour finalement trouver assez loin du village, mais encore tout près de champs cultivés, un vieux chariots dont un des essieu est brisé, sans doute abandonné là il y a longtemps. Il nous servira d'abri pour un bon petit somme de presque six heures. C'est encore le froid qui nous réveille, et, devenus sans doute trop gourmands, nous ne résistons pas à l'envie de manger encore, notre diète de plusieurs jours n'ayant été que temporairement oublié avec notre finalement frugal repas.

Nous parvenons sans trop de mal à trouver un nous sac de provisions, et nous avançons encore un peu plus autour du village pour nous retrouver quasiment aux trois quarts de l'autre côté. Une petite forêt sur une colline non exploitée nous permettant de nous déplacer sans crainte d'être vus.

Les hommes-oiseaux ne semblant pas pressés de rentrer, nous nous endormons pour un nouveau somme dans notre petit bois.

Jour 427

Le coin que nous avions déniché dans la forêt était vraiment bien, et nous dormons beaucoup trop, presque neuf heures. C'est une sirène ou un bruit de corps qui nous réveille en sursaut. Le ciel s'est découvert, il fait grand beau, présageant le pire. Nous retournons rapidement pour voir ce qu'il se passe. Les hommes-oiseaux sont presque tous partis ! Les retardataires courent vers le village parfois même en abandonnant leur chargement.

- Merde ! Qu'est ce qu'il se passe !

Des grillés, évidemment ! Et pas des moindres, un dragon électrique et sa troupe de chiens-lézards suivie par les gros-lézards, la totale !

Ils arrivent de la perpendiculaire au canal, ils ont dû soit contourner le fleuve, soit arriver de plus au Nord, de la zone où nous avons atterri. Pris de panique, nous courrons vers le village, ne sachant trop que faire, nous tentons néanmoins de ne pas trop nous faire remarquer, mais le temps nous manque, dans moins d'un quart d'heure ils seront sur nous. Plusieurs chariots se dirigent vers le village, mais la plupart sont vides, nous n'aurons aucune chance de nous y cacher. Nous repérons finalement un chariot considérablement chargé qui avance à vive allure vers le village tiré par six chiens-lézards de traîneau, et qui va passer à notre hauteur sous peu. Nous nous cachons en attendant son passage, puis nous courrons à sa poursuite, en espérant que personne ne nous verra, et nous montons les uns après les autres derrière, n'hésitant pas à jeter carrément de quoi nous faire de la place, de toute façon les conducteurs seraient bien téméraires de s'arrêter pour récupérer ce que nous avons fait tomber, les chiens-grillés ne sont pas à plus de trois cents mètres de nous.

Nous nous enfouissons du mieux possible entre les caisses de sortes de patates, les outils et une bonne cargaison d'épis d'un pseudo blé qui constitue une bonne cachette. Nous ramenons sur nous une partie d'une bâche qui protégeait sans doute les épis de la pluie.

Nous entendons les hommes-oiseaux crier et fermer les portes presque juste après notre passage. Nous passons les premières fortification puis les secondes. Notre chariot continue à avancer pendant cinq minutes ou dix minutes, puis s'arrête.

J'ai le coeur qui bat la chamade, il y a tellement d'agitation autour de nous, les hommes-oiseaux crient, des bruits de fracas terribles se font entendre.

"Bon sang mais qu'est-ce qu'il se passe !"

"J'ai l'impression que le dragon fait un carnage."

Nous ne pouvons nous empêcher de pointer le bout de notre nez pour jeter un oeil. Mais nous devons rapidement retourner au plus profond de la carriole, il y a des hommes-oiseaux de partout qui tente de repousser le dragon en le criblant de flèche. Même sous la bâche, nous voyons les flash des arcs électriques. C'est extraordinaire, le vacarme est assourdissant, des éclairs semblent même partir du sol !

"Il faudrait qu'on bouge de là."

"Impossible, on est en plein milieu d'une place, on se fera remarquer tout de suite, il faut mieux attendre tranquillement ici, ils semblent avoir oublier cette charrette."

Des heures, la bataille dure des heures, jusqu'à ce que finalement une énorme explosion semble mettre fin au combat.

"Qu'est-ce qu'il s'est passer ?"

"Aucune idée, mais ça s'agite beaucoup moins autour de nous."

"Merde ! s'écrie Énavila ! On est repéré !"

"Comment le sais-tu ?"

"Je le sens, merde !"

Je le sens aussi, quelque chose s'approche est sonde nos esprits, quelque chose qui ressemble au géant bleu, en moins puissant, mais qui tente de nous percer. Nous le voyons sur les radars de nos bracelets, quelqu'un s'approche, mais ça a tout l'air de n'être qu'un homme oiseau.

"Préparez-vous ! préviens Énavila."

Soudain quelqu'un retire la bâche d'un coup sec, nous sommes fichus, Énavila bondit comme une furie, avec deux barres en forme d'épée. Mais elle est projetée dans les air comme par enchantement et s'écrase lamentablement à deux mètres du chariot.

Je me rue à mon tour sur l'homme-oiseau qui nous à découvert, il évite mon coup d'épée et m'envoie au tapis d'un revert du bras. Sarah en profite pour sauter de la carriole et lui faire face, Énavila se redresse, je me lève est me joint à elles. Nous sommes trois à lui faire face. C'est un homme-oiseau, ses plumes sont noircis ; il est recouvert d'une sorte de toge. Il n'est pas plus grand que les autres hommes-oiseaux, beaucoup plus petit que nous. Pourtant les autres le laisse seul face à nous, suggérant que ce n'est pas une mauviette.

