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l'air est chaud, sans compter la réverbération. Dix jours que nous sommes partis, notre destination s'est considérablement rapprochée, mais au rythme actuel il nous faudra au minimum encore cinq jours. Nous n'apercevons désormais plus notre cratère de départ pas plus que celui où nous avons atterri au tout début. Nous avons tous la migraine, nous ne nous parlons presque plus.

Il fait encore plus chaud aujourd'hui que les jours précédents, et nous avons tout juste le courage de pêcher et nettoyer encore des poissons, d'autant qu'ils sont plus rares depuis que nous sommes loin des côtes. La mer s'est approfondie, et si les premiers jours nous en apercevions toujours le fond dans l'eau claire, ce n'est maintenant plus le cas. Je redoute quelques plus gros poissons qui pourraient s'avérer dangereux, mais c'est rester dans l'eau où mourir desséché par le soleil... Tout ce que j'espère c'est que cette chaleur étouffante provoquera l'évaporation de suffisamment d'eau pour entraîner rapidement un orage...

Mes espoirs sont satisfaits, et en fin d'après-midi de gros nuages noirs se montrent à l'horizon. La pluie et les tonnerres ne se font pas attendre, et alors qu'Erik et moi reprenons avec enthousiasme les rames, Naoma tente de récupérer le plus d'eau de pluie possible. Mais bien vite notre rêve tourne à l'aigre. La mer se creuse et il nous devient impossible de ramer, nous devons nous affairer à nous accrocher tant bien que mal au radeau dans des creux de plusieurs mètres, en espérant que nos cordes tiennent bon et que le radeau ne se disloque pas.

La tempête dure plusieurs heures, pendant laquelle nous perdons notre gouverne, la plupart de nos outils, une rame et une combinaison. Nous avons tant bien que mal sauvé nos deux principaux récipients, solidement attachés, et récupéré une vingtaine de litres d'eau dans la combinaison restante. Naoma s'est salement blessée au dos à un moment ou le radeau s'est presque retourné, et nous avons tous les mains en sang de nous être retenus pendant des heures à des cordes tranchantes. Nos mains font peur à voir, couvertes de cicatrices, de blessures ; nous avons peine à les ouvrir. La fin de la nuit est plus calme, et nous dormons tous trois, épuisés.

Au petit matin je réveille Erik pour que nous nous remettions à ramer. La tempête nous a fait considérablement dériver, et ne nous a

pas rapprochés de notre destination, loin de là. Heureusement en ce quarante-deuxième jour la mer est de nouveau calme, et la température un peu plus fraîche, bien qu'encore caniculaire. Nous ramons de nombreuse heures avec Erik et nous nous inquiétons pour Naoma qui ne se réveille pas. Mais rien de grave, sa blessure lui fait très mal, mais elle semble se cicatriser et elle va bien, hormis qu'elle est très fatiguée.

Notre radeau a tout de même beaucoup souffert, et même si nous l'avons réparé tant bien que mal en resserrant quelques cordes et en retirant quelques rondins qui ne tenaient plus, il ne résistera pas à une nouvelle tempête. C'est la raison pour laquelle nous forçons la cadence ; nous ramons un tiers du temps tous les deux, et un tiers du temps seul alors que l'autre se repose. Naoma est désolée de ne pouvoir nous aider, mais sa blessure lui empêche tout mouvement du bras gauche.

Trois jours s'écoulent et la côte ne doit pas être désormais à plus d'une vingtaine de kilomètres, mais la chaleur a repris de plus belle, et d'inquiétants nuages noirs nous font redouter le pire. Et le pire arrive, même s'il ne dure pas. Le soir du quarante-cinquième jour une tempête digne de la précédente éclate de nouveau. Heureusement nous trouvant plus près des côtes, la mer est moins profonde et les creux moins important que trois jours auparavant. Mais notre crainte était juste, le radeau ne tient pas, et nous nous retrouvons rapidement à nous accrocher comme nous le pouvons à des rondins de bois pour ne pas trop boire la tasse. Je maintiens Naoma avec moi, qui a du mal à s'agripper avec sa blessure, et je ne sais ce qu'il advient d'Erik. Les courants nous sont plus favorables cette fois-ci, et si nous dérivons vers le nord-est, cela nous rapproche sensiblement de la côte. Au petit matin, alors que nous avons pédalé toute la nuit, en interpellant Erik de temps en temps, nous ne sommes qu'à une dizaine de kilomètres de la côte. Aucune trace d'Erik, mais nous n'avons guère la force de faire plus de recherche que quelques appels, et n'aspirons qu'à une chose, atteindre le rivage. Naoma y met du sien et pédale vigoureusement avec ses jambes, appuyée sur moi et le rondin. Je donne pour ma part aussi des mouvements du bras droit, me tenant avec le gauche.

Plusieurs heures s'écoulent, et nous ne baissons pas les bras. Naoma m'arrête toutefois alors qu'elle a vu quelque chose sur la