terminé que nous perdrons bêtement emporté par le courant.
Jour 398
Une fois sur le fleuve nous pouvons enfin prendre le temps de nous reposé. Nous dormons à tour de rôle, de façon à ce qu'un contrôle toujours la trajectoire du radeau, et évite les pertes de temps inutiles si nous retournons trop près des berges. Nous sommes l'un comme l'autre exténué, et après un premier tour de garde de trois heures chacun, nous dormons ensuite encore six heures d'affilée malgré l'inconfort des bout de bois humides de notre embarcation, tellement frêle qu'il nous faut souvent réemboîter les bouts de bois que nous avons sommairement taillés pour les assembler.
D'après mon compteur, le jour devrait se lever un peu après mon trois cent quatre-vingt dix-neuvième jour de cavale, dans une demi-journée à une journée. Soupir ! Trois cent quatre-vingt dix-neuf jours ! Bon je ne vais pas encore partir dans un délire nostalgique, de toute façon pour l'instant la priorité c'est la survie, pour le retour sur Terre on verra plus tard, bien plus tard, si jamais la pertinence de la question se pose encore un jour. C'est déjà assez extraordinaire, et finalement, même si je meurs aujourd'hui, ou demain, ne serait-ce qu'avoir connu tout cette immensité, la Congrégation, Pénoplée, Sarah, Énavila, Eric, cette lune étrange, vaudra déjà mille fois une vie monotone dans une capitale surpeuplée d'un monde archaïque et injuste. Mais qu'importe, après tout, s'il faut mourir ? Qu'importe ce que l'on a vécu. Peut-être il importe de le transcrire, de le laisser, mais comment alors ? Devrais-je lutter pour qu'un jour quelqu'un retrouve mes écrits, retrouve mon récit sur Terre, retrouve mon bracelet, tout ce que j'y ai enregistré ? C'est sans doute un peu l'essence de la vie, laisser une trace que d'autres pourront voir, lire, comprendre, analyser, suivre ou ne pas suivre. Mais comment ! Comment faire parvenir cette trace sur Terre, désormais ? Comment même la faire parvenir à la Congrégation ? Nous aurions dû peut-être rester dans le vaisseau, et nous laisser voguer pendant quelques millénaires avant que quelqu'un nous trouve.
Des millénaires ! Mais c'est mourir, déjà, que de sauter une année, de perdre le fil, de ne plus connaître les gens, de ne plus retrouver sa vie, d'être un étranger. Je le serais désormais si je
retournais sur Terre, tout ce qui a dû changer depuis mon départ, mes parents, mes amis, Mandrake... Et même, si j'y retournais ? Qu'y ferai-je ? Quelle devrait être maintenant la chose la plus juste à faire ? Les logiciels libres ? Que peuvent-ils bien représenter face à la Congrégation. Il me faudrait sans doute lutter pour l'intégration de la Terre à la Congrégation, sortir de la misère et du désespoir tous ceux qui souffrent sur Terre. Pourtant c'est aussi détruire notre identité, c'est affirmé péremptoirement que le modèle de la Congrégation est le meilleurs, et qu'il faut éliminer la façon dont les gens vivent sur Terre. Le choix, sans doute laisser aux gens le choix, le choix de rester sur Terre, de garder leur vie, ou de partir vers un nouveau monde. Mais qui resterait ? Ceux qui ont quelque chose à perdre, sans doute, les puissants, les autres partiraient sans hésitation, qu'est-ce qui peut bien résister à l'immortalité et le plaisir perpétuel ? À la tranquilité d'une vie dans un petit village de Stycchia, avec la femme qu'on aime ?
Je suis partie, pourtant, après tout j'aurais pu refuser de cherche à comprendre, me satisfaire d'une situation intermédiaire, pas vraiment dans la Congrégation mais quand même sous ses bons hospices, dans les bras de Pénoplée. J'aurais pu rester bien sagement à l'écoute du Congrès, j'aurais pu accepter cette mise-en-scène de ma prétendue ancienne identité dans la Congrégation...
Mais je n'aurais jamais survécu à tant de doute ! Je crois que je préfère encore mourir ici que de n'avoir fait tout ce que j'ai fait.. C'est peut-être ma punition, après tout. Après tout les choses ne sont peut-être pas si innocentes qu'il n'y parait, et sans aller à l'hypothèse d'une puissance divine, on récolte tout de même ce que l'on sème...
"Comment ça va ?"
Énavila ! Elle me contacte alors que Sarah dort depuis quatre ou cinq heures sur les six que nous nous étions fixées ; plus exactement les huit trente-sixièmes de jour d'Adama.
"Ça va, nous sommes en radeau, un peu avant le tournant où les gros grillés nous ont attaqués, je pense que d'ici douze heures nous serons vers le village (seize trente-sixièmes). Et toi quoi de neuf ?"