"À trois !"

"Un... Deux... TROIS !"

Nous nous jetons sur lui, mais il lève simplement un bras et des éclairs en jaillissent, nous sommes électrocutés et projetés au sol. Énavila enrage et se relève aussitôt, elle pare un nouvel éclair avec une barre transformée en bouclier et le manque de peu avec un coup d'épée. Sarah et moi sommes sonnés, nous avons du mal à nous relever, Énavila crie et se jette sur lui, je fais de même, Sarah suit. Il nous attrape distance et nous fait virevolter jusqu'à nous envoyer à plusieurs dizaines de mètres, je m'écrase lamentablement contre le charriot, Sarah contre un mur, seule Énavila parvient à se rétablir, à rouler et à se relever aussitôt.

Je suis hors course, je me suis salement blessé au dos, Sarah semble évanouie. Seule Énavila tient encore tête à cette étrange magicien. Elle semble plus enragée que jamais, mais sa jambe à souffert, elle boîte. Elle se propulse dans une dernière attaque, repousse avec son bouclier un éclair de l'homme-oiseau, mais celui-ci la maintient en apesanteur un instant, la contemplant d'un air curieux, elle semble paralysée, il lui assène un dernier éclair, elle s'écroule au sol...



Deborah Paris, 7 août 2003 - Gap

Tocman

À Paris le mois d'Août 2004 fut chaud, très chaud, tellement que la nuit ou le jour se rejoignaient presque dans une éternelle fournaise, ce jeudi 7 août comme les autres jours. La météo prévoyait tous les jours que ce temps ne durerait pas, sans que vraiment de changement ne survînt.

Il n'était pas très tard, mais il était crevé, Tocman sortait du 43 rue d'Aboukir, dans le deuxième arrondissement de Paris, où il effectuait son stage marquant la fin de sa première année à l'Epitech, une école d'informatique. Son frère travaillait à Microsoft, mais ce n'est pas dans cette société qu'il faisait son stage, plutôt chez David, nommément Mandrakesoft, société éditrice du système d'exploitation Mandrakelinux, fière pousse du mouvement des logiciels libres. Pourtant tout n'allait pas pour le mieux, la société était en plein redressement judiciaire, subissant de plein fouet les retombées de la crise des valeurs technologiques de 2001. Mais Tocman s'en moquait un peu, il était là pour apprendre, et il apprenait, beaucoup, vite, trop, dans cette ambiance triplement chaude de canicule, d'équipe de pointe, et de pression pour survivre, pour sortir les produits, pour continuer la lutte...

Il n'était pas si tard, 19 heures 30 tout juste, mais il était crevé, naze. Guillaume, un développeur de Mandrakesoft, parmi les plus anciens, des plus radicaux, presque, après Pixel, avait passé la journée à lui expliquer quelques rudiments du langage Perl, et Tocman avait fait son possible pour engrangé, comprendre, assimilé, mais désormais il mélangeait tout, ne comprenait plus rien, et après une heure sur un exemple tout bête, il avait décidé de partir chez lui et de dormir enfin, voilà quatre jours qu'il ne dormait pas plus de quatre heures par nuit, et il n'en pouvait plus...

Il la vit, à boiter avec sa béquille devant le porche du 43 rue d'Aboukir, la porte cochère était encore ouverte, donnant sur un passage qui menait aux places de parking composant le rez de chaussée. Il se dit qu'elle allait le reconnaître, l'embrassait, qu'ils allaient se marier et avoir beaucoup d'enfants, ou essayer souvent d'en avoir, tout du moins.

Elle était belle, mais Tocman savait d'entrée qu'elle l'était trop pour lui, pauvre petit stagiaire à la chevelure abondante et dorée. Tocman se dit beaucoup de choses en avançant vers la sortie et en la regardant rester perplexe devant le porche. Il se dit beaucoup de chose, mais, heureusement, pas suffisamment pour se décourager d'avance, et il s'approcha d'elle pour lui demander :

- Bonjour, je peux vous aider ?

Elle leva les yeux de son bout de papier griffonné et il eut l'impression d'avoir dit une bêtise, mais Deborah, qui vit en ce jeune une aide providentielle, lui demanda en anglais :

- Je cherche la société Mandrakesoft ?

Tocman eut une petite bouffée de chaleur, son anglais laissait un peu à désirer, mais il comprenait assez bien. Il lui bafouilla quelques mots en anglais :

- Oui, euh, je travaille ici, euh, en fait je travaille pas vraiment, euh, je suis euh...

Tocman sentait qu'il s'enlisait, il tenta de dire 'stagiaire' avec un accent anglais, Deborah le regarda étrangement, il comprit que qu'il ne servait à rien d'être précis, et se reprit :

- Oui, oui, je travaille ici, je travaille pour Mandrakesoft.

Il se recula un peu, secoua la tête en signe affirmatif et se passa la main dans les cheveux en esquissant un sourire.

Deborah ne sut trop que penser. Elle avait passé la journée à chercher comment venir ici, pensant que peut-être, savait-on jamais, certains des anciens collègues d'Ylraw, qu'elle avait vu lors de l'enterrement de ce dernier, auraient pu l'aider en restant discrets. Mais surtout parce qu'elle s'était rendu compte que beaucoup de Français ne parlait pas anglais, y compris sans doute les parents d'Ylraw, et qu'une fois dans leur petit village, et même pour s'y rendre, elle aurait beaucoup de difficulté toute seule.

Alors, arrivant sur Paris et sachant que Mandrakesoft s'y trouvait, elle avait pris la décision de raconter l'histoire à un de ces anciens collègues et de lui demander son aide. Mais en quelques secondes, en tentant de formuler à ce jeune ce qu'elle voulait, elle se rendit compte que ce ne serait pas aussi simple que dans son imagination. Comment en effet arriver à persuader quelqu'un qu'Ylraw était encore en vie, qu'il se trouvait en Australie et qu'il fallait l'aider ? Elle en douta même de sa certitude et se sentit stupide, là, perdue dans un pays dont elle ne parlait pas la langue, face à ce jeune qui l'avait plus sûrement accoster parce qu'il la trouvait jolie que pour l'aider réellement...

Elle eut alors une autre idée, elle allait l'utiliser ! Elle voyait qu'elle lui plaisait et elle se dit, après tout, que sa connaissance des hommes pouvaient bien lui servir dans un but honorable... Et puis de cette façon elle éviterait de lui en dire trop, et il s'il ne semblait pas forcément le plus vigoureux pour lui prêter main forte, il avait un peu le look d'Ylraw, en moins rabougri, et elle avait suffisamment confiance en elle dans cette tache...

Il ne parlait pas très bien anglais, mais avec un peu d'efforts ils devraient se comprendre. Elle prit un air gêné et lui dit :

- Je suis désolée, je suis un peu perdue, euh, est-ce que je peux vous demander un service ?

Un service ! Il serait son preux chevalier ! Quoi qu'elle veuille !

- Bien sûr, bien sûr, si je peux vous aider.

- Et bien, euh, voilà, c'est un peu compliqué...

Certes une bonne idée de vouloir se servir de lui, mais comment, que lui dire, qu'inventer ?

- Je...

Ce qu'elle voulait c'était qu'il l'aidât à trouver un ancien passeport d'Ylraw, mais elle ne pouvait pas lui dire ainsi, aussi directement... Elle aurait pu lui faire croire qu'elle était journaliste, enquêtant sur la disparition mystérieuse de cet Ylraw, car sa disparition fut bien considérée comme mystérieuse et jamais vraiment élucidée.

- Je suis journaliste, et je travaille sur une histoire étrange aillant touché l'un des employés de cette société...

- Ah, Ylraw ! Vous cherchez des informations sur Ylraw ?

Parfait, il était déjà un peu au courant.

- Euh, oui, mais, vous le connaissiez ?

Tocman se demanda si c'était sain de tenter de la draguer en prétendant bien connaître ce Ylraw. Bien sûr il en avait entendu parlé, son bureau ici à Mandrakesoft avait même été gardé tel quel depuis son départ, depuis sa course folle à travers le monde et son décès tragique en Australie. Mais pouvait-il décemment utiliser le peu qu'il savait pour cette belle ? Oh et puis ce serait sans doute honorer sa mémoire, après tout, d'après ce qu'il savait du feu Ylraw.

- Oui, bien sûr ! Enfin, tout le monde le connait ici, c'était un héros, il avait faisait beaucoup de chose pour Mandrakesoft, et puis beaucoup de ses amis continuent à travailler ici.

Parfait, il mordait à l'hameçon comme une truite échauffée.

- Ah, alors vous pourrez peut-être m'en apprendre un peu plus sur lui ?

- Oui, avec plaisir, mais, je, peut-être que... Il y a un bar au coin de la rue et...

- Je ne voudrais pas vous retenir, vous rentriez... Je voulais juste savoir si j'avais la bonne adresse, peut-être qu'on pourrait se revoir demain ou...

- Oui sans problème.

- Mais si vous n'êtes pas pressé je ne fais rien ce soir, on peut peut-être en parler un peu, mais je ne veux pas vous embêter...

Elle n'allait tout de même pas le laisser partir...

Tocman devrait appeler sa mère s'il ne rentrait pas tout de suite, mais qu'importait, elle ne comprendrait pas ce qu'il dirait. Et puis comment pouvait-il refuser quoi que ce soit à cette superbe américaine, à moins qu'elle ne soit anglaise, mais avec son accent à couper au couteau il y avait fort à parier qu'elle fût américaine. Et puis après tout il n'était que 19 heures et quart.

- Allons au bar juste au coin de la rue là-bas, je vais prendre votre sac.

- Merci, merci, mais il n'est pas très lourd.

- Si, si, j'insiste.

Ils marchèrent en silence jusqu'au bar, et se trouvèrent une table inoccupée dans un coin. Deborah avait mis la journée pour arriver de l'aéroport au centre de Paris puis pour trouver Mandrakesoft dans cet inextricable imbroglios de rues tordues dans tous les sens. Elle se demandait bien comment pouvaient penser des gens qui avaient fait des villes aussi biscornues.

- Paris est vraiment un véritable labyrinthe !

- Ah oui, c'est vrai que ce n'est pas aussi bien... fait que... au États-Unis. Vous venez des États-Unis ?

- Oui, je viens du Texas.

Toujours dire le maximum de vérité, pensa Deborah.

- Ah, et, pourquoi est-ce que vous vous intéressez à Ylraw ?

Lui dire ou pas qu'elle l'avait rencontrer ? Ne pas lui dire ce serait rendre plus crédible son histoire d'enquête et de journaliste ; par contre si jamais une personne de Mandrakesoft présente à l'enterrement la reconnaît, ce sera fichu.

- Je l'ai recontré, au Texas.

- Tu l'as rencontré !

Tocman se dit que l'anglais était pratique à utiliser le même terme pour le tutoiement et le vouvoiement, il pouvait ainsi devenir beaucoup plus familier sans que l'interlocuteur ne s'en aperçût, simplement en traduisant tous les 'you' par 'tu' au lieu de 'vous'.

- Oui, quand il est passé au Texas.

Finalement elle n'aurait pas dû dire qu'elle était journaliste...

- Ah bon, mais... Tu le connaissais, ou.. C'était par hasard ? Tu savais que c'était lui ?

Deborah se dit qu'il posait beaucoup trop de question et qu'elle allait se faire avoir si elle le laissait faire.

- Non je l'ai croisé là-bas, je ne le connaissais pas, mais ensuite j'ai appris son décès en Australie, et déjà au Texas je le trouvais bizarre. En fait je me demandais s'il n'avait pas de la famille en France ? Sans doute ?

- Oui, oui ! Enfin, je pense. Je pense parce que quand les autres en parle ils disent qu'ils sont allés dans le Sud de la France pour son enterrement, il doit avoir de la famille là-bas.

- Ah ! Gap, c'est sans doute ça ?

- Gap, oui ! C'est ça. Vous voulez aller là-bas ?

- J'aimerais bien. Mais je n'ai vraiment pas de chance, je me suis foulé la cheville en descendant de l'avion.

- Ah oui ce n'est pas pratique. Et vous parlez Français ?

- Pas du tout, c'est pour ça que je suis venu d'abord ici, parce que je pensais que dans la société où il travaillait il y avait peut-être des personnes qui parlent anglais qui voudraient bien m'aider.

Plutôt deux fois qu'une !

- Oui, oui, je veux bien vous aider !

Deborah fut satisfaite qu'il lui devînt serviable, elle regretta toutefois encore cette histoire de journalisme, puis se dit qu'elle pourrait peut-être en profiter.

- D'ailleurs, peut-être pourriez-vous en demander un peu plus sur Ylraw, demain ? Comme je suis journaliste il arrive souvent que les gens refusent de me parler. Ils pensent tout de suite que je vais utiliser leur peine à des buts de faire des ventes.

Cette remarque fit un peu peur à Tocman, certes il voulait tout faire pour cette belle américaine, mais peut-être quand même pas se faire dénigrer par les gens de Mandrakesoft pour avoir trop parler.

Deborah sentit que son commentaire avait pousser son jeune ami sur la défensive, et tenta de rattraper le coup aussitôt.

- Bien sûr je vous faire relire et valider tout ce que je vais écrire, de façon à ce qu'il n'y ai aucun malentendu. J'ai désormais pris cette habitude de toujours avoir l'aval des personnes que j'ai interviewées.

- Oui, oui, c'est bien.

- Et que fais-tu à Mandrakesoft ?

Que dire ? Qu'il était développeur ? Directeur ? Président ?

- Je suis stagiaire, je travaille dans l'équipe technique, avec les anciens amis d'Ylraw, d'ailleurs.

Après tout, se dit Tocman, mentir lui rapporterait sans doute plus de problème que d'avantages, et, même, il aurait dû un jour ou l'autre lui avouer la vérité, quoi qu'il aurait pu attendre deux ou trois ans de mariage et leur premier gamin pour ça.

- Ils parlent souvent de lui ?

Peut-être auraient-ils eut des nouvelles, eux-aussi, qui sait, elle n'était pas la seule personne en qui Ylraw pouvait avoir confiance.

- Pas très souvent, mais quand ils racontent ce qu'ils faisaient avant, l'année dernière, souvent il était là, alors ils en parlent. Comme pour l'île de Ré, les randonnées qu'ils faisaient, ou l'histoire de Mandrake.

- Tu ne l'as jamais rencontré, toi ?

- Je... Non, non je ne l'ai pas rencontré...

Deborah resta silencieuse un instant, elle profita de son coca pour faire semblant de réfléchir. Elle pensait à Ylraw, elle se demandait toujours si elle n'était pas folle. Elle se demanda si elle devait tenter de convaincre son ami, dont elle ne savait pas encore le nom, d'ailleurs, de l'aider à aller chez les parents d'Ylraw. C'était peut-être un peu tôt, elle pourrait attendre le lendemain. Où allait-elle dormir, d'ailleurs ? Si elle lui demandait son nom il lui faudrait donner le sien. Si jamais il parlait d'elle à ses collègues de Mandrakesoft, il valait mieux qu'elle donne un faux nom.

- Au fait, je ne me suis pas présentée, je m'appelle Dorothy Bryan, mais tu peux m'appeler Dory.

- Moi je suis Nicolas Elmange Lanfen, mais vous pouvez m'appeler Tocman.

- Tocman ? Ça signifie quelque chose en français ?

- Euh, non, pas vraiment, c'est juste, si enfin, non, c'est compliqué...

Elle comprendrait bien assez tôt, se dit Tocman.

- Hum, vous voulez manger ?

- J'ai un peu faim, oui, mais je ne voudrais pas te retarder, on peut simplement se voir demain ? Mais si tu veux je veux bien te payer le repas pour te remercier de ton aide.

- Ah, non, non, je peux vous inviter, moi, c'est plutôt à moi de vous invitez, je... Euh... C'est moi le gentleman, ici.

Deborah sourit, elle aimait bien les mimiques de Tocman, sa façon de parler.

Elle souriait, "Femme qui sourit à moitié dans ton lit" se dit Tocman. Ou bien était-ce "Femme qui rit ?". Bah ! Pour une femme qui sourit ça serait bien au moins déjà le quart dans son lit ! Mais quel quart choisir ? Est-ce qu'il valait mieux la couper en quatre comme une tarte ou alors comme un saucisson ? Tocman ne pouvait pas manger de saucisson, il était juif et c'était contre sa religion. Il fut embêter car il aurait bien aimé avoir la tête entière quand même. Il eut une idée de génie, il pouvait très bien la couper en quatre comme une tarte tout en conservant la tête entière, il suffisait de couper au niveau des épaules vers le ventre !

- Peut-être qu'on peut manger ici, non, il ne font pas à manger ?

Tocman se rendit compte de l'absurdité de ses pensées et se réprimanda de ne pas faire plus attention à Dory.

- Oui... Euh...

Pastapapa !

- Oui, non, en fait je connais un restaurant qui... Euh... Vous aimez les pâtes ?

- Les pâtes ? Oui, enfin qui n'aime pas les pâtes ?

- Oui, enfin, ce que je veux dire c'est que c'est un restaurant italien, vous aimez la cuisine italienne ?

- Oui, oui. Enfin, j'aime les pâtes et les pizzas, les Italiens font autre chose ?

- Non, enfin si, mais la plupart des restaurant italiens font surtout des pâtes et des pizzas. Mais... Euh, ce n'est pas tout près, enfin, il vous faudra marcher un peu, et avec votre... Euh...

- Non, non ne t'inquiète pas, je peux marcher, on ira doucement, c'est tout.

Tocman aida Deborah à se lever et lui prit son sac. Il trouva une excuse pour passer un coup de fil à sa mère et lui dire qu'il rentrerait tard.

- Ça fait longtemps que tu travailles à Mandrakesoft ?

- Non, pas très longtemps. Mais je suis encore jeune, je fais mes études, je suis juste un stagiaire pour l'instant.

- Tu habites à Paris ?

- Oui. J'habite dans le quinzième.

- Quinzième ?

Tocman pâtit pendant un bon quart d'heure, le temps d'arriver devant son restaurant italien, avant d'expliquer correctement le principe des arrondissements parisiens à Deborah.

Deborah tenta de ne pas trop parler d'elle ou d'Ylraw pendant le repas, et posa toutes sortes de questions à Tocman sur lui, Paris, son travail...

Tocman fut surpris de l'appétit de Deborah, qui finit sans encombre le copieux plat de pâtes. Il faut dire que, comme elle le lui expliqua, il était encore bien tôt pour elle, et elle n'avait pas encore manger grand chose de la journée, si ce n'était les frugaux repas servis pendant son vol.

- Tu dors dans un hôtel ?

Un hôtel ? Mince non, se dit Deborah, elle n'avait pas du tout penser à regarder où dormir.

- Et bien, pour être franche je n'ai pas encore regardé. Avec cette histoire de cheville ça met sorti de la tête.

- Tu n'as pas réservé d'hôtel des États-Unis ? C'est pas forcément évident à trouver sur Paris pour le soir.

Deborah eut un doute, effectivement, où allait-elle dormir ? Il ne lui faudrait tout de même pas dormir sous les ponts !

- Je pensais que j'en trouverais un sans trop de difficulté. Comme je ne savais pas si j'allais rester sur Paris ou devoir tout de suite partir chez les parents d'Ylraw, je n'ai rien réservé.

- Tu veux aller voir les parents d'Ylraw ?

Mince, elle ne savait plus trop si elle lui en avait déjà parler ou pas, et si elle pouvait le faire. Après tout, oui, il valait mieux qu'elle dît le maximum de vérité, comme lui avait après Ylraw.

- Oui, je pense que ce sera les plus à même de m'en dire un peu plus, non ? Ils habitent dans le Sud de la France, non ?

- Oui, on en a parlé tout à l'heure, ils doivent habiter près de Gap.

Ah, oui, ils en avait bien déjà parlé, elle avait un doute, décidément, elle ferait mieux d'être un peu plus attentive.

- Voilà. Comme je ne savais pas trop où ce que j'allais faire, je n'ai pas réservé. Tu penses que je pourrai pas trouver un hôtel ?

- Moi j'habite Paris, alors je n'ai jamais vraiment eu ce problème, mais bon quand même, il doit y avoir du monde. Remarque il y a quand même beaucoup d'hôtels... Mais...

Lui proposer de venir chez lui ? Elle n'acceptera jamais, elle pourrait même mal le prendre...

Deborah n'avait pas peur de dormir sous les ponts, d'autant qu'il semblait faire bon, pas aussi bon qu'au Texas, mais elle ne pensait pas qu'il ferait aussi chaud à Paris. Elle avait plus d'une fois dormi dans les champs, mais si elle pourrait économiser ainsi une nuit d'hôtel, qui ne devaient pas être des plus économique à Paris, elle aurait du mal à se rendre présentable pour le lendemain, hormis si elle trouvait une chambre à louer pour une heure.

- Tu ne connais vraiment pas d'hôtel pas très cher dans le coin ?

Après tout, pourquoi pas, se dit Tocman.

- Je suis désolé... Mais si tu veux tu peux venir dormir à la maison, enfin, chez mes parents. Ça ne les dérangera pas, c'est assez souvent que des amis viennent dormir.

Deborah, une fois de plus, fut fière intérieurement.

- Je ne voudrais pas les déranger.

- Non, non, aucun problème.

- Mais c'est vrai que ça m'arrangerait quand même, surtout pour ce soir, après je pourrais trouver un autre hôtel, mais c'est vrai qu'avec ma cheville ce n'est pas du tout pratique.

Ils parlèrent encore un peu de rien, Deborah éludant au possible toute référence à sa vie, puis partirent récupérer la ligne de métro desservant le quartier de Tocman. Ils marchèrent en silence un moment, il était dix heures du soir passées, et Tocman était exténué. Deborah était fatiguée de sa journée, elle avait assez peu dormi la nuit précédente, mais il était encore bien tôt pour elle, toutefois elle ne s'inquiétait pas trop de ne pas trouver le sommeil.

Tocman eut un peu de mal à expliquer à ses parents qui était Deborah, et elle fut surprise de dormir dans son lit, lui eut la gentillesse, en début de nuit tout du moins, de dormir par terre, mais le sol était vraiment trop dur et Deborah eut pitié de lui quand elle l'entendit se tourner et se retourner vers les deux ou trois heures du matin.

Tocman ne prit même pas le temps de jeter un oeil vers Deborah, il était épuisé, et il s'était aussi préparer à être très courtois, presqu'inquiet qu'une fille aussi belle accepte si facilement de venir dormir chez lui. Il avait un peu peur qu'elle ne prît mal le fait de dormir dans son lit, mais elle ne sembla pas troublée outre mesure.

Deborah considérait l'offre de Tocman surtout comme une aubaine, elle ne savait pas vraiment ses dépenses à venir, mais dans une telle aventure chaque cents d'économisé était potentiellement un source d'ennui en moins pour l'avenir. Elle ne savait non plus trop que penser des coutumes locale, tant sur l'hospitalité que ce qui était concevable ou ne l'était pas, et se garda d'émettre la moindre opinion sur la proposition de Tocman. Elle ne fit d'ailleurs guère de manière et dormi simplement en caleçon et tee-shirt large, elle connaissait bien les hommes, de toute façon, et savait qu'elle avait peu à craindre de son hôte. Deborah ne pensait pas le soir avant de s'endormir, pas qu'elle ne le voulut pas, mais elle s'endormait si vite qu'elle avait rarement le temps de trouver même à quoi penser.

Deborah se réveilla tôt, beaucoup trop tôt. Tocman dormait encore profondément, émettant un charmant petit sifflement. Elle sourit en le regardant. Elle regretta un peu de lui avoir menti, elle se dit qu'il était gentil, et que ce n'était pas très raisonnable de sa part de se servir de lui. Elle se promit de tout lui expliquer à partir du moment où elle aurait confiance en lui. Elle était en France depuis tout juste une journée et déjà dans le lit d'un homme ! Cette pensée la fit sourire. "Pauvre Billy", se dit-elle. Elle était assez contente d'elle, elle avait déjà trouver quelqu'un qui allait la renseigner. Elle s'inquiéta un peu de trop traîner, peut-être devrait-elle déjà partir vers les parents d'Ylraw ? Peut-être était-ce plus urgent qu'elle ne le pensait ? Il lui faudrait absolument trouver un cybercafé dans la journée pour relever son courrier électronique. Peut-être même que son hôte avait un accès internet, il était informaticien, après tout. D'un autre côté il était bien jeune, il devait avoir à peine 20 ans. Elle se sentait un peu vieille, pas tellement qu'elle était fatiguée, ou qu'elle ne se sentait pas en forme, bien au contraire, le travail au ranch lui apportait de l'exercice physique plus qu'il n'en fallait, et elle ne doutait pas de sa force, mais plus qu'elle se sentait dans un monde différent. La gestion de l'exploitation, des employées, des clients, lui demandait de paraître mature et professionnelle, et elle se comportait si souvent comme le patron de sa petite entreprise qu'elle en avait un peu perdu sa jeunesse. C'était peut-être cela, après tout, qu'elle recherchait dans les multiples hommes qu'elle fréquentaient, retrouver sa jeunesse, peut-être encore plus que cette volonté de les dompter, cette volonté de se venger de son père, cette volonté de combattre cette frustration de se sentir si faible face à lui.

Elle se souleva un petit peu pour voir l'heure sur le réveil, 5 heures 35, il était encore bien tôt, et elle avait peur de ne pas pouvoir se rendormir. À quelle heure pouvait-il bien se lever ? 7 heures ? Il lui faudrait bien encore attendre un heure et demi... Elle pouvait peut-être se lever ? Mais pour faire quoi ? Ah Ylraw ! Allait-elle le revoir ? Comment le croire ? Elle l'avait vu, mort. Bien sûr Naoma lui avait raconté ces histoires d'organisation, de tubes, de Lune, mais comment admettre une histoire pareille ? C'était, en un sens, remettre en question sa conception même du monde, des pays, du pouvoir...

Deborah rêvassa une bonne heure puis se rendormit finalement, et c'est dans un étrange rêve où elle était perdue dans une planète ville géante, véritable labyrinthe où tous ses anciens copains la poursuivaient pour lui demander des comptes, qu'elle fut réveillée par la sonnerie du radio-réveil de Tocman.

Il fallut une bonne dizaine de minutes à Tocman avant d'ouvrir les yeux, et surtout de se rappeler la présence d'une superbe créature à ses côtés. Il tourna alors la tête vers elle.

- Bonjour, ça va ?

Deborah comprit "Bonjour", mais pas le reste, Tocman lui avait parlé en français.

- Qu'est-ce que ça veut dire ?

Tocman lui traduit.

- Je vais bien, merci.

- Tu as bien dormi ?

- Oui, je me suis réveillée assez tôt, décalage horaire, mais je me suis rendormie.

- Qu'est-ce que tu vas faire aujourd'hui ?

- Et bien ça dépend un peu de toi.

Tocman eut une giclée d'adrénaline. Voulait-elle le revoir, passer du temps avec lui ?

- Comment ça ?

- Et bien, ça dépendra des info que tu pourras avoir sur Ylraw. En attendant je ne peux pas faire grand-chose.

- Ah oui.

- Est-ce que tu aurais un accès internet ? Il faudrait que je consulte mes messages. À moins que tu connaisses un cybercafé.

- Non, non ! Tu peux utiliser l'ordinateur, tu peux même rester là aujourd'hui, enfin je crois. On a internet en France !

- Oui, je m'en doute, c'est surtout pour ne pas déranger. Mais je vais peut-être pas te déranger plus... Je pense que je vais...

Deborah se retint, elle voulait lui demander s'il avait une voiture, mais c'était peut-être encore un peu tôt, et elle n'en aurait pas besoin tout de suite. Elle serait bien arrangée qu'il puisse la conduire jusque chez les parents d'Ylraw, toutefois elle savait qu'il vallait mieux demander un service quand on était déjà dans l'urgence, la personne avait ainsi moins de temps pour réfléchir, et souvent accepter, alors qu'en demandant à l'avance elle avait tout loisir de se trouver une excuse valable.

Ils se levèrent. Tocman indiqua la salle de bain à Deborah. Il lui demanda ce qu'elle prenait au petit déjeuner, elle ne fit pas la difficile et accepta la même chose que lui, à savoir un simple café. Il lui indiqua l'ordinateur. Elle était un peu perdu, tout était écrit en français, et ce n'était pas le même système qu'elle avait l'habitude d'utiliser, sans doute ce linux dont lui avait parlé Ylraw. Elle s'y retrouva tout de même, après un petit tour ce n'était pas si différent. Pas de message, elle s'en doutait un peu. Elle se demanda si elle devait écrire pour indiquer qu'elle était en France, mais comme elle n'était pas très sure, elle préféra attendre un peu avant de donner des nouvelles, après tout envoyer le moins de messages possible était un gage de sécurité.

Elle ne sut trop que faire, rester ici ou accompagner Tocman. Sa cheville l'embêtait vraiment, elle avait encore plus mal que la veille ; elle avait dû trop forcer dessus, il lui faudrait faire plus attention. Finalement elle décida d'accompagner Tocman, elle était gênait de rester chez ses parents, et ils convinrent de se retrouver pour déjeuner ensemble. Tocman l'avait laissée à la bouche de métro la plus proche de Mandrakesoft, et elle avait marché, boité plutôt, pendant une bonne demi-heure avant de trouver un banc où s'asseoir. Sa cheville lui faisait vraiment mal et elle maudissait cette malchance. Elle ne pourrait pas faire grand chose en attendant midi. Elle enleva sa chaussure et se massa la cheville. Était-ce un rêve ? Elle était en France, si loin... Mais loin de quoi, après tout... Elle était déjà perdue au Texas, elle ne le serait pas plus ici... Mais comment aider Ylraw ? Trouver d'anciens papiers ? Mais serait-ce suffisant ? N'allait-il pas resté bloqué à la frontière ? D'un autre côté la douane français n'était pas très stricte pour les avions arrivant des États-Unis, s'il en était de même pour ceux arrivant d'Australie, il avait une chance. Comment récupérer ses anciens papiers, et en avait-il ? Les anciens papiers n'étaient-ils pas récupérés par l'administration, comme au Texas ? Quand Ylraw était perdu en Australie avec Naoma, il voulait avoir des faux papiers pour rentrer en France, mais était-ce parce qu'il n'avait plus de papier ou parce qu'il avait peur de se faire repérer ? Deborah ragea de ne pas se rappeler avec suffisamment de précision ce que lui avait raconté Naoma.

Contacter directement les parents d'Ylraw ne serait sans doute pas une bonne idée, d'une part ils ne parlaient pas anglais, et en plus ils risqueraient de ne pas tenir leur langue. Mais elle ne pourrait jamais mettre la main sur d'anciens papier toute seule. Son frère ! Oui ! Son frère pourrait l'aider. Elle avait un peu parlé avec lui, il parlait anglais, et il serait sans doute plus discret. Mais où était-il ? Elle pourrait demander à Tocman d'appeler les parents d'Ylraw en ce faisant passer pour un amie de son frère, les parents lui donneraient sans doute un moyen de le contacter. Il était plus jeune qu'Ylraw, Deborah ne savait pas trop de combien. Trois ans, peut-être quatre...

Elle aurait peut-être pu le contacter directement, d'ailleurs, sans passer par Tocman et même sans venir en France, peut-être que tout serait déjà arrangé. Quelle idiote, si elle pensait un peu avant de se précipiter ! Enfin, trop tard désormais. Après tout elle n'avait pas dit grand chose à Tocman, et s'il pouvait lui donner quelques renseignements supplémentaires, ils pourraient lui être utile. Elle ne savait pas du tout le danger de cette affaire, elle ne savait pas si cette organisation était toujours là, si elle surveillait les connaissances d'Ylraw. Peut-être était-ce elle qui avait orchestré tout ça, sa mort, son enterrement... Peut-être Ylraw avait-il réussi à finalement s'échapper, et qu'ils étaient tous à ses trousses, et surveillaient avec attention sa famille, ses amis, elle...

Avait-elle était suivie ? Elle n'avait rencontré personne de suspect depuis le départ d'Ylraw. Mais même si au Texas elle avait put passer au travers des mailles de leur filet, sa présence à l'enterrement d'Ylraw l'avait sans doute fait fichée. Nul doute que son voyage en France précipité avait été repérée, alors. Elle aurait dû être plus prudente, mais comment ? Comment faire quand on ne savait même pas vraiment ce que l'on fuyait. Elle fut interrompu par un jeune homme, qui lui parla en anglais :

- Mademoiselle ?

Il était jeune, peut-être plus jeune qu'elle, elle ne le connaissait pas.

- Oui ?

- Pourriez-vous me rendre un service ?



Annexes

Table de correspondance

Unité

Unité d'Adama Correspondance terrestre
1 tri 63 = 216
1 quadri 64 = 1296
1 bi-quadri 68 = 1,679.106
1 tri-quadri 612 = 2.177.109
1 quatri-quadri 616 = 2,821.1012
1 quinto-quadri 620 = 3.65.1015
1 sexto-quadri 624 = 4,74.1018

Unité de temps

Unité d'Adama Correspondance terrestre
1 jour 26 heures 46 min 2 s (1,115 jour)
1 an (519 jours) 1,586 ans (578.9 jours)
1 sixième (87 jours, 84 pour le dernier de l'année) 97 jours (93.7 jours)
1 petit sixième (14 ou 15 jours) 15,6 ou 16,7 jours
1 trente-sixième (de jour) 44 minutes 37 secondes
1 sixième de trente-sixième 7 minutes 26 secondes
1 petit sixième de trente-sixième 1 minutes et quatorze secondes
1 très petit sixième de trente-sixième (un trième) 12 secondes
1 quadrième (de trente-sixième) 2 secondes
1 bi-quadrième (de trente-sixième) 1,594 millièmes de secondes

Unité de température

Unité d'Adama Correspondance terrestre
50 trièmes -40°C
40 trièmes -12°C
36 trièmes 0°C
30 trièmes 16°C
20 trièmes 44°C
10 trièmes 62°C
0 trième 100°C

Unité de distance

Unité d'Adama Correspondance terrestre
1 pierre 81,6 cm
1 tri pierres 176,25 m
1 quadri pierres 1057.5 m
1 bi-quadri pierres 1370,6 km
1 tri-quadri pierres 1,776 million de km
1 quatri-quadri pierres 2,302 milliard de km
1 quinto-quadri pierres 0,316 année-lumière
1 sexto-quadri pierres 408,97 années-lumière

Unité de masse

Unité d'Adama Correspondance terrestre
1 bi-quadrième de pierre 1.9 microgramme
1 quadrième de pierre 2.47 g
1 trième de pierre 14,8 g
1 trente-sixième de pierre 89 g
1 sixième de pierre 533 g
1 pierre 3,2 kg
1 tri pierres 691 kg
1 quadri pierres 4 t

Unité de volume

Unité d'Adama Correspondance terrestre
1 bi-quadrième de pierre 0,20 mm3
1 quadrième de pierre 308 mm3
1 trième de pierre 1,8 cm3
1 trente-sixième de pierre 11 cm3
1 sixième de pierre 67 cm3
1 pierre 400 cm3
2 pierres et demi 1 dm3
1 tri pierres 86 dm3
1 quadri pierres 0,5 m3

Chronologie

Événement Année Adamienne (par rapport au MoyotoKomo) Années terrestres (par rapport à Jésus Christ, approximation)
MoyotoKomo 0 -18000
Téléportation 3125 -13000
Expérience Terre 6374 -8000
Naissance de Melinawahasa 11287 -136
Naissance de Teegoosh 11303 -110
Naissance de Sarah 11333 -62
Teegoosh au pouvoir 11351 -33
Naissance de Jésus Christ 11372 0
Naissance de Pénoplée 11734 579
Libre Choix 11749 603
Naissance d'Ylraw 12607 1976
Naissance d'Énavila 12608 1978
Ylraw sur Adama 12624 2